- Philippe Ariès
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Philippe Ariès (Blois, 21 juillet 1914 - Toulouse, 8 février 1984) était un journaliste, essayiste et historien français.
Sommaire
Éléments biographiques
Influences traditionalistes et conservatrices
Ariès grandit dans une famille créole catholique et royaliste. Il étudie chez les jésuites de Saint-Louis-de-Gonzague puis au lycée Janson-de-Sailly et milite quelque temps au sein des « Lycéens et collégiens de l'Action française ». Il écrit notamment dans L'Étudiant français, magazine des étudiants de l'Action française, auquel participent également Claude Roy, Raoul Girardet, Robert Brasillach, Pierre Gaxotte ou encore Pierre Boutang.
Sans renier son amitié pour ses compagnons de plume, il s'éloigne progressivement du milieu de l'Action française qu'il juge « nationaliste autoritaire » alors que lui se définit comme « traditionaliste » et sensible au « modèle anarchique et royal du XVIe siècle » (Un historien du dimanche). Il publie par la suite plusieurs articles dans des journaux dirigés par Pierre Boutang : Paroles françaises et La Nation française.
Difficile reconnaissance du statut d'historien
Après deux échecs successifs à l'oral de l'agrégation d'histoire, il entre à l'Institut de recherche coloniale en 1943. Chef du service de documentation, il s'occupe, selon ses propres mots, « d'importation de fruits tropicaux » et se distingue, dans ce poste qu'il quitte en 1979, en développant des techniques de documentation avec un sens évident de l'innovation technique, notamment en prônant un usage pionnier en France du microfilm (1956) et de l'informatique (1965). Durant cette période, il est également directeur de collection aux éditions Plon.
En parallèle de ces occupations professionnelles, Ariès, que son origine familiale aurait pu pousser à suivre la voie d'un Bainville ou d'un Gaxotte et publier des études « grand public », choisit un tout autre chemin. L'inspiration qui sous-tend ses recherches se rattache incontestablement à l'École des Annales, milieu pourtant dominé par la tradition laïque et républicaine.
Dès 1948, dans l'anonymat le plus complet, il publie sa première étude, L'Histoire des populations françaises et leurs attitudes devant la vie depuis le XVIIIe siècle qui marque, en dépit de ses insuffisances statistiques, la naissance des recherches de démographie historique débouchant sur une tentative d'analyse des mentalités des anciennes sociétés.
Son second livre, L'Enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime en 1960, reçoit un accueil tout aussi discret. Cependant, traduit en anglais, l'ouvrage rencontre un très grand succès aux États-Unis – séduits par cette étude novatrice sur la famille – ce qui assure à son auteur une audience internationale paradoxale puisque la France le découvre à peine.
En 1978, il intègre l'EHESS en tant que directeur d'études et obtient ainsi de ses pairs la reconnaissance tardive (il a plus de 60 ans) de son statut d'historien. Il publie la même année son dernier grand livre, L'Homme devant la mort, œuvre longuement mûrie en pleine effervescence d'histoire tératologique. Ariès enjambe les frontières chronologiques pour tenter de saisir les attitudes occidentales devant la mort, de la fin du monde romain au XIXe siècle. On reproche à Philippe Ariès la disparité de ses sources. Il répond à ces critiques par la nécessité qui fut la sienne de consacrer à ses recherches ses rares moments de loisirs.
Créateur d'un champ nouveau appelé à de grands succès, l'« histoire des mentalités », Ariès se révèle proche d'un Michel Foucault – dont il a édité l'Histoire de la folie à l'âge classique et qui rédige sa nécrologie quelques mois avant sa propre mort – par son souci d'interdisciplinarité confinant à l'ethnologie voire à la psychanalyse.
Œuvres
Un historien du dimanche
Philippe Ariès occupe une position atypique dans le paysage intellectuel français. " Historien du dimanche " comme il aimait à se présenter, il se prend d'abord de passion pour la démographie historique, discipline au sein de laquelle il peut mettre à profit ses méthodes novatrices de traitement.
Il se consacre dans un second temps à l'histoire des mentalités dont il devient une des figures emblématiques.
Il contribue également, de manière non négligeable, à donner ses lettres de noblesse à l'usage de l'iconographie en histoire.
L’enfant et la vie familiale sous l’Ancien Régime
La théorie d’Ariès sur l’enfance montre comment la société évolue parce que les mentalités évoluent. Sa thèse repose sur deux idées : l'attachement des parents pour leurs enfants est né réellement avec le contrôle des naissances et la baisse de la fécondité, soit à partir de la fin du XVIIIe siècle ; avant l'enfant n'est qu'un adulte en devenir et la forte mortalité empêche une attention maternelle et paternelle trop importante.
Dans la société médiévale, que Philippe Ariès prend pour point de départ, le sentiment de l'enfance n'existe pas; cela ne signifie pas que les enfants étaient négligés, abandonnés, ou méprisés. Le sentiment de l'enfance ne se confond pas avec l'affection des enfants : il correspond à une conscience de la particularité enfantine, cette particularité qui distingue essentiellement l'enfant de l'adulte même jeune. Cette conscience n'existait pas. Dès que l'enfant avait franchi cette période de forte mortalité où sa survie était improbable, il se confondait avec les adultes.
