Philibert de naillac

Philibert de naillac

Philibert de Naillac

Philibert de Naillac fut le 34e grand maître des Hospitaliers de Saint-Jean de Jérusalem de 1396 à sa mort, en 1421.

Dans un contexte difficile, Philibert de Naillac parvint à réorganiser l'Ordre de l'Hôpital, affaibli depuis 1352, et gravement éprouvé par les conséquences de la crise de la papauté[1], ainsi que par la politique de son prédécesseur au magistère, Juan Fernández de Heredia, grand maître de 1377 à 1396[2].

Sommaire

De la langue d'Auvergne à celle de France

Philibert de Naillac est vraisemblablement né, à une date inconnue, au château de Bridiers, situé aux confins du Poitou, du Berry, de la Marche et du Limousin, ou à celui du Blanc (actuelle Indre)[3]. Son père, Périchon de Naillac, était était en effet vicomte de Bridiers (l'une des sept vicomtés du Poitou), seigneur de Naillac, du Blanc, et de Gargilesse[4].

Admis comme chevalier dans la langue d'Auvergne, il sera successivement bailli de Lureuil (actuelle Indre) avant 1374[5], puis commandeur de Paulhac (actuelle Creuse). Fait assez exceptionnel, les Hospitaliers du prieuré d'Aquitaine l'éliront à leur tête en 1390, et Naillac quittera ainsi la langue d'Auvergne pour celle de France, dont faisait partie la province d'Aquitaine.

Le désastre de Nicopolis (1396)

En 1396, Naillac, avec de nombreux hauts seigneurs français et une troupe de quelques dizaines d'Hospitaliers, avait rejoint l'armée du roi Sigismond de Hongrie, elle même renforcée par de forts contingents de différentes nations chrétiennes européennes (Angleterre, Allemagne, Italie, Pologne, Espagne, Bohême, etc.). Au total entre 90 et 100 000 hommes qui se portent à la rencontre de l'armée ottomane, forte elle aussi d'environ 100 000 hommes, commandée par le sultan Bajazet[6] . Les deux armées se combattent le 25 septembre aux environs de Nicopolis (aujourd'hui Nikopol, en Bulgarie), sur les rives du Danube. Dans un premier temps, les armes paraissent favorables aux chrétiens, qui mettent hors de combat près de 30.000 Turcs, mais ils finissent par se heurter, dans le plus grand désordre (l'indiscipline des chevaliers français n'y est pas étrangère) au corps d'armée commandé par Bajazet en personne, qui s'assure bientôt le dessus.

Le massacre des chrétiens après Nicopolis.

L'armée de Sigismond, de son côté, est prise à partie par les troupes chrétiennes du corps serbe du despote Etienne Lazarévitch , beau-frère et allié de Bajazet. La défaite chrétienne s'annonce. Elle est transformée en déroute par la désertion des éléments valaques et transylvaniens, qui n'ont pas pris part au combat.

Bajazet, ivre de vengeance en raison des pertes subies par son armée dans les débuts de la bataille, ne fera pas de quartier aux vaincus. Seuls seront épargnés les hauts seigneurs dont les Ottomans pourront tirer une forte rançon[7].

Avant que la déroute ne soit consommée, le proche entourage de Sigismond, parmi lesquels Naillac et quelques Hospitaliers, avaient convaincu le roi de fuir. Ils parviendront à gagner les rivages de la mer Noire, puis Constantinople. C'est là que Naillac apprendra son élection comme grand maître. Il rejoint alors Rhodes, qu'il atteint au début de janvier 1397.

La reprise en main de l'Ordre

Le nouveau grand maître doit faire face à une véritable crise de l'Ordre, qui met en péril son unité et même son avenir. Il va s'employer à y trouver des remèdes avec beaucoup d'énergie.

Contrairement à son prédécesseur, qui avait pris le parti des papes d'Avignon, Naillac va tenir l'Ordre à l'égard des querelles "grand schisme de l'Occident". Il y avait été encouragé par le chapitre général, qui s'était réuni, en son absence, pour l'élire à Rhodes, loin de toute influence politique romaine ou avignonaise.

Il commence par réunir une somme de 30 000 ducats d'or pour payer les rançons de divers prisonniers de Nicopolis, renforce les défenses de la cité de Rhodes et des îles de l'archipel, et continue d'engager l'Ordre dans ce qu'il considère comme sa mission essentielle : la lutte contre les "infidèles" ottomans. Il contribue ainsi, aux côtés du maréchal de Boucicaut[8], en 1399 à dégager Constantinople, assiégée par Bajazet.

En 1402, Tamerlan se présente en Asie mineure. Bajazet, appuyé par les forces serbes d'Etienne Lazarévitch, va à sa rencontre, mais leurs troupes subissent un désastre sans précédent dans la région d'Ankara (20 juillet 1402)[9]. Tamerlan se dirige alors vers la côte méditerranéenne ; il assiège et enlève Smyrne, possession des Hospitaliers. Lorsque Tamerlan, à l'issue de son raid meurtier à l'ouest, sera retourné dans ses steppes, les Hospitaliers occuperont, sur la côte sud de l'Asie mineure, le site de l'ancienne Halicarnasse, où ils bâtiront le château Saint-Pierre[10].

