- Les Mots et les Choses
-
Cet article possède un paronyme, voir : Le Mot et la Chose. Les Mots et les Choses. Une archéologie des sciences humaines Les Ménines, représentation de la représentationAuteur Michel Foucault Genre Philosophie Pays d'origine France Éditeur Gallimard Collection Bibliothèque des Sciences humaines Date de parution 1966 Nombre de pages 404 ISBN 2-070-22484-8 Les Mots et les Choses. Une archéologie des sciences humaines est un essai écrit par Michel Foucault publié aux éditions Gallimard en 1966. Avec L'Archéologie du savoir, c'est dans cet ouvrage que Foucault conceptualise la notion d'épistémè.
Foucault semble avoir tout d'abord privilégié le titre de L'Ordre des choses, avant de le changer pour satisfaire son éditeur, Pierre Nora (cf. Didier Eribon: Michel Foucault. Flammarion, 1991, pp. 182-183).
Les Ménines : représentation de la pure représentation
Le livre s'ouvre sur une description et une discussion détaillées du tableau Les Ménines de Diego Vélazquez et de l'arrangement complexe de ses lignes de plan et de ses effets cachés. « Peut-être y a-t-il, dans ce tableau de Vélasquez, comme la représentation de la représentation classique », écrit Foucault. Y est ensuite développée l'idée maîtresse de l'ouvrage, à savoir que toutes les périodes de l'histoire sont caractérisées par l'existence d'un certain nombre de conditions de vérité qui encadrent ce qui est possible et acceptable, à l'instar par exemple du discours scientifique.
L'épistémè
Foucault défend la thèse que les conditions du discours changent au cours du temps, selon des césures parfois relatives, parfois brutales. Il désigne ces conditions par le terme d'« épistémè », étymologiquement proche de celui d'épistémologie. Dans cet ouvrage, il analyse les sciences du langage (la grammaire générale qui se transforme en linguistique), de la vie (l'histoire naturelle qui se transforme en biologie), et des richesses (mutation de l'épistémé qui donne naissance à l'économie moderne). La notion d'épistémè ne doit pas être confondue avec celle de Weltanschauung (conception du monde), prônée par Dilthey et à laquelle Foucault s'oppose explicitement[1].Définition
« Ce sont tous ces phénomènes de rapport entre les sciences ou entre les différents discours dans les divers secteurs scientifiques qui constituent ce que j’appelle épistémè d’une époque »[2].
Il est impossible d’extraire la notion d’épistémè foucaldienne du projet archéologique général de Les mots et les Choses, car l’épistémè est justement le nom, l’état signalétique d’une chose que Foucault cherche et développe tout au long de son livre : l’épistémè serait un réseau, un ensemble de dispositions des productions de la culture qui constituent, par rapport à cette culture, un savoir qu’il s’agit de révéler et qui se situerait en deçà des sciences et des philosophies. Ce sont les régularités discursives, les couches de savoirs constituants et historiques, les configurations souterraines qui délimitent ce qu'une époque peut ou non penser, de ce qui est possible de dire ou de voir. C'est une grille des savoirs qui va déterminer les pratiques et loger les différentes formes de connaissances empiriques. On distingue alors trois grandes articulations dans la pensée occidentale : la Renaissance (âge de la similitude et de la ressemblance), l'âge classique (l'apparition de la représentation, l'ordre selon les identités et les différences) et l'époque moderne (limite de la représentation, apparition d'un doublet empirico-transcendantal nommé « homme », dans une analytique de la finitude). Se situant entre l'âge classique et la modernité, Foucault va analyser comment on est passé du langage (dans une grammaire générale), du travail (dans une théorie des échanges), de la vie (comme êtres vivants) à un homme-parlant (comme objet de la philologie), à un homme-travaillant (comme objet de l'économie), et enfin un homme-vivant (comme objet de la biologie). Il recherche un socle archéologique, l'a priori historique qui a rendu possible la constitution des sciences de l'homme. En somme, l'épistémè serait le contraire de la doxa, opinion confuse ou préjugé face à une observation et une inférence réfléchie comprenant des prémisses de valeur sûre.
