Guerre psychologique

Guerre psychologique

La guerre psychologique est l'utilisation de techniques psychologiques pour amener l'adversaire à penser qu'il est en position de faiblesse ou qu'il a intérêt à se rendre. C'est la guerre par les idées plutôt que par les armes matérielles.

Sommaire

Introduction

Au plus simple, la guerre psychologique peut être assimilé à une partie de poker chaque joueur cherche à se présenter aux autres comme celui ayant la meilleure main en bluffant. Cest L'Art de la guerre, suivant Sun Zi, qui consiste à subjuguer (to subdue de lancien français « soduire » lui-même issu du bas latin « subdere ») ladversaire sans combattre. Cest une combinaison intime du physique avec le psychique alliée à la science du savoir et la sagesse de la morale dans une organisation par disponibilité à lévènement du principe « Order from Noise » de Heinz von Foerster diversement utilisé par Henri Atlan, Edgar Morin et les autres.

Dans léco-politique de la théorie des contextes chez Anthony Wilden la guerre psychologique est un enveloppement stratégique dattaque au niveau supérieur de la commande politique. Le niveau politique est celui du choix et de lattribution des ressources entre la paix ou la guerre. Il oriente et délimite les stratégies militaires et diplomatiques possibles. Le niveau stratégique choisit, oriente et délimite les batailles possibles dans lesquelles se trouvent les combats tactiques orientés et délimités par la stratégie de la Bataille. Sans cette orientation et délimitation, le Maréchal Erwin Rommel volait de victoire tactique en victoire tactique vers la défaite finale de la Bataille d'Afrique du Nord.

La guerre psychologique est caractérisée, dans sa pratique, par leffet de surprise psychique et leffet de choc physique, effets répercutés et amplifiés par la propagande. La stratégie militaire de la Bataille de Điện Biên Phủ a amené le gouvernement français à négocier les accords de Genève. Cette stratégie militaire soutenue par la stratégie diplomatique, environ un mois après la chute de la garnison dans lorganisation par disponibilité à lévènement, dans lenchevêtrement de Devoir Pouvoir, Savoir et Vouloir. De la même façon, loffensive du Tết a conduit le gouvernement des États-Unis aux Accords de paix de Paris.

Toute guerre est psychologique, faite par des êtres humains dotés d'une combinaison du physique avec le psychique dans les règles de jeu d'un état de droit. La guerre est un état de droit prime la force du droit sur le droit de la force d'une « mêlée générale » de l'Antiquité et du Moyen Âge qui avait des traditions.

Guerre révolutionnaire, guérilla et guerre psychologique

Primitivement, la guerre psychologique sentend souvent par propagande en vue de démoraliser ladversaire et soutenir le moral de nos propres troupes et de notre population sous formes de tracts et daffiches. La propagande soriente en trois directions :

1la dissuasion ou promesse du pire pour casser toute volonté de résistance ou dagression, comme la marche du Général Sherman à travers la Géorgie en détruisant tout sur son passage durant la guerre de Sécession et comme les Mongols de Gengis Khan précédés de leur réputation de férocité à chaque fois quils se présentent devant une cité qui se rend pour éviter la destruction et encore comme la stratégie de la destruction mutuelle assurée qui a fait léconomie dune Troisième Guerre mondiale nucléaire.

2la persuasion ou promesse du mieux suivant la prescription de Sun Tzu de laisser senfuir ladversaire pour éviter le combat.

3la séduction ou promesse du meilleur pour simplanter de façon durable, comme Alexandre de Macédoine qui a essaimé des colonies hellénistiques sur les territoires conquis.

