Jean de la Bruyère

Jean de la Bruyère

Jean de La Bruyère

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Jean de La Bruyère
Portrait attribué à Nicolas de Largillière.
Portrait attribué à Nicolas de Largillière.

Activité(s) Ecrivain
Naissance 16 août 1645
Paris
Décès 11 mai 1696
Versailles
Genre(s) Morale

Jean de La Bruyère, à Paris le 16 août 1645 et mort à Versailles le 10 mai 1696, est un moraliste français.

La Bruyère est célèbre pour une œuvre unique, Les Caractères ou Les mœurs de ce siècle (1688). Cet ouvrage, constitué dun ensemble de brèves pièces littéraires, compose une chronique essentielle de lesprit du XVIIe siècle.

La Bruyère fut lun des derniers écrivains à mettre en avant le « style » littéraire, en développant un phrasé rythmé dans lequel les effets de rupture sont prépondérants. Ce style incite à la lecture à haute voix, donnant ainsi à cette activité le statut de jugement moral de par leffet rhétorique obtenu par la lecture orale sur les auditeurs. La Bruyère consacre au demeurant toute une section des Caractères aux effets pervers de léloquence. Nombre décrivains ont suivi le chemin stylistique tracé par La Bruyère : depuis Marivaux jusqu'à Balzac et Proust, en passant par André Gide.

Sommaire

Biographie

Jeunesse

On a longtemps cru quil était dans un village voisin de Dourdan, jusquà ce que lon eût retrouvé son acte de baptême, qui établit quil a été baptisé le 16 août 1645 à léglise Saint-Christophe, dans la Cité. Il était le fils aîné de Louis de La Bruyère, contrôleur général des rentes de lHôtel de Ville, bourgeois de Paris, et dElisabeth Hamonyn. Son trisaïeul paternel, Jean de La Bruyère, apothicaire dans la rue Saint-Denis, et son bisaïeul, Mathias de La Bruyère, lieutenant civil de la prévôté et vicomté de Paris, avait joué, au XVIe siècle, un rôle actif dans la Ligue. Il fut vraisemblablement élevé à lOratoire de Paris, et, à vingt ans, obtint le "titre" de licencié de droits à lUniversité d'Orléans. Il revint vivre à Paris avec sa famille, dont la situation de fortune était assez aisée, et fut inscrit au barreau, mais plaida peu ou point. En 1673, il acheta une charge de trésorier général de France au bureau des finances de la généralité de Caen, charge qui valait une vingtaine de milliers de livres, rapportait environ 12 350 livres par an, et conférait en outre lanoblissement ; il fit le voyage de Normandie pour son installation, puis, les formalités remplies, il retourna à Paris et ne parut plus à Caen. Il vendit sa charge en 1686. Depuis le 15 août 1684, il était lun des précepteurs du jeune duc de Bourbon, petit-fils du grand Condé. Cet emploi fut confié à La Bruyère, daprès labbé dOlivet, sur la recommandation de Jacques-Bénigne Bossuet, « qui fournissait ordinairement aux princes, a dit Fontenelle, les gens de mérite dans les lettres dont ils avaient besoin ». On ignore dailleurs comment La Bruyère connaissait Bossuet.

Précepteur du duc de Bourbon

Le jeune duc de Bourbon était âgé de seize ans, et il venait dachever sa seconde année de philosophie au collège de Clermont, qui était dirigé par les jésuites. Cest avec deux jésuites encore, les pères Alleaume et du Rosel, et avec le mathématicien Sauveur, que La Bruyère partagea le soin dachever léducation du jeune duc, auquel il était chargé denseigner, pour sa part, lhistoire, la géographie et les institutions de la France. Condé suivait de près les études de son petit-fils, et La Bruyère, comme les autres maîtres, devait lui faire connaître le programme de ses leçons et les progrès de son élève, qui, à vrai dire, était un élève assez médiocre. Le 24 juillet 1685, le duc de Bourbon épousa Mlle de Nantes, fille de Louis XIV et de Françoise de Montespan, qui était âgée de onze ans et dix mois ; La Bruyère fut invité à partager ses leçons entre les deux jeunes époux. Le 11 décembre 1686, Condé mourut à Fontainebleau, et léducation du duc de Bourbon fut considérée comme terminée. La Bruyère resta néanmoins dans la maison de Condé en qualité de gentilhomme de Monsieur le duc, ou « dhomme à son petit-fils, lélève de La Bruyère», « sa férocité était extrême et se montrait en tout. Cétait une meule toujours en lair, qui faisait fuir devant elle, et dont ses amis nétaient jamais en sûreté, tantôt par des insultes extrêmes, tantôt par des plaisanteries cruelles en face, et des chansons quil savait faire sur-le-champ, qui emportaient la pièce et qui ne seffaçaient jamaisIl se sentait le fléau de son plus intime domestique… » La Bruyère, qui avait naturellement lhumeur sociable et le désir de plaire, souffrit de la contrainte que lui imposait lobligation de défendre sa dignité. Il évita les persécutions auxquelles était en butte le pauvre Santeul, mais on sent lamertume de lamour-propre blessé dans les plus âpres passages de son chapitre des Grands.