L'épistémè et Les Mots et les Choses
Michel Foucault ne mentionne jamais que trois épistémè :
- l’épistémè de la Renaissance du XVIe siècle qui sera l’âge de la ressemblance et de la similitude,
- l’épistémè classique, qui sera l’âge de la représentation, de l'ordre de l'identité et de la différence (que l’on peut repérer par l’écart justement qui nous en sépare), et enfin
- l’épistémè moderne (à laquelle nous appartenons, et dont il s’agit pour Foucault de rendre compte en cherchant ses limites, ses seuils) qui est l’enjeu même du livre et qui a fait couler tant d’encre.
Chaque épistémè fait l’objet d’une partie du livre, l’épistémè du XVIe siècle étant l’analyse la plus courte (chapitre 2), l’épistémè classique est analysée grosso modo dans toute la première partie et l’épistémè moderne dans la seconde.
Pour le passage de l'âge classique (XVIIe siècle) au XXe siècle, il identifie quelques penseurs qui ont été déterminants dans la mise en place de l'« épistémè » moderne, dont, par ordre chronologique :
- la Logique de Port-Royal (publiée en 1662), travaux sur la logique, la grammaire, la syntaxe, auxquels ont participé Descartes et Pascal,
- Adam Smith (Richesse des nations)
- Antoine Destutt de Tracy (vers 1800).
Michel Foucault pense que nous sommes entrés, depuis la Seconde Guerre mondiale, dans un nouvel épistémè, qu'il appelle hypermodernité[réf. nécessaire].
L'épistémè et l'histoire
Pour apercevoir l’épistémè, il a fallu, comme nous le dit Georges Canguilhem à propos de Foucault : « sortir d’une science et de l’histoire des sciences : il a fallu défier la spécialisation des spécialistes et tenter de devenir un spécialiste non pas de la généralité, mais un spécialiste de l’inter-régionalité »[3] . Il ne s’agit absolument pas pour Foucault de catégoriser des périodes historiques, l’épistémè n’est pas pour une époque donnée une sorte de grande théorie sous-jacente. Ce n’est pas « la somme de ses connaissances, ou le style général des recherches » mais c’est bien plutôt « l’écart, les distances, les oppositions, les différences [...] c’est un espace de la dispersion, c’est un champ ouvert et sans doute indéfiniment descriptible de relations »[4]. Pour comprendre l’épistémè foucaldienne il faut sortir d’une pensée de l’histoire qui « emporterait toutes les sciences dans une grande envolée »[3]. L’épistémè n’est paradoxalement pas un objet pour l’épistémologie, c’est avant tout, et dans son développement même, ce pour quoi un statut du discours est recherché tout au long de Les mots et les choses. L’objet est ce qu’en dit celui qui en parle. L’épistémè se heurte donc à l’histoire des idées, à l’histoire des sciences, elle est l’objet et le résultat d’une élaboration conceptuelle où « l’archéologie » (et c’est bien le sous-titre du livre) remplace « l’Histoire »[5]. C’est à partir de ce concept d’épistémè, et de son rapport à l’archéologie, qu’on a fait de Foucault le penseur de la discontinuité historique, penseur de la rupture. Certes Foucault récuse bien toute histoire continue, progressive, mais son travail n’est pas de s’opposer à l’histoire des sciences ou des idées (même si ces dernières doivent être relativisées et critiquées), mais il s’agit plutôt chez Foucault d’essayer de faire un pas de côté, de risquer sa pensée en introduisant de la signification à l’intérieur même de l’écart que l’on peut apercevoir avec notre propre pensée. Foucault définissait d’ailleurs le “travail” comme « ce qui est susceptible d’introduire une différence significative dans le champ du savoir, au prix d’une certaine peine pour l’auteur et le lecteur, et avec l’éventuelle récompense d’un certain plaisir, c’est-à-dire d’un accès à une autre figure de la vérité »[6].
L'épistémè et sa réception
Cette notion d’épistémè a fait scandale dès son apparition, elle continue de nos jours à poser des problèmes et produire des malentendus. Les mots et les choses est certainement un des textes philosophiques qui a engendré le plus de méprises sur ses intentions et sur son interprétation. Une des raisons tient à ce que l’archéologie proposée est la condition de possibilité d’une histoire « autre », dans laquelle elle reconnaît certes une histoire des coupures, mais « autrement située ». Canguilhem dès 1967 notait que l’histoire « est un champ magique pour beaucoup de philosophes où s’identifie l’existence et le discours, les acteurs et les auteurs d’histoires. Un programme comme celui de Foucault d’éversion du discours historique est dénoncé comme un manifeste de subversion du cours de l’histoire »[3].
