- La légende de Mélusine
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Mélusine (fée)
Pour les articles homonymes, voir Mélusine.Mélusine est une femme légendaire des contes populaires et chevaleresques du Moyen Âge. Très ancienne, les mythologues y voient la "mater lucina" romaine qui présidait aux naissances, ou, encore antérieure, une divinité celte, protectrice de la Font-de-Sé (fontaine de la soif). Enfin, il pourrait s'agir de la Lyké des grecs, de la Mélugina des Ligures ou de la Milouziena des Scythes, dont le peuple serait issu d'Héraclès et d'Echidna, elle-même à queue de serpent. Les Scythes dit "Taïfales" auraient en effet pris pied avec l'armée romaine dans le Poitou où ils auraient fondé la ville de Tiffauges. Pour les gaulois, elle serait plutôt une sorte de Parque du nom de Mélicine (la tisseuse), d'où le thème de la destinée, très présent dans le mythe de Mélusine.
Son histoire est immortalisée en prose par Jean d'Arras, dans son Roman La Noble Histoire de Lusignan qu'il offrit le 7 août 1393 à Jean de Berry, frère du roi. Vers 1401, la légende est à nouveau contée, en vers cette fois, par Couldrette, dans son Roman de Mélusine qu'il écrivit pour Jean Larchevêque, sire de Parthenay. En 1698, François Nodot propose une adaptation du roman d'Arras. On trouve aussi une évocation de Mélusine dans Les Très Riches Heures du duc de Berry (mois de Mars). Mais l'histoire de Mélusine est bien plus ancienne: la littérature latine du XIIe, XIIIe siècle produisait déjà des contes se rapportant à une fée semblable à Mélusine. Pierre de Bressuire, prieur à l'abbaye Saint-Éloi et secrétaire de Jean II Le Bon, écrivit au début du XIVe siècle, dans son Reductorium Morale, une histoire similaire à celle de Mélusine. Mais la fée du conte n'est pas nommée.
Sommaire
Étymologie
Mélusine signifie "merveille" ou "brouillard de la mer". Pour les Lusignan, on l'appelle "Mère Lusigne" (la mère des Lusignans), fondatrice de leur lignée. Dans le dictionnaire Littré, elle est appelée Merlusigne, ce qui pourrait faire penser à une connotation aquatique.
Émile Verhaeren a créé une poésie "Le chant de l'eau" où son nom apparaît.
Certains lui donnent une origine bretonne insulaire. En breton son nom devient Melizenn et se traduit par La Mielleuse.
Le nom de sa mère Persina trouve sa racine bretonne dans le mot Berz ou Berziñ signifiant selon le contexte avertissement, interdit, férié, prohibition, injonction, mise en garde. Ce qui correspond bien à son rôle face à son époux.
Le nom de sa sœur Melior pourrait venir de Meler en breton, le fabricant de miel.
Pour sa sœur Palestine, on pourrait faire un rapprochement avec Bac'h C'hestenn, Bac'h signifiant cellule et la mutation de Kestenn, signifiant la Ruche en breton. Peut-être à rapprocher du fait qu'elle demeure prisonnière de la montagne telle une nymphe d'abeille dans l'alvéole de la ruche.
Mélusine, un mythe du Moyen Âge
Princesse d'Albanie
Au royaume d'Albanie, ancêtre du comté d'Albany, le roi Elinas chassait dans la forêt et rencontra à une fontaine une magnifique jeune femme qu'il salua bien humblement:
– "Ma chère dame, je désire plus que tout avoir votre bon amour et votre bonne grâce. – Donc, si vous me voulez prendre pour épouse, jurez que vous ne chercherez jamais à me voir au temps de mes couches."
Ainsi parla la fée Persine (ou Presine). Ils se marièrent et eurent trois filles, toutes aussi belles que leur mère. L'aînée s'appelait Mélusine, la deuxième Mélior et la dernière Palestine. Mataquas, fils du premier lit d'Elinas, jaloux du bonheur de sa belle-mère, poussa son père dans la chambre où Persine baignait ses filles.
– Faux roi, tu as manqué à ta parole, cria la mère, il t'en mésaviendra, tu m'as à jamais perdue !
Persine s'exila avec ses trois filles au sud, sur l'île magique d'Avalon, où elles montaient chaque matin sur la colline d'Elénos, la montagne fleurie, d'où elles pouvaient apercevoir la lointaine Albanie.
