Québec libre

Québec libre

Vive le Québec libre !

Charles de Gaulle en 1963

« Vive le Québec libre ! » est une phrase prononcée par le président de la République française Charles de Gaulle, en visite officielle au Canada en 1967, à la fin d'un discours à Montréal le 24 juillet. Celui-ci déclencha la plus grave crise politique à ce jour entre le Canada et la France, car il semblait démontrer le soutien du président français aux indépendantistes québécois dont le parti, le Rassemblement pour l'indépendance nationale (RIN), avait justement pour slogan « Vive le Québec libre ! ». Incidemment, cet événement fit connaître le Québec à travers le monde[1].

Sommaire

Contexte

Avant même son arrivée au Canada, le gouvernement fédéral canadien était préoccupé par la visite de Charles de Gaulle. Un an plus tôt, le gouvernement français avait rabroué le service funèbre du gouverneur général Georges Vanier. Vanier et sa femme Pauline étaient des amis personnels de Charles de Gaulle depuis 1940, quand il était en exil à Londres. Pauline Vanier avait dit avoir envoyé une note sur laquelle était écrit simplement « 1940 ». Le gouvernement de Lester Pearson était si préoccupé au sujet de l'intrusion de la France dans les affaires domestiques que le ministre du Conseil Paul Joseph James Martin a été envoyé pour rendre visite à De Gaulle à Paris.

Les prémices

Lorsque Daniel Johnson devient premier ministre du Québec en 1966, l'un de ses objectifs est de faire renouveler la Constitution canadienne dans un sens qui serait favorable au Québec et à ses intérêts. Sa victoire fragile à l'élection de juin 1966 (il l'a emporté de peu, avec moins de votes que le Parti libéral) est cependant un handicap pour plaider sa cause. L'appui d'un personnage international aussi prestigieux que de Gaulle pourrait lui être d'un précieux atout et c'est pourquoi, le 13 septembre 1966, il lui envoie officiellement une invitation à venir visiter l'Exposition universelle de 1967 (« Expo 67 ») qui doit avoir lieu à Montréal l'été suivant.

De Gaulle, qui avait déjà été invité par le gouvernement fédéral, a songé d'abord à refuser, car il ne voulait pas cautionner la Confédération canadienne dont on fêtait le centenaire la même année. Après quelque hésitation, il finit tout de même par accepter en février 1967. Comme il ne veut pas commencer sa visite par la capitale fédérale Ottawa, les gouvernements canadien et québécois acceptent qu'il remonte le fleuve Saint-Laurent à bord du croiseur français Colbert et qu'il débarque à Québec. Ce n'était pas une première, car le gouvernement canadien avait également accepté que le premier ministre du Japon débarque à Vancouver avant de se rendre dans la capitale fédérale.

Le 18 mai 1967, de Gaulle reçoit Johnson en visite officielle à l'Élysée. Le premier ministre du Québec lui demande alors son appui dans sa démarche pour renouveler la Constitution canadienne qui donnerait plus de pouvoirs au Québec. Ravi, de Gaulle accepte. Il y voit un moyen de donner un coup de main aux Canadiens français que la France a abandonné au XVIIIe siècle[2].

L'itinéraire prévu est annoncé quelques semaines plus tard. De Gaulle débarquera à Québec le 23 juillet où il sera reçu par le gouverneur général Roland Michener et par Daniel Johnson. Le 24, il empruntera le Chemin du Roy en limousine pour faire le trajet Québec-Montréal. Six arrêts sont prévus : Donnacona, Sainte-Anne-de-la-Pérade, Trois-Rivières, Louiseville, Berthierville et Repentigny. À Montréal, il sera reçu officiellement à l'Hôtel de ville par le maire Jean Drapeau. La journée du 25 sera consacrée à la visite d'Expo 67. Ce n'est que le 26 qu'il doit se rendre à Ottawa où il rencontrera le premier ministre canadien Lester B. Pearson.

De Gaulle à Québec

Le 15 juillet, de Gaulle embarque à bord du croiseur Colbert à Brest; ce moyen de transport fut délibérément choisi pour lui permettre d'éviter le protocole qui commandait l'arrivée via la capitale fédérale, Ottawa, chose qu'il ne pouvait se résoudre à faire, ayant été invité par le premier ministre du Québec, Daniel Johnson, plutôt que par le gouvernement canadien.