Foucault dans une interview en 1972, nous le rappelle : « ce que j’ai appelé dans Les mots et les choses épistémè n’a rien à voir avec les catégories historiques. J’entends tous les rapports qui ont existé à une certaine époque entre les différents domaines de la science [...] Ce sont tous ces phénomènes de rapport entre les sciences ou entre les différents discours dans les divers secteurs scientifiques qui constituent ce que j’appelle épistémè d’une époque »[7]. L’identification de l’épistémè d’une époque, ce n’est pas une catégorisation historique et progressive des objets d’un savoir d’une période donnée, mais la mise en perspective archéologique (et critique) de l’écart même que l’on pourrait assigner entre nos propres cadres de pensée, pris eux-mêmes dans un réseau imperceptible de contraintes lié à l’épistémè à laquelle nous appartenons, avec une épistémè antérieure (en l’occurrence ici l’épistémè classique) où il est impossible de nous reconnaître tant la disposition générale des savoirs a subi de « discontinuités énigmatiques »[8] que Foucault n’a pas la prétention d’expliquer, mais qu’il qualifie comme « mutation », « évènement radical », « décalage infime mais essentiel »[9]. Foucault dans la préface de Les mots et les choses, définit le travail archéologique et le projet qu’il poursuit de cette manière : « ce qui s’offre à l’analyse archéologique, c’est tout le savoir classique, ou plutôt ce seuil qui nous sépare de la pensée classique et constitue notre modernité. C’est sur ce seuil qu’est apparue pour la première fois cette étrange figure du savoir qu’on appelle l’homme, et qui a ouvert un espace propre aux sciences humaines »[10]. Foucault cherche donc à rendre « ses ruptures au sol silencieux et immobile (le nôtre) qui constitue la culture occidentale ».
L'épistémè et la question de l'homme
Voilà pourquoi la lecture de Les mots et les choses est indispensable à la compréhension du concept d’épistémè, car l’épistémè n’est pas un découpage historique commun à toutes les sciences, c’est « un jeu simultané de rémanences spécifiques. Enfin [les critères qui scandent l’univers de nos discours] permettent de situer à leur place respective ces différents seuils : leur chronologie n’est pas la même pour tous les types de discours »[11]. Il s’agit bien pour Foucault de « substituer aux thèmes de l’histoire totalisante (« progrès de la raison », ou « esprit d’un siècle ») des analyses différenciées ». Foucault s’évertue tout au long du livre à montrer que la biologie, l’économie et la philologie font dans leur diversité, partie intégrante d’une même épistémè (moderne) où la vie, le travail et le langage ont pu devenir objet d’un savoir possible. Entre la biologie et l’histoire naturelle, entre l’économie et l’analyse des richesses, entre la philologie et la grammaire générale, la figure fondamentale du savoir s’est modifiée : de nouveaux objets connaissables se sont élaborés : la production remplace l’échange (pour l’économie), la vie se substitue aux êtres vivants (pour la biologie) et le langage remplace le discours (pour la philologie). C’est donc une transformation fondamentale de la figure du savoir que Foucault repère et analyse dans ces trois disciplines, c’est le lieu même de la définition de l’épistémè moderne : le savoir dans sa positivité change donc de nature et de forme, l’énonciation d’une rupture est nette : la vie, le travail et le langage n’existaient pas dans l’épistémè classique, ils ne pouvaient être pris comme objet d’étude. La chronologie n’est pas la même pour tous : Foucault repère ces transformations dans les travaux aussi dispersés que ceux de Ricardo, Cuvier, et Bopp. Une des difficulté du livre est de comprendre comment se fait la jonction entre le kantisme et les travaux de ces trois auteurs dans la manifestation de l’épistémè moderne. Dans une première approche, il suffit de dire que la biologie, l’économie et la philologie ont posé (tout comme Kant) la question « qu’est ce que l’homme ? », dans le sens où elles se réfèrent « à une anthropologie comme source naturelle de l’homme » [12].
