- Jean de Léry
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Jean de Léry, né vers 1536 à La Margelle, terre de Saint-Seine (actuelle Côte-d'Or, France), mort vers 1613 à L'Isle (Suisse) à l’âge de 77 ans, est un voyageur et écrivain français.
Sommaire
Biographie
D’origine très modeste, Jean de Léry apprend le métier de cordonnier. Il se convertit à la Réforme et se réfugie en Suisse à Genève. En 1557, Jean Calvin l'envoie avec treize autres Genevois rejoindre la « France antarctique » de Nicolas de Villegagnon, établissement français dans l'actuelle baie de Rio de Janeiro. Il y reste du 7 mars 1557 au 4 janvier 1558. La concorde religieuse semble d'abord régner mais, en octobre, les protestants sont chassés de « l'île Coligny » ou Fort Coligny et doivent partager la vie des Indiens Tupinambas, avant d'être définitivement expulsés du Brésil. Ces quelques mois passés dans l’intimité d’anthropophages marquent profondément Léry, déchiré son admiration des « sauvages » et son rejet du paganisme. À son retour, ses amis le prient d'écrire un livre pour conter ses expériences, mais il perd deux fois le manuscrit après l’avoir prêté à des amis pour qu’ils le lisent. Il ne le publie qu’en 1578, sous le titre Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil. L'ouvrage se présente d’abord comme une réponse à André Thevet qui rejetait la responsabilité de l’échec de la colonie en France Antarctique sur les protestants.
À son retour en France, pendant les guerres de religion (France), il doit se réfugier à Sancerre après le massacre de la Saint-Barthélemy, en 1572. Il y connaît la famine lorsque la ville est assiégée par les catholiques l’année suivante. Il est notamment le spectateur d’une scène d’anthropophagie, où un couple affamé en vient à manger son enfant, qui lui rappelle les scènes de cannibalisme qu’il a pu observer lors de son séjour au Brésil. Ces événements sont relatés dans l’Histoire mémorable du siège de Sancerre, que Léry fait publier en 1574.
Longtemps méconnue, l’œuvre de Jean de Léry a bénéficié d’un regain d’intérêt, notamment grâce à l’éloge qu’en a fait Claude Lévi-Strauss dans Tristes Tropiques et à l’étude fondatrice que lui a consacrée Michel de Certeau dans L'écriture de l'Histoire. Frank Lestringant, spécialiste de la littérature de voyage, a accordé une large place aux ouvrages de Jean de Léry comme à ceux d’André Thevet .
Œuvre
Jean de Léry est l’auteur de deux livres :
- Histoire mémorable du siège de Sancerre (1574)
- Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil (première édition 1578).
Dans son livre le plus populaire, Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil, Léry décrit plusieurs aspects de la vie des indigènes. Les jugements qu'il porte sur eux semblent un peu contradictoires. Il les respecte et les craint. Il les représente comme des gens beaux et forts mais aussi primitifs et bestiaux. Au chapitre VIII, il confronte leur nudité avec l’habillement recherché des Européennes, conçu pour séduire et inciter au vice. Mais il ne suggère pas d'en revenir à la nudité, comme l'ont fait les adamites de Bohême : il défend au contraire la modestie dans l'habillement.Les parallèles entre indigènes et Européens sont récurrents. Les Caraïbes ont les mêmes caractéristiques que les prêtres de l’Église catholique de son temps : ils sont superstitieux et très puissants. Les indigènes apparaissent comme plus raisonnables et même plus humains que les paysans en France. En accueillant les étrangers, ils semblent beaucoup plus hospitaliers que les Français dont la politesse est artificielle.
Les Tupinambas sont à peu près comme les hommes qui habitaient le jardin d’Eden. Sans péché, ils vivent simplement au paradis avant la Chute, sans les maux de la société. Par contre, ils sont anthropophages. Ils tuent leurs ennemis et les cuisent sur le boucan. Tous les membres de la tribu mangent une partie du prisonnier de guerre. Cette cérémonie prouve la puissance de la tribu mais ces rites cannibales démontrent aussi le respect pour les ennemis. Les Français, d’un autre côté, font des choses horribles à leurs voisins. Ces comparaisons résultent probablement des guerres de religion qui commençaient quand Léry est revenu en France et de la déception qu’elles pouvaient inspirer quant aux mœurs des Européens.
Ce livre révèle que Léry était un homme à la fois ouvert et dogmatique dont les préjugés étaient essentiellement religieux. Il considère le christianisme comme la vérité absolue. Dans le chapitre XVI, il remarque que la seule croyance religieuse des Tupinambas est la peur du diable. Ils ont peur du tonnerre parce que c’est le bruit causé par Aygnan, leur personnification du mal. Léry échoue à convertir les Tupinambas parce qu’ils ignorent la différence entre le vice et la vertu et nient l’existence de Dieu. La langue devient un grand problème quand on ne peut pas bien expliquer le divin. En leur enseignant, Léry doit utiliser les gestes et les mots simples. De l’autre côté, il compare les Caraïbes aux prêtres européens qui ont toute la puissance du peuple et vendent leurs pouvoirs prétendus. Malgré toutes leurs fautes, Léry trouve qu’ils ont les mêmes idées de la résurrection du corps et l’immortalité de l’âme que les chrétiens. De cette façon, les indigènes sont supérieurs aux athées en France.
