Reacteur nucleaire naturel d'Oklo

Reacteur nucleaire naturel d'Oklo

Réacteur nucléaire naturel d'Oklo

Localisation du Gabon
Structure géologique du site
1. Zones des réacteurs nucléaires
2. couche de pierre poreuse
3. couche de minerai dUranium
4. Granite

Le réacteur nucléaire naturel dOklo, près de la ville de Franceville dans la province de Haut-Ogooué au Gabon, est un ensemble de réacteurs nucléaires naturels, cest-à-dire que des réactions de fission nucléaire en chaîne auto-entretenue y ont eu lieu sans intervention humaine. Cependant, ces réacteurs nucléaires naturels restent de très faible puissance, comparativement aux réacteurs nucléaires actuels fabriqués par l'homme.

Cest le seul exemplaire connu sur la Terre, découvert en 1972 par le physicien français Francis Perrin dans la mine duranium dOklo exploitée par la Cogema ; tous les réacteurs du site sont aujourdhui éteints.

Sommaire

Histoire

Le Gabon était une colonie française quand des analyses de routine du CEA (ou plutôt de son bras industriel qui devint plus tard la Cogema) ont été effectuées. Elles permirent la découverte duranium dans cette région en 1956. La France ouvrit immédiatement des mines, gérées par la Comuf (Compagnie des Mines dUranium de Franceville) près du village de Mounana pour exploiter les ressources. Après lindépendance, en 1960, lÉtat du Gabon reçut une petite partie des bénéfices de la compagnie.

Pendant 40 ans, la France extrait de luranium dans cette partie du Gabon. Une fois extrait, luranium est utilisé en France et en Europe. Les mineurs du Gabon revendiquent ironiquement que sans eux, le TGV naurait pu exister. Aujourdhui, la mine duranium est épuisée et nest plus exploitée.

Minerai duranium

Le "phénomène Oklo" a été découvert en 1972 à lusine denrichissement duranium de Pierrelatte, en France. Des analyses de routine sur un échantillon dhexafluorure duranium (UF6) provenant de la mine dOklo mettent en évidence un manque anormal duranium 235 (235U). La proportion normale de 235U est de 0,7202 %, alors que les échantillons ne présentent que 0,7171 %. Comme les quantités disotopes fissiles sont cataloguées précisément, cette différence devait être expliquée ; aussi, une enquête est lancée par le CEA. Une série de relevés de la composition isotopique de luranium dOklo et dautres mines est effectuée, et met en évidence des différences significatives ; la proportion de 235U dans certains échantillons de minerai baisse jusquà 0,440 %.

Plusieurs hypothèses sont envisagées pour expliquer cette faible teneur en 235U, mais la découverte de trace de produits de fission accrédita la thèse dun réacteur nucléaire spontané.

Physique

Article détaillé : réacteur nucléaire.

Un réacteur nucléaire naturel est un dépôt duranium les analyses montrent des symptômes de réaction de fission nucléaire en chaîne auto-entretenue. Le phénomène est découvert en 1972 par le physicien français Francis Perrin. Les conditions dans lesquelles une réaction auto-entretenue naturelle peut survenir avaient été décrites en 1956 par Paul Kuroda, à lUniversité de lArkansas ; les conditions à Oklo sont proches des prévisions théoriques.

Oklo est le seul endroit connu de réacteur nucléaire naturel ; 16 sites y ont été découverts avec des traces de réactions de fission datant de près de 2 milliards dannées.

Signature isotopique des produits de fission

Néodyme

Le néodyme trouvé à Oklo a une composition isotopique différente de celle du Nd trouvé ailleurs sur Terre : le Nd typique contient 27 % de 142Nd ; celui de Oklo en contient moins de 6 %, et contient davantage de 143Nd. La composition correspond à celle du produit de la fission du 235U.

Ce diagramme montre labondance isotopique naturelle (normale) du néodyme, ainsi que celle du site modifiée par les isotopes du néodyme produits par la fission de 235U.
Le 142Ce (un émetteur bêta à longue durée de vie) ne sest pas encore transformé en 142Nd, même depuis lextinction des réacteurs.

Ruthénium

Le ruthénium trouvé à Oklo présente une forte concentration de 99Ru (27-30 %, contre 12,7 % typiquement). Ce surplus peut sexpliquer par la désintégration du 99Tc (produit de fission) en 99Ru.

