- Martyrs de la réforme
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Image de l'inquisition
Pour le grand public, le mot « Inquisition » renvoie aux hérétiques jetés sur la paille humide des cachots, au grésillement de la chair sous la morsure du fer rouge, à un inquisiteur illuminé envoyant son prochain à la mort pour la plus grande gloire de Dieu, aux flammes d'un bûcher dressé sous un ciel d'orage, d'où l'innocent condamné lance une dernière malédiction.
Cette imagerie n'est que très peu conforme à la réalité [1], et il convient de s'interroger sur cette véritable mythologie de l'inquisition, sur sa genèse ainsi que sur les faits qui ont pu la fonder.
Origine du mythe
Louis IX œuvre pour une inquisition institutionnalisé dans son royaume de France catholique. Le monopole religieux a des intérêts communs au maintien d'un État royal fort (et vice versa).
Cette image négative de l'inquisition n'a pas toujours existé. Comprendre comment elle s'est formée est un sujet dont l'étude est relativement tardive (fin XXe siècle), et fait débat. Cet article propose un tour d'horizon sur quelques points de repères utiles au débat et susceptibles d'éclairer la compréhension du lecteur.
Initialiement une inquisition souffre de deux maux : pour la population, son fonctionnement est obscur, et son effet pratique est répressif. Personne n'aime donc l'inquisition, et moins encore ceux qui peuvent y avoir affaire. C'est un sort commun à tous les tribunaux.
L'inquisition espagnole fut établie au XVe siècle en Espagne. La Hollande étant alors possession du roi d'Espagne. En 1522, Charles V d'Espagne étend le champ d'action de l'inquisition en Hollande. Ce fut le principal point de contact entre l'inquisition et la réforme, qui prend son ampleur au XVIe siècle. Cette inquisition hollandaise fit son travail : elle réprima ce qu'elle considérait comme une hérésie, mais dans un fonctionnement particulièrement dur, de l'aveu même de Philippe II.
Les victimes de cette répression religieuse furent considérés comme des martyrs de la réforme, et la répression elle-même alimenta certainement le rejet par les Hollandais du régime espagnol, obtenu après près d'un siècle de troubles (guerre dite de Quatre-Vingts Ans, 1566-1648). L'indépendance de la Hollande se construit ainsi sur un fond de lutte pour la liberté religieuse, contre l'Espagne catholique et son inquisition. À la fin du XVIe siècle, le thème de l'inquisition passe ainsi dans la culture des Églises réformées, porté par un culte des héros à la fois nationaliste et religieux.
L'Angleterre du XVIIe siècle est à la fois protestante, en contact culturel et économique étroit avec la Hollande, et en lutte d'influence contre l'Espagne catholique. Dans ce contexte, le thème de l'inquisition trouve un nouveau relais dans les milieux protestants et nationalistes anglais. D'historique, l'image devient alors mythique et polémiste. (On peut trouver un exemple précoce de cette relecture dans l'histoire et l'œuvre de Antonio del Corro.) La référence n'est plus alors celle de l'inquisition hollandaise, mais une relecture de l'activité qu'avait eu l'inquisition en Espagne au moment de sa mise en place. L'inquisition devient un symbole repoussoir de la brutalité et des violences du catholicisme et de ses tortures, sous la responsabilité de l'Espagne et de la Papauté. Ce symbole valorise par contraste la liberté et la libération apportées par le protestantisme, et justifie moralement la lutte contre le catholicisme aussi bien externe (guerre contre l'Espagne) qu'interne (persécutions religieuses en Irlande).
Le XVIIIe siècle est celui des Lumières, dont la philosophie se définit comme se démarquant de l'obscurantisme passé : la religion naturelle s'oppose au dogme traditionnel. L'idée de chercher la vérité à travers le libre exercice de la raison éclairée par le débat, portée par la noble ambition de former des hommes « libres et de bonnes mœurs », devient le programme de la franc-maçonnerie. Ce programme passe des loges anglaises, largement en symbiose avec l'Église d'Angleterre, et essaime en France, dans une élite intellectuelle qui commence à être déchristianisée. Ce qui se dit dans les loges est un secret difficilement accessible, mais il paraît naturel que le mythe de l'inquisition[non neutre] ait été importé à cette occasion, et ait servi à illustrer les débats sur l'obscurantisme et la liberté. De fait, l'inquisition devient à partir du XVIIIe siècle un thème récurrent du discours anticlérical. Voltaire la prend pour cible constante (par exemple dans Candide). Diderot la prend pour cible (entre autres…) dans son Encyclopédie. Le thème de cette nouvelle image n'est plus la violence, mais la raison. L'inquisition devient le symbole de l'obscurantisme, l'instrument par lequel l'Église impose un dogme par la violence.