– Filles, voyez là-bas où vous êtes nées et où vous auriez eu votre sort sans la fausseté de votre père qui vous a réduites à une misère sans fin. Et chaque fois elle répétait son malheur, si bien que l'aînée, Mélusine, déclara à ses sœurs :
– Je suis d'avis, s'il vous semble bon, d'enfermer le parjure en la merveilleuse montagne de Northumberland, appelée Brumblerio, d'où il ne sortira plus jamais. Ce qu'elles firent.
Leur mère s'en montra fort courroucée :
– Toi Mélusine, qui es l'aînée, tu sera la première punie. Désormais tu seras tous les samedis Serpente au-dessous du nombril. Si toutefois tu trouves un homme qui te veuille épouser à la condition de ne jamais te voir le samedi, tu vivras le cours naturel d'une vie de femme et tu mourras naturellement. De toutes façons de toi sortira une noble et très grande lignée qui accomplira de belles et hautes prouesses. Mais si jamais tu te sépares de ton mari, sache que tu retourneras au tourment d'auparavant sans fin.
Mélior fut condamnée à garder un épervier merveilleux dans un château en Arménie. Quant à Palestine, elle fut enfermée dans le mont Canigou avec le trésor de son père jusqu'à ce qu'un preux chevalier la délivre.
La maison de Lusignan
Légende de Raymondin
Mélusine erre dans les forêts et les bocages, puis traverse l'Atlantique. Raymond ou Raymondin (en poitevin) de Lusignan, neveu du comte Aymar de Poitiers et fils du comte de Forez, tue accidentellement son oncle en forçant un sanglier féroce. Aveuglé par la douleur et pourchassé pour meurtre, il chevauche dans la forêt de Coulombier et, à minuit, rencontre à la fontaine de Soif (ou "fontaine faée", ou "font-de-Cé", ou "Soif-Jolie") trois femmes dont Mélusine.
Elle le réconforte et lui propose de l'aider, de le faire innocenter, et de faire de lui un très puissant seigneur, à condition de l'épouser. De plus, elle lui fait jurer de ne jamais chercher à la voir le samedi. En gage, elle lui offre deux verges d'or qui « ont moult grande vertu ».
Heureux, ils s'épousent en grande noblesse et font des Lusignan l'une des plus grandes familles de France.
Elle enfanta 10 fils, tous beaux et bien bâtis, malgré quelques détails, mais tous devinrent grands et puissants. La noble et glorieuse lignée prédite par Persine venait d'être fondée.
- Urien, l'aîné, devint roi de Chypre, bien qu'il ait le visage court et large, un œil rouge et un autre vert et qu'il eut les plus grandes oreilles qu'un enfant put avoir.
- Eudes avait une oreille plus grande que l'autre.
- Guyon avait un œil plus haut que l'autre, il devient roi d'Arménie.
- Antoine portait sur la joue une griffe (ou une patte) de lion.
- Renaud n'avait qu'un seul œil, il devient roi de Bohême.
- Geoffroy naquit avec une défense de sanglier qui lui saillait la bouche (Rabelais en fera l'ancêtre de Pantagruel),
- Fromont, qui devint moine à Maillezais, avait sur le nez une petite tache velue.
- Horrible, incroyablement grand, (?) avait trois yeux et n'avait pas encore 4 ans que sa férocité lui avait fait tuer deux de ses nourrices.
- Thierry et Raymonnet (dit aussi Raymondin), eux, étaient normaux.
Une bâtisseuse
Pendant que Raymondin parcourt la Bretagne, Mélusine se fait bâtisseuse :
La légende veut que Mélusine soit à l'origine de la construction de nombreux bâtiments médiévaux. Elle fonde les villes de Parthenay, Tiffauges, Talmont, édifie les murailles de La Rochelle et fait construire nombre d'églises (comme celle de Saint-Paul-en-Gâtine) et d'abbayes. "Quelques dornées de pierres et une goulée d'Eve" lui étaient nécessaires à l'élévation des plus imposantes forteresses. Si quelqu'un la surprenait dans son ouvrage, qui avait lieu généralement la nuit, elle cessait immédiatement ses travaux. C'est ainsi qu'il manque une fenêtre à Merrigoute, la dernière pierre de la flèche de Niort et de l'église de Parthenay.
La traîtrise
Comme il lui avait promis, Raymondin ne la vit jamais le samedi, mais son frère, le comte de Forez, jaloux de la puissance de son cadet, lui médit alors :
-Frère, votre femme tous les samedis est de fornication avec un autre.
A ces mots, Raymondin entre en fureur et se précipite à la porte interdite, regardant par la serrure la pièce, en s'aidant d'une dague grâce à laquelle il réussit à percer un petit trou. Il vit sa femme dans une cuve de 15 pieds de tour, en haut du nombril femme se peignant les cheveux, en dessous du nombril, serpent.