On peut reconnaître l’influence de cette œuvre de Léry sur l’essai de Michel de Montaigne, Les Cannibales. Malgré les similarités du sujet, les deux auteurs ont des buts différents. Montaigne présente les indigènes d’une façon abstraite, mais Léry en parle sur la base d'une expérience personnelle. Le romancier Jean-Christophe Rufin a tiré de cet ouvrage son roman Rouge Brésil (Gallimard, Prix Goncourt 2001).
Le cannibalisme dépeint par Jean de Léry et ses contemporains
Les images éloquentes de Léry
Jean de Léry est le premier Européen à analyser une civilisation des Amériques en prenant une position d’anthropologue. Son Histoire d’un voyage fait en la terre du Brésil, publiée en 1575, répond au récit d’André Thévet, Les singularitez de la France antarctique, autrement nommee Amerique, & de plusieurs terres et isles decouvertes de nostre temps, publié en 1557. Selon Léry, le livre de Thévet est « farci de mensonges »[1]. C’est ainsi que Léry décide de réciter les « calomnies [que Thevet] a [mises] en avant »[1]. Léry n’argumente pas seulement au moyen de mots, mais aussi de dessins. Images de Léry
Le manuscrit de Léry inclut plusieurs dessins qu’il a fait de ses souvenirs du Brésil et où il manifeste ses sentiments envers les Tupinambas. Le mot cannibale apparaît souvent dans son récit, mais il n’a jamais une connotation négative. Léry « offre de l’Indien du Brésil, [un homme] libre, nu [et] vertueux »[2]. Les dessins de Thevet, par contre, décrivent des cannibales répugnants. Léry présente une interprétation différente de la notion de cannibalisme parmi les Tupinambas. Les images de Léry montrent souvent les Tupinambas lors de célébrations, et jamais de boucheries humaines comme chez Thevet. Car selon Léry, « le cannibalisme est une affaire de vengeance »[3].
Le protestant Jean de Léry avait pour but de corriger et clarifier ce qu’avait dit le catholique André Thévet. Par comparaison avec celles de Thévet, ses images critiquent le massacre de la Saint-Barthélemy (1572). Le cannibalisme des ennemis pratiqué par les Tupinambas est un rite traditionnel et guerrier, alors que le massacre des protestants a consisté à tuer sans raison ni rite des milliers d’innocents et de civils. Léry montre avec ses images que les cannibales du Brésil sont en fait plus civils ou humains que les catholiques qui ont massacré les protestants.
André Thévet et les "cannibales" du Brésil
Au seizième siècle, André Thévet, cosmographe du roi de France partit avec l'explorateur Villagnon au Brésil pour trouver de nouvelles terres à coloniser. Andre Thévet a publié ses découvertes dans ses deux récits: Cosmographie universelle (le livre XXI est consacré aux Tupinambas) publié en 1575, puis Les Singularitez de la France antarctique publié en 1557[4]. La tribu qu’il a observée et sur laquelle il a formulé ses conclusions était les Tupinambas du Brésil, selon lui, « le peuple le plus cruel et inhumain de toute l'Amérique » et qui mange « ordinairement chair humaine, comme nous ferions du mouton »[5]. Auprès de cette même tribu, Jean de Léry a passé dix mois. Le chapitre pour lequel Thévet fut le plus critiqué par ce dernier est celui qui porte sur le cannibalisme. Ce chapitre contient des gravures de batailles épiques comme de l'abattage et de la consommation humaine; on y voit même des enfants qui jouent avec une tête humaine séparée du corps comme avec un ballon. Images de Thévet
Les gravures de Thévet
Sur une des gravures, Contenance des Sauvages devant que venir au combat, dans la scène d'une bataille une anamorphose fait apparaître un homme avec les bras et les jambes allongées[6]. Sur une autre gravure, Comme ce peuple couppe et porte le Brésil és navires, les indigènes utilisent des outils européens alors cela « paraît quelque peu insolite dans la scène d'anthropophagie rituelle où la société indigène est prétendument dépeinte en elle-même »[7].
Selon Lestringant, la raison pour laquelle les gravures exagèrent tellement est de montrer le manque de civilisation des Tupinambas pour inciter les Français à coloniser la région[7]. De plus, les images qu’André Thévet a créées du roi Aztèque, Moctezuma le second, manquent de crédibilité : les images monarchistes militent de fait en faveur de la colonisation du Nouveau Monde par les Espagnols[8].
Et la suite
Les deux œuvres de Thévet provoquent la réponse de Jean de Léry qui, dans son récit Histoire d'un voyage faict en la terre du Brésil, combat la cosmographie catholique et les autres expositions de Thévet[9].
La représentation des anthropophages selon Hans Staden
La controverse des images est continuée par celle des représentations. Un Chrétien peut-il décrire le cannibalisme sans préjugé?