Durant la traversée, il confie à son gendre : « Je compte frapper un grand coup. Ça bardera, mais il le faut. C'est la dernière occasion de réparer la lâcheté de la France[3]. »

C'est le dimanche matin, 23 juillet, que de Gaulle débarque à l'Anse-aux-Foulons, à Québec. Le Colbert bat pavillons français et québécois. Sur le quai, il est reçu de façon protocolaire par le gouverneur général Roland Michener et par le premier ministre Daniel Johnson. Après une courte escale à la citadelle, Johnson et lui se rendent à l'Hôtel de ville où le président prend son premier bain de foule. Il déclare alors : « Nous sommes liés par notre avenir. Mais on est chez soi, ici, après tout! Ce que nous faisons ici et là-bas, nous le faisons toujours un peu plus ensemble... Toute la France, en ce moment, regarde par ici. Elle vous voit. Elle vous entend. Elle vous aime[4]. »

De Gaulle et Johnson empruntent ensuite la route 138 (à l’époque, route n°2) en limousine jusqu'à Sainte-Anne-de-Beaupré où les deux hommes d'État assistent à la messe dite par l'archevêque de Québec, Maurice Roy. Après un nouveau bain de foule, ils dînent au Château Frontenac en compagnie de dignitaires fédéraux et québécois. Après le repas, de Gaulle déclare: « On assiste ici comme dans maintes régions du monde à l'avènement d'un peuple qui, dans tous les domaines, veut disposer de lui-même et prendre en main ses destinées. Qui donc pourrait s'étonner d'un tel mouvement aussi conforme aux conditions modernes de l'équilibre de notre univers et à l'esprit de notre temps ? En tout cas, cet avènement, c'est de toute son âme que la France le salue[5]. »

Le Chemin du Roy

Le lendemain, 24 juillet, à 9 heures du matin, de Gaulle et Johnson empruntent le Chemin du Roy à bord d'une limousine Lincoln Continental et commencent le trajet devant les mener à Montréal. Tout le long de la route, de Gaulle est acclamé par les habitants des villages bordant le fleuve. D'abord clairsemée, la foule devient plus dense à mesure que l'on se rapproche de la métropole.

À chacune des six étapes, le président est reçu par le maire et les dignitaires de l'endroit. À chaque fois, également, il se permet une courte allocution. À Donnacona, il déclare : « Je vois le présent du Canada français, c'est-à-dire un pays vivant au possible, un pays qui prend en main ses destinées. Vous êtes un morceau du peuple français. Votre peuple canadien-français, français-canadien, ne doit dépendre que de lui-même[6]. »

Son discours de Trois-Rivières va dans le même sens : « Quoiqu'il ait pu arriver, nous sommes maintenant à l'époque où le Québec, le Canada français, devient maître de lui-même. Il le devient pour le bien des communautés voisines du Canada tout entier[7]. »

De Gaulle à Montréal

Le 24 juillet 1967, à 19 heures 30, 15 000 personnes attendent de Gaulle devant l'hôtel de ville de Montréal où il arrive avec un peu de retard. Jean Drapeau l'accueille à l'entrée puis, après les hymnes nationaux, les dignitaires entrent dans le bâtiment. Il est prévu que le président français aille saluer la foule au balcon, mais aucun discours ne doit y être prononcé même si la foule le réclame. Le général demande tout de même à dire quelques mots. Les micros, déjà installés, sont branchés et Charles de Gaulle prononce son discours historique[8].

Discours de Charles de Gaulle à l'hôtel de ville de Montréal le 24 juillet 1967

« 

C'est une immense émotion qui remplit mon cœur en voyant devant moi la ville de Montréal française. (ovation du public) Au nom du vieux pays, au nom de la France, je vous salue. Je vous salue de tout mon cœur ! Je vais vous confier un secret que vous ne répèterez pas. (rires) Ce soir ici, et tout le long de ma route, je me trouvais dans une atmosphère du même genre que celle de la Libération. (longue ovation)

Et tout le long de ma route, outre cela, j'ai constaté quel immense effort de progrès, de développement, et par conséquent d'affranchissement (ovation) Vous accomplissez ici et c'est à Montréal qu'il faut que je le dise, (ovation) parce que, s'il y a au monde une ville exemplaire par ses réussites modernes, c'est la vôtre ! (ovation) Je dis c'est la vôtre et je me permets d'ajouter c'est la nôtre. (ovation)

Si vous saviez quelle confiance la France réveillée, après d'immenses épreuves, porte maintenant vers vous. Si vous saviez quelle affection, elle recommence à ressentir pour les Français du Canada. (ovation)

Et si vous saviez à quel point, elle se sent obligée de concourir à votre marche en avant, à votre progrès ! C'est pourquoi elle a conclu avec le gouvernement du Québec, avec celui de mon ami Johnson (ovation) des accords, pour que les Français de part et d'autre de l'Atlantique travaillent ensemble à une même œuvre française. (ovation)

Et, d'ailleurs, le concours que la France va, tous les jours un peu plus, prêter ici, elle sait bien que vous le lui rendrez, parce que vous êtes en train de vous constituer des élites, des usines, des entreprises, des laboratoires, qui feront l'étonnement de tous et qui, un jour, j'en suis sûr, vous permettront d'aider la France. (ovation)

Voilà ce que je suis venu vous dire ce soir en ajoutant que j'emporte de cette réunion inouïe de Montréal un souvenir inoubliable. La France entière sait, voit, entend, ce qui se passe ici et je puis vous dire qu'elle en vaudra mieux.