Le succès

Page de garde la troisième édition

La première édition des Caractères parut en mars 1688, sous ce titre : les Caractères de Théophraste, traduits du grec, avec les Caractères ou les mœurs de ce siècle. À Paris, chez Étienne Michallet, premier imprimeur du Roy, rue Saint-Jacques, à lImage Saint Paul. M. DC. LXXXVIII. Avec privilège de Sa Majesté, in °12. — Le nom de lauteur ne figura sur aucune édition publiée de son vivant.

Bien que cette première édition contint surtout des remarques, et presque point de portraits, le succès fut tout de suite très vif, et deux autres éditions parurent dans la même année 1688, sans que La Bruyère eût le temps de les augmenter notablement. En revanche, la 4e éd. (1689) reçut plus de 350 caractères inédits; la cinquième (1690), plus de 150; la sixième (1691) et la septième (1692), près de 80 chacune; la huitième (1693), plus de 40, auxquels il faut ajouter le discours à lAcadémie. Seule la 9e édition (1696), qui parut quelques jours après la mort de La Bruyère, mais revue et corrigée par lui, ne contenait rien dinédit. La vente de son ouvrage nenrichit point La Bruyère, qui davance en avait destiné le produit à doter la fille de son libraire Michalletcette dot fut de 100,000 F environ suivant certaines estimations, et de 200 000 à 3 000 000 F suivant dautres.

La Bruyère à lAcadémie

La Bruyère se présenta à lAcadémie en 1691, et ce fut Pavillon qui fut élu. Il se représenta deux ans plus tard, et cette fois fut élu, le 14 mai 1693, en remplacement de labbé de La Chambre. C'est d'ailleurs à cette époque que La Bruyère fit la connaissance de Thibaut Creux De Cambrai, renommé pour avoir été le premier officier roturier à être décoré de l'Ordre de Saint Louis. Il avait été chaudement recommandé par le contrôleur général Pontchartrain. Son discours de réception, quil prononça le 15 juin de la même année, souleva des orages. Il fut violemment attaqué dans la Mercure Galant, quil avait placé jadis « immédiatement au-dessous de rien », et dont les principaux rédacteurs, Thomas Corneille et Fontenelle, ne lui pardonnèrent pas davoir fait léloge, dans ce discours, des chefs du parti des Anciens, Bossuet, Boileau, La Fontaine, et surtout davoir exalté Racine aux dépens de Corneille. La Bruyère répliqua à larticle du Mercure dans la préface de son discours, et il se vengea de Fontenelle en publiant dans la 8e éd. de son livre le caractère de Cydias, dont tout le monde reconnut loriginal.

La fin de sa vie

Les dernières années de la vie de La Bruyère furent consacrées à la préparation dun nouvel ouvrage, dont il avait pris lidée dans ses fréquents entretiens avec Bossuet : cest à savoir les Dialogues sur le Quiétisme, quil laissa inachevés. Ils ont été publiés après sa mort, en 1699, par labbé du Pin, docteur en Sorbonne, qui compléta les sept dialogues trouvés dans les papiers de La Bruyère, par deux dialogues de sa façon. Il est probable quil ne se gêna point non plus pour remanier les sept premiers; mais, avec cette réserve, lauthenticité des Dialogues, qui nétait point admise par Walckenaër, parait certaine au plus récent éditeur de La Bruyère, M. G. Servois. Ajoutons que lon a vingt lettres de La Bruyère, dont dix-sept sont adressées au prince de Condé, et nous aurons achevé lénumération de ses œuvres complètes.

Il mourut à Versailles, dans la nuit du 10 au 11 mai 1696, dune attaque dapoplexie. Le récit de sa fin nous a été transmis par une lettre dAntoine Bossuet, frère de lévêque de Meaux. « Javais soupé avec lui le mardi 8, écrit-il; il était très gai et ne sétait jamais mieux porté. Le mercredi et le jeudi même, jusquà neuf heures du soir, se passèrent en visites et en promenades, sans aucun pressentiment; il soupa avec appétit, et tout dun coup il perdit la parole et sa bouche se tourna. M. Félix, M. Fagon, toute la médecine de la cour vint à son secours. Il montrait sa tête comme le siège de son mal. Il eut quelque connaissance. Saignée, émétique, lavement de tabac, rien ny fitIl mavait lu [deux jours auparavant] des Dialogues quil avait faits sur le quiétisme, non pas à l'imitation des Lettres Provinciales' (car il était toujours original), mais des dialogues de sa façon. Cest une perte pour nous tous; nous le regrettons sensiblement. » Bossuet lui-même écrivait de son côté le 28 mai : « Toute la cour la regretté, et monsieur le Prince plus que tous les autres. » Enfin, voici dans quels termes Saint-Simon a enregistré sa mort : « Le public perdit bientôt après (1696) un homme illustre par son esprit, par son style et par la connaissance des hommes : je veux dire La Bruyère, qui mourut dapoplexie à Versailles, après avoir surpassé Théophraste en travaillant daprès lui, et avoir peint les hommes de notre temps, dans ses nouveaux caractères, dune manière inimitable. Cétait dailleurs un fort honnête homme, de très bonne compagnie, simple, sans rien de pédant, et fort désintéressé. Je lavais assez connu pour le regretter, et les ouvrages que son âge et sa santé pouvaient faire espérer de lui. »

La Bruyère mourait célibataire et pauvre. Sa mort, « si prompte, si surprenante », suivant les expressions de son successeur à lAcadémie, labbé Claude Fleury, fit naître le soupçon quil aurait été empoisonné, dans léglise Saint-Julien, qui a été démolie en 1797.

