Réacteur nucléaire naturel d'Oklo

Réacteur nucléaire naturel d'Oklo

1°23′40″S 13°09′39″E / -1.39444, 13.16083

Localisation du Gabon
Structure géologique du site
1. Zones des réacteurs nucléaires
2. Grès
3. Couche de minerai d’Uranium
4. Granite

Le réacteur nucléaire naturel d’Oklo, près de la ville de Franceville dans la province de Haut-Ogooué au Gabon, est un ensemble de réacteurs nucléaires naturels, c’est-à-dire que des réactions de fission nucléaire en chaîne auto-entretenues y ont eu lieu sans intervention humaine[1]. Cependant, ces réacteurs nucléaires naturels restent de très faible puissance, comparativement aux réacteurs nucléaires actuels fabriqués par l'homme.

C’est le seul exemplaire connu sur la Terre, découvert en 1972 par le physicien français Francis Perrin dans la mine d’uranium d’Oklo exploitée par la Cogema ; tous les réacteurs du site sont aujourd’hui éteints.

Sommaire

Histoire

Le Gabon était une colonie française quand des analyses de routine des sols ont été effectuées par le CEA (ou plutôt son bras industriel qui devint plus tard la Cogema). Elles permirent la découverte d’uranium dans cette région en 1956. La France ouvrit immédiatement des mines, gérées par la COMUF (Compagnie des Mines d’Uranium de Franceville), pour exploiter les ressources, près du village de Mounana. Après l’indépendance, en 1960, l’État du Gabon reçut une petite partie des bénéfices de la compagnie.

Pendant quarante ans, la France a extrait de l’uranium dans cette partie du Gabon. Une fois extrait, l’uranium fut utilisé en France et en Europe. Aujourd’hui, la mine d’uranium est épuisée et n’est plus exploitée.

Minerai d’uranium

Le « phénomène Oklo » a été découvert en 1972 à l’usine d’enrichissement d’uranium de Pierrelatte, en France. Des analyses de routine sur un échantillon d’hexafluorure d’uranium (UF6) provenant de la mine d’Oklo mirent en évidence un manque anormal d’uranium 235 (235U). La proportion normale de 235U est de 0,7202 %, alors que les échantillons ne présentaient que 0,7171 %. Comme les quantités d’isotopes fissiles sont cataloguées précisément, cette différence devait être expliquée ; aussi, une enquête fut lancée par le CEA. Une série de relevés de la composition isotopique de l’uranium d’Oklo et d’autres mines fut effectuée, et mit en évidence des différences significatives ; la proportion de 235U dans certains échantillons de minerai baissait jusqu’à 0,440 %.

Plusieurs hypothèses furent envisagées pour expliquer cette faible teneur en 235U, mais la découverte de trace de produits de fission accrédita la thèse d’un réacteur nucléaire spontané.

Physique

Article détaillé : réacteur nucléaire.

Un réacteur nucléaire naturel est un dépôt d’uranium où les analyses montrent des symptômes de réaction de fission nucléaire en chaîne auto-entretenue. Le phénomène de réacteur naturel est caractérisé par le physicien français Francis Perrin. Les conditions dans lesquelles une réaction auto-entretenue naturelle peut survenir avaient été décrites en 1956 par Paul Kuroda, à l’Université de l’Arkansas ; les conditions à Oklo sont proches des prévisions théoriques.

Oklo est le seul endroit connu de réacteur nucléaire naturel ; seize sites y ont été découverts avec des traces de réactions de fission datant de près de deux milliards d’années[2].

Signature isotopique des produits de fission

Néodyme

Le néodyme trouvé à Oklo a une composition isotopique différente de celle du Nd trouvé ailleurs sur Terre : le Nd typique contient 27 % de 142Nd ; celui de Oklo en contient moins de 6 %, et contient davantage de 143Nd. La composition correspond à celle du produit de la fission du 235U.

Ce diagramme montre l’abondance isotopique naturelle (normale) du néodyme, ainsi que celle du site modifiée par les isotopes du néodyme produits par la fission de 235U.
Le 142Ce (un émetteur bêta à longue durée de vie) ne s’est pas encore transformé en 142Nd, même depuis l’extinction des réacteurs.

Ruthénium

Le ruthénium trouvé à Oklo présente une forte concentration de 99Ru (27-30 %, contre 12,7 % typiquement). Ce surplus peut s’expliquer par la désintégration du 99Tc (produit de fission) en 99Ru.

Ce diagramme montre l’abondance isotopique naturelle (normale) du ruthénium, ainsi que celle du site modifiée par les isotopes du ruthénium produits par la fission de 235U.
Le 100Mo (un émetteur double bêta à longue durée de vie) ne s’est pas encore transformé en 100Ru, même depuis l’extinction des réacteurs.

Fonctionnement des réacteurs

Une des multiples fissions nucléaires de l’uranium 235 induite par la capture d’un neutron.