Mais, pour le Général Nguyên Giáp, une guerre est à la fois diplomatique, militaire, politique et psychologique. La bataille de Điện Biên Phủ dont il a été le maître dœuvre en est lexemple illustratif. Cette bataille fut militaire sur le théâtre des opérations, diplomatique en tant quargument pour les négociations des Accords de Genève de juin 1954 négociés par Phạm Văn Đồng, après la capitulation inconditionnelle de la garnison en mai de 1954 et politique pour la consécration et la consolidation de lindépendance du Viêt Nam déclarée le 2 septembre 1945. Elle fut psychologique par le renversement des perceptions de la situation, de glorification en misérabilisme auprès du CEFEO (Corps expéditionnaire français en Extrême-Orient).

Loffensive du Tết en février de 1968 a été une défaite militaire pour ce qui est du terrain pris et gardé, mais elle a été une victoire psychologique en amplifiant lopposition aux États-Unis à la guerre du Viêt Nam et une victoire diplomatique en conduisant les États-Unis à négocier les accords de paix de Paris qui aboutissaient au retrait total des troupes terrestres en 1973, laissant le champ libre à loffensive finale de la chute de Saigon en avril 1975.

Pour Sun Tzu, la guerre est lart de la tromperie et la dimension psychologique est une partie intégrante, voire fondamentale, dans la conduite dune guerre.

Pour Clausewiz, la guerre est lutilisation illimitée de la force brute et la dimension psychologique nest quaccessoire dans la propagande.

À la suite des guerres de décolonisations, la notion de guerre psychologique a pris de lampleur avec la conquête du cœur et de lesprit par rapport à la conquête du terrain.

Pour Richard Taber, la guerre révolutionnaire par des tactiques de guérilla a pour but le remplacement dun ordre établi par un ordre nouveau, ce qui privilégie la conquête du cœur et de lesprit orientant et délimitant les opérations militaires possibles.

Physique, psychique, éthique et logique de la puissance

Comprendre la guerre, cest avant tout comprendre ceux qui la font. Pourquoi les hommes arrivent-ils à se battre ? Comment sexercent la violence, la coercition et la contrainte ? Quels sont les véritables rapports de force dans les conflits contemporains ?

Voilà les questions auxquelles le modèle développé au fil de cet article tente de répondre. Les déconvenues des armées dans les conflits de basse intensité ou guérilla ont pour cause principale leur incapacité à cerner les conditions de leur engagement, et notamment à sécarter des schémas hérités de la guerre totale de Clausewitz. La tendance des militaires à privilégier les facteurs matériels au détriment des facteurs immatériels, encore renforcée par la mécanisation et linformatisation, réduit leur aptitude à maîtriser la violence par lexercice dune coercition mesurée.

À linverse, le terrorisme contemporain exploite la couverture médiatique en continu pour obtenir des effets psychologiques totalement disproportionnés, alors que les organisations non gouvernementales utilisent leur posture éthique pour mieux influer sur les opérations militaires et les armes quelles emploient.

De toute évidence, les rapports de force ne peuvent plus être réduits à la taille ou le nombre de la réalité physique matérielle.

Une conception détaillée des sources et résultats des effets matériels, émotionnels, moraux et cognitifs permet de surmonter la subjectivité des perceptions et de cerner la gamme des actions possibles.

Lévolution de la situation internationale souligne lurgence que revêt aujourdhui un tel changement de perspective. Comment expliquer que la guérilla irakienne nait pas réussi à retourner lopinion publique américaine malgré la mort au combat de plus de 4 000 soldats, alors quil a suffi 10 ans plus tôt de 18 morts pour précipiter le retrait de Somalie ? Pourquoi les Palestiniens nont-ils pas réussi à diviser la société israélienne depuis septembre 2000, au contraire de la première Intifada ? Pour quelles raisons les attentats du 11 septembre ont-ils uni la population américaine autour de leur gouvernement, alors que ceux du 11 mars nont pas eu le même effet en Espagne ?

Toutes ces questions mettent en jeu des forces et des règles qui sont celles de lhomme dans son activité belligérante, réelle ou potentielle. Cest donc celle-ci quil sagit détudier. Lanthropologue Margaret Mead sest aventurée à étudier le caractère national. Pour elle et avec la culture des fermiers et des pionniers, à chaque attaque reçue, lAméricain répond avec rage et par lunion sacrée. Du jour au lendemain, lattaque aéronavale japonaise sur Pearl Harbor a transformé lisolationnisme en interventionnisme et les industries en arsenal de la démocratie.