Vive Montréal ! Vive le Québec ! (ovation)

Vive le Québec... libre ! (très longue ovation)

Vive le Canada français ! Et vive la France ! (ovation)

 »

La fin de la visite

De Gaulle est longuement ovationné par la foule présente. Son discours ébahit à peu près tout le monde, y compris Daniel Johnson, et choque Ottawa qui ne désire plus sa visite. Pearson réagit le lendemain matin par un communiqué de presse : « Certaines déclarations faites par le président ont tendance à encourager la faible minorité de notre population qui cherche à détruire le Canada et, comme telles, elles sont inacceptables pour le peuple canadien et son gouvernement. Les habitants du Canada sont libres. Toutes les provinces du Canada sont libres. Les Canadiens n'ont pas besoin d'être libérés. Le Canada restera uni et rejettera toutes les tentatives visant à détruire son unité[9]. »

De Gaulle passe la journée du 25 juillet à visiter l'exposition universelle Terre des Hommes et le tout nouveau réseau du Métro de Montréal : « Je n’ai pas pris le métro depuis 1936 ! ». Lors du souper, de Gaulle et Johnson en profitent pour s'échanger des toasts. De Gaulle déclare: « Ni vous ni moi n'avons perdu nos heures. Peut-être se sera-t-il passé quelque chose ? » Johnson répond: « La langue et la culture ne sont pas les seuls dons que nous ont légués la France. Il en est un autre auquel nous attachons le plus grand prix : c'est le culte de la liberté. Nous ne serions plus français si nous n'étions épris de libertés, pas seulement individuelles mais aussi collectives[10]. »

Le lendemain matin, 26 juillet, le président annonce qu'il ne se rendra pas à Ottawa. Jean Drapeau le reçoit lors d'un banquet donné en son honneur en fin d'avant-midi. Le maire de Montréal déclare alors : « Nous avons appris à vivre seuls depuis deux siècles. Rien de ce que je dis ne doit prendre la teinte de reproches. L'Histoire a ses exigences et, depuis l'Antiquité, il a fallu que les peuples acceptent les exigences glorieuses comme les vicissitudes[11]. » De Gaulle lui répond : « Ensemble, nous avons été au fond des choses et nous en recueillons, les uns et les autres, des leçons capitales. Et, quant au reste, tout ce qui grouille, grenouille et scribouille n'a pas de conséquences historiques dans ces grandes circonstances, pas plus qu'elle n'en eut jamais jamais dans d'autres[12]. »

Quelques heures plus tard, le président repart pour la France à bord de son DC-8 présidentiel, laissant le Canada et le Québec sous le choc.

Conséquences

Ce voyage et le discours de De Gaulle ont déclenché la plus grande crise franco-canadienne de l'histoire. Le gouvernement fédéral accuse le président français de s'être ingéré dans ses affaires internes. Les relations entre les deux pays ne s'amélioreront qu'après la démission de De Gaulle en 1969.

Les relations entre la France et le Canada seront longtemps marquées par ce discours, d'autant que le Général de Gaulle disait de P.E. Trudeau, premier ministre du Canada à partir du 20 avril 1968 et jusqu'en 1979, « Nous n'avons aucune concession, ni même aucune amabilité, à faire à M. Trudeau, qui est l'adversaire de la chose française au Canada[13]. »

Au Québec, Jean Lesage accuse Daniel Johnson d'avoir inspiré de Gaulle pour ses « propos séparatistes ». Le 3 août, le député libéral François Aquin se dissocie de son parti et devient le premier député indépendantiste du Québec. À l'automne, René Lévesque quitte à son tour le Parti libéral et fonde le Mouvement Souveraineté-Association qui deviendra le Parti québécois un an plus tard. De 1966 à 1970, le vote souverainiste passe de 8% à 23%, mais il est difficile de savoir quel est l'impact de la phrase du Général dans la montée de ce vote.

Notes et références

  1. Selon le documentaire Le Chemin du Roy, réalisé par Luc Cyr et Carl Leblanc et télédiffusé à Télé-Québec le 21 novembre 1997, le Quotidien du Peuple, journal communiste de Pékin, dût, le 25 juillet 1967, inventer un nouvel idéogramme pour le mot Québec, lorsqu'il relata l'événement du "Vive le Québec libre!"
  2. Thompson, De Gaulle et le Québec, p. 248
  3. Thompson, De Gaulle et le Québec, p.253
  4. Godin, Daniel Johnson tome 2, p. 216
  5. Godin, Daniel Johnson tome 2, p. 219
  6. Godin, Daniel Johnson tome 2, pp. 221-222
  7. Godin, Daniel Johnson tome 2, p. 223
  8. Thompson, De Gaulle et le Québec, p. 261-263
  9. Godin, Daniel Johnson tome 2, p. 235
  10. Godin, Daniel Johnson tome 2, p. 237
  11. La Rochelle, En flagrant délit de pouvoir, p. 99-100
  12. La Rochelle, En flagrant délit de pouvoir, p. 100
  13. "De Gaulle s'était adressé aux Québécois dès 1940", Le Devoir, cité sur vigile.net.

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • Pierre Godin, Daniel Johnson tome 2, Éditions de l'Homme, 1980.
  • Dale C. Thompson, De Gaulle et le Québec, Éditions du Trécarré, 1990.
  • Louis La Rochelle, En flagrant délit de pouvoir. Boréal Express, 1982.

Liens externes

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