- Perinde ac cadaver
-
La locution latine Perinde ac cadaver, qui signifie littéralement « à la manière d'un cadavre », illustre depuis l’époque des moines du désert (IVe siècle) l’idéal ascétique d’obéissance parfaite (ou aveugle) présentée comme la voie permettant au religieux d’accomplir infailliblement la volonté de Dieu dans sa vie.
Sommaire
Origine de l’obéissance aveugle
L’idée d’obéissance aveugle (perfection de l’obéissance) est aussi ancienne que la vie des moines dans le désert. Pour éviter l’orgueil (obstacle majeur à la sainteté) et renoncer à la volonté propre il n’y a pas de plus sûr moyen que de se soumettre totalement aux ordres du supérieur religieux. Saint Basile, dans son ‘Ascetica’ et Jean Cassien dans ses ‘Institutions cénobitiques’ présentent plusieurs exemples d’obéissance aveugle, qui conduisent à un grand profit spirituel. Ainsi l’abbé Jean qui par esprit d’obéissance ne douta pas un moment de l’ordre reçu, et arrosa durant un an un bâton mort[1].
Cette manière d’assujettir sans hésiter son jugement à un autre suppose que le commandement reçu est correct, prudent et en conformité à la volonté de Dieu. Les maîtres anciens ne l’ignorent pas et sont clairs à ce sujet.
Le Perinde ac cadaver
L’image du cadavre qui se laisse faire se trouve dans la Vie de saint François d’Assise écrite vers 1262 par son disciple et successeur, saint Bonaventure. Dans cette ‘Vita’, Bonaventure rapporte cet incident : « Un jour on demanda à François qui peut être vraiment appelé obéissant. Il répondit en donnant le cadavre comme exemple : ‘Prends le cadavre et laisse-le là où tu veux : il ne te contredira pas et ne murmurera pas. Il ne dira rien lorsque tu l'auras déposé. Si tu le poses sur un siège, il ne regardera ni en haut ni en bas' (...)[2] ».
La société fortement hiérarchisée du Moyen-Âge, où toute autorité, civile ou religieuse, avait un caractère sacré, et où l’esprit de chevalerie était présent, permettait sans difficulté ce type de comparaison.
Dans la Compagnie de Jésus
Obéissance ascétique (3e vœu)
La sixième partie des Constitutions de la Compagnie de Jésus, concernant la vie personnelle des membres, traite des vœux - pauvreté, chasteté et obéissance - qui sont au cœur de la vie religieuse chrétienne. Le premier chapitre parle de la chasteté et de l’obéissance. Pour illustrer l’obéissance ascétique parfaite à laquelle le jésuite est appelé Ignace reprend l’image traditionnelle : « Chacun se persuadera que ceux qui vivent sous l’obéissance doivent se laisser mener et diriger par la divine Providence au moyen des supérieurs, comme s’ils étaient un cadavre [‘perinde ac si cadaver essent’] qui se laisse mener n’importe où ou traiter n’importe comment, ou comme le bâton d’un vieillard que celui qui le tient dans sa main utilise n’importe ou et pour n’importe quel usage » [Const. N°547]
L’image est reprise d’écrits ascétiques traditionnels qui circulaient au XVIe siècle, sans doute par Juan de Polanco, secrétaire de la Compagnie, dont il est connu qu’il étudia les constitutions et textes fondateurs d’autres ordres religieux, Augustiniens, Bénédictins, Dominicains, Franciscains, avant de rédiger les Constitutions de la Compagnie[3]
De tous les écrits fondateurs de la Compagnie de Jésus, c’est le seul endroit où cette locution latine est rencontrée. Bien que Ignace traite fréquemment de la vertu et de la pratique de l'obéissance dans ses lettres il n'utilise jamais la comparaison du cadavre, pas même dans la lettre du 26 mars 1553 adressée aux pères et frères de Coimbra (Portugal), parfois considérée comme un traité ignatien sur l’obéissance.
Obéissance apostolique (4e vœu)
Outre les vœux traditionnels de pauvreté, chasteté et obéissance, les Jésuites prononcent à la fin de leur formation un quatrième vœu : l'obéissance spéciale au pape en ce qui concerne les missions. La septième partie des Constitutions qui traite de la ‘répartition [des membres] dans la vigne du Seigneur’, ne fait jamais appel à une obéissance perinde ac cadaver, pas même dans son premier chapitre (‘les missions données par le souverain pontife’).
L'obéissance absolue, perinde ac cadaver, à la volonté de Dieu et au pape, est l'une des caractéristiques de la Compagnie de Jésus[4].
L'obéissance apostolique, fondée sur le quatrième vœu, est un des fondements de la vie jésuite et de la spiritualité ignatienne. Comme le montra lui-même Ignace de Loyola lorsqu’il résista vigoureusement au souhait pontifical de voir certains premiers compagnons élevés à l’épiscopat ou cardinalat, elle n’est pas vécue de manière servile ou aveugle.
Bibliographie
- Manuel Maria Espinosa Polit: Perfect obedience; commentary on the letter on obedience of St Ignatius of Loyola, Westminster (MD), Newman Bookshop, 1947.
Notes et références
- Jean Cassien, Institutions cénobitiques, livre 4, ch.24
- Traduit librement à partir de l’italien : S.Bonaventura : Vita di S.Francesco d’Assisi, Roma, 1888, p. 73
- MHSI, Constitutiones, vol.1, pp.clxxx-xxciv
- Précisions sur le perinde ac cadaver.
Annexes
Articles connexes
Catégories :- Compagnie de Jésus
- Devise latine
Wikimedia Foundation. 2010.