En 1403, Naillac accompagne, avec un détachement d'Hospitaliers, le maréchal Boucicaut, alors gouverneur de Gênes, dans une expédition contre les Mamelouks égyptiens au Levant. Le corps d'armée français débarque sur la côte, à Tripoli. Prévenus par les charitables Vénitiens, qui songent à leur commerce, les Mamelouks les attendent. Ils ont amené une puissante armée, forte de 15 000 hommes dont près de la moitié de cavaliers, qui sera pourtant battue à plates coutures. Tripoli et Beyrouth sont prises et pillées en août. Les troupes chrétiennes renoncent à attaquer Saïda, défendue par 30.000 Égyptiens, et rembarque. Le 27 octobre 1403, Hospitaliers et Mamelouks signeront un fragile traité de paix, qui ne sera pourtant effectivement rompu que sous le magistère de Jean de Lastic en 1440.

Rhodes vers 1490. À gauche, dominant le port, la tour de Naillac flanquée de quatre tourelles.

Parmi les travaux que fait accomplir à cette époque Naillac pour améliorer les fortifications de Rhodes, figure la puissante tour portant son nom, qui dominait le port[11]On la voit très nettement sur la partie gauche de la gravure ci-contre représentant Rhodes vers 1490. La tour, dominant le port, est flanquée de quatre tourelles[12].

La diplomatie

En février 1409, Naillac quitte Rhodes pour l'Europe, où il va inlassablement plaider la cause de l'Ordre et négocier entre les cours de Rome et d'Avignon. C'est à Aix-en-Provence qu'il réunit le chapitre général de l'Ordre, le 19 avril 1410. On y aborde des problèmes de fond : la règle, la discipline, les finances (dans le contexte difficile du moment, les commanderies et prieurés n'envoyaient plus qu'irrégulièrement à Rhodes leurs « responsions » ou participations financières obligatoires), ainsi que les relations de l'Ordre avec la papauté, dont la crise, connue sous le nom de « grand schisme de l'Occident », atteint alors son paroxysme. Naillac s'efforcera par la suite de convaincre les papes successifs et rivaux de la nécessité de ne plus intervenir dans les affaires de l'Ordre en nommant leurs fidèles respectifs à la tête de commanderies ou prieurés.

Il entreprend ensuite un long périple auprès des monarques européens pour plaider la cause de l'Ordre. Il met ses voyages à profit pour visiter la quasi totalité des commanderies en Europe, démarche exceptionnelle et probablement unique de la part d'un grand maître. Ce long séjour ne l'empêche pas de suivre les affaires de Rhodes et de donner ses instructions par correspondance ou par l'intermédiaire de dignitaires chargés de missions.

Le 9 juillet 1420, il retrouve Rhodes, où il mourra l'année suivante. Il laisse un Ordre rénové, avec une discipline restaurée, des finances rétablies, les défenses de la cité et des places fortes de l'archipel renforcées. Il ne fait aucun doute, comme l'écrit Delaville le Roulx, que son magistère occupe « une place exceptionnelle » dans l'histoire des Hospitaliers : sans ce grand maître, habile diplomate, courageux combattant, administrateur avisé et sans faiblesses, il est probable que l'Ordre aurait sombré dans les remous de la crise de la papauté.

Notes

  1. Un « anti grand maître », Richard Carracciolo, de la langue d'Italie, était parvenu parvenu au magistère en 1383 à la faveur de la crise de la papauté. Il vivait à Rome et conserva ce titre jusqu'à sa mort en 1395. Dans les dernières années de sa vie, une partie de l'Ordre commençait à pencher en sa faveur.
  2. Heredia (1310-1396) était issu de la langue d'Espagne (province d'Aragon). Esprit distingué, fin et cultivé (on lui doit 18 livres de chroniques, et des traductions de Thucydide et Plutarque en espagnol, etc.), il était pourtant un médiocre chef militaire. En outre, proche des papes d'Avignon auxquels il devait son élévation, il leur avait incontestablement aliéné l'indépendance temporelle de l'Ordre (même si celui-ci était, de par ses statuts mêmes, soumis à l'autorité spirituelle de la papauté).
  3. Le hameau de Bridiers, où subsiste le donjon du château (en cours de restauration) fait aujourd'hui partie de la commune de La Souterraine (Creuse). On voit toujours au Blanc le « château Naillac », dont les origines se situent au XIIe siècle, avec de considérables réfections et reprises ultérieures (il est aujourd'hui aménagé en écomusée).
  4. D'après l'abbé André Lecler, Dictionnaire topographique, archéologique et historique de la Creuse, Limoges, Ducourtieux, 1902, pp. 478-480 (réédition Laffite reprints, 2000).
  5. Gilles Rossignol, Pierre d'Aubusson, "le bouclier de la chrétienté". Les Hospitaliers à Rhodes, Besançon, La Manufacture, 1991, p. 83
  6. Bajazet (1389-1403), surnommé Yildirim ("la foudre").
  7. Parmi les prisonniers, Bajazet avait reconnu un Français, Jacques de Helly, qui l'avait autrefois servi et parlait turc. C'est Helly qui identifiera les plus hauts seigneurs. Tous les autres seront exécutés.
  8. Jean II Le Meingre dit le maréchal de Boucicaut, (1365-1421). Fait prisonnier à Azincourt (1415), il mourut en captivité en Angleterre.
  9. Bajazet sera fait prisonnier, promené dans une cage en guise de trophée de guerre ; il mourra en captivité l'année suivante.
  10. Dominant l'actuelle Bodrum.
  11. Elle fut détruite lors d'un tremblement de terre de 1863 et jamais reconstruite.
  12. Gravure extraite de la « Chronique de Nuremberg » (1493).

Bibliographie

  • Joseph Delaville Le Roulx, Les Hospitaliers à Rhodes jusqu'à la mort de Philibert de Naillac (1310-1421), Paris, Leroux, 1913.
  • Gilles Rossignol, Pierre d'Aubusson, "le bouclier de la chrétienté". Les Hospitaliers à Rhodes, Besançon, La Manufacture, 1991.


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