Sainte colère

Sainte colère

Colère

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En psychologie, la colère est considérée comme une émotion secondaire à une blessure, un manque, une frustration. Elle est affirmation de sa personne et sert au maintien de son intégrité physique et psychique ou alors elle est l'affirmation d'une volonté personnelle plus ou moins altruiste. Une colère saine est sans jugement sur autrui[1]. Parce qu'elle peut faire souffrir celui qui l'exprime, elle peut être considérée comme une passion.

La colère. Détail des « Sept péchés mortels » Jérôme Bosch 1475-1480.

Sommaire

Manifestations physiologiques

La colère se traduit physiologiquement par diverses manifestations qui préparent globalement le corps à l'action ou au combat.

La colère se traduit tout d'abord par une augmentation de l'activité cardio-respiratoire. La fréquence cardiaque augmentant, le sang afflux notamment dans la partie supérieure du corps, ce qui modifie légèrement la couleur de la peau, et justifie ainsi les expressions telles que "être rouge de colère" ou "le sang m'est monté à la tête". La respiration devient ample et rapide, ce qui cause notamment la hausse involontaire du volume sonore lors de l'expression de la parole.

La colère provoque aussi une contraction involontaire du corps dans son ensemble et en particulier des mains, qui tendent alors à se fermer en poing, ainsi que du visage dont les sourcils ont tendance à se froncer, et les machoires à se serrer. Cette contraction du visage et de la machoire peut aller jusqu'à provoquer un désir de relâchement brutal sous la forme de cri ou de hurlement.

La colère est le plus souvent de courte durée : elle s'estompe après un intense effort physique, ou lorsque l'esprit a trouvé objet de distraction l'éloignant de ce qui avait initialement provoqué la colère.

Son origine mythologique

D'après la Mythologie grecque, la Colère aurait été engendrée par l'Air et la Terre Mère qui donnèrent en même temps naissance à la Terreur, l'Habileté et la Dissension (entre autres)

Sa démesure

Si la colère est une forme d'expression licite contre l'indignation et l'injustice, elle est parfois incontrôlable. Face à un mal subi, l'homme en colère ne se contente pas alors de répondre par un mal équivalent, rétablissant une sorte d'ordre de droit égalitaire, mais rend facilement au centuple le mal qu'il a subi.
Pour Albert Camus :

La révolte est le refus d'une part de l'existence au nom d'une autre part qu'elle exalte. Plus cette exaltation est profonde, plus implacable est le refus. Ensuite, lorsque dans le vertige et la fureur, la révolte passe du tout ou rien, à la négation de tout être et de toute nature humaine, elle se renie à cet endroit.

La colère, aveugle et dévastatrice, devient de la fureur et génère de la peur.

Une émotion censurée

Dans la tradition catholique, la colère fait partie des sept péchés capitaux, avec la paresse, la gourmandise, l'orgueil, la luxure, l'avarice et l'envie.
Chez les bouddhistes, la colère fait partie des trois poisons de l'esprit, avec l'avidité, ou Trishna, et l'ignorance, ou Avidyā.
"Les Dieux sont autocrates. Ils ont confisqué l'immortalité et la colère". Seul Dieu a le droit d'être en colère"[2] : c'est l' ire de Dieu, un flot d'ouragan, un souffle torride qui balaye tout sur son passage.
"Un esclave, un domestique, un prisonnier, désormais un salarié, ne peuvent oser la colère, il en va pour eux de leur survie (physique ou professionnelle)". "Les ébauches de législation sur le harcèlement moral dans les entreprises viennent sans doute aucun de la disparition forcée et acceptée de l'expression de la colère sur les lieux de travail, de son caractère décrété tacitement impossible, impensable"[3]. Dans le milieu familial, à l'école, la situation n'est guère différente.
Pourtant la psychologie a bien montré, et expérimente chaque jour, les effets nocifs de la censure de la colère, qui enferme l'individu dans des zones de non-dits et parasite la relation à soi-même et aux autres. Il existe pourtant des expressions positives de la colère, qu'il est possible d'apprendre, de même qu'il est possible et souvent souhaitable d'accueillir la colère des autres.[réf. nécessaire]
Pour mémoire, "Chez les Inuits, la colère s'exprime toujours en public, les deux adversaires s'insultent, s'injurient, jusqu'à ce que les rires des spectateurs et spectatrices de cette joute, où aucun coup n'est échangé mais où aucun mot n'est censuré, les départagent"[4].