Au XIXe siècle, le thème des lumières continue à vivre dans le discours anticlérical, et est de plus relayé par la vision que le romantisme a donné du Moyen Âge, dont l'image est reconstruite à cette époque (voir par exemple dans un autre registre le cas de Viollet le Duc). Le thème est porteur. Ainsi, Michelet publie en 1841 le Procès des Templiers, en 1862 La Sorcière ; Victor Hugo publie en 1882 un drame en quatre actes intitulé Torquemada, fait pleurer les foules sur le sort d'Esméralda dans Notre Dame de Paris. Pour le contraste de l'image, la victime est « forcément » pure et innocente. Ce genre de thème littéraire (parfois fantaisiste, voir Histoire de l'Inquisition en France) entretient et développe l'image mythique d'une inquisition atemporelle, barbare et oppressive, œuvre d'ecclésiastiques rigides et pervers.
Au XXe siècle, l'inquisition passe dans le vocabulaire courant, devenant un mot commun pour désigner un certain genre de persécution, souvent collective et toujours spectaculaire. Le genre littéraire toujours actif se prolonge dans la bande dessinée, les jeux vidéo, où il s'affranchit de toute prétention à une quelconque vérité historique. L'inquisition cesse d'être présente dans le discours politique quotidien. En revanche, l'histoire de l'inquisition reste un enjeu social : en tant que participant au « mythe fondateur », elle contribue à l'auto-justification actuelle des mouvements qui furent anticléricaux aux XIXe et XXe siècles.[non neutre] Ce genre historique fusionne les thèmes des discours anticléricaux et romantiques du siècle précédent. Il y ajoute quelques touches plus modernes (une inquisition au service d'une société totalitaire, une répression parfois antisémite) hérités des grands débats du XXe siècle.[réf. nécessaire]
Débat piégé
La superposition de ces mouvements et enjeux sociaux a ainsi mis en forme bon nombre de clichés sur l'inquisition, qui perdurent de nos jours : torture, dogmatisme, victime innocente, fanatisme, antisémitisme, etc.
Il faut retenir de cette longue histoire que le thème de l'inquisition est un terrain doublement miné. Il fait de nos jours l'objet de discours à forte charge affective, ce qui expose un éventuel contradicteur à des attaques imprécatoires. Le terrain a été historiquement miné par des enjeux anciens[réf. nécessaire], qui ont construit telle ou telle représentation de l'inquisition qui servait les intérêts de l'époque[réf. nécessaire].
Au début du vingtième siècle, dans la revue La Réponse(octobre 1922), publiée par l'Abbé Duplessy, le chanoine de Paris justifie les méthodes de torture supposé de l'inquisition.
"D'ailleurs, en admettant la torture, l'Église avait pour but d'arracher les aveux qui amèneraient l'amendement du coupable et finalement lui sauveraient la vie. Elle procédait, somme toute, comme le chirurgien qui ampute un membre pour sauver le corps ; avant l'anesthésie, ces opérations étaient une torture véritable ; on n'y recourait pas moins, dans une intention analogue à celle de l'Église, qui, ayant en vue beaucoup plus la conversion des accusés que leur châtiment, acceptait de "blesser" le corps pour lui épargner d'être "tué".
Sur le plan sémantique, les mots de la famille « inquisition », « inquisitorial », etc. sont passés dans le langage courant avec une connotation très négative, et l'idée générale de quelqu'un qui fait subir un interrogatoire en règle sans en avoir le droit moral. C'est dire si l'image véhiculée par l'inquisition est forte aujourd'hui dans l'imagination populaire, et est solidement enracinée.
L'inquisition est à la fois une réalité historique, un thème extrêmement vivant de l'imaginaire moderne, et un thème classique des discours en faveur de la tolérance. Pour en discuter rationnellement, il faut cependant accepter cette distinction : l'inquisition historique est une chose, la représentation moderne en est une autre, et il y a un certain rapport entre les deux. Traiter aujourd'hui objectivement de l'inquisition demande donc une grande prudence, du sang froid, et un examen critique de sources souvent partisanes.
Références
- ↑ Il suffira de souligner que les peines étaient beaucoup plus clémentes, même au moment les plus forts de l'hérésie, que la légende ne l'a répandue André Langui. Dictionnaire de la culture juridique PUF, 2003. p 834
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