L'Œuf du serpent

L'Œuf du serpent

L'Œuf du serpent

Titre original The Serpent's Egg
Réalisation Ingmar Bergman
Scénario Ingmar Bergman
Acteurs principaux David Carradine, Liv Ullmann, Heinz Bennent, Gert Fröbe
Sociétés de production Dino De Laurentiis et Horst Wendlandt
Pays d’origine Allemagne
Durée 120 minutes

Pour plus de détails, voir Fiche technique et Distribution

L'Œuf du serpent (The Serpent's Egg) est un film allemand réalisé par Ingmar Bergman, sorti en 1977. Le titre fait référence à une tirade de Brutus dans Jules César de Shakespeare : And therefore think him as a serpent's egg / Which hatch'd, would, as his kind grow mischievous; / And kill him in the shell[1].

Sommaire

Synopsis

L'action se déroule à Berlin, entre le 3 et le 11 novembre 1923 (en pleine période d'Hyperinflation de la République de Weimar, avec le chômage, la misère et le désespoir qui l'accompagnent). Le personnage principal s'appelle Abel Rosenberg : forain alcoolique juif venu de Philadelphie, il vit avec son frère qui a divorcé de Manuela après leur émigration en Allemagne. Un soir, alors qu'il rentre ivre, il découvre le corps de son frère Max, qui s'est suicidé en se tirant une balle dans la bouche. Interrogé par le commissaire Bauer, il a l’intuition qu’il est soupçonné d'être l'auteur du meurtre, ainsi que de plusieurs autres perpétrés dans le quartier : il s'étonne en particulier d'une question de l'inspecteur, qui lui demande s'il est d'origine juive.

Dans l'après-midi, Abel se rend à un cabaret où travaille sa belle-sœur ("La mule bleue"), ancienne partenaire des deux frères dans un numéro de trapèze volant, à qui il annonce la nouvelle et donne une lettre presque illisible que Max a laissé en mourant, et qui contient aussi ses économies. Abel rencontre par ailleurs Hans Vergerus, un ancien ami d'enfance devenu savant, qu'il déteste (il évoque un souvenir de lui en train d'ouvrir le ventre d'un chat encore vivant pour lui montrer le coeur qui bat). Le jour suivant, Bauer emmène Abel à la morgue pour identifier des cadavres : Abel se sent injustement soupçonné et essaye en vain de s'échapper. Après une visite de Manuela, il est autorisé à quitter la prison. Les deux ex-acrobates s'avouent leur amour et, malgré la répugnance première d'Abel, trouvent refuge dans un appartement fourni par Vergerus dans les dépendances de sa clinique Sainte-Anna : Abel travaille désormais aux archives, Manuela est affectée à la lingerie.

"La mule bleue" est mise à sac et incendiée par des nazis, son propriétaire juif est battu en public. En rentrant chez lui, Abel découvre le cadavre de Manuela. En brisant l'un des miroirs de la pièce, il constate la présence de caméras dissimulées dans toutes les pièces de l'appartement : Vergerus les filmait en fait depuis le début, et se servait d'eux comme de cobayes pour ses expériences sur le désespoir et la folie.

Après une course-poursuite cauchemardesque dans l'enceinte de la clinique, le savant révèle tout à Abel et se suicide avec une capsule de cyanure juste avant l'arrivée de la police. À l'infirmerie de la prison, Abel apprend qu'Hitler a manqué son coup d'État à Munich.

Autour du film

C'est la première fois que Bergman accepte de tourner en anglais ; jusque là il avait toujours refusé les films proposés par Hollywood que parce qu'on lui imposait des scénarios qu'ils n'avait pas écrit lui-même. La proposition lui est faite alors que Bergman est poursuivi par le fisc suédois pour fraude fiscale : c'est son ami Dino de Laurentiis (producteur de son film précédent, Face à Face) qui, avec Horst Wendlandt, lui donne beaucoup d'argent pour réaliser "le film de ses rêves". Bergman tournera ainsi sa seule superproduction dans les mêmes décors que Berlin Alexanderplatz de R. W. Fassbinder. Eprouvé par la médisance qui a caractérisé le traitement médiatique de son exil fiscal, Bergman s'inspire de cette expérience pour mieux décrire le climat délétère qui règne dans une Allemagne en pleine confusion, à l’ambiance irréelle, peuplée d’une foule hagarde et inhumaine (une scène montre des passants découpants un cheval à mains nues dans la rue, en pleine nuit), presque sous hypnose : c'est celle qui allait porter Hitler à sa tête quelques années plus tard. Lui qui avait souvent flirté avec l'expressionnisme (dans L'heure du loup notamment), Bergman s'essaye ici au film allemand des années 20 à la manière de Fritz Lang ; peu habitué à la reconstitution historique, il s'agit pour lui de l’un de ses films les plus politiques (l’un des seuls également), réalisé alors même que l’Allemagne s’est reconstruite sur une séparation de fait entre RDA et RFA depuis l’après-guerre. L'œuvre fait donc écho à l'histoire qui se construit, en présentant une Allemagne double, ruinée par la guerre en 1923, prompte à revenir à la vie mais vivant une période trouble, double, étrange, que souligne jazz d’après-guerre insouciant qui rappelle les grandes villes européennes et américaines mais qui ici introduit paradoxalement les foules grises, immobiles et ternes du générique de début.