Un enjeu : la justice

Pour Lytta Basset[5] l'injustice est un des mobiles de la colère et "une personne en colère est une personne qui n'a pas renoncé à la justice"[6]..
La question de la justice ne se pose que dans le champ des relations interpersonnelles : la colère constitue un formidable contre-pouvoir face aux idéologies de toutes sortes. Elle est un potentiel de transformation inter-individuelle, à condition de ne pas "casser" la relation.

Tant que la recherche de la justice mobilise un individu, le processus de justification est sous-jacent. Mais cela nécessite qu'une relation soit encore possible, que le sujet en colère ne s'enferme pas à l'intérieure d'elle, et qu'un Autre puisse l'accueillir.
Si ce n'est pas le cas, le sujet se met en danger. La tentation de l'auto-justification est grande, nourrissant le soupçon qu'autrui a besoin d'un coupable. La culpabilité et le sentiment de culpabilité s'entremêlent, pour le meilleur et pour le pire.
Si ce n'est pas le cas, la frontière précise entre l'auto-accusation et l'accusation réelle est mince, quelle que soit la légitimité de la colère.
Le processus de justification se transforme alors en hostilités et en inimitiés et celui du bouc émissaire entre en scène.

Philosophie classique

Aristote

Aristote, 384 av. J.-C.-322 av. J.-C., qui a fondé l'école du Lycée et l'école des péripatéticiens, a consacré dans la Rhétorique un chapitre sur la colère : De ceux qui excitent la colère ; des gens en colère ; des motifs de colère.

Selon Aristote, toutes nos actions se rattachent nécessairement à sept causes diverses : le hasard, la contrainte, la nature, l'habitude, le calcul, la colère et le désir passionné. La colère, au même titre que le désir, est une passion (comme le sont aussi la pitié, la terreur, la haine, l'envie, l'émulation et la dispute).
La peur est absente pendant la colère. L'hyperbole est un mode d'expression courante pendant une colère.

Contrairement à la volonté qui est le désir d'un bien accompagné de raison, la colère est irraisonnée. Elle est un désir de vengeance, secondaire à une marque de mépris, et, comme tout désir de vengeance, elle s'adresse toujours à quelqu'un en particulier : On n'agit jamais avec colère contre une personne sur qui l'on ne peut exercer sa vengeance. Le plaisir qui l'accompagne vient de l'espoir de cette vengeance.

Par mépris, il faut entendre le dédain, la vexation et l'outrage. Le mépris n'assigne aucune valeur à celui qui en est l'objet. La vexation consiste à obtenir que la volonté d'autrui ne s'accomplisse pas. L'outrage est de causer de la honte à quelqu'un, et d'y trouver de la jouissance, en se fondant dans la croyance qu'il y a un avantage sur celui qui est déshonoré.
On pense devoir être honoré, de ceux qui sont inférieurs dans un système hiérarchisé (richesse, rang de naissance, pouvoir ...) ou de ceux dont on croit devoir attendre un bon office. Ainsi on ne peut ressentir une colère contre ceux qui peuvent nous être supérieurs ; dans ce cas, ou bien on n'agit pas avec colère, ou bien on le fait d'une manière moins énergique.

La colère est le contraire du fait d'être calme. Le calme est un retour de l'âme à l'état normal et un apaisement de la colère.
Ce qui fait tomber la colère est l'acte de repentance, d'humiliation, ou le fait d'agir avec considération. On devient calme après avoir épuisé sa colère contre un autre. Ou lorsqu'une personne qui nous a fait du tort se trouve condamnée.
La colère a son origine dans ce qui nous touche personnellement, tandis que la haine est indépendante de ce qui se rattache à notre personne. La colère peut guérir avec le temps, pas la haine. La haine s'attaque plus à une classe de gens. La colère s'accompagne de peine, non la haine. La colère peut porter à la haine. La colère, comme l'inimitié, peut inspirer la crainte, par le pouvoir et la volonté qu'elle procure. Il y a de l'assurance dans le sentiment de la colère, du fait de l'impression de subir une injustice.

