- Philosophie personnaliste
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Personnalisme
Le personnalisme, (ou personnalisme communautaire), est un courant d'idées fondé par Emmanuel Mounier autour de la revue Esprit et recherchant une troisième voie humaniste entre le capitalisme libéral et le marxisme. Il a eu une influence importante sur les milieux intellectuels et politiques français des années 1930 aux années 1950.
Il a influencé, entre autres, les milieux de l'éducation populaire et plus tard de l'éducation spécialisée, où l'on retrouve encore aujourd'hui sa trace (au sein de l’union française des centres de vacances et de loisirs par exemple).
Sommaire
Naissance du personnalisme des années 1900 à 1930
Le terme personnalisme a été inventé par Charles Renouvier dans une optique kantienne en 1903[1]. Kant pourrait donc passer pour le vrai fondateur du personnalisme. En effet, Kant, en mettant le sujet au centre de l'expérience en général, et de l'expérience morale en particulier, met en pleine lumière la personne humaine capable d'être à elle-même sa propre fin.
A partir des années 30, le personnalisme est devenu un mouvement intellectuel de réaction à la crise économique des années trente, que la jeunesse intellectuelle française percevait comme une crise de civilisation plutôt qu'une crise essentiellement économique. Cette crise, ces jeunes la caractérisent en opposant l'«individu» et la «personne», opposition empruntée d'ailleurs à Charles Péguy, pour manifester leur refus de l'ordre établi exacerbé par la crise économique mondiale qui sévit. Daniel-Rops écrira à ce propos:
- «Est-il besoin de répéter (…) que la personne n'a rien de commun avec l'être schématique mû par des passions élémentaires et sordides, qu'est l'individu. Un personnalisme conscient s'oppose même à l'individualisme dont s'est grisé le XIXe siècle. La personne, c'est l'être tout entier, chair et âme, l'une de l'autre responsable, et tendant au total accomplissement» [2].
L'individu, c'est ce qui, en bout de piste, apparaît comme le rejeton des tendances aliénantes du monde moderne. C'est celui qui a sacrifié sa dimension spirituelle et son potentiel d'énergies créatrices et de liberté, au profit d'un idéal petit-bourgeois qui ne vise qu'au bien-être. Pour Emmanuel Mounier « l'individu, c'est la dissolution de la personne dans la matière. (...) Dispersion, avarice, voilà les deux marques de l'individualité. » Aussi, la personne ne peut croître « qu'en se purifiant de l'individu qui est en elle » [3].
Autant la notion d'individu veut exprimer la faillite de notre société occidentale que met en relief la crise économique des années trente, autant celle de personne renferme «comme une absence, un besoin, une tâche et une tension continuellement créatrice»[4]. Contre le gigantisme des mécanismes sociaux, politiques et économiques qui président aux destinées des hommes; contre l'idéalisme et le rationalisme abstraits qui ont détaché l'homme de la nature et de ses communautés immédiates, tous les mouvements de la jeunesse française se rejoignent en une même aspiration: celle de renouer avec ce qu'ils appellent l'homme «concret» pour en faire un être responsable, c'est-à-dire capable «de réponse»[5]. Cette opposition entre individu et personne, assez répandue au début des années trente, est donc à la fois un jugement sur la situation et un projet pour la modifier qui pourrait se formuler de la manière suivante: le bourgeois, cet être incapable d'élévation spirituelle a, par ses visées égoïstes, inversé l'ordre des valeurs mettant ainsi en péril les possibilités d'épanouissement de la personne humaine et de la civilisation occidentale, pour mettre un terme à la crise de notre civilisation, la transformation des structures sociales et économiques doit inévitablement s'accompagner d'une révolution spirituelle. Dès 1927, Jacques Maritain soutenait cette Primauté du spirituel. À sa suite,des revues comme la Jeune Droite, l'Ordre Nouveau et Esprit reprendront cette exigence. Ainsi, en mars 1931, l'un des premiers manifestes de l'Ordre Nouveau lançait ce slogan promit à un succès durable: «Spirituel d'abord, économique, ensuite, politique à leur service». Emmanuel Mounier écrira quelques temps plus tard: «Le spirituel commande le politique et l'économique. L'esprit doit garder l'initiative et la maîtrise de ses buts, qui vont à l'homme par-dessus l'homme, et non au bien-être»[6].