Un réacteur nucléaire naturel se forme lorsqu’un dépôt de minerai riche en uranium est inondé par de l’eau : l’hydrogène de l’eau agit alors comme modérateur de neutrons, transformant le rayonnement « neutrons rapides » en « neutrons lents » et augmentant ainsi leur probabilité de percuter un atome d'uranium (augmentation de la criticité). Cela démarre une réaction en chaîne de fission nucléaire. Au fur et à mesure que la réaction s’intensifie, augmentant la température, l’eau s’évapore et s’échappe, ce qui ralentit la réaction (plus de neutrons rapides et moins de lents), empêchant un emballement du réacteur. Après la baisse de la température, l’eau afflue de nouveau et la réaction ré-augmente, et ainsi de suite.

À Oklo, la réaction s’est maintenue pendant plusieurs centaines de milliers d’années. La fission de l’uranium produit cinq isotopes du xénon, qui ont tous été retrouvés dans les restes du réacteur, à différents taux de concentration ; ceci suggère que le taux de la réaction était cyclique (voir explication ci-dessus). D’après les concentrations, la période devait être d'environ deux heures et demi.

On estime que ces réacteurs naturels ont consommé environ six tonnes de 235U (voir la section Applications industrielles), et ont fonctionné à une puissance de l’ordre de 100 kW, produisant des zones portées à des températures de plusieurs centaines de degrés Celsius. Les produits de fission non volatils n’ont bougé que de quelques centimètres en deux milliards d’années, ce qui donne un cas d’école de la migration des isotopes radioactifs dans la croûte terrestre, avec des applications dans le stockage en profondeur des déchets de l’industrie nucléaire.

D'une part, une telle réaction a pu s’amorcer parce qu’à l’époque où le dépôt a été constitué, la part de l’isotope fissile 235U dans l’uranium naturel était de l’ordre de 3 %, valeur proche de celle de l’uranium enrichi utilisé dans les réacteurs nucléaires actuels. Comme l’uranium 235 a une demi-vie radioactive inférieure à celle de l’uranium 238, son abondance relative diminue avec le temps. La proportion de nos jours est d’environ 0,7 % : un réacteur nucléaire naturel comme celui d’Oklo ne peut donc plus se constituer actuellement.

D’autre part, l’uranium n’est soluble dans l’eau qu’en présence d’oxygène. Quand une eau riche en oxygène érode le minerai d’uranium, elle dissout l’uranium oxydé (+6 ou VI) , et le redépose lorsqu’elle perd son oxygène, augmentant la concentration en uranium à l’endroit où il est réduit (U+4). La présence d’oxygène — et d’autres phénomènes géologiques — est nécessaire pour élever la concentration de l’uranium. C’est l’augmentation de la teneur en oxygène de l’atmosphère terrestre il y a environ deux milliards d’années, due à l'activité biochimique, qui explique que la réaction ait démarré à ce moment, et pas auparavant, bien que les concentrations de 235U aient été initialement encore plus élevées.

Le réacteur naturel d’Oklo est aussi utilisé pour mesurer la constante de structure fine α à différentes époques, et vérifier si elle change au cours du temps, comme l'hypothèse en a été évoquée en mars 2009[3]. En 1976, Alex Shlyakhter a proposé de mesurer les abondances du 149Sm (samarium) pour estimer la section efficace de la capture de neutrons par cet isotope à l’époque d’Oklo, et la comparer à la valeur actuelle.

Applications industrielles

Le stockage de déchets radioactifs en profondeur consiste à conditionner des déchets radioactifs dans des conteneurs scellés et à les déposer dans des chambres excavées dans des couches géologiquement stables, à 500 ou 1 000 mètres de profondeur.

Pendant leur fonctionnement, les réacteurs naturels ont produit 5,4 tonnes de produits de fission, 1,5 tonne de plutonium et d’autres éléments transuraniens. Tous ces éléments sont restés confinés jusqu’à leur découverte, en dépit du fait que l’eau coule dedans et qu’ils ne se présentent pas sous des formes chimiquement inertes.

Le site d’Oklo illustrerait donc la capacité des couches géologiques locales à isoler les matières radioactives. Ainsi, selon une thèse de doctorat de l'université d'Orsay :

« Des observations minéralogiques, des analyses chimiques et des analyses isotopiques sur roche totale nous ont permis de conclure qu'une partie des radioéléments et de leurs descendants est restée concentrée dans les zones de réaction, associée à des phases minérales secondaires, tandis qu'une autre fraction a migré vers la bordure du réacteur. Suivant l'intensité des réactions nucléaires et la présence ou non du faciès argile de pile, qui constitue souvent un faciès intermédiaire entre le cœur du réacteur et le grès encaissant, les radioéléments sont restés concentrés à la bordure du réacteur ou ont migré dans les premiers mètres de grès encaissant massif. […] Les principaux enseignements de ce travail pour le stockage de déchets nucléaires de haute activité concernent la stabilité à long terme des oxydes d'uranium dans un environnement géologique réducteur et la capacité de rétention des phases minérales secondaires et de la barrière argileuse vis-à-vis de plusieurs radioéléments. Nos résultats indiquent également que les interfaces entre les différentes barrières artificielles d'un site de stockage peuvent limiter la migration des radioéléments en champ proche. Par ailleurs, cette étude confirme que des transferts de radioéléments peuvent s'effectuer par l'intermédiaire de fissures[4]. »

