Sacrées

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Sacré

Le sacré est une notion d'anthropologie permettant à une société humaine de créer une séparation ou une opposition axiologique entre les différents éléments qui composent, définissent ou représentent son monde : objets, actes, espaces, parties du corps, valeurs, etc. Le sacré désigne ce qui est mis en dehors des choses ordinaires, banales, communes, ordinaire; il s'oppose essentiellement au profane, mais aussi à l'utilitaire.

Le sacré a toujours une origine traditionnelle qui peut être mythologique, religieuse ou idéologique (c'est-à-dire non religieuse). Il désigne ce qui est inaccessible, indisponible, mis hors du monde normal.

Sommaire

Différents aspects du sacré

Selon Camille Tarot, le concept du sacré est conçu par les anthropologues contemporains comme la réponse à un ensemble d'expériences propres non seulement aux sociétés archaïques et traditionnelles mais aussi à toutes les autres cultures qui leur ont succédé. Il semble devoir être admis comme une donnée constitutive de la condition humaine, c'est-à-dire comme : "une catégorie universelle de toute conscience humaine", face à sa finitude et à sa condition de mortel.

Sur le plan phénoménologique, nous pouvons entrevoir ce qui, dans les cultures humaines, est visé dans les expériences du sacré : avant tout, le "numineux", le numineux étant, selon Carl Gustav Jung: "ce qui saisit l'individu, ce qui, venant d'ailleurs, lui donne le sentiment d'être", traduisant, par conséquent, une expérience affective d'être. Le sacré entre ainsi selon Camille Tarot dans : "la composition d'une essence, celle de son identité". Cette définition évoque irrésistiblement : "la profondeur ontologique dans laquelle s'enracine le "sentiment" du sacré et donc l'importance de celui-ci dans toutes les cultures".

Sur le plan historique, "tantôt il [le sacré] semble s'identifier ou se confondre avec le divin : c'est le cas des religions archaïques, tantôt c'est le sacré qui s'estompe au profit du divin ou de la transcendance : c'est le cas des formes religieuses qui relativisent mythes et rites ou préconisent l'accès au divin".

Pour Roger Caillois, il n'existe que deux attitudes face au sacré : le respect de l'interdit ou sa transgression. Si l'Homme fait l'expérience du sacré, c'est qu'il veut précisément échapper à sa condition d'être fini et mortel; pour ce faire, il y a a priori trois solutions : le tabou (totémisme), la magie (animisme) et la religion (surtout les religions dites naturistes).

Enfin, toujours pour Camille Tarot, le sacré serait à l’origine du fait religieux, lequel serait à reconnaître : "dans la conjonction du symbolique et du sacré".

Dans les religions romaine et grecque, sont sacrés les objets qui ont été officiellement et par un acte rituel, retranché du monde profane pour en donner la propriété à une divinité[1]. Dans le christianisme, l'expression le sacré désigne spécialement l'Eucharistie.

Cette notion est aujourd'hui utilisée de façon plus générale dans d'autres contextes : une nation peut définir comme sacrés ses principes fondateurs ; une société peut définir comme sacrées certaines de ses valeurs ; etc. Les anthropologues contemporains disent d'ailleurs que la notion de sacré est trop floue pour pouvoir être utilisée dans l'étude des religions — même s'ils continuent à travailler dessus.

Les éléments du sacré sont généralement considérés comme intouchables : leur manipulation, même en pensée, doit obéir à certains rituels bien définis. Ne pas respecter ces règles, voire agir à leur encontre, est généralement considéré comme un péché ou crime réel ou symbolique : c'est ce qu'on nomme un sacrilège. Le pire des sacrilège est la profanation, qui est défini comme l'introduction d'éléments profanes dans un enceinte sacrée (réelle ou symbolique).

Notons que la notion de « sacré » ne se trouve pas dans toutes les sociétés.

« Ce qui est sacré c’est le respect de la vie. La spiritualité c’est le respect de l’essentiel : aimer la vie, aimer toutes les vies.  »

— Bruno San Marco

Le Bouddha et la pagode Shwezigon en Birmanie

Pour Durkheim[2], les représentations religieuses sont en fait des représentations collectives : l'essence du religieux ne peut être que le sacré, tout autre phénomène ne caractérise pas toutes les religions. Le sacré, être collectif et impersonnel, représente ainsi la société elle-même.