Ainsi donc, et c’est la conséquence générale de la thèse de Foucault, les sciences de l’homme n’ont pu apparaître qu’à partir du moment où l’homme s’est constitué comme sujet et objet d’un savoir possible, en tant qu’individu parlant, vivant, travaillant. Dans l’épistémè classique, Foucault nous rappelle que l’homme n’existe pas : « il n’a ni puissance de vie, ni fécondité du travail, ni épaisseur historique du langage. C’est une toute récente créature que la démiurgie du savoir a fabriqué de ses mains, depuis deux cents ans »[13]. On parlait certes de l’homme à l’âge classique, mais « il n’y a pas de conscience épistémologique de l’homme »[14]. Il est d’ailleurs étonnant à ce propos de voir que ceux qui ont crié au scandale quand Foucault annonçait de manière « provocante » l’hypothétique disparition prochaine de l’homme (je pense à tout le bruit qui a été fait sur la « mort de l’homme », c’est-à-dire les 3 dernières pages du livre), ont rarement glosé sur la provocation inverse de son apparition si récente (c’est-à-dire les 395 premières pages du livre).
L'épistémè et l'archéologie
Le sous-titre de Les mots et les choses est bien « archéologie des sciences humaines », en effet il cherche à quelles conditions de possibilités les sciences humaines ont été rendues possible : ici, l’originalité de ses analyses heurtent « ceux qui préfèreront nier que le discours soit une pratique complexe et différenciée, obéissant à des règles et à des transformations analysables, plutôt que d’être privé de cette tendre certitude, de pouvoir changer sinon le monde, sinon la vie, du moins leur « sens » par la fraîcheur d’une parole qui ne viendrait que d’eux-mêmes »[15]. On peut noter par exemple pour la biologie, « que l’évolutionnisme constitue une théorie biologique dont les conditions de possibilité fut une biologie sans évolution – celle de Cuvier »[16]. De même que Foucault fait de Ricardo la condition de possibilité de l’œuvre de Marx, il fait de l’œuvre de Cuvier la condition de possibilité de l’œuvre de Darwin (encore que Foucault ressentant un certain malaise devant cette catégorisation exemplaire d' « auteurs », il préférera en 1970, parler de « transformation Cuvier » ou de « transformation Ricardo », car ce n’est pas « l’œuvre » de ces auteurs qu’il cherchait à mettre en valeur, mais les transformations qui ont eu lieu à une époque donnée[17]).
Problème de l'épistémè moderne : critique(s) et déprise
Pour atteindre ou mettre en lumière l’épistémè classique, pour qu’elle puisse nous apparaître comme un objet, « il fallait se situer au point où participant de l’épistémè du XIXe siècle, on était assez loin de sa naissance pour voir la rupture avec le XVIIIe siècle et assez proche de ce qui s’annonce comme sa fin pour imaginer qu’on va vivre une autre rupture, celle après laquelle l’homme, tout comme l’ordre, apparaîtra comme un objet »[3]. C'est une des grandes critiques qu'on a faite à Foucault (c'est-à-dire comment Foucault peut lui-même se placer de manière critique sur le seuil de sa propre modernité) mais qui semble être néanmoins une position philosophique des plus intéressantes : pour l’épistémè classique, il ne s’agit que de la décrire, on peut définir sa configuration en cherchant comment elle diffère d’une part de l’épistémè du XVIe siècle et de l’autre de l’épistémè moderne. En revanche, si on veut définir l’épistémè moderne, on ne peut l’opposer qu’à l’épistémè classique d’une part et à celle à laquelle nous appartenons de l’autre : on ne peut donc pas décrire cette épistémè, on ne peut que s’en déprendre. D’où l’importance de l’archéologie foucaldienne au sein de notre propre champ épistémologique : l’apparition d’un ouvrage comme Les mots et les choses reconduit le champ même de la philosophie. Pour répondre à cette critique, on peut citer ces quelques phrases de Canguilhem, qui place le livre de Michel Foucault dans le champ de la pensée, un an seulement après sa sortie : « En désignant sous le nom général d’anthropologie l’ensemble de ces sciences qui se sont constituées au XIXe, non comme un héritage du 18e, mais comme un « évènement dans l’ordre du savoir »[18]. Foucault nomme alors « sommeil anthropologique » la tranquille assurance avec laquelle les promoteurs actuels des sciences humaines prennent pour accordé comme objet, donné là d’avance à leurs études progressives, ce qui n’était au départ que leur projet de constitution [...] Les mots et les choses est pour les sciences de l’homme ce que la Critique de la raison pure était pour les sciences de la nature »[3]. C'est à partir des "contre-sciences" (humaines), c'est-à-dire la psychanalyse, l'ethnologie et la linguistique[19], mais aussi à partir de la littérature[20] (Foucault cite ici Artaud, Raymond Roussel, Franz Kafka, Georges Bataille, Maurice Blanchot) comme "expérience de la mort", "de la pensée impensable", d'une "expérience de la finitude, prise dans la contrainte de la finitude"[21], que Foucault tente d'accéder à ce seuil de notre modernité pour renouveler un jugement critique.
