L'avenir d'une illusion

L'avenir d'une illusion

L'Avenir d'une illusion

L'avenir d'une illusion est un ouvrage de Sigmund Freud, paru en 1927, sous le titre Die Zukunft einer Illusion.

Analyse

L'avenir d'une illusion est sans doute, un des textes de Freud les plus problématique en termes de désir, en effet, à de nombreuses reprises, Freud alterne mélancolie et confiance dans la raison, sa douleur est lisible dans son interrogation sur lavenir de la culture occidentale. «  culture » ( Kultur) et « civilisation » sont pour lui synonymes.

« La culture humainejentends par tout ce en quoi la vie humaine sest élevée au dessus de ses conditions animales et ce en quoi elle se différencie de la vie des bêtes, et je dédaigne de séparer culture et civilisationprésente, comme on sait, deux faces à lobservateur. »

— L'avenir d'une illusion, Ed. PUF, p.6

Pour interroger le devenir de la civilisation, la psychanalyse privilégie le domaine de laltérité, les échanges des hommes entre eux, le problème de la répartition des biens, plutôt que celui de lacquisition du savoir et de la domination progressive de la nature.

Le premier de ces domaines dinvestigation, Freud lappelle «  régulation des affaires humaines » Les hommes tendent à régler leurs rapports intersubjectifs de manière à obtenir le moins de déplaisir possible pour chacun, pour le plus grand nombre. Cette tâche est politique puisquelle suppose déviter la guerre. Le pari est difficile, les hommes ont des tendances antisociales (destruction de lautre aussi bien que de soi), et naiment pas spontanément le travail. Pourquoi ? Le travail, selon Freud, est un jeu dont la satisfaction est différée.

Une majorité dindividus est contrainte par une minorité de privilégiés entretenant un conflit permanent et une répression des désirs. Les foules ( analysées dans «  Psychologie collective et analyse du moi ») sont inintelligentes et inaccessibles aux arguments. Il est nécessaire quelles soient contraintes par une instance gouvernante créée dans le but de préserver la civilisation. Mais ces instances gouvernantes ne sont pas plus intelligentes que les foules elles-mêmes et si un guide sen détache, cest par nécessité vitale et non pour ses capacités. Les hommes ont intériorisé linstance dirigeante sous la forme du « surmoi » en ce qui concerne les interdits majeurs à la base de toute civilisation. Contraints dobéir à des chefs , ils obéissent davantage à une représentation du chef quà un personnage particulier qui nen est quune figure passagère.

« ...on ne peut se dispenser de la domination de la masse par une minorité, car les masses sont inertes et dépourvues de discernement, elles naiment pas le renoncement pulsionnel, ne peuvent être convaincues par des arguments que celui-ci est inévitable, et les individus qui les composent se confortent mutuellement en donnant libre cours à leur dérèglement. Seule linfluence dindividus exemplaires, quils reconnaissent comme leurs meneurs, peut les amener à des prestations de travail et à des renonciations dont dépend lexistence de la culture. »

— L'avenir d'une illusion, Ed. PUF, p.7

Les désirs humains qui, au nom de la préservation de lespèce, demeurent non satisfaits, sappellent privations. Elles ont un sens car elles se fondent sur des interdits : linterdit dinceste, le cannibalisme, le meurtreet sont intégrées par le surmoi. Les privations sont génératrices de productions culturelles, les hommes substituant à ces désirs interdits des pratiques éthiques et singulières pour chaque nation. Ces pratiques substitutives sont respectées par crainte du châtiment.

Dautres désirs également insatisfaits sont de natures différentes et aboutissent à des frustrations. Elles nont pas de sens car nétant pas fondées sur des interdits : la mort na pas de sens( dailleurs linconscient ne la reconnaît pas). Elle na pas de fonction civilisatrice nétant rien dautre quun processus naturel. Lhomme, être parlant, ne peut ladmettre du fait quil ny a rien à en dire. La plupart du temps il se croit immortel, ça narrive quaux autres, mais sangoisse si cela touche un »proche ». Les hommes vont doter de sens et humaniser la nature (mortelle) et ses manifestations. Cest ainsi que naît un processus appelé religion.

« Comme pour lhumanité dans son ensemble, la vie pour lindividu est lourde à supporter. La culture à laquelle il participe lui impose un lot de privations, les autres hommes lui dispensent un degré de souffrance, soit malgré les prescriptions de la culture, soit par suite de limperfection de cette culture. Sy ajoute ce que la nature, non soumise à la contrainte, lui inflige comme dommages et quil appelle destin. Un état dattente angoissée permanent et une grave atteinte au narcissisme naturel devraient être la conséquence de cet état. Comment lindividu réagit aux dommages causés par la culture et par les autres, nous le savons déjà ; il développe, à la mesure de ces dommages, une résistances contre les dispositifs de cette culture, une hostilité à la culture. Mais comment se met il en position de défense contre les surpuissances de la nature, du destin qui le menacent, lui comme tous les autres ? »

— L'avenir d'une illusion, Ed. PUF, p.16


Les premières manifestations religieuses sont lanimisme, soit doter les éléments naturels dintentions et de sentiments humains[1].