« Les choses sacrées sont celles que les interdits protègent et isolent, et les choses profanes étant celles auxquelles ces interdits s'appliquent et qui doivent rester à l'écart des premières.

La relation (ou l'opposition, l'ambivalence) entre Sacré et Profane est l'essence du fait religieux.

 »

— Émile Durkheim

Le sacré selon Mircéa Eliade

Les hiérophanies

« On pourrait dire », écrit Mircea Eliade, « que l'histoire des religions, des plus primitives aux plus élaborées, est constituée par une accumulation de hiérophanies […] L'occidental moderne éprouve un certain malaise devant certaines formes de manifestations du sacré : il lui est difficile d'accepter que, pour certains êtres humains, le sacré puisse se manifester dans des pierres ou dans des arbres. Or, […] il ne s'agit pas d'une vénération de la pierre ou de l'arbre en eux-mêmes. Les arbres sacrés ne sont pas adorés en tant que tels ; ils ne le sont justement que parce qu'ils sont des hiérophanies, parce qu'ils “montrent” quelque chose qui n'est ni pierre ni arbre, mais le sacré, le ganz anderes[3]. »

Et Eliade d'ajouter :

« On n'insistera jamais assez sur le paradoxe que constitue toute hiérophanie, même la plus élémentaire. En manifestant le sacré, un objet quelconque devient autre chose, sans cesser d'être lui-même, car il continue de participer à son milieu cosmique environnant. Une pierre sacrée reste une pierre ; apparemment (plus exactement : d'un point de vue profane) rien ne la distingue de toutes les autres pierres. Pour ceux auxquels une pierre se révèle sacrée, sa réalité immédiate se transmue au contraire en réalité surnaturelle[4]. »

Mais hormis ces considérations sur l’aspect duel de l’objet sacré, Eliade, en dépit d’une œuvre considérable dédiée au sujet, ne dit, en revanche, jamais rien sur la nature probable de « cet autre chose », invisible, qui irradie, effectivement, de l’objet en question[réf. nécessaire]. Quant aux forces qui déterminent le profane « à devenir une hiérophanie, ou a cessé de l'être à un moment donné[5] », Eliade reconnaît explicitement que « le problème dépasse la compétence de l'historien des religions[6]».

Stonehenge au solstice d'été en Angleterre (non loin de Salisbury, Comté de Wiltshire)

Selon Daniel Dubuisson, l’approche eliadienne, compte tenu de son incapacité foncière à définir « quels principes, quelles règles, quels mécanismes régissent la disposition et l'organisation[7]» de ce phénomène, conduit l’historien des religions sur une voie sans issue.

La nature relationnelle des hiérophanies

« La seule chose qu'on puisse affirmer valablement » à propos du sacré, écrit Eliade, « c'est qu'il s'oppose au profane[8] ».

Selon Albert Assaraf une telle explication reste fondamentalement à la périphérie du phénomène. « Autant, dit-il, expliquer le feu – comme le faisaient autrefois les aristotéliciens – en l’opposant à l’eau ; la terre, en l’opposant à l’air…[9]»

Toujours selon cet auteur, la grande erreur d’Eliade – erreur d’où découleront les séries d’impasses précitées – est précisément là, dans sa tentative d’expliquer le sacré en l’opposant au profane, comme si sacré et profane étaient deux entités différentes que rien ne peut rapprocher alors que sacré et profane découlent d’un phénomène commun : à savoir la propension qu'ont les signes de lier et de délier les hommes.

«  C’est en raison de notre prédisposition innée, dit-il, à classer les objets du monde selon une échelle de force [verticale], qu’une simple pierre finit par désigner quelque chose de "tout autre" qu’elle-même. Et ce "tout autre", c’est le lien ; c’est la quantité d’énergie ligative qui se dégage d’un signe à un moment donné de son histoire.[10] »

Même Eliade, fait remarquer Albert Assaraf, n’est pas sans admettre implicitement l’origine relationnelle du sacré :

«  Il subsiste, écrit Eliade, des endroits privilégiés, qualitativement différents des autres : le paysage natal, le site des premières amours, ou une rue ou un coin de la première ville étrangère visitée dans la jeunesse. Tous ces lieux gardent, même pour l'homme le plus franchement non-religieux, une qualité exceptionnelle, « unique » : ce sont les « lieux saints » de son univers privé, comme si cet être non-religieux avait eu la révélation d'une autre réalité que celle à laquelle il participe par son existence quotidienne[11]. »

« Paysage natal », « site des premiers amours », « une rue ou un coin de la première ville étrangère visitée dans la jeunesse », ne sont-ce pas là tout simplement des objets d’attachements initiaux que l’esprit humain place très haut sur une échelle imaginaire verticale ?