A cette suite s'opposent deux versions :
Raymondin s'exclame : -Je viens mon amour de vous trahir à cause de la fourbe exhortation de mon frère.
Ou bien il ne dit rien et tente de garder le secret de sa trahison. Mais un jour, que son fils Geoffroy est accusé d'avoir détruit l'abbaye de Maillezais et d'avoir tué son frère Fromont par accident, Raymondin s'emporte en jetant la responsabilité du comportement étrange de son fils sur Mélusine. Il la traite en public de "Très fausse serpente...".
Ces deux versions ont la même fin : Mélusine se jette alors par une fenêtre aussi légèrement que si elle avait eu des ailes en poussant un cri de désespoir. Jean d'Arras précise que parfois, la nuit, elle vient caresser ses enfants devant les nourrices qui n'osent rien dire. C'est elle qui annonça la mort de Raymondin, devenu ermite à Montserrat. En réponse à la prophétie de Persine, la fée serpent se montre et se lamente à chaque fois que les biens des Lusignan changent de propriétaires ou qu'un membre de cette maison va mourir.
Dame de la noblesse
L'hypothétique existence de Mélusine comme dame du Moyen Âge fut revendiquée par de nombreuses familles, autres que les Lusignan. On en trouve des traces dans les seigneuries vendéennes, le long de la Loire, et en Gironde. En Belgique également, Mélusine se fait présente en tant que protectrice de la maison de Gavre. De nombreux lieux et châteaux se rattachent à la présence de Mélusine comme dame locale, notamment à Mervent, Vouvant, Saint-Maixent, Talmont ou encore Parthenay.
Certains écrivains soutiennent l'appartenance du personnage de Mélusine à une véritable identité dont l'histoire aurait été romancée. Des historiens y voient la reine Sybille de Jérusalem, en rapport avec une certaine Mélusine de Hierges. D'autres, comme Michelet, y voient Aliénor d'Aquitaine. Le prince Raymondin est parfois apparenté à Hugues II de Lusignan.
Les comtes de Toulouse et les Plantagenêts se disent aussi descendre de Mélusine. tout comme la famille de Saint-Gelais, dont l'un des descendants, poète du XVIe siècle, portait le prénom de Mellin, en hommage aux revendications de sa famille.
En 1591, dans la dédicace[1] qu'il lui fait de son Isagoge, le mathématicien François Viète s'adresse à sa protectrice, Catherine de Parthenay, dame de Soubise, comme à une princesse mélusinide. Mariée très jeune au baron de Quelenec, celle-ci l'accusera de ne pas remplir ses devoirs d'époux dans un procès qui défraya la chronique peu avant la Saint Barthélemy.
C'est aussi l'héroÏne d'une bande-dessinée.
Une image universelle
Nombreux sont les lieux qui font référence à la légende de Mélusine. Beaucoup de lieux dont le nom vient de lux (lumière en latin) ont un lien avec Mélusine. On trouve ainsi Lucé, Lucy, Lusigny, Lézignan, Luzy, Leucate, Lausanne, Luxeuil comme lieux pouvant se rattacher à l'histoire de Mélusine. La ville de Melun, en Brie, peut également être originaire de la légende. Dans d'autres châteaux ou forêts, Mélusine apparaît sous d'autres noms et l'histoire diffère quelques peu. Au Luxembourg notamment, la légende de Mélusine se fait très présente et diffère peu de l'histoire originale. Elle est appelée Marluzuzenne en Hainaut, Merluisaine en Champagne, Mélusine dans la Drôme, Mélusanette dans les monts de la Madeleine, indique Pierre Gordon dans son essai « Les Vierges Noires, Mélusine, l’origine des contes de fées ». Elle est dite Malorcine, ou Mélorcine dans certains contes de terroir, par rapport à "orc" qui veut dire ogre. l’Ogresse mythique dévorant le postulant au cours d’une initiation dans l’antre de la vouivre pour le « recracher » ensuite une fois la transformation accomplie, comme le fut Jonas après trois jours passés dans le ventre de la baleine. D’autres fois, elle est dite « Méloursine », ce qui évoque la Grande Ourse, la Polaire, impliquant qu’elle guide vers la lumière. Mais elle est dite également Mélousine, or le mot « oues » désignait jadis l’Oie. Il y avait jadis à Paris, une « rue aux Oues », déformée ensuite en « rue aux Ours » [2]. Cette fois elle présente la facette de la « Mère Loi », gardienne de la Loi Cosmique.