Les satisfactions secondaires substitutives aux frustrations ( imposées par la nature) et aux privations ( imposées par la civilisation) naissent du refoulement. On les appelle idéaux et réalisations artistiques. Un idéal est narcissiquement satisfaisant parce que celui qui le défend entre en conflit avec dautres idéaux et le sien lui parait dautant meilleur. Les fonctions de lart , à lopposé, sont anti-conflictuelles, elles exaltent lidentification ( une jouissance en commun) et réconcilient les éléments dune communauté.

Les satisfactions substitutives nées de frustrations occupent une place à part puisque lhomme réagit à la frustration (principalement le fait dêtre mortel) par lidée religieuse ou « illusion ».

Lillusion, contrairement à lerreur qui est une faute objective, est une croyance erronée, motivée par le désir et la subjectivité ; elle est indifférente à leffectivité. Freud la différencie de lidée délirante qui prend la place de leffectivité et sy substitue pour la personne qui en est affectée.

Lillusion subsiste donc en non-contradiction avec une effectivité par ailleurs assumée comme telle. Si Freud réserve à la religion le terme dillusion, il nexclut pas quelle ne recèle aussi des idées délirantes.

Lanimisme sera remplacé par une nouvelle illusion mieux adaptée à la nouvelle conjoncture. Il y aura des dieux dont la fonction sera dabord de réconcilier les hommes avec la mort (réversibilité, passage vers une autre vie…) ensuite dadoucir les privations que la civilisation impose[2], et enfin dexorciser la nature. A cette phase, les idées religieuses ont pour fonction de compenser aussi bien des frustrations que des privations. La figure du père devient alors centrale dans lesprit religieux des hommes. Le père est craint de lenfant qui nen espère pas moins une protection de sa part. De Dieu, lhomme attend le même service. La position du dieu est fragile. Sil commande aux forces naturelles il faut se persuader que ses voies sont insondables, sil a seulement créé la nature, étant donné la façon imprévisible dont celle-ci se conduit et la non-réponse du dieu à leffroi humain, il faut conclure quil a abandonné sa créature. Car sil y est lui-même soumis il perd son statut divin. les hommes sen tirent en déclarant la foi inséparable du doute. Arrivé à un tournant de son histoire, lhomme fait endosser au dieu lorigine de la civilisation en plus de la nature et le charge den faire respecter les règles. Il concentre les qualités divines sur un seul dieu selon un mécanisme inconscient que Freud explique dans la Traumdeutung : la condensation de plusieurs désirs disparates en une seule figure. Dieu finit par être exactement identifié au père :

« Le peuple qui parvint le premier à un telle concentration des propriétés divines ne fut pas peu fier de ce progrès. Il avait dégagé le noyau paternel qui était de tout temps dissimulé derrière chaque figure de dieu ; au fond, cétait un retour aux débuts historiques de lidée de dieu. Dès lors que Dieu était un être unique, les relations à lui pouvaient recouvrer lintimité et lintensité du rapport de lenfant au père. Cependant si lon avait tant fait pour le père, cest quon voulait être récompensé en retour, être pour le moins lunique enfant à être aimé, le peuple élu. »

— L'avenir d'une illusion, Ed. PUF, p.20

La deuxième partie de L’ »Avenir dune illusion «  est centrée sur le problème de la foi chrétienne : lidée religieuse est un dogme qui réclame un acte de foi.

La façon la plus avantageuse de contourner ce problème est le doute qui permet lactivité scientifique non sans tourmenter lobsédé. Une autre façon desquiver la difficulté est de se comporter « comme si » cétait vrai. Les ruse de linconscient font dune foi acharnée un détachement qui est celui de la négation. Le conscient nie ce que linconscient retient ce qui est la façon habituelle dont la névrose se présente. Il est fréquent aussi de masquer Dieu derrière des abstractions «  cest une force qui nous dépasse » , « cest quelque chose tout de même ».

Une seule attitude ne serait pas religieuse : reconnaître son impuissance en face de la nature. Toute démarche visant à se réconforter face à cette situation est forcément religieuse. En vertu du principe de négation, lathéisme parait être une attitude religieuse parmi dautres.