Épistémè naufragée
Les mots et les choses est donc bien un livre capital, non pas simplement pour une critique philosophique de la pensée de Foucault, mais pour penser, à partir de Foucault et avec Foucault, la manière critique dont on pourrait se déprendre d’un ensemble de valeurs hiérarchisées, établies, estimables, cristallisées dans une épistémè à laquelle nous appartenons. On pourrait alors piéger comme le faisait Bachelard « sa propre culture avec ses interstices, ses déviances, ses phénomènes mineurs, ses petits couacs, ses fausses notes »[22]. Foucault nous invite de ce fait, dans Les mots et les choses à voyager, laborieusement, lentement, indirectement, sur nos rives épistémiques, pour échouer peut-être allègrement sur une épistémè naufragée, où notre culture et notre histoire, pourraient prendre, l’espace d’un instant, un « autre » visage.
L'Épistémè : une structure?
Il apparaît clairement que Foucault considère l'épistémè comme une structure, dont les éléments sont les différents discours. Néanmoins, la méthodologie descriptive employée fait plutôt penser à une systématique qu'on pourrait qualifier de structuralisme statique. Cette posture permet d'éviter la question épineuse de l'origine de la structure (c'est-à-dire que la problématique s'est déplacé des conditions d'émergence du discours vers les conditions d'émergence de la structure). Il manque à l'épistèmé de Foucault un concept fondamental pour le structuralisme: la transformation ou l'opération et ce qui est son corollaire, à savoir un invariant. En effet les différentes épistémès qu'il identifie se juxtaposent selon des « discontinuités énigmatiques »[23]. Jean Piaget[24] remarque fort justement que cette notion d' "émergence contingente" est contradictoire avec l'idée de structure. A l'origine, les structures ne peuvent être que :
- prédéterminées (données telles quelles à la manière des essences éternelles ou tirées du monde physique à la manière des Gestalts)
- construites
Jean Piaget en tant que fondateur de l'épistémologie génétique privilégie évidemment la seconde option car "les structures sont des systèmes de transformations qui s'engendrent les uns les autres en des généalogies tout au moins abstraites et que les structures les plus authentiques sont de nature opératoire, le concept de transformation suggère celui de formation et l'autoréglage appelle l'autoconstruction" (p.53)
Les épistémès de Foucault ne sont ni prédéterminées ni construites ce qui explique leur "discontinuité énigmatique".
Foucault nous fournit un matériel précieux pour penser l'épistémologie et les conditions qui sous-tendent la possibilité de production de notre propre discours. Ce matériel, par sa nature appelle à être structuré, c'est-à-dire à être complété par un système de transformation : alors l'épistémè serait une structure.
Réceptions
Les Mots et les Choses donnèrent presque immédiatement à Michel Foucault un statut d'intellectuel prééminent. L'ouvrage, publié la même année que les Écrits de Jacques Lacan et Critique et vérité de Roland Barthes, semble, aux yeux des lecteurs contemporains, participer du mouvement structuraliste, bien que Foucault se défende d'y appartenir[25].
20 000 exemplaires sont vendus la première année, et plus de 110 000 le seront en vingt ans[25]. Publié dans la collection Tel depuis 1990, l'ouvrage continue à se vendre à 5 000 exemplaires par an, selon l'éditeur [25].
Un article de Jean-Paul Sartre à cette même époque attaque Foucault en le désignant comme « le dernier rempart de la bourgeoisie » [réf. nécessaire]. Un an après la publication par Althusser de Pour Marx, les derniers mots de Foucault dans ce livre, qui affirme qu'une nouvelle épistémè pourrait bien faire disparaître la figure de l'homme en tant qu'objet des sciences humaines, « comme à la limite de la mer un visage de sable », suscite une controverse à propos de l'« anti-humanisme théorique » supposé de Foucault (la notion d'« anti-humanisme » provenant d'Althusser, qui s'attaque par exemple au marxisme d'un John Lewis au nom d'une conception de l'histoire comme « processus sans sujet »).