Pouvoir, vouloir, devoir et savoir

Prenons lhistoire militaire vietnamienne récente du XXe siècle, de la décolonisation française (1945-1955) à la réunification (1955-1975), du bombardement de Haiphong en 1946 au sabotage des Accords de Genève rendant impossible la réunification des parties séparées temporairement pour la technicité des regroupements militaires avant lévacuation du CEFEO jusquà la chute de Saigon en 1975.

En 1945, la toute jeune République démocratique du Viêt Nam formée par des paysans attachés à leur indépendance après environ 80 ans de colonisation française et revendiquant leur liberté et leur identité nationales voyait son existence menacée par la reconquête coloniale après 5 ans de « solitude indochinoise » la puissance protectrice française na pas pu protéger lIndochine française de loccupation japonaise.

Parti dune opération de police avec des troupes de l'empire colonial français et la légion étrangère équipées à langlaise au début de 45-49 et à laméricaine dans la phase finale de 49-54, le CEFEO (Corps Expéditionnaire Français en Extrême-Orient) est tombé dans le bourbier de lenlisement jusquà la bataille de Điện Biên Phủ qui a été à la décolonisation ce que furent la prise de la Bastille et les soldats de lan II à lEurope libérale.

Cette première grande victoire en Asie des paysans contre des militaires professionnels en armes va cependant au-delà de laffrontement factuel, et pose plusieurs questions dimportance. Pourquoi les Vietnamiens de l'Armée populaire vietnamienne (APVN) étaient-ils prêts à se battre contre la France et sa troupe, qui formait une armée moderne avec tout son armement ?

Essentiellement pour défendre leur société rurale et leur conception de la liberté contre limpérialisme de la France, mais également parce quils avaient le goût du combat et que se battre était le devoir de chaque homme valide.

À linverse, les soldats du corps expéditionnaire français étaient mus par lintérêt dune solde, aussi maigre soit-elle à la sortie des privations de loccupation nazie, par laventure pour certains et par le patriotisme de la défense et conservation de la puissance française pour dautres, principalement pour ses dirigeants. Les enjeux étaient donc différents.

Henry Kissinger a déclaré que la victoire dun peuple de paysans sur les États-Unis était une catastrophe.

Cet exemple résumé reprend la distinction établie par Carl von Clausewitz entre les fins, les moyens et les voies, qui facilite lappréhension de chaque belligérant. Les enjeux de la guerre expliquent ainsi son caractère déterminé des uns et hésitant des autres : les Vietnamiens sont allés jusquau bout des difficultés parce que la survie de la toute jeune République démocratique du Viêt Nam exigeait la défaite dune configuration coloniale majoritairement antagoniste.

De même, leurs ressources limitées expliquent la méthode choisie : la connaissance du terrain et des intentions ennemies ainsi que la volonté de combattre à mort, cest-à-dire la supériorité cognitive et psychologique, ont permis aux Vietnamiens de contrebalancer leur infériorité physiqueobligés quils étaient de se battre avec des armes de fortunepar une guerre longue et ruineuse pour une puissance industrielle dans le combat du tigre et de léléphant le tigre peut épuiser léléphant à longueur de temps qui démoralise les Français et amplifie le sentiment national des Vietnamiens.