Il paraît urgent de rappeler, en lisant ces lignes, que l'expérience du sacré est celle de la transcendance: l'ouverture sur l'absolu. Il est évident qu'une telle notion ne peut pas être définie puisque le fini n'a pas la capacité de décrire l'infini. Ainsi que René Guénon l'a souligné, l'on ne peut avoir recours qu'à une formule négative: "l'infini est ce qui n'a pas de limite". Affirmer que La nature du sacré est mystérieuse serait un pléonasme. Aussi est-il aisé de comprendre que Mircéa Eliade ait dû utiliser une comparaison approximative en évoquant ce qui n'est qu'un sentiment de la notion de sacré. Une confusion est-elle possible lorsque l'éminent historien des religions ajoute: "Le Monde n'est pas un Chaos mais un Cosmos (...) cette oeuvre divine garde toujours une transparence, elle dévoile spontanément les multiples aspects du sacré. Le Ciel révèle directement, "naturellement", la distance infinie, la transcendance du dieu. La Terre, elle aussi est transparente: elle se présente comme mère et nourricière universelle. Les rythmes cosmiques manifestent l'ordre, l'harmonie, la permanence, la fécondité. Dans son ensemble, le Cosmos est à la fois un organisme réel, vivant et sacré: il découvre à la fois les modalités de l'Etre et de la sacralité."

Pour conclure cette brève intervention, l'ouvrage de Monsieur Albert Assaraf, dont le titre Le Sacré, une force quantifiable? annonce une assimilation du qualitatif au quantitatif, pourrait avantageusement s'intituler La Lumière est-elle obscurité?

Cela dit, attention à ne pas confondre l'"expérience" du sacré et la "force" qui irradie de l'objet sacré. L'une est, effectivement, impossible à définir comme il est impossible de définir ce que l'on ressent face au bleu du ciel ; l'autre, en revanche, comme l'explique Albert Assaraf, est parfaitement quantifiable suivant une échelle de force de 1 à 10, de la même manière que la longueur d'onde du bleu du ciel est parfaitement quantifiable.

Utilisation courante

Le terme est parfois utilisé par extension, éventuellement par des non-croyants, pour qualifier des valeurs qui paraissent essentielles à une civilisation (exemple : Le respect de la propriété est une chose sacrée, etc.).

Il apparaît en ce sens dans la Marseillaise au 6e couplet :

Amour sacré de la Patrie
Conduis, soutiens nos bras vengeurs !
Liberté, Liberté chérie,
Combats avec tes défenseurs !

Notes et bibliographie

  1. Jon Scheid, Le Culte des sources et des eaux dans le monde romain, in Diffusion des cours du Collège de France, Religion, institutions et sociétés de la Rome antique, n° 2
  2. Émile Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse, 1912 — lire en ligne et Émile Durkheim - De la définition des phénomènes religieux[pdf] lire en ligne
  3. Mircéa Eliade, Le sacré et le profane, Paris, Gallimard, 1957, p. 17.
  4. Ibid., p. 18.
  5. Cf. Mircea Eliade, Traité d'histoire des religions, Paris, Payot, 1964, § 4
  6. Mircea Eliade, Le sacré…, op. cit., p. 12.
  7. Daniel Dubuisson, Mythologies du XXe siècle, Lille, Presses Universitaires de Lille, 1993, p. 259.
  8. Mircea Eliade, Traité d'histoire des religions, Paris, Payot, 1964, p. 12.
  9. Albert Assaraf, « Le sacré, une force quantifiable ? », Médium, n° 7, Paris, Editions Babylone, 2006
  10. cf. Albert Assaraf, « Le sacré, une force quantifiable ? », Médium, n° 7, op. cit., p. 42.
  11. Mircea Eliade, Le sacré et le profane, op. cit., pp. 27-28.

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Voir « sacré » sur le Wiktionnaire.

Voir aussi

Articles connexes

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