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La Mort de la Vierge (Caravage)
La Mort de la Vierge Le Caravage, 1601-1605/1606 huile sur toile 369 × 245 cm musée du Louvre La Mort de la Vierge est un tableau de Michelangelo Merisi, dit Le Caravage.
Sommaire
Histoire
Commandé en 1601 pour la chapelle du juriste Laerzio Cherubini à l’église Santa Maria della Scala in Trastevere de Rome, ce tableau de 369 cm x 245 cm n’a dû être achevé qu’en 1605-1606.
Refusé et retiré par les moines de l’église qui le trouvaient indigne du lieu[1], il fut remplacé par une œuvre de même sujet peinte par Carlo Saraceni.
Si peu de personnes furent autorisés à contempler le tableau, il fut mis en sûreté dans la galerie du duc de Mantoue, grâce à Rubens qui en organisa même une exposition publique avant de l'expédier à Rome. Il passa ensuite dans la collection de Charles Ier d'Angleterre puis à celle de Louis XIV par le banquier Jabach. Il est conservé au musée du Louvre.
Composition
Le sujet est la mort de la Vierge Marie, vraisemblablement entourée par certains compagnons du Christ (peut-être saint Jean et saint Pierre, et Marie-Madeleine au premier-plan).
Ce qui frappe lorsqu’on se trouve en face de la toile, c’est sa taille (courante chez le Caravage pour que la taille des personnages soit proche de la réalité). La composition est assez ample : il y a du mouvement, même si les personnages sont pratiquement immobiles : une diagonale part de la gauche et descend jusqu’au visage de la Vierge, le regard va ensuite se poser sur la main de celle-ci avant de terminer son chemin sur la nuque de la femme assise en premier plan et qui pourrait être Marie-Madeleine. Le sens de lecture peut également se faire à l’inverse : en partant de la nuque de Marie-Madeleine pour remonter et finir à gauche sur les derniers personnages.
L’arrière-plan est très sobre, une simple tenture rouge fermant la composition par le haut, en accentuant le côté dramatique du sujet. Le tableau est de dominante assez sombre, avec quelques éclats de lumière venant souligner certains éléments : principalement les têtes et les mains de ceux que nous pourrions appeler les derniers compagnons de la Vierge, ainsi que Marie-Madeleine au premier-plan. Cette technique de clair-obscur, avec une source de lumière latérale, est typique de la sensibilité du Caravage. Ce dernier semble être parti d’un fond sombre, rehaussé petit à petit par des nuances plus contrastées, et pour finir par poser des lumières plus fortes.
Le procédé de clair-obscur a un impact essentiel sur au moins deux aspects :
- en donnant du volume par l’ombre et la lumière il donne chair et vie (et même une sensation de non-vie pour la Vierge) aux personnages, et par là-même accentue fortement côté réaliste de la scène,
- il donne une intensité et un éclairage très dramatique, crépusculaire, qui sied forcément au sujet, bien plus que s’il avait utilisé une simple lumière d’ambiance ou de pleine journée.
Le vêtement de la Vierge est rouge, ce qui la fait ressortir parmi les autres personnages “vivants“ : ce rouge fait écho également à la tenture au dessus, qui permet à cette couleur de “tourner“ dans la composition. Les deux personnages immédiatement au dessus de la Vierge portent des vêtements de couleur verte (tirant sur le vert émeraude pour le personnage de gauche et sur le vert de vessie pour celui de droite). Le vert étant la couleur complémentaire du rouge, Le Caravage se sert également de cette complémentarité pour faire ressortir le corps de la Vierge. Le corps de cette dernière est le plus illuminé de la petite assemblée. La chair est plus nettement plus blanche et moins colorée que celle des autres protagonistes, l’expression “pâleur mortelle“ prenant ici tout son sens.