Ce diagramme montre labondance isotopique naturelle (normale) du ruthénium, ainsi que celle du site modifiée par les isotopes du ruthénium produits par la fission de 235U.
Le 100Mo (un émetteur double bêta à longue durée de vie) ne sest pas encore transformé en 100Ru, même depuis lextinction des réacteurs.

Fonctionnement des réacteurs

Une des multiples fissions nucléaires de luranium 235 induite par la capture d'un neutron.

Un réacteur nucléaire naturel se forme lorsquun dépôt de minerai riche en uranium est inondé par de leau : lhydrogène de leau agit comme modérateur de neutrons et démarre une réaction en chaîne de fission nucléaire. Au fur et à mesure que la réaction sintensifie, leau sévapore et séchappe, ce qui ralentit la réaction, empêchant un emballement du réacteur. Après la baisse de la température, leau afflue de nouveau et la réaction réaugmente.

La réaction dOklo sest maintenue ainsi pendant plusieurs centaines de milliers dannées. La fission de luranium produit cinq isotopes du xénon, qui ont tous été retrouvés dans les restes du réacteur, à différents taux de concentration ; ceci suggère que le taux de la réaction était cyclique (voir explication ci-dessus). Daprès les concentrations, la période devait être de heures environ.

On estime que ces réacteurs naturels ont consommé environ 6 tonnes de 235U (voir la section Applications industrielles), et fonctionné à une puissance de lordre de 100 kW, produisant des zones portées à des températures de plusieurs centaines de degrés Celsius. Les produits de fission non volatils nont bougé que de quelques centimètres en 2 milliards dannées, ce qui donne un cas décole de la migration des isotopes radioactifs dans la croûte terrestre, avec des applications dans le stockage en profondeur de déchets de lindustrie nucléaire.

Une telle réaction a pu samorcer parce quà lépoque le dépôt a été constitué, la part de lisotope fissile 235U dans luranium naturel était de lordre de 3 %, valeur proche de celle de luranium enrichi utilisé dans les réacteurs nucléaires actuels. Comme luranium 235 a une demi-vie radioactive inférieure à celle de luranium 238, son abondance relative diminue avec le temps. La proportion de nos jours est denviron 0,7 % : un réacteur nucléaire naturel comme celui dOklo nest donc plus possible actuellement.

Dautre part, luranium nest soluble dans leau quen présence doxygène. Quand une eau riche en oxygène érode le minerai duranium, elle lemporte sous forme de particules, et le re-dépose lorsquelle perd son oxygène, augmentant la concentration en uranium à lendroit loxygène « dégaze » ( il est réduit). La présence doxygèneet dautres phénomènes géologiquesest nécessaire pour élever la concentration de luranium. Cest laugmentation de la teneur en oxygène de latmosphère terrestre qui explique que la réaction na démarré il ny a quenviron 2 milliards dannées, et pas avant, quand les concentrations de 235U étaient encore plus élevées.

Le réacteur naturel dOklo est aussi utilisé pour mesurer la constante de structure fine α à différentes époques, et vérifier si elle change au cours du temps, comme cela a été suggéré récemment. En 1976, Alex Shlyakhter a proposé de mesurer les abondances du 149Sm pour estimer la section efficace de la capture de neutrons par cet isotope à lépoque dOklo, et la comparer à la valeur actuelle.

Applications industrielles

Le stockage de déchets radioactifs en profondeur consiste à conditionner des déchets radioactifs dans des conteneurs scellés et à le déposer dans des chambres excavées dans des couches géologiquement stables, à 500 ou 1 000 mètres de profondeur.

Pendant leur fonctionnement, les réacteurs naturels ont produit 5,4 tonnes de produits de fission, 1,5 tonnes de plutonium et dautres éléments transuraniens. Tous ces éléments sont restés confinés jusquà leur découverte, en dépit du fait que leau coule dedans et quils ne sont pas sous des formes chimiquement inertes.

Le site dOklo illustrerait donc la capacité des couches géologiques locales à isoler les matières radioactives. Ainsi, selon une thèse de doctorat de l'université d'Orsay :