« L'esprit de l'homme est plus fort que ses propres machines... Ce sera une guerre entre un tigre et un éléphant. Si jamais le tigre s'arrête, l'éléphant le transpercera de ses puissantes défenses. Seulement le tigre ne s'arrêtera pas. Il se tapit dans la jungle pendant le jour pour ne sortir que la nuit. Il s'élancera sur l'éléphant et lui arrachera le dos par grands lambeaux puis il disparaîtra à nouveau dans la jungle obscure. Et lentement l'éléphant mourra d'épuisement et d'hémorragie. Voilà ce que sera la guerre d'Indochine. » Ho Chi Minh

Voilà, illustrée en quelques mots, larticulation fondamentale qui forme le cœur de cette approche : la matière, la psyché, la morale et le savoir forment la quadrature de la puissance, les quatre domaines dans lesquels sinscrivent les guerres humaines. Chaque acteur dun conflit est ainsi caractérisé par des enjeux, des ressources et des méthodes dont la nature est physique, psychologique, éthique et/ou cognitive. Montrer pourquoi et comment les hommes se battent revient à se plonger dans les profondeurs de leur être, à tenter de systématiser les moyens, les pulsions, les impératifs et les concepts qui façonnent leur puissance et quils emploient pour lexprimer. Le modèle qui en résulte doit dès lors sappliquer à toutes les formes daffrontements et à tous les types dacteurs, sans distinction de lieux et dépoques.

Un exemple dopération tactique combinée militaire et psychologique est dans loffensive vietnamienne au Cambodge pendant la Troisième Guerre dIndochine qui a été aussi une campagne psychologique en même temps quune campagne militaire. Les troupes vietnamiennes de première ligne distribuaient des marmites et des ustensiles de cuisine à la population, leur signifiant la fin des cuisines communautaires quelle détestait particulièrement. Le régime de Pol Pot avait imposé avec une brutalité insensée cette forme decommunautarismemaoïste desCommunes Populairespour briser lunité familiale traditionnelle.

Les enchevêtrements de la puissance

Par matière, il faut entendre la dimension physique du réel, le domaine matériel se manifestent les éléments tangibles et visibles des belligérants : les êtres vivants, les armes, les équipements, les vivres, et bien entendu les valeurs marchandes pouvant assurer leur disponibilité.

Les facteurs physiques déterminent la capacité dagir, cest-à-dire la possibilité matérielle de déployer des moyens et de les utiliser, ainsi que les limites qui lentravent. La facilité de leur numérisation et de leur intégration spatio-temporelle a jusquici conféré aux facteurs physiques la prédominance dans létude des conflits, de même quune place centraleet parfois exclusivedans les doctrines militaires.

Ils ne recouvrent néanmoins quune partie de la puissance, et il est ainsi impossible dexpliquer le déroulement de la bataille de Điện Biên Phủ en prenant uniquement en compte le nombre dhommes ou les armes employées.

De fait, lhistoire rapporte maints exemples de forces ou de nations matériellement supérieures et néanmoins défaites, à commencer par le récit biblique de David contre Goliath, et ceci sexplique principalement par deux raisons :

  • Le nombre et la force brute ne fournissent quune puissance potentielle, et non une puissance réelle dans lespace et dans le temps ; cest une faiblesse des grandes organisations qui est exploitée dans les opérations spéciales, des petits contingents hautement entraînés et préparés obtiennent une supériorité relative assurant la réussite de leur mission. Les « Kommandos » légers de paysans afrikaners de la Seconde Guerre des Boers a été un exemple illustratif repris par Winston Churchill pour former les commandos britanniques.
  • La puissance nest tout simplement pas quune affaire de force physique ou mécanique, et celle-ci peut même générer une faiblesse susceptible dêtre exploitée ; les facteurs autres que la matière doivent également être pris en compte.

Par psyché, il faut entendre la dimension psychologique des acteurs, lensemble des activités mentales conscientes ou inconscientes qui fondent leurs émotions : les pulsions, les désirs, les affects, les sensations et les sentiments, avec en filigrane toute la palette des relations humaines.

Les facteurs psychologiques déterminent la volonté dagir, cest-à-dire la possibilité émotionnelle de faire usage de ses capacités, ainsi que les inhibitions qui sy opposent. Le courage, la confiance et la camaraderie, mais aussi la haine et le mépris sont des ressources périssables et limitées qui ont une influence déterminante sur la puissance effective des hommes et des armes.