Selon ces jeunes intellectuels français, redonner la «primauté à la personne», c'est retrouver la voie de la vraie hiérarchie des valeurs; c'est réunir ce que le monde moderne a eu tendance à séparer. Cette volonté est surtout le souci de la revue Esprit et, dans une moindre mesure, celui de l'Ordre nouveau, revues qui possèdent quelques collaborateurs communs. Toutefois, puisqu'il n'est personne pour croire que cette nouvelle civilisation s'édifiera seulement à coup d'idéal, on a aussi pensé à organiser ce qui relève du matériel sur une base concrète qui puisse permettre d'atteindre la réalisation de cet objectif. Il faut savoir que pour cette génération, Proudhon sera, en ce qui a trait à l'organisation de la dimension matérielle, ce que Charles Péguy représenta pour la dimension spirituelle. Esprit, qui est avant tout Emmanuel Mounier, approfondira surtout la réalité de la personne humaine alors que l'Ordre Nouveau s'attachera plutôt, en s'inspirant plus directement de Proudhon, à définir le cadre organisationnel qui va permettre à l'humanité nouvelle d'émerger.
Nébuleuse de groupements
Le personnalisme se constitue en France dans les années 1930-1934 avec l'apparition d'une nébuleuse de groupes et de revues que l'historiographie du XXe siècle rassemble sous le terme de non-conformistes des années 30, en se référant à l'ouvrage éponyme de Jean-Louis Loubet del Bayle.
Au sein de cette mouvance, animée par de jeunes intellectuels qui avaient la volonté de situer leur « engagement » en marge des mouvements d'idées établis, on pouvait distinguer trois courants :
- Tout d'abord celui de la revue Esprit qui se crée à partir de 1932 autour d'Emmanuel Mounier, et auquel on tend parfois aujourd'hui à réduire le personnalisme des années 30.
- Le second courant est celui de L'Ordre nouveau, qui s'organise sous l'impulsion d'Alexandre Marc à partir d'une base théorique fondée particulièrement sur la réflexion de Robert Aron et d'Arnaud Dandieu, l'œuvre de ce dernier étant brutalement interrompue par sa mort en 1933.
- Enfin, ce que Mounier appellera la Jeune Droite rassemblait de jeunes intellectuels plus ou moins dissidents de l'Action française (parmi eux Jean de Fabrègues, Jean-Pierre Maxence et Thierry Maulnier) autour de revues comme Les Cahiers, Réaction, La Revue française, La Revue du siècle.
Les grandes idées du personnalisme
Face à ce qu'ils percevaient comme une « crise de civilisation », ces jeunes intellectuels présentaient, malgré certaines divergences, un « front commun » :
- Le refus de la société libérale : les personnalistes se posaient en rupture avec le « désordre établi » que leur semblaient représenter les institutions capitalistes et parlementaires d'une société libérale et individualiste, dont les fondements institutionnels leur paraissaient aussi fragiles et « inhumains » que les fondements culturels en proie à un « matérialisme » et un « nihilisme » destructeurs.
- Le refus du marxisme et du fascisme : les personnalistes refusaient parallèlement les tentatives « étatistes » de réponse « totale » du communisme ou du fascisme.
- Les solutions : les personnalistes avaient l'ambition, pour remédier à cette « crise de l'homme au XXe siècle », de susciter une « révolution spirituelle », transformant simultanément les choses et les hommes, qui devait trouver son inspiration philosophique dans une conception « personnaliste » de l'homme et de ses rapports avec la nature et la société, et se traduire par la construction d'un « ordre nouveau », au-delà de l'individualisme et du collectivisme, orienté vers une organisation « fédéraliste », « personnaliste et communautaire » des rapports sociaux.
