Lukhangwa

Lukhangwa

Lukhangwa, Lukangwa ou Loukhangwa, aussi appelé Tsewang Rabden (1895-24 février 1966, New Delhi), était un homme politique tibétain qui fut le premier ministre (sileun) laïc du gouvernement tibétain au début de l’occupation chinoise du Tibet. Il s’est exilé en Inde, où il redevint le premier ministre du dalaï-lama[1].

Biographie

Lukhangwa est entré au service du gouvernement tibétain en 1915, et assura différentes fonctions. Il a été responsable des réserves du gouvernement à Lhassa avant d'être nommé ministre des finances (tsipön) en 1937. Il fut également l'un des secrétaires du cabinet des ministres (Kashag)[2].

Il fut nommé premier ministre laïc, conjointement à Lobsang Tashi, un haut fonctionnaire monastique, par le dalaï-lama avant son départ pour Yatung dans la vallée de Chumbi en décembre 1950 suite à l'invasion chinoise du Tibet. Le dalaï-lama leur conféra les pleins pouvoirs du gouvernement du Tibet[1]. Dans son autobiographie Au loin la liberté, le dalaï-lama écrit qu'avec l'accord de Lukhangwa, de Lobsang Tashi et du Kashag, il envoya fin 1950 des délégations aux États-Unis, en Angleterre et au Népal dans l’espoir d’une intervention pour le Tibet, ainsi qu’en Chine pour négocier son retrait. Peu après, quand la présence chinoise se renforça à l’est, le dalaï-lama et les principaux membres du gouvernement partirent s’installer dans le sud du Tibet, à Yatung, à 300 km du Sikkim en Inde. Lukhangwa et Lobsang Tashi restèrent à Lhassa[3]. Peu après son arrivée à Yatung, il s'avéra que des délégations, la seule à être arrivée à destination fut celle envoyée en Chine. Depuis Chamdo, Ngapo Ngawang Jigmé adressa un long rapport au gouvernement tibétain expliquant qu’à moins d'obtenir un accord, Lhassa serait attaqué par l'Armée populaire de libération (APL), ce qui entraînerait de nombreux morts. Pour Ngapo, il fallait négocier, et il proposait d'aller à Pékin avec quelques adjoints entamer le dialogue avec les Chinois. Lukhangwa et Lobsang Tashi pensait que de telles négociations auraient dû avoir lieu à Lhassa, mais que la situation désespérée ne laissait pas le choix. Le dalaï-lama envoya donc Ngapo à Pékin avec 2 personnalités de Lhassa et 2 de Yatung, espérant qu'il ferait comprendre aux autorités chinoises que les Tibétains ne souhaitaient pas une « libération », mais uniquement la poursuite de bonnes relations avec la Chine[3]. Lukhangwa refusa d'entériner l'accord en 17 points sur la libération pacifique du Tibet[4].

Lukhangwa et Lobsang Tashi se firent des défenseurs de la liberté du Tibet dès l’arrivée de l'APL à Lhassa, s’opposant aux tentatives des généraux chinois d’empiéter sur les droits du Dalaï Lama[1].

Après, le retour du Dalaï Lama à Lhassa, devant la famine générée par les réquisitions de nourriture par les militaires chinois, le Dalaï Lama demanda à Lukhangwa une médiation pour satisfaire les besoins de la population et les exigences des forces d’occupation. Lukhangwa suggéra qu'il n’y avait pas de raison de concentrer une armée si nombreuse à Lhassa, et que son rôle présumé étant la sécurité du pays, elle devrait se poster aux frontières. En réponse, le général chinois Chang Ching-wu affirma que selon l'accord en 17 points, l’armée chinoise était postée au Tibet, et qu'en conséquence, le gouvernement tibétain était dans l'obligation de pourvoir au logement et à la nourriture des soldats, et qu'ils partiraient lorsque le Tibet aura montré sa capacité d'auto administration. Lukhangwa répliqua que la seule menace frontalière du Tibet provenait des Chinois[1].

Lors d'une réunion début 1952, le général Chang Ching-wu annonça l'absorption des troupes de l'armée tibétaine dans l'APL, se référant à l’article 8 de l'accord en 17 points. Lukhangwa répliqua que les Tibétains n’acceptait pas l'accord en 17 points, lequel n’était pas respecté par les Chinois, demandant la raison de cette décision, alors que selon l’accord, les Tibétains étaient libre de leur choix. Perplexe, le général Chang changea de méthode, suggérant de remplacer le drapeau tibétain des casernes tibétaines par le drapeau chinois. Lukhangwa répondit que dans ce cas, les Tibétains retirerait le drapeau chinois, ce qui embarrasserait les Chinois[1].

Trois jours plus tard Fan Ming, un autre général chinois, demanda à Lukhangwa s’il ne s’était pas trompé dans ses précédentes déclarations. Comme il les réitéra, le général chinois l’accusa d’entretenir des relations avec des puissances impérialistes étrangères et cria qu’il demanderait au Dalaï Lama sa destitution[1].

A la demande des généraux chinois, les deux Premier ministres tibétains, Lukhangwa et Lobsang Tashi furent congédiés par le Dalaï Lama le 27 avril 1952[5].