À la bataille de Điện Biên Phủ, lassaut farouche des Vietnamiens devait beaucoup à une volonté patiemment cultivée par lexercice des armes et multipliée par lamour de la patrie. Limportance considérable des facteurs psychologiques dans tous les conflits depuis lAntiquité na pas empêché le retard de leur intégration dans les rapports de forces, en dépit de quelques doctrines visant à les idéaliser pour mieux compenser linfériorité matérielle.

Pourtant, lexpérience quotidienne montre que les traits de caractère déterminent largement la combativité, lamour-propre et laltruisme des hommes, alors que lentraînement des formations contribue directement à développer leur esprit de corps et ainsi raffermir leur cohésion. Dans la mesure les unités ont une puissance supérieure à la simple addition des soldats qui les composent, la psyché forge le lien qui unit ceux-ci : la disposition à privilégier le collectif à lindividuel, et donc à risquer sa vie pour autrui.

Par morale, il faut entendre la dimension éthique des acteurs, la somme des impératifs qui forment leur jugement à propos dactes réels ou potentiels : les lois, les règles, les préceptes, la religion, les valeurs, les coutumes et les missions, et donc lhéritage pratique de la culture. Les facteurs éthiques déterminent la légitimité à agir, cest-à-dire la possibilité moraleou la nécessitédexercer sa volonté, ainsi que les interdits qui lenserrent. Leur existence a durablement façonné les conflits par des principes et des codes, tacites ou non, liant lhonneur des combattants à leur comportement et formant la base de la culture militaire et du droit international. La morale avait également cours à la bataille de Điện Biên Phủ : les Vietnamiens ont fait prisonnier toute la garnison et ainsi respecté la règle de Sun Tzu de prendre intact plutôt que de détruire.

Il faudra cependant attendre la généralisation de la couverture télévisée, et donc lirruption des combats dans le salon des citoyens, pour que la morale devienne un levier à part entière, en couvrant dopprobre les hommes qui ont violé les valeurs de leur société, en imposant des limites toujours plus strictes à lemploi des armes, ou au contraire en incitant à leur usage pour répondre à une urgence.

Par savoir, enfin, il faut entendre la dimension cognitive des acteurs, lensemble des connaissances acquises par létude, lobservation, lapprentissage et lexpérience : les idées, les concepts, les doctrines, les certitudes, les explications et les interprétations extraites de la masse des informations disponibles.

Les facteurs cognitifs déterminent loccasion dagir, cest-à-dire la possibilité de déclencher une action opportune dans le temps, dans lespace et dans sa modalité. Leur mise en pratique ne date pas dhier : le réseau despionnage et les complicités des vietnamiens ont ainsi constitué lélément déterminant de la surprise des combats périphériques en concentrations et dispersions.

Pourtant, le rôle de la connaissance est aujourdhui encore sous-estimé, précisément parce que le concept occidental du combat est lié à lidée dun choc frontal, délibéré et décisif. Si les services de renseignements sont largement considérés comme la première ligne de défense dun État, léducation peine encore à être reconnue comme la base de sa puissance.

Le processus de décision de chaque organisation dépend en premier lieu de sa faculté à exploiter rationnellement la masse dinformations disponibles et à en tirer un savoir libéré de la passion ou de lidéologie ; ne pas le faire revient à sabandonner aux influences cognitives dautrui, à accepter sans même en prendre conscience des concepts et des idées potentiellement nuisibles.

À linverse, la recherche et la diffusion du savoir permettent de convaincre sans effort, voire de vaincre sans combattre, suivant le slogan de Sun Tzu pour lexcellence dans lart de la guerre.