Sénèque

Je ne conçois de grandeur que dans une âme inébranlable. [1,20]

Sénèque, -4,+65, était un philosophe de l'école stoïcienne. Il a écrit un ouvrage consacré à la colère : Sur la colère (De Ira).

  • Livre premier

L'homme en proie à la colère n'a plus toute sa raison. Certains la nomment courte folie. On ne peut la cacher : elle se donne à voir et éclate à découvert.
Jamais aucun fléau n'a couté à l'humanité plus que la colère. Ses effets ont été dévastateurs, aussi bien à l'échelle individuelle qu'à l'échelle collective.
La colère ne vient pas que de l'offense, mais parfois aussi du pressentiment et de l'intention du mal.
L'animal ne connait pas la colère, et il ne faut pas la confondre avec l'impétuosité, la rage, la férocité ou la fougue.
L'irascibilité est à la colère ce que l'homme ivre est à l'ivrogne. L'homme en colère peut n'être pas irascible, comme l'irascible n'est pas toujours en colère.
Les formes et les modifications de la colère sont infinies.
La colère n'est pas dans la nature de l'homme. Elle a soif de vengeance. Le châtiment n'est utile que lorsqu'il s'appuie sur la raison et la justice.
Il est plus facile d'étouffer la colère dans son germe que de la contrôler, car une fois ébranlée, l'âme se laisse emporter par la passion. Elle s'installe comme un droit et ne suit plus que ses caprices. L'âme s'identifie alors à cette passion et la raison ne peut plus se relever. Même ceux qui semblent contenir la colère le font au risque de se laisser contrôler par une autre passion, telle la peur ou la cupidité, ou de ne pouvoir exercer l'usage de la raison, là où elle aurait suffit pour arriver à ses fins. Une colère qui écoute la raison n'est plus une colère et la raison n'a point besoin d'une aveugle auxiliaire. Modérer la colère ne revient qu'à obtenir un mal modéré. La colère n'a rien d'utile. La vertu n'a pas besoin de faire appel au vice.
Au champ de bataille, elle n'aide pas le courage mais le remplace.
En cas de meurtre d'un de ses proches, le devoir de vengeance, sans trouble et sans émoi, ne doit pas faillir devant la colère. Car celui qui s'irrite quand on outrage ses proches est celui qui s'irrite quand l'eau chaude n'est pas servie à point ou quand on brise un verre ou qu'on éclabousse les chaussures.
Même quand le vice aurait parfois produit quelque bien, ce n'est pas une raison pour l'adopter et l'employer.
Devant ceux qui font le mal, la voie n'est pas de les haïr, puisque c'est l'erreur qui les porte au mal, mais de les ramener, au lieu de les poursuivre ! Il faut rendre l'homme meilleur par l'indulgence et la tempérance. S'il y en a d'incorrigibles, qu'on les traite sans haine et avec raison, en les arrachant à leur propre dégradation, comme on ampute un membre gangréné : remontrances, ignominie, exil, fers et prison publique, voire la mort qui rend ainsi le plus grand service et qui peut parfois être un acte de pitié.
La colère ne veut pas être éclairée ; la vérité, en fait, l'indigne (exemple du consul Pison), à la différence de la raison qui pourrait, renverser des maisons entières, de puissantes familles, peste de l'état, sacrifier enfants et femmes, abattre et raser jusqu'au sol des murs odieux, et abolir des noms ennemis de la liberté: tout cela sans frémir de rage.
La colère n'est que boursouflée, humeur viciée, une enflure funeste. Elle n'a rien de noble ni d'élevée. Elle touche surtout les femmes et les enfants, et, si elles touchent les hommes, c'est que les hommes aussi ont le caractère des enfants et des femmes. Elle n'a rien d'une marque de grandeur, sinon l'auraient aussi la luxure, l'avarice et l'ambition.