A Gratot, en Cotentin, elle se nomme Andaine, et prie le seigneur d'Argouges, alors sire de Gratot de ne jamais prononcer le mot "mort". Malheureusement, lors d'une fête où la fée tarde à se préparer, son époux s'exclame: "Madame, seriez-vous bonne à aller quérir la mort ?". À ces mots, la fée se précipite du haut de la tour qui porte aujourd'hui son nom. À Sassenage, dans le Dauphiné, elle se métamorphose en Licorne.
Dans toutes les traditions nous avons des femmes et des hommes à queue de serpent : Erechtée le défenseur d’Athènes ; Eros parfois représenté ainsi ; de même l’Isis-Thermoutis des terres cuites du Caire et la déesse égyptienne des moissons Renenoutet, suivant l’exemple de Nuilil, déesse de l’agriculture et de la civilisation des Sumériens ; Nommo le dieu des Dogons du Mali, à une forme anguipède, comme parfois Gargantua ; les nâginis du Népal et de l’Inde…
La christianisation diabolise sa queue de serpent et sa métamorphose en dragon volant. Parallèlement, le catholicisme lui substitue le culte de sainte Venice représentée, surtout sur les vitraux des églises normandes, se baignant habillée, dans un baquet, mais sans queue de serpent !
Henri Dontenville la situe bien comme rattachée à la terre par sa queue de serpent, comme chtonienne et non comme les sirènes à queue de poisson, rattachées, elles, à la mer : « Mélusine (…) est chtonienne, elle n’appartient pas au peuple de la mer, elle sort des entrailles de la terre comme vouivres et dragons » [3].
Extrait du Livre de Mélusine de Jean d'Arras
Voici, dans une adaptation en français moderne[4] du Livre de Mélusine de Jean d'Arras (1392), la scène de sa rencontre avec le chevalier Raymondin. Ce jeune homme vient de causer accidentellement la mort de son oncle, le comte de Poitiers, au cours d'une chasse au sanglier. Fou de douleur, il part au galop, se laissant conduire par son cheval. À minuit, il arrive près d'une source que l'on appelle la Fontaine Enchantée.
Trois dames se baignent dans la fontaine. Mais il passe sans les voir, au galop de son cheval. La plus belle des trois saisit alors la bride du cheval et l'arrête en disant :
- Êtes-vous prétentieux ou mal élevé de passer ainsi devant les dames sans même les saluer ?
Mais Raymondin ne voit rien, n'entend rien. Alors elle lui prend la main et le tire très fort en disant :
- Seigneur chevalier, dormez-vous ?
Et Raymondin sursaute comme un homme qu'on réveille brusquement et met la main à son épée. La dame comprend qu'il ne l'a pas encore vue. Elle se met à rire et lui dit :
- Seigneur chevalier, avec qui voulez-vous donc vous battre ! Vos ennemis ne sont pas ici et moi je suis votre amie. (...)
Quand elle voit qu'il ne veut rien lui avouer, elle lui dit :
- Raymondin, à quoi bon cacher ce que vous avez fait ? Je sais très bien ce qu'il en est. En entendant son nom, Raymondin est si surpris qu'il ne sait que répondre.
- Raymondin, pourquoi te caches-tu ? Je sais bien que tu as tué ton seigneur par erreur.
- C'est la vérité. Mais comment pouvez-vous déjà le savoir ?
- Écoute-moi : si tu veux bien suivre mes conseils, je ferai de toi le plus grand seigneur et le plus puissant du monde.
- Je ferai tout ce qui vous plaira.
- Eh bien vous devez d'abord me promettre de m'épouser.
Et Raymondin répondit qu'il était prêt à le faire.
- Maintenant, Raymondin, jurez-moi que le samedi vous ne chercherez ni à me voir ni à savoir où je serai.
Et Raymondin le lui jura.
[...]
Raymondin épousa la dame mystérieuse et, grâce à elle, put devenir seigneur de Lusignan, près de Poitiers. Il respecta sa promesse de ne pas chercher à voir Mélusine le samedi jusqu’au jour où son frère vient lui rendre visite...
Un samedi, Raymondin et Mélusine sont à Mervent. Raymondin, fidèle a sa promesse, n'a jamais cherché à la voir : d'ailleurs il ne peut pas imaginer qu'elle puisse faire quelque chose de mal. Or, un peu avant le déjeuner, on vient lui dire que son frère, le comte de Forez, est arrivé pour lui rendre visite. Cette visite va lui apporter un bien grand chagrin ! Mais, pour le moment, tout joyeux de sa venue, il organise un accueil merveilleux pour son frère. Puis il part à sa rencontre et lui souhaite gaiement la bienvenue. Ils vont à la messe, puis entrent dans la salle principale du château où ils se mettent à table. Hélas ! C'est à ce repas que le malheur tombe sur Raymondin. Son frère ne peut s'empêcher de lui demander :
- Mon frère, où donc est ta femme ? J'ai vraiment très envie de la voir.