Pouvoir, vouloir, devoir et savoir : voilà donc les quatre verbes qui fondent laction. Il va de soi que cette articulation sappuie sur une simplification considérable de questions très complexes, et que chaque dimension dun acteur ne peut pas être davantage dissociée des autres que le corps de lesprit. Ce découpage possède néanmoins limmense avantage de cerner la nature des conflits : un affrontement basé sur la force, la volonté, la morale et la connaissance. Délimiter les possibilités daction dune entité donnée revient ainsi à prendre en compte à la fois ses capacités et ses lacunes, sa volonté et ses inhibitions, sa morale et ses interdits, ses connaissances et son ignorance. Aucune appréciation réaliste dune situation donnée ne peut omettre ces quatre dimensions propres à lêtre humain.

Cette articulation contribue en outre à clarifier limportance de ces dimensions pour laction. Alors que les armées privilégient souvent les facteurs physiques, afin que lintégration des hommes et des machines développe une puissance de destruction ou de protection maximale, ceux-ci ne font pourtant que concrétiser un processus complet. Ainsi, lefficacité de laction dépend en premier lieu de la compréhension quapporte la connaissance, puis de la légitimation que fournit la morale ; laction elle-même fait ensuite lobjet dune décision reposant sur la volonté, avant que son exécution ne dépende des capacités. En dautres termes, le développement et la transmission de la connaissance doit obligatoirement constituer la priorité de chaque organisation armée.

Les confusions

Il y a de nettes confusions entre « guerre psychologique » et « ruse de guerre ». La confusion signifie à la fois « fondre l'un dans l'autre » et « prendre l'un pour l'autre ».

  • La ruse de guerre existe déjà dans le monde animal avec le camouflage pour se fondre dans le décor, à l'exemple du caméléon et avec le déguisement d'une proie en un féroce prédateur pour éviter de se faire manger. L'Opération « Mincemeat » a été élaborée par les Britanniques en 1943 pour faire croire aux Allemands à un débarquement en Grèce. Elle consiste en un vrai cadavre d'un faux officier portant de faux documents concernant les préparatifs d'un débarquement en Grèce et s'arranger pour que ce cadavre soit découvert inopinément et les faux documents transmis aux autorités allemandes. La même configuration s'est reproduite avec une fausse armée américaine dirigé par George S. Patton pour faire croire à un débarquement au Pas-de Calais et détourner l'attention des Allemands du vrai lieu du débarquement en Normandie. L'offensive du Tết de 1968 s'est déployée en trois batailles dont la bataille de Khe Sanh qui n'a été qu'un leurre, une ruse de guerre, pour attirer l'attention et les forces vives de l'adversaire loin des enjeux principaux que furent la bataille de Saïgon et la bataille de Huế. Ces enjeux étaient de l'ordre de la guerre psychologique qui consistait à attaquer les symboles. Ces symboles étaient la capitale impériale de Huê pour l'opinion publique vietnamienne et Saigon pour l'opinion publique américaine et internationale, en frappant la capitale économique et politique avec l'occupation, même seulement et pendant quelques heures du rez-de-chaussée de l'ambassade des États-Unis, le Saint des Saints (Sanctus Sanctorum). Pour qu'une ruse de guerre réussisse, il faut qu'elle soit crédible et rejoigne les croyances et les obsessions les plus prégnantes et les plus profondes de l'adversaire. Il y a eu auparavant un débarquement en Grèce des Britanniques et le projet allemand d'envahir l'Angleterre par le Pas-de-Calais et il y a eu aussi auparavant l'invasion de la Corée du Sud par la Corée du Nord qui a passé la Ligne de Démarcation Militaire. Or, Khê Sanh se trouve juste au Sud de la Ligne de Démarcation Militaire entre le Nord et le Sud du Viêt Nam. Une ruse de guerre est du ressort de la « désinformation », de l'illusion, alors que la guerre psychologique est de l'ordre des raisons de se battre.
  • La guerre psychologique, elle, est typiquement humaine et consiste à attaquer les symboles pour transformer complètement la « réalité » et montrer que l'option militaire soit inopérante en détruisant le Vouloir et le Devoir de se battre chez l'adversaire et conduire à des stratégies diplomatiques de négociations de paix, comme les accords de Genève de 1954 après la Bataille de Điện Biên Phủ et les accords de paix de Paris de 1973 après l'offensive du Tết de 1968.