Analyse
La position des mains et de la tête, de la Vierge, l’expression des protagonistes qui semble mêler l’étonnement à l’affliction, la douleur à la résignation, nous indiquerait que la vie vient juste de quitter son corps, ou s’apprête à le faire de façon imminente. Le tableau, malgré sa taille imposante, n’offre que peu de détails : - les vêtements sont simples, de couleur unie : il n'y a pas de riches étoffes brodées ou chargées de motifs, - la gamme de couleurs est assez sourde et limitée, - on ne trouve pas de ciel nuageux ou lumineux en arrière-plan, pas de paysage finement travaillé (comme c’est parfois le cas chez Léonard de Vinci), pas d’animal en premier-plan, ou de nature morte insérée dans un coin du tableau pour offrir un écho à la signification du tableau, en fait pas d’autre symbole pour nous aider à comprendre ce qui se passe, et qui est suffisamment évident en soi : la Vierge se meurt, et rien ne vient distraire notre attention de cette mort.
Tout nous ramène au corps (déjà ou bientôt) sans vie de cette femme, entrée dans l’histoire pour avoir donné naissance au Christ. Il n’y a pas de romantisme dans la scène, pas le moindre rayon de lumière céleste pour adoucir le propos. Une femme se meurt, elle est visiblement aimée et admirée, et ses compagnons l’assistant dans son dernier souffle sont dans la peine. Rien de magique, rien de surnaturel à cela : à peine si le Caravage suggère-t-il une très légère auréole en train de s’éteindre, seul signe divin apparaissant sur la toile ; seule ce mince cercle nous rappelle que cette femme qui s’éteint est bien la Vierge. Aucune glorification également dans cet événement, c’est presque une mort comme celle de n’importe quelle autre femme à laquelle nous convie Le Caravage. Ses compagnons sont dans l’affliction comme les amis ou la famille de n’importe quelle autre personne aimée agonisant.
Et de ce réalisme naît l’émotion, peut-être parce qu’en rendant son humanité à Marie à travers sa mort, Le Caravage permet - enfin - une forme d’indentification à cette femme qui a quand même enfanté tout en restant vierge. En banalisant (d’une certaine façon) la scène, Le Caravage fait que chaque homme ou femme qui a connu cette épreuve (la perte d’un parent proche) peut y faire référence en regardant la toile. La mort de la mère du Christ devient la mort de toutes les mères, ou plutôt la mort de notre propre mère à laquelle nous avons en principe tous à faire face un jour. Il n’y a pas de laideur ici (comme cela l’a été souvent reproché au Caravage), mais plutôt de la compassion pour tous les protagonistes de la scène, qui sont présentés dans des postures plus réalistes que maniérées bien qu'on ait pu reprocher au peintre l'aspect un peu enflé du corps de la Vierge et ses jambes découvertes et peu de decorum, ce qui pourrait expliquer que la toile a été refusée (commentaires de Roberto Longhi).
La toile dégage également une certaine puissance, comme si tout en évacuant en grande partie la dimension divine du sujet, Le Caravage redonnait une certaine force aux hommes, même à travers un décès. Comme si, en évacuant la sacralité, il redonnait aux hommes la maîtrise leur destinée, la responsabilité de leurs actes. Les apôtres ne sont pas clairement identifiables, et combien sont-ils vraiment dans la toile ? Peu importe… ce qui compte ici ce n’est pas le fait qu’ils soient des apôtres (et donc les messagers du Christ depuis le départ de ce dernier), ce qui compte c’est qu’ils sont juste des hommes qui ont choisi d’être présents pour accompagner un être aimé et respecté dans ses derniers instants. L’œuvre renforce ainsi l’aspect charnel des apôtres et de la Vierge, plutôt que leur dimension spirituelle au sens religieux du terme.
Cette œuvre impressionne par sa monumentalité, son audace, sa maîtrise, et la parfaite homogénéité entre l’interprétation que le peintre veut donner du sujet, et les moyens qu’il utilise pour y parvenir. La spiritualité est ici bien plus humaine que divine, et l’émotion puissante qu’elle dégage naît de la sensation que, par son naturalisme, Le Caravage rend toute leur humanité à des personnages le plus souvent traités comme des icônes.
Notes
- ↑ Le Caravage de Roberto Longhi, traduction française réédition 2004
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