- Mais frère, répond Raymondin, elle est occupée aujourd'hui et vous ne pouvez la voir. Mais demain, vous la verrez, et elle sera heureuse de vous accueillir.
Au lieu de se contenter de cette réponse, le comte de Forez reprend :
- Vous êtes mon frère, alors je ne dois pas vous cacher votre déshonneur. Le bruit court partout que votre femme se cache, tous les samedis, pour mal faire. Et vous êtes si aveugle que vous ne cherchez même pas à savoir où elle va...
À ces mots, Raymondin, fou de colère, repousse la table loin de lui, entre dans sa chambre, prend son épée, la met à sa ceinture et court à l'endroit où il sait bien que Mélusine se cache tous les samedis. Là, il trouve une solide porte de fer, très épaisse. Jamais auparavant il n'avait osé avancer jusque-là. Aussi, voyant la porte, il dégaine son épée et, avec la pointe très dure, il creuse jusqu'à faire un trou.
Il regarde alors à l’intérieur et voit Mélusine dans un grand bassin de marbre, avec des escaliers qui descendent jusqu'au fond. C'est un bassin rond de quinze mètres de tour environ avec des allées tout autour. Et Mélusine se baigne là, mais sous quelle forme !
Raymondin voit Mélusine dans le bassin. Jusqu'au nombril elle ressemble à une femme qui peigne ses cheveux. Mais à partir du nombril elle a une énorme queue de serpent, grosse comme un tonneau, terriblement longue. Avec cette queue elle bat l’eau qui gicle jusqu'au plafond.
Quand il voit cela, Raymondin s'attriste.
- Hélas ! dit-il, mon amour, je viens de voir votre secret, sur les mauvais conseils de mon frère, et j'ai manqué à la parole que je vous avais donnée.
Un immense chagrin l'envahit aussitôt, une tristesse noire remplit son cœur.
Vite, il court à sa chambre, prend un morceau de cire et bouche le trou qu'il a fait dans la porte.
Puis il va dans la grande salle où il retrouve son frère. Celui-ci voit bien cet immense chagrin qui accable Raymondin et pense qu’il vient de découvrir une action abominable de sa femme. Il lui dit alors :
- Mon frère, je le savais bien. Vous venez de découvrir ce que je vous disais.
Mais Raymondin hurle, hors de lui :
- Sors d'ici, ignoble traître ! À cause de vous je viens de trahir le secret de ma femme bien-aimée et toute fidèle à moi. Vous m'avez causé un immense chagrin, vous m'avez enlevé toute joie. Partez, ne restez pas devant mes yeux !
Selon la légende la fée Mélusine aurait construit en une nuit le château de Lusignan (86) à l'époque sur les terres du comte de Poitiers. Elle obtient pour son mari Raymondin le lopin de terres que pourra délimiter une peau de cerf. Rusée, elle fait découper la peau de cerf en fines lanières et obtient auprès d'un comte de Poitiers le domaine de Lusignan où a été construit sans doute le plus grand château-fort de France.
Notes
- ↑ François VIÈTE“Introduction à l’Art analytique”. Cahiers François Viète n° 7, université de Nantes, septembre 2004. Contient : le texte de 1591, la traduction française de F. RITTER, une présentation, des remarques et notes d'A. BOYE. La préfence est intitulée : A LA TRES-ILLUSTRE PRINCESSE MELUSINIDE CATHERINE DE PARTHENAY MERE TRES-PIEUSE DES SEIGNEURS DE ROHAN
- ↑ « Rue aux Ours (D'après Histoire de Paris rue par rue, maison par maison, par Charles Lefeuve, paru en 1875) », www.paris-pittoresque.com, consulté le 8 août 2008
- ↑ « Histoire et Géographie Mythiques de la France », p.187
- ↑ Jean d’Arras, M. Perret (trad.), Livre de Mélusine, éd. Stock-plus, 1979. Une autre adaptation en français moderne : Louis Stouff, Mélusine : roman du {{subst:Nombre en romain|14|subst=subst:}}e siècle, publié pour la première fois d'après le manuscrit de la bibliothèque de l'Arsenal, avec les variantes des manuscrits de la Bibliothèque nationale, Slatkine, 1976, reprod. en fac-sim. de l'éd. de Dijon, 1932.
Voir aussi
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