En 1956, la réintégration des deux premiers ministres fut une des 4 demandes formulées par les ministres tibétains alors que le Dalaï Lama se trouvait en Inde, hésitant alors à retourner au Tibet sans conciliation de la part des Chinois, tant la situation s'était tendue au Tibet. En 1957, Lukhangwa quitta le Tibet pour s'exiler à Kalimpong[6], où rencontra le Dalaï Lama, lui conseillant de ne pas retourner au Tibet[1].

En été 1958, il adressa au président indien Jawaharlal Nehru une lettre et un manifeste de dirigeants tibétains qui furent publiés dans Union Research Service (Hong-Kong), supplément du 7 avril 1959[7].

Au moment du soulèvement tibétain de 1959, il mené une délégation de Tibétains habitant en Inde du nord. Avec cette délégation, il est allé à New Delhi pour expliquer au président Nehru la situation au Tibet[8].

Dans sa première autobiographie, My Land and My People, publié en 1962, le dalaï-lama écrit que Lukhangwa est redevenu son premier ministre en exil, jusqu'à sa retraite. Il ajoute que même après cette date, il est resté son conseiller de confiance.

Lukhangwa est décédé le 24 février 1966 à New Delhi en Inde[6].

Dans le film Kundun réalisé par Martin Scorsese, le rôle de Lukhangwa est joué par l'acteur tibétain Jurme Wangda.

Voir aussi

  • (en) Kalsang Khedup, Sonam Dhondup (Lha-sa-pa), Prime minister Lhukhangwa (Dpaʼ mdza*ns ldan paʼi srid tshab Klu-kha*n-ba mchog), Éditeur The Author, 2003, 18 pages

Notes et références

  1. a, b, c, d, e, f et g Michael Harris Goodman, Le Dernier Dalaï-Lama ?, Editeur Claire Lumière, 1993, (ISBN 2905998261)
  2. Lukhangnga Biography
  3. a et b Dalaï Lama, Au loin la liberté, autobiographie, Fayard 1990, Livre de poche, 1993 (ISBN 225306498X), p 86, p 93-95, p 203-204.
  4. Dalai Lama, My Land and My People, New York, 1962, p. 95 « In 1952 Lukhangwa told Chinese Representative Zhang Jingwu "It was absurd to refer to the terms of the Seventeen-Point Agreement. Our people did not accept the agreement and the Chinese themselves had repeatedly broken the terms of it. Their army was still in occupation of eastern Tibet; the area had not been returned to the government of Tibet, as it should have been. »
  5. « La crise était arrivée à son maximum, et j’étais face à une décision extrêmement difficile. J’admirais le courage de Lukhangwa, mais je devais choisir entre le laisser continuer son travail ou satisfaire les chinois [qui exigeaient sa démission]. Deux considérations entraient en jeu : la sécurité de Lukhangwa, et le futur de notre pays. Il était évident que Lukhangwa avait déjà mis lui même sa vie en danger [par son opposition aux chinois], et si je refusais de le démettre de ses fonctions, il y avait de grandes chances pour que les chinois se débarrassent eux-mêmes de lui. Ma vision des choses a grandement évolué pendant cette période de tension. Je pensais que si nous continuions à nous opposer aux autorités chinoises et à les mettre en colère, cela ne pourrait que nous enfermer dans le cercle vicieux de la répression et du ressentiment populaire. Et finalement, on en arriverait certainement à des violences physiques. La violence était inutile. Nous ne pouvions pas nous débarrasser des Chinois par des moyens violents. Ils gagneraient toujours si nous les combattions, et c’est notre population désarmée et désorganisée qui serait la première victime. Notre seul espoir était de persuader les Chinois de tenir pacifiquement les promesses qu’ils avaient faite dans l’Accord en 17 points. Il n’y avait que la non-violence qui pouvait nous ramener un peu de cette liberté que nous avions perdu, mais peut-être après des années de patience. Et cela signifiait la coopération dès que possible, et une résistance passive pour toute chose impossible à accepter. L’opposition violente n’était pas seulement impraticable mais aussi non-éthique, immorale. C’était là non seulement une de mes croyances profondes mais aussi un des enseignements du Bouddha, et en temps que leader spirituel du Tibet je devais m’y soumettre. Nous pouvions être humiliés, et nos possessions les plus chéries sembler être perdues pour un moment, nous devions malgré tout rester humbles. J’étais sûr de cela. J’acceptais donc avec tristesse les recommandations du Cabinet et demandait au premier ministre Lukhangwa de quitter son poste ». Violence et non-violence dans la lutte tibétaine
  6. a et b (en) Tsering Shakya (2000) The Dragon in the Land of Snows - A history of modern Tibet since 1947, Penguin Compass, Columbia University Press, (ISBN 978-0140196153), p. 96-101, 108-111 et 127
  7. Commission internationale de juristes, La question du Tibet et la primauté du droit, Genève, 1959, p 160-167
  8. (en) Tsepon W.D. Shakabpa (1967) Tibet: A Political History, Potala Publications, New York, (ISBN 0-9611474-1-5), p. 316-319

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