Conclusion

La guerre nest pas seulement une mêlée générale, lutilisation illimitée de la force brute, à la manière de Clausewitz, mais un état de droit, une tentative de canaliser le droit de la force par la force du droit. La clameur et la fureur de la « noise » masquent la querelle au sujet dun ou des points de droit qui est la signification première ou authentique du mot « conflit » désignant un choc ou un heurt. Finalement, cest la lutte entre deux volontés dont laspect matériel du conflit armé masque aussi lenchevêtrement du devoir-pouvoir-savoir-vouloir.

En contraste à Clausewitz, Sun Tzu privilégie la « psyché » dans lart de la tromperie aux dépens de la « physis » de la force brute dans la guerre psychologique.

En Occident, la guerre psychologique a peut-être débuté dans la période biblique avec la métaphore de Josué qui a fait écrouler les murs de Jéricho avec les trompettes. Dans la civilisation chinoise, la guerre psychologique fait partie de L'Art de la guerre avec Sun Tzu, pour qui la guerre est l'art de la tromperie.

La guerre psychologique ne se rapporte pas seulement aux conflits armés, mais également aux rivalités économiques et concurrences commerciales. L' « harmonie industrielle » est une idéologie japonaise fondée sur les valeurs confucéennes qui fabriquent le Devoir et le Vouloir d'une paix sociale, permettant un management à « flux tendus » à travers une coalition tripartite du Capital-Travail- État pour augmenter le Pouvoir et le Savoir de l'industrie et du commerce. En 1991, Édith Cresson, alors Premier ministre de François Mitterrand, parlait de « fourmis » à propos de l'industrie japonaise fondée sur une culture du Devoir et du Vouloir que ne possèdent pas les fourmis qui agissent par instinct des insectes sociaux. L'économie politique asiatique est une approche écosystémique au développement économique total, du physique au psychique et du social au culturel du Vouloir et Devoir qui oriente et délimite les possibilités du Pouvoir et Savoir.

Notes et références

Voir aussi

Articles connexes

Bibliographie

  • (fr) Gérard Chaliand (dir), La persuasion de masse. Guerre psychologique/guerre médiatique, Robert Laffont, 1992, 236 pages.
  • (fr) François Géré, « Contre-insurrection et action psychologique : tradition et modernité », dans Focus stratégique, no 25, septembre 2010 [texte intégral] 
  • (fr) François Géré, « Mutation de la guerre psychologique », dans Stratégique, no 85, février 2009 [texte intégral] 
  • (fr) Nguyên Giáp, Guerre de libération. Politique, stratégie, tactique, Éditions sociales, Paris, 1970.
  • (fr) François-Bernard Huyghe, Maîtres du faire croire. De la propagande à l'influence, Vuibert, 2008
  • (en) Sun Zi, The Art of War, traduction et commentaire par (ret) USMC Brigadier General Samuel B. Griffith, Oxford Paperbacks, London & New York, 1981. Thèse de Ph.D. La plus fiable des traductions moderne et référence à lUNESCO. Le livre en français
  • (en) Richard Taber, The War of the Flea : Guerrilla Warfare, Theory and Practice, Paladin, London, 1977.
  • (en) Anthony Wilden, The Rules are no Game. The Strategy of Communication, Routledge & Kegan Paul, London & New York, 1987.
  • (en) Anthony Wilden, Man and Woman, War and Peace. The Strategists Companion, Routledge & Kegan Paul, London & New York, 1987.(fr)http://www.erudit.org/revue/ei/1989/v20/n1/702471ar.pdf présentation et commentaires.
  • (it) Giuseppe Gagliano, Agitazione sovversiva,guerra psicologica e terrorismo, Éditions Uniservice, Trento, 2010.

Liens externes


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