Thomas d'Aquin

Thomas d'Aquin, 1225, 1274 est un philosophe scolastique, fondateur du thomisme. Dans le traité la Somme théologique, il a consacré trois questions à la colère : Partie 2a, Question 46, Partie 2a, Question 47 et Partie 2a, Question 48.

Spinoza

Les doctrines de Spinoza, 1632-1677, font parties des courants du Rationalisme, du Panthéisme et de l'Eudémonisme. La philosophie classique des affects ou sentiments distingue la colère de la haine. En effet, Spinoza définit la haine (odium) comme une tristesse accompagnée de l'idée d'une cause, donc ce qui correspondrait à un mécontentement attribué à un objet précis tandis que la colère (ira) est définie comme l'effort de causer du mal à l'objet de notre haine[7]. « Mal », ici signifie tout ce que nous imaginons pouvoir diminuer notre puissance d'exister propre[8]. Spinoza rejoint en ce sens le stoïcien Cicéron qui définissait la colère comme « désir (libido) de punir celui qui semble nous avoir causé un dommage injustement »[9].
La colère serait alors la conséquence immédiate de la haine, elle même causée par différents sentiments négatifs comme la sensation d'être menacé, une offense, une humiliation, etc. Et en tant que désir de faire subir un mal à ce qui nous en a fait subir auparavant, elle est à son tour cause de violence, de conflit, puis de haine et de colère en retour.

Spinoza oppose à la colère l' animositas, non pas l'animosité dans le sens de colère ou hostilité durable contre une personne, mais d'"ardeur, fermeté, courage". Avec la générosité, il fait de l'animositas une des deux vertus fondamentales ou forces de l'âme[10].
Pour lutter contre tout ce qui peut nous détruire, Spinoza oppose à la colère aveugle, le courage de l' animositas, «désir qui porte chacun de nous à faire effort pour conserver son être en vertu des seuls commandements de la raison»[11].

Lexique et étymologie

Vient du grec kholê, "bile", qui a donné cholera. La colère était du à un échauffement de la bile : la chaude chole ou "bile chaude" et "cholère".
Pour Littré, l'emportement est la manifestation extérieure de la colère ; mais une colère peut être dans le cœur sans qu'elle se montre par des gestes ou des paroles.

  • colérique : emprunté au latin cholericus, XIIIè. Agir sous le coup de la colère : se dit d'une personne qui agit sans réflexion, à la suite d'une colère.
  • fulminer : être en colère, pester contre quelqu'un.
  • fumée : les fumées leur montent à la tête ; on lui a bien rabattu les fumées ; des fumées qui passent.
  • ire, du latin ira, colère. L'un des sept péchés capitaux : la colère est pour les animaux et les êtres brutaux. Mais Dieu a droit à l' Ire : L' Ire de Dieu.
  • irascible. Dans la Philosophie Scolastique, l’appétit irascible est la faculté par laquelle l’âme se porte à surmonter les difficultés qu’elle rencontre dans la poursuite du bien ou dans la fuite du mal. Des onze passions de l'âme, cinq sont dus à l'appétit irascible : la colère, l'audace, la crainte, l'espérance et le désespoir.

Notes

  1. Isabelle Filliozat L'intelligence du cœur Marabout, 1997
  2. Jean-Pierre Dufreigne Bref traité de la colère
  3. ibid
  4. ibid
  5. Lytta Basset Sainte colère
  6. ibid
  7. l'Éthique III, scolie 2 de la proposition 40
  8. cf. scolie de la prop. 39
  9. Tusculanae 4, 9, 21
  10. Éthique III, prop. 59, scolie
  11. Cf. Éthique IV, prop. 69

Liens internes

émotion, haine, humeur, passion, sentiment, violence

Voir aussi

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Voir sur Wikisource : la colère.

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Voir « colère » sur le Wiktionnaire.

Liens externes

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