« Que lon réfléchisse à la situation présente, impossible à méconnaître. Nous avons entendu laveu que la religion na plus sur les hommes la même influence que jadis (il sagit ici de la culture euro-chrétienne). Cela, non parce que ses promesses sont devenues plus modestes, mais parce quelles apparaissent aux hommes moins crédibles. Reconnaissons que la raison de cette transformation est le renforcement de lesprit scientifique dans les couches supérieures de la société humaine. Ce nest pas la seule. La critique a entamé la force probante des documents religieux, les sciences de la nature ont montré les erreurs quils contenaient, la recherche comparative a été frappée par la similitude fatale entre les représentations religieuses que nous révérons et les productions de lesprit des époques et peuples primitifs.[3] »

— L'avenir d'une illusion, Ed. PUF, p.39

La conclusion implicite de Freud serait que lhomme occidental néchappe pas à Dieu, étant lhéritier de cette civilisation "euro-chrétienne". Tout au plus peut-il reconnaître que la civilisation est basée sur des interdits(lois)pour survivre et que la religion nest que la consolation ,la compensation des hommes aussi bien privés par les interdits que frustrés par la nature. Autrement dit ; lessence même de la religion nest pas la loi en soi : elle nest pas non plus « naturelle ». Elle se situe à un niveau lhomme est un enfant devant un père, dans un registre qui est celui de la névrose, implique que le père nest pas mort, est donc à craindre, et quon peut en tirer des satisfactions des récompenses etc.

Lavenir des idées religieuses en tant quillusions paraît florissant à Freud. Alors même que la science se développe et devrait éliminer les causes de croyances religieuses, ce fait transforme des attitudes religieuses classiques en attitudes athées, sceptiques et autres variantes qui signifient seulement que lhomme se dissimule, quil est resté un enfant dépendant dun père. Freud ne prône toutefois pas l'abandon immédiat de l'éducation religieuse au profit de la science ; dans les derniers chapitres de son ouvrage, il nous dit clairement, conclusion assez paradoxale, que supprimer l'éducation religieuse serait une grosse erreur[4].

Bibliographie

  • L'avenir d'une illusion (1927) (Ed.: PUF, 2004, (ISBN 2130547028))

Références

  1. On comparera utilement cette vision de Freud à celle, postérieure, de Geoffrey Miller dans The Mating Mind. Pour ce dernier, deviner les intentions de ce qui se trouve en face - homme ou animal - état une condition de survie importante des hommes primitifs, et l'extension d'une intentionnalité à l'environnement n'en était qu'un effet collatéral
  2. À rapprocher de la vision de Marx pour qui la religion est "l'âme d'un monde sans âme, (...) l'opium du peuple. L'opium était utilisé à l'époque pour soulager les derniers instants des mourants.
  3. L'avenir d'une illusion,
  4. Cette position a été reprise par Daniel Dennett et l'oppose en cela à Richard Dawkins; BBC, The Atheism Tapes, série de 6 émissions.
  • Portail de la psychologie Portail de la psychologie
Ce document provient de « L%27Avenir d%27une illusion ».

Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article L'avenir d'une illusion de Wikipédia en français (auteurs)

Игры ⚽ Нужно решить контрольную?

Regardez d'autres dictionnaires:

  • L'Avenir D'une Illusion — est un ouvrage de Sigmund Freud, paru en 1927, sous le titre Die Zukunft einer Illusion. Analyse L avenir d une illusion est sans doute, un des textes de Freud les plus problématique en termes de désir, en effet, à de nombreuses reprises, Freud… …   Wikipédia en Français

  • L'Avenir d'une illusion — (Die Zukunft einer illusion) Auteur Sigmund Freud Genre Psychologie Pays d origine  Autriche Lieu de parution …   Wikipédia en Français

  • Le Passe d'une illusion — Le Passé d une illusion Le Passé d’une illusion Auteur François Furet Genre Essai historique Pays d origine  France Éditeur Calmann Lévy et Robert Laffont …   Wikipédia en Français

  • Le Passé D'une Illusion — Le Passé d’une illusion Auteur François Furet Genre Essai historique Pays d origine  France Éditeur Calmann Lévy et Robert Laffont …   Wikipédia en Français

  • Le passé d'une illusion — Le Passé d’une illusion Auteur François Furet Genre Essai historique Pays d origine  France Éditeur Calmann Lévy et Robert Laffont …   Wikipédia en Français

  • Le Passé d'une illusion — Auteur François Furet Genre Essai historique Pays d origine  France Éditeur …   Wikipédia en Français

  • ILLUSION — ILLUSI Métaphoriquement dérivé de la réduction psychologique des enchantements magiques et des découvertes de l’optique géométrique, couronnant, avec Kant, la critique relativiste de l’optimisme leibnizien, le concept moderne d’illusion a conquis …   Encyclopédie Universelle

  • Die Zukunft einer Illusion — L Avenir d une illusion L avenir d une illusion est un ouvrage de Sigmund Freud, paru en 1927, sous le titre Die Zukunft einer Illusion. Analyse L avenir d une illusion est sans doute, un des textes de Freud les plus problématique en termes de… …   Wikipédia en Français

  • Illusion comique — L Illusion comique L’Illusion comique Édition princeps Auteur Pierre Corneille Genre Pièce de théâtre Pays d origine …   Wikipédia en Français

  • Illusion du changement — Changement Le changement est le passage d un état à un autre. Suivant la nature, la durée, l intensité de ce passage, on parlera d évolution, de révolution, de métamorphose, de transformation, de modification, de mutation (une transformation… …   Wikipédia en Français

Share the article and excerpts

Direct link
https://fr-academic.com/dic.nsf/frwiki/935411 Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”