Jean Lacroix, un catholique de gauche, titre ainsi « Fin de l'humanisme » dans Le Monde [25]. Gilles Deleuze intitule, quant à lui, son article dans Le Nouvel Observateur, « L'homme, une existence douteuse », tandis que Georges Canguilhem titre le sien, un an plus tard, dans la revue Critique, « Mort de l'homme ou épuisement du cogito » [25]. Pourtant, la « critique » foucaldienne des sciences humaines ne semble aujourd'hui n'avoir que peu à voir avec une critique de l'humanisme en tant que tel, comme l'indique par exemple son texte sur l'opuscule de Kant, Qu'est-ce que les Lumières ? [26].
Références
- L'Archéologie du savoir, 1969, p.249-250.
- Foucault, Dits et Écrits I, in Sur la justice populaire, op. cit., p.1239.
- Georges Canguilhem, « La mort de l’homme ou l’épuisement du cogito », Critique, juillet 1967.
- Foucault, Dits et Écrits I, Gallimard, coll. Quarto, in Réponse à une question, p.704.
- On peut se référer à la préface de Les mots et les choses, p.13: « ce qu'on voudrait mettre à jour, c'est l'épistémè où les connaissances enfoncent leur positivité et manifestent ainsi une histoire qui n'est pas celle de leur perfection croissante, mais plutôt celle de leur condition de possibilité [...] Plutôt que d'une histoire au sens traditionnel du mot, il s'agit d'une “archéologie” ».
- Foucault, Dits et Écrits II, in Des travaux, op.cit., p.1186.
- Foucault, Dits et Écrits I, in Sur la justice populaire, débat avec les maos, op. cit., p.1239.
- Foucault, Les mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, p. 229
- Foucault, Les mots et les choses, op. cit., p. 251
- Foucault, Les mots et les choses, op. cit., pp. 15-16, je souligne
- Foucault, Dits et Écrits I, in Réponse à une question, op.cit, p.704.
- A propos de l'économie, voir Les mots et les choses, op. cit., p. 269
- Foucault, Les mots et les choses, op. cit., p. 319
- Foucault, Les mots et les choses, op. cit., p. 320
- Foucault, Dits et Écrits I, in Réponse à une question, op.cit, p.723, je souligne.
- Foucault, Les mots et les choses, op. cit., p. 307
- Voir à ce sujet : Foucault, Dits et Écrits I, La situation de Cuvier dans l'histoire de la biologie, texte n°77.
- Foucault, Les mots et les choses, op. cit., p. 356
- Foucault, Les mots et les choses, op. cit., p. 385
- Ce que Philippe Sabot nomme "le quadrilatère de la contestation" dans Lire "Les mots et les choses" de Michel Foucault, Paris, PUF, coll. Quadrige, 2006, p.182.
- Foucault, Les mots et les choses, op. cit., p. 395, je souligne
- Foucault, Dits et Écrits II, Piéger sa propre culture, texte n°111.
- Foucault, Les mots et les choses, op. cit., p. 229
- Piaget, Un structuralisme sans structures, in Le Structuralisme, Paris, PUF, coll. Que sais-je?, 1968, pp.108-115
- Thomas Ferenczi, "Les Mots et les Choses", par Thomas Ferenczi, Le Monde, 30 juillet 2008
- Qu'est-ce que les Lumières ? par Michel Foucault
Bibliographie
- Michel Foucault, Les Mots et les Choses. Une archéologie des sciences humaines, Paris, Gallimard, coll. « Bibliothèque des sciences humaines », 1966, 405 p. (ISBN 2070224848)
- Michel Foucault, Dits et Écrits, vol. 1 : 1954-1975, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2001, 1708 p. (ISBN 207076186X)
- Michel Foucault, Dits et Écrits, vol. 2 : 1976-1988, Paris, Gallimard, coll. « Quarto », 2001, 1736 p. (ISBN 2070762904)
- Georges Canguilhem, "La mort de l’homme ou l’épuisement du Cogito", in la revue Critique de juillet 1967.
- Philippe Sabot, Lire "Les mots et les choses" de Michel Foucault, Paris, PUF, coll. quadrige, 2006.
Liens externes
- (fr) Piéger sa propre culture L'interview filmée des propos cités sur Bachelard, réécrite par la suite (comme tous les textes publiés de son vivant), par Michel Foucault lui-même, avant publication. Voir Dits et Écrits II, Piéger sa propre culture, op. cit., texte n°111.
Voir aussi
Catégories :- Œuvre de Michel Foucault
- Essai paru en 1966
- Épistémologie
Wikimedia Foundation. 2010.