« Des observations minéralogiques, des analyses chimiques et des analyses isotopiques sur roche totale nous ont permis de conclure qu'une partie des radioéléments et de leurs descendants est restée concentrée dans les zones de réaction, associée à des phases minérales secondaires, tandis qu'une autre fraction a migré vers la bordure du réacteur. Suivant l'intensité des réactions nucléaires et la présence ou non du faciès argile de pile, qui constitue souvent un faciès intermédiaire entre le cœur du réacteur et le grès encaissant, les radioéléments sont restés concentrés à la bordure du réacteur ou ont migré dans les premiers mètres de grès encaissant massif. [...] Les principaux enseignements de ce travail pour le stockage de déchets nucléaires de haute activité concernent la stabilité à long terme des oxydes d'uranium dans un environnement géologique réducteur et la capacité de rétention des phases minérales secondaires et de la barrière argileuse vis-à-vis de plusieurs radioéléments. Nos résultats indiquent également que les interfaces entre les différentes barrières artificielles d'un site de stockage peuvent limiter la migration des radioéléments en champ proche. Par ailleurs, cette étude confirme que des transferts de radioéléments peuvent s'effectuer par l'intermédiaire de fissures.[1] »

Toutefois, le site d'Oklo étant un milieu ouvert, en perpétuelle modification, il ne peut constituer un modèle ni une référence de site de stockage des déchets radioactifs ; il constitue un exemple unique de comportement, à long terme, de produits issus des réactions nucléaires dans un milieu naturel et apporte des renseignements sur les propriétés de l'argile en matière de confinement. Dans ce cas, c'est la présence de matière organique associée à des minéraux FeII/FeIII dans une « zone tampon redox » autour du réacteur naturel qui permet dexpliquer la préservation de luraninite au sein de la zone de réaction et la faible migration de luranium au cours des temps géologiques[2].

Cet exemple de confinement en milieu naturel constitue un argument de poids, pour la promotion des stockages souterrain ; le gouvernement des États-Unis cite et extrapole les observations faites à Oklo, dans son enquête sur la possibilité douvrir un site de stockage à Yucca Mountain :

« Lorsque ces réactions nucléaires en chaîne naturelles souterraines se sont arrêtées, la nature a montré quelle était capable de confiner efficacement les déchets produits par les réactions. Nulle réaction en chaîne ne va jamais avoir lieu dans un site de stockage de déchets radioactifs. Mais si un site de stockage devait être construit dans les Yucca Mountains, les scientifiques compteraient sur la géologie de lendroit pour contenir les radionucléides générés par ces déchets avec la même efficacité. »

Science Fiction

Dans le roman "Les univers multiples T2 : Espace", de Stephen Baxter, une société féodale d'un futur lointain assoit son pouvoir sur l'existence d'un réacteur nucléaire naturel.

Références

  1. Etude du comportement géochimique des radioéléments et de leurs descendants autour des réacteurs nucléaires naturels 10 et 13 d'Oklo (Gabon). Application au stockage de déchets nucléaires de haute activité, thèse de doctorat de Catherine Menet-Dressayre, Université de Paris 11, Orsay, FRANCE, publié sur [Institut de lInformation Scientifique et Technique CAT.INIST].
  2. Benoît Madé, Emmanuel Ledoux, Anne-Lise Salignac, Bénédicte Le Boursicaud et Ioana Gurban, Modélisation du transport réactif de luranium autour du réacteur nucléaire naturel de Bangombé (Oklo, Gabon), comptes rendus de lacadémie des sciences - Series IIA - Earth and Planetary Science, Volume 331, Issue 9, 15 November 2000, Pages 587-594
  • A. P. Meshik et al.: Record of Cycling Operation of the Natural Nuclear Reactor in the Oklo/Okelobondo Area in Gabon. Phys. Rev. Lett. 93, 182302 (2004).
  • Andrew Karam, The natural nuclear reactor at Oklo[pdf], Radiation Information Network, April 2005.
  • W. Miller et al.: Geological Disposal of Radioactive Wastes and Natural Analogues. ISBN 0-08-043852-0, Pergamon (2000)
  • Gauthier-Lafaye, et al.: Natural fission reactors in the Franceville Basin, Gabon: a review of the conditions and results of a "critical event" in a geologic system, Geochim. Cosmochim. Acta, 60, 48314852, 1996.
  • Neuilly, M.et al.: Sur lexistence dans un passé reculé dune réaction en chaîne naturelle de fission, dans le gisement duranium, C. R. Acad. Sci., 275D, 1847, 1972.
  • Raffenach, J. C., Menes, J., Devillers, C., Lucas, M. and Hagemann, R. (1976). Études chimiques et isotopiques de luranium, du plomb et de plusieurs produits de fission dans un échantillon de minerai  du réacteur naturel dOklo. Earth Planet. Sci. Lett. 30, 94108.
  • Alex P. Meshik: The Workings of an Ancient Nuclear Reactor; November 2005; Scientific American Magazine.
  • Kuroda, P. K., J. Chem. Phys., 25, 7812; 12956 (1956)

Liens externes

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