Le personnalisme face au fascisme
Après 1934, face aux événements, les itinéraires de ces intellectuels divergeront. Pourtant leur influence ultérieure n'a pas été négligeable, même si elle s'est manifestée de manière quelque peu diffuse. Sur la lancée des débats intellectuels de l'avant guerre, les hommes et les idées des années 30 apparaissent dans les années 1940 :
- dans certaines des expériences « communautaires » du régime de Vichy (politique de la jeunesse, Compagnons de France, Association Jeune France, École d'Uriage). Simple opportunisme alors que l'effondrement de la IIIe République laissait le champ « libre » (à condition d'ignorer l'occupation allemande) pour de nouvelles expériences politique et sociales selon les uns, ou dérive naturelle d'une idéologie française anti-libérale selon les autres (l'historien Zeev Sternhell par exemple).
- dans certains programmes de la Résistance (Mouvement Combat, Défense de la France, l'OCM) désireux de faire de la Résistance le creuset de changements profonds par rapport aux mœurs politiques et sociales de l'avant-guerre, tenues pour responsables du désastre de 1940.
Le personnalisme après 1945
- Après la guerre, nombre de ces non-conformistes deviendront des militants des mouvements fédéralistes européens (Robert Aron, Daniel-Rops, Jean de Fabrègues, Alexandre Marc, Denis de Rougemont, Thierry Maulnier).
- La revue Esprit, tout en prenant ses distances avec une partie de son héritage, sera un temps tenté par faire un chemin aux côté du communisme (toujours l'héritage anti-libéral qui appelle la recherche de solutions radicalement nouvelles parfois non exemptes de risques), puis contribuera aux débats de la IVe et de la Ve République sur l'avènement d'une « Nouvelle Gauche » et ne sera pas sans influence sur ce que dans les années 1980 on appellera la « deuxième gauche ».
- Après 1968, certains courants écologistes se rattacheront à cet « esprit des années 30 » (Jacques Ellul).
- Cette influence s'est aussi exercée sur le courant de la démocratie chrétienne et sur ses prolongements.
- Ngô Đình Diệm, président du Sud-Vietnam de 1955 à 1963, se réclamait du personnalisme.
- Au-delà des frontières de la France, le personnalisme des années 30 trouvera aussi une audience, par exemple au Québec dans les années 1930-1970 ou parmi les milieux de dissidents de l'Europe de l'Est, tandis qu'il ne sera pas étranger à l'évolution de la réflexion des milieux catholiques durant la seconde moitié du XXe siècle;
- Les aspects intellectuels et philosophiques du personnalisme ont été particulièrement approfondis par Esprit et son directeur, Emmanuel Mounier, auxquels la postérité tendra à identifier ce courant d'idées de façon un peu réductrice.
- Le père Teilhard de Chardin représente la version théologique du personnalisme.
Sources
- ↑ Charles Renouvier, Le personnalisme, 1903
- ↑ Daniel-Rops, Éléments de notre destin, Paris, Éd. Spes, 1934, p. 65, note 1.
- ↑ Cité par Jean-Marie Domenach, Emmanuel Mounier, Paris, Éd. du Seuil, Coll. Écrivains de toujours, 1972, p. 81.
- ↑ Ibid, p. 76.
- ↑ Ibid, p. 105
- ↑ Cité par Jean-Marie Domenach, «Les principes du choix politiques», Esprit, 18, 174 (décembre 1950), p. 820.
Voir aussi
Liens externes
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Liens internes
Bibliographie
- Écrits sur le personnalisme : un livre d’Emmanuel Mounier, document disponible en format de poche (390 pages) dans la collection « Points Essais », ouvrage publié en février 2000 aux éditions du Seuil.
- Les non-conformistes des années 30, Une tentative de renouvellement de la pensée politique française : un livre de Jean-Louis Loubet del Bayle, document disponible en format de poche (562 pages) dans la collection « Points Histoire », ouvrage publié en septembre 2001 aux Editions du Seuil.
- Christian Roy, Alexandre Marc et la Jeune Europe (1904-1934). L'Ordre Nouveau aux origines du personnalisme, Presses d'Europe, 1999.
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