Le Berlin de 1923 est cosmopolite et anonyme, à peine industrialisé, il semble y faire éternellement nuit ; Abel y vit en marge, doit payer en dollars malgré l'illégalité pour vivre convenablement. Bergman insiste sur le contexte de la naissance du « serpent », avec des plans sur les grandes rues vides, la nuit sans éclairage, les quartiers populaires où s'entassent les familles et où sévissent la malnutrition, le chômage, la déflation, l’absence totale de sécurité : la déshumanisation première vient avant tout de cette situation historique exceptionnelle. C'est dans cette société troublée, où « suintent » (selon les mots du narrateur) la dépression et la folie, la misère et le crime, que l’humain, perdu dans la masse, cherche à se libérer, même au prix du plus grand sacrifice, celui de son humanité. Les seuls endroits où la liesse devrait exploser, les cabarets, sont des bouges souterrains où la lumière n’entre pas, où les rapports humains et des atmosphères sont empreints d’un glauque qui unifie tous les espaces, et ce quelle que soit leur ultime finalité : le plaisir du cabaret, l’argent de l’usine, le calme du foyer. La ville elle-même est totalement désorganisée, les lieux de désespoir sont partout ; surtout, les institutions sont devenues des suppôts de corruption sourds à la violence quotidienne. Ainsi Abel, qui a « besoin d'alcool pour dormir », assiste-t-il un soir au lynchage d'un groupe Juifs, au vu et au su de tous y compris de la police, présente sur les lieux. Plusieurs fois les interlocuteurs d’Abel s’arrêtent sur la consonance juive de son nom : alors que la société tente de se réguler par et pour elle-même, certains se voient désignés comme têtes de Turcs de la crise. Comme le dit Abel : « Un poison s’est insinué de toutes parts » : Ce poison, c’est la bête qui rôde dans les ruines berlinoises, celle qui naît au coup d’État manqué à Munich, celle qui croît dans la misère et dans la capacité de l’homme à oublier la dignité d’autrui, à oublier également sa capacité de résistance.

L’Œuf du serpent, dans ses thèmes et dans son fonctionnement, est un film assez particulier dans l'œuvre de Bergman, mais on y retrouve une récurrence des thèmes chers au réalisateur suédois : l’être spectateur de son propre malheur et du malheur d’autrui, des personnages qui contrôlent les cerveaux d'autres par l'angoisse. Abel, comme l’inspecteur Bauer, comprend au fur et à mesure ce qui se trame dans Berlin, mais lui ne cherche pas à y remédier, à « résister passivement » : il préfère la fuite, vers d'autres emplois et vers d’autres femmes. Sa propre peur, qui est celle de tout un peuple, se matérialise déjà dans ce monde cloîtré qui n'a pour décors que des barreaux de prisons, des grilles, des bruits sourds et lancinants, des arrestations sauvages. Cette peur, pourtant rationnelle, mène progressivement à la mécanisation des êtres et à leur hiérarchisation : elle est le produit, comme l’intolérance croissante, d’une certaine folie que Bergman filme en conclusion au travers d’un savant fou qu’Abel découvre dans la cave de l’hôpital où il travaille, en train de travailler à la création d'une nouvelle race d’hommes, qui résisteraient au manque de sommeil, à l’absence de lumière... et, sans doute, à la société allemande elle-même telle qu'elle se constitue dans les années 1920 et 1930, à la veille de l'opération T4 et de la politique hitlérienne. L'aspect étrange, déroutant du dénouement est tout aussi délirant que l'est la société dépeinte, société devenue oeuf en gestation, qui « laisse déjà apparaître à travers sa fine coquille la formation achevée du reptile ».

Fiche technique

Distribution

  • David Carradine : Abel Rosenberg
  • Liv Ullmann : Manuela Rosenberg
  • Heinz Bennent : Hans Vergerus
  • Gert Fröbe : le commissaire Bauer
  • Isolde Barth : La fille en uniforme
  • Toni Berger : Monsieur Rosenberg
  • Christian Berkel : L'étudiant
  • Richard Bohne : L'officier de police
  • Paula Braend : Madame Hemse
  • Erna Brünell : Madame Rosenberg
  • Paul Burian : Le Cobaye
  • Paul Bürks : comédien du cabaret
  • Hildegard Busse : une prostituée
  • Gaby Dohm : La femme à l'enfin
  • Hans Eichler : Max
  • Emil Feist : le grippe-sou
  • Kai Fischer
  • Herbert Fux
  • Renate Grosser : une prostituée
  • Heino Hallhuber : la mariée
  • Georg Hartmann : Hollinger
  • Edith Heerdegen : Madame Holle
  • Rosemarie Heinikel : fille en uniforme
  • Klaus Hoffmann
  • Grischa Huber : Stella
  • Harry Kalenberg : Coroner
  • Volkert Kraeft
  • Andrea L'Arronge : fille en uniforme
  • Gunther Malzacher : un mari
  • Lisi Mangold : Mikaela
  • Beverly McNeely : fille en uniforme
  • Günter Meisner
  • Hubert Mittendorf : Le consolateur
  • Kyra Mladeck : Mademoiselle Dorst
  • Heide Picha : une épouse
  • Hans Quest : Docteur Silbermann
  • Charles Régnier : un docteur
  • Walter Schmidinger : Solomon
  • Irene Steinbeisser : un Groom
  • Fritz Strassner : Dr. Soltermann
  • Glynn Turman : Monroe
  • Ellen Umlauf : La tenancière du bordel
  • Hertha von Walther : une femme dans la rue
  • Wolfgang Weiser
  • James Whitmore : Le prètre
  • Ralf Wolter

Notes et références

  1. La traduction en français de ce vers par François-Victor Hugo : Et, en conséquence, regardons-le comme l'embryon d'un serpent qui, à peine éclos, deviendrait malfaisant par nature, et tuons-le dans l'œuf.. Voir le texte complet sur Wikisource

Voir aussi



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