Hans Staden, un marin et soldat allemand, écrivit Nus, féroces et anthropophages (1557) pour raconter ses aventures pendant dix mois comme prisonnier des Tupinambas[10].
Il y a deux interprétations de la représentation des anthropophages dans ce récit. Selon l’anthropologue William Arens, Staden a des préjugés contre les autochtones brésiliens avant d’aller au Nouveau Monde : il croit que les autochtones sont plus animaux qu’humains[11]. Staden croit que les Tupinambas ne sont pas des « vrais » humains. Les « vrais » humains ont une culture. Les Tupinambas, puisqu’ils sont anthropophages, semblent en manquer pour cet observateur : pour Staden, la capacité de manger la chair humaine implique une animalité et une absence des traits humains[12]. Encore d’après Arens, Staden est très sexiste envers les femmes Tupinambas. Staden présente les femmes comme les « plus sauvages des sauvages »; elles montrent plus d’enthousiasme pour manger la chair humaine que les hommes[13]. Selon H. E. Martel, Staden nie l’hospitalité des Tupinambas et il dramatise le mauvais traitement qu’il a subi[14].
Par contre, Donald Forsyth soutient que le récit de Staden est le résultat de ses observations et non de ses préjugés[15] : ce serait un compte-rendu descriptif et simple en un style objectif[12].
Contrairement à ses contemporains, André Thévet et Jean de Léry, Staden n’utilise pas son récit et les descriptions du cannibalisme comme véhicule pour ses idéologies religieuses[16]. De plus, Staden ne souligne pas la nature ritualiste ou sacrificielle du meurtre de la victime du cannibalisme (comme un genre du baptême) ainsi que le font Thevet et Léry[17].
Bibliographie
- Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil. Édition de Frank Lestrignant, Presses du Languedoc/Max Chaleil Éditeur,1992, ISBN 2-84062-002-2
- Histoire d'un voyage fait en la terre du Brésil. Édition de Paul Gaffarel, Lemerre, 1880. Lire en ligne sur Wikisource.
- Véronique Larcade, « Jean de Léry au siège de Sancerre », in Histoire d'un voyage en la terre du Brésil. Journée d'études Jean de Léry, Centre Montaigne, Université Michel de Montaigne-Bordeaux III, Pessac, 2000, pp. 49-87.
Liens internes
Références
- Jean de Léry, Histoire d’un voyage faict en la terre du Brésil. Librairie Générale Française, (1994) : 63.
- Marie-Noëlle Bourguet. Frank Lestringant, Le Huguenot et le Sauvage. L'Amérique et la controverse coloniale en France, au temps des guerres de religion, Annales. Économies, Sociétés, Civilisations, vol. 47, n° 4, pp. 917-920, (1992) : 918.
- Lestringant, Frank. Le Cannibale. Paris, Librairie Académique Perrin, (1994) : 125.
- Frank Lestringant, L’Experience huguenote au nouveau monde, Genève : Librairie Droz SA, 1996
- Frank Lestringant, Le Cannibale : grandeur et décadence, Paris: Librairie Académique (1994) : 91
- Frank Lestringant, L’Experience huguenote au nouveau monde, Genève : Librairie Droz SA (1996) : 67
- Frank Lestringant, L’Experience huguenote au nouveau monde, Genève : Librairie Droz SA (1996) : 71
- P. T. Hajovsky, « Andre Thevet's 'true' portrait of Moctezuma and its European legacy », World and Image, 25, 4 (2009): 335-352
- Frank Lestringant, Le Cannibale : grandeur et décadence, Paris: Librairie Académique (1994) : 124
- H. E. Martel, « Hans Staden’s Captive Soul: Identity, Imperialism, and Rumors of Cannibalism in Sixteenth-Century Brazil, » Journal of World History, 17, 1 (2006): 57.
- William Arens, cité dans Donald W. Forsyth, « Three Cheers for Hans Staden: The Case for Brazilian Cannibalism, » Ethnohistory, 32, 1 (1985): 27.
- Donald W. Forsyth, « Three Cheers for Hans Staden: The Case for Brazilian Cannibalism, » Ethnohistory, 32, 1 (1985): 18.
- Donald « Three Cheers for Hans Staden: The Case for Brazilian Cannibalism, » Ethnohistory, 32, 1 (1985): 24.
- H. E. Martel, « Hans Staden’s Captive Soul: Identity, Imperialism, and Rumors of Cannibalism in Sixteenth-Century Brazil, » Journal of World History, 17, 1 (2006): 62.
- Donald W. Forsyth, « Three Cheers for Hans Staden: The Case for Brazilian Cannibalism, » Ethnohistory, 32, 1 (1985): 27.
- H. E. Martel, « Hans Staden’s Captive Soul: Identity, Imperialism, and Rumors of Cannibalism in Sixteenth-Century Brazil, » Journal of World History, 17, 1 (2006): 56-58.
- Gananath Obeyesekere, Cannibal Talk (California: University of California Press, 2005), 6.
Liens externes
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