Ainsi, Ariès explique l’importance donnée à l’enfant dans notre société contemporaine par le fait que la mortalité et la fécondité ayant baissé, la nucléarisation de la famille autour d’un enfant au potentiel de vie réel s’est renforcée. Il n’y a pas dans cette thèse de notion de rupture avec les anciennes traditions, mais seulement une évolution des mentalités, qui, faisant le lien entre mortalité et importance de l’enfant, prépare l’étude d’Ariès sur la mort.
Cette thèse a cependant fait l'objet de nombreuses critiques de la part des historiens. Dans sa préface de 1973, Philippe Ariès avait déjà nuancé son propos en indiquant qu'il avait trop insisté sur l'idée d'une rupture radicale à la fin du siècle des Lumières. Plus généralement, les recherches menées depuis ont permis de conclure que, durant l'époque médiévale, il existait bel et bien une reconnaissance de la spécificité de l'enfance et un grand attachement des parents pour leurs enfants[1].
L’homme devant la mort
Philippe Ariès se prend de passion pour l’étude de la population face à la mort à travers l’histoire, y voyant un pilier de la construction de la société. L’historien, issu des rangs de l’Action française, qui dénonce le déclin démographique de la France comme source des malheurs, montre comment la mort est passée du lieu commun au tabou entre le Moyen Âge et la période contemporaine. Il distingue, dans L’Homme devant la mort, deux types de rapport de l’homme avec la mort : la mort apprivoisée et la mort sauvage.
« La mort est maintenant si effacée de nos mœurs que nous avons peine à l’imaginer et à la comprendre. L’attitude ancienne où la mort est à la fois proche, familière et diminuée, insensibilisée, s’oppose trop à la nôtre où elle fait si grand-peur que nous n’osons plus dire son nom. C’est pourquoi, quand nous appelons cette mort familière la mort apprivoisée, nous n’entendons pas par là qu’elle était autrefois sauvage et qu’elle a ensuite été domestiquée. Nous voulons dire au contraire qu’elle est aujourd’hui devenue sauvage alors qu’elle ne l’était pas auparavant. La mort la plus ancienne était apprivoisée. »
La mort apprivoisée, selon Ariès, finit quand la proximité entre mort et vivant n’est plus tolérée. La mort serait désormais de plus en plus considérée comme une transgression qui arrache l'homme à sa vie quotidienne, à sa société raisonnable, à son travail monotone, pour le soumettre à un paroxysme et le jeter alors dans un monde irrationnel, violent et cruel. La mort est aujourd’hui une rupture, alors que dans le passé elle était si présente autour de l’homme qu’elle faisait en quelque sorte partie de la vie.
On pouvait mourir très facilement, et la mort ne paraissait pas comme quelque chose d’extraordinaire. Ariès donne l’exemple du cimetière, qui dans le passé était bâti intra-muros de la ville et qui aujourd’hui tend à éviter une trop grande proximité avec les vivants.
Notes et références
- Voir Didier Lett, "La mère et l'enfant au Moyen Age", L'Histoire, n°152, février 1992. Dans ce dossier, Jacques Berlioz dresse une liste des arguments qui conduisent à réfuter la démonstration d'Ariès.
Liste des œuvres
- Les Traditions sociales dans les pays de France, Éditions de la Nouvelle France, 1943.
- Histoire des populations françaises et de leurs attitudes devant la vie depuis le XVIIIe siècle, Self, 1948.
- Attitudes devant la vie et devant la mort du XVIIe au XIXe siècle, quelques aspects de leurs variations, INED, 1949.
- Sur les origines de la contraception en France, extrait de Population. No 3, juillet-septembre 1953, pp 465-472.
- Le Temps de l'histoire, Éditions du Rocher, 1986.
- Deux contributions à l'histoire des pratiques contraceptives, extrait de Population. N ̊ 4, octobre-décembre 1954, pp 683-698.
- L'Enfant et la vie familiale sous l'Ancien Régime, Plon, 1960.
- Essais sur l'histoire de la mort en Occident : du Moyen Âge à nos jours, Seuil, 1975.
- L'Homme devant la mort, Seuil, 1977.
- Un historien du dimanche (en collaboration avec Michel Winock), Seuil, 1980.
- Images de l'homme devant la mort, Seuil, 1983.
- Histoire de la vie privée, (dir. avec Georges Duby), 5 tomes: I. De l'Empire romain à l'an mil; II. De l'Europe féodale à la Renaissance; III. De la Renaissance aux Lumières; IV. De la Révolution à la Grande guerre; V. De la Première Guerre mondiale à nos jours, Seuil, 1985-1986-1987.
- Essais de mémoire : 1943-1983, Seuil, 1993.
- Le présent quotidien, 1955-1966 (Recueil de textes parus dans La Nation française entre 1955 et 1966), Seuil, 1997.
- Histoire de la vie privée, (dir. avec Georges Duby), le Grand livre du mois, 2001.
Bibliographie
- Guillaume Gros, Philippe Ariès : Un traditionaliste non conformiste : De l'Action française à l'École des hautes études en sciences sociales, 1914-1984, Presses universitaires du Septentrion, coll. « Histoire et civilisations », Villeneuve-d'Ascq, 2008, 346 p., (ISBN 978-2-7574-0041-8). – Ouvrage basé sur le texte, remanié, d'une thèse de doctorat en histoire, soutenue en 2002 devant l'Institut d'études politiques de Paris.
Liens externes
Catégories :- Historien moderniste français
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- Action française
- Élève du lycée Janson-de-Sailly
- Enseignant à l'École des hautes études en sciences sociales
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