Regards sur l'œuvre

On a voulu faire de La Bruyère une sorte de réformateur, de démocrate, un « précurseur de la Révolution française ». Les passages abondent dans son livre lon voit quil partage, au contraire, et quil accepte toutes les idées essentielles de son temps, en politique comme en religion. Il critique les abus, mais il respecte les institutions son principe était de montrer aux gens leurs défauts afin qu'ils puissent se corriger . Il reconnaît même que certains maux sont inévitables. Il avait trop lamour de son art pour être un révolté, et, comme la remarqué Nisard, il ne pouvait haïr ce quil peignait si bien. Ceci posé, il reste que le ton des Caractères est presque constamment celui de la plus mordante satire. Il y avait en La Bruyère un mélange singulier dorgueil et de timidité, dambition secrète et de mépris pour les ambitieux, de dédain des honneurs et de conscience quil en était digne; il ressentit profondément, malgré son affectation dindifférence stoïcienne, linégalité de son mérite et de sa fortune. Et son grand grief contre la société du XVIIe siècle est précisément de ne pas faire sa place au mérite personnel. « Domestique » de ces Condé, dont nous avons indiqué daprès Saint-Simon le caractère détestable, il eut plus quun autre à se plaindre de la morgue des grands et de leur injustice à légard dhommes « qui les égalent par le cœur et par lesprit et qui les passent quelquefois ». Doué dune sensibilité profonde et délicate, qui nous est attestée par certaines de ses réflexions sur lamour et sur lamitié, il nest pas étonnant si La Bruyère, dont les instincts naturels étaient constamment froissés, finit par concevoir quelque amertume contre linjustice du sort et lépancha dans son livre.

Son humeur aigrie fut admirablement servie par un style incisif, âpre, nerveux, hardi jusquà la brutalité. Sa phrase, courte, brusque, saccadée, est déjà celle du XVIIIe siècle ; le réalisme de lexpression, la crudité de certains traits, la tendance à peindre lextérieur, les gestes des personnages, sont presque du XIXe. Et il nous ressemble encore par un trait qui le distingue de ses contemporains; il est le premier écrivain pour qui le style ait eu une valeur propre, indépendante du sujet. Il est le premier en date des stylistes.

Citations

  • Préface
  • « Jai pris un trait dun côté et un trait dun autre ; et de ces divers traits qui pouvaient convenir à une même personne, jai fait des peintures vraisemblables […] Il faut que mes peintures expriment bien lhomme en général, puisquelles ressemblent à tant de particuliers ».
  • « Ceux enfin qui font des maximes veulent être crus: je consens, au contraire, que lon dise de moi que je nai pas quelquefois bien remarqué, pourvu que lon remarque mieux. »
  • Du cœur
  • « I2 (IV) Lamour qui naît subitement est le plus long à guérir. »
  • « Le plaisir le plus délicat est de faire celui dautrui. »
  • De la cour
  • «10 (VI) La cour est comme un édifice bâti de marbre : je veux dire quelle est composée dhommes fort durs, mais fort polis. »
  • « 22 (VI) Lon se couche à la cour et lon se lève sur lintérêt (...): quel moyen de demeurer immobile tout marche, tout se remue; et de ne pas courir les autres courent? (...) question si épineuse, si embarrassée, et dune si pénible décision, quun nombre infini de courtisans vieillissent sur le oui et sur le non, et meurent dans le doute. »
  • « I0I (VI) La ville dégoûte de la province; la cour détrompe de la ville, et guérit de la cour.

(I) Un esprit sain puise à la cour le goût de la solitude et de la retraite. »

  • Des grands
  • « 22 (V) (...) Les grands sont odieux aux petits par le mal quils leur font, et par tout le bien quils ne leur font pas (...). »
  • « 29 (I) (...) ils songent à eux-mêmes, (...): cela est naturel. »
  • « 36 (IV) Tu es grand, tu es puissant : ce nest pas assez; fais que je testime (...). »
  • « 56 (I) Lon doit se taire sur les puissants: il y a presque toujours de la flatterie à en dire du bien; il y a du péril à en dire du mal pendant quils vivent, et de la lâcheté quand ils sont morts. »
  • « Quil est difficile dêtre content de quelquun. »

Liens externes

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Précédé par
Pierre Cureau de La Chambre
Fauteuil 36 de lAcadémie française
1693-1696
Suivi par
Claude Fleury
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