Toutefois, le site d'Oklo étant un milieu ouvert en perpétuelle modification, il ne peut constituer un modèle ni une référence de site de stockage des déchets radioactifs ; il constitue un exemple unique de comportement, à long terme, de produits issus des réactions nucléaires dans un milieu naturel et apporte des renseignements sur les propriétés de l'argile en matière de confinement. Dans ce cas, c'est la présence de matière organique associée à des minéraux FeII/FeIII (fer II et fer III) dans une « zone tampon redox » autour du réacteur naturel qui permet d’expliquer la préservation de l’uraninite au sein de la zone de réaction et la faible migration de l’uranium au cours des temps géologiques[5].

Cet exemple de confinement en milieu naturel constitue un argument de poids pour la promotion des stockages souterrains ; le gouvernement des États-Unis cite et extrapole les observations faites à Oklo, dans son enquête sur la possibilité d’ouvrir un site de stockage à Yucca Mountain :

« Lorsque ces réactions nucléaires en chaîne naturelles souterraines se sont arrêtées, la nature a montré qu’elle était capable de confiner efficacement les déchets produits par les réactions. Nulle réaction en chaîne ne va jamais avoir lieu dans un site de stockage de déchets radioactifs. Mais si un site de stockage devait être construit dans les Yucca Mountains, les scientifiques compteraient sur la géologie de l’endroit pour contenir les radionucléides générés par ces déchets avec la même efficacité. »

Science-fiction

Dans le roman Les univers multiples T2 : Espace, de Stephen Baxter, une société féodale d'un futur lointain assoit son pouvoir sur l'existence d'un réacteur nucléaire naturel.

Références

  1. Andrew Karam, The natural nuclear reactor at Oklo[PDF], Radiation Information Network, April 2005.
  2. Assez curieusement, c'est là aussi qu'on trouve les plus anciennes traces d'organismes polycellulaires, datés d'ailleurs de la même époque : http://www.la-croix.com/Les-organismes-vivants-sont-plus-anciens-qu-on-ne-le-croyait/article/2431352/5547.
  3. http://fr.arxiv.org/PS_cache/arxiv/pdf/0903/0903.5321v1.pdf.
  4. Etude du comportement géochimique des radioéléments et de leurs descendants autour des réacteurs nucléaires naturels 10 et 13 d'Oklo (Gabon). Application au stockage de déchets nucléaires de haute activité, thèse de doctorat de Catherine Menet-Dressayre, Université de Paris 11, Orsay, FRANCE, publié sur [Institut de l’Information Scientifique et Technique CAT.INIST].
  5. Benoît Madé, Emmanuel Ledoux, Anne-Lise Salignac, Bénédicte Le Boursicaud et Ioana Gurban, Modélisation du transport réactif de l’uranium autour du réacteur nucléaire naturel de Bangombé (Oklo, Gabon), comptes rendus de l’académie des sciences - Series IIA - Earth and Planetary Science, Volume 331, Issue 9, 15 November 2000, Pages 587-594
  • A. P. Meshik et al.: Record of Cycling Operation of the Natural Nuclear Reactor in the Oklo/Okelobondo Area in Gabon. Phys. Rev. Lett. 93, 182302 (2004).
  • Andrew Karam, The natural nuclear reactor at Oklo[PDF], Radiation Information Network, April 2005.
  • W. Miller et al.: Geological Disposal of Radioactive Wastes and Natural Analogues. ISBN 0-08-043852-0, Pergamon (2000)
  • Gauthier-Lafaye, et al.: Natural fission reactors in the Franceville Basin, Gabon: a review of the conditions and results of a "critical event" in a geologic system, Geochim. Cosmochim. Acta, 60, 48314852, 1996.
  • Neuilly, M.et al.: Sur l’existence dans un passé reculé d’une réaction en chaîne naturelle de fission, dans le gisement d’uranium, C. R. Acad. Sci., 275D, 1847, 1972.
  • Raffenach, J. C., Menes, J., Devillers, C., Lucas, M. and Hagemann, R. (1976). Études chimiques et isotopiques de l’uranium, du plomb et de plusieurs produits de fission dans un échantillon de minerai  du réacteur naturel d’Oklo. Earth Planet. Sci. Lett. 30, 94–108.
  • Alex P. Meshik: The Workings of an Ancient Nuclear Reactor; November 2005; Scientific American Magazine.
  • Kuroda, P. K., J. Chem. Phys., 25, 781–2; 1295–6 (1956)

Liens externes


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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Réacteur nucléaire naturel d'Oklo de Wikipédia en français (auteurs)

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