- Gasur
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Nuzi
Nuzi (ou Nuzu) était une ville de la Mésopotamie antique située au sud-ouest de Kirkouk dans l'Irak actuel, près du Tigre. Ce nom est celui qu'elle porte au IIe millénaire av. J.-C.. Auparavant, elle était connue sous le nom de Gasur. Le site des ruines de cette antique cité est de nos jours appelé Yorghan Tepe. Brièvement fouillée entre 1925 et 1932, il a livré environ 5 000 tablettes cunéiformes de la période des XVe-XIVe siècles avant J.-C., quand Nuzi était une petite ville du royaume d'Arrapha (Kirkouk), peuplée majoritairement de Hourrites, ethnie sur laquelle ces documents offrent une documentation précieuse.
Sommaire
Fouilles
Des tablettes et fragments de tablettes provenant de la région de Kirkouk apparaissent sur le marché des antiquités à la fin du XIXe siècle et au début du XXe siècle. Si certaines proviennent de la grande ville même, où un glissement de terrain les avait mis au jour, la plupart proviennent d’un site voisin, Yorghan Tepe. Des fouilles y débutent en 1925 sous la direction d’Edward Chiera. Ce dernier revient sur le site en 1927-28, puis lui succèdent H. Pfeiffer (1928-29) et R. F. S. Starr (1929-30 et 1930-31), pour des campagnes financées en partie par le musée de Harvard et l’American School of Oriental Research de Bagdad. Ces fouilles dégagent un palais ainsi qu’un temple double et des habitations sur le tell central, et deux grandes résidences au nord du site. Les principaux niveaux dégagés datent des XVe-XIVe siècle av. J.-C. (Âge du bronze récent).
Historique
Un sondage réalisé sur le tell de Yorghan Tepe a révélé 12 niveaux archéologiques. Le plus anciens datent de la période d'Obeid (Ve millénaire). Le site est habité en continu par la suite. Un groupe de 200 tablettes datant de la période d'Akkad (XXIVe-XXIIIe siècles av. J.-C.) a été exhumé, et nous apprend que la cité s’appelait alors Gasur. Il s’agit d’archives d’un domaine appartenant à la famille royale d’Akkad. La première moitié du IIe millénaire av. J.-C. est documentée par une poignée de textes. Mais les niveaux de ces périodes n’ont pas été dégagés. La période la mieux connue, tant par l’archéologie que les textes, est celle des XVe-XIVe siècles av. J.-C. La ville s’appelle alors Nuzi, et fait partie du royaume d’Arrapha (Kirkouk), lui-même vassal du royaume du Mitanni. La population qui y vit est majoritairement d’ethnie hourrite, comme on le voit par l’étude des noms de personne. Les archives nous en apprennent cependant bien peu sur les événements historiques de cette période. La ville est détruite dans la violence vers le milieu du XIVe siècle av. J.-C., sans doute sous les coups des Assyriens. Elle est abandonnée par la suite. Quelques tombes de l’époque sassanide ont été dégagées.
Nuzi, une ville provinciale du XIVe siècle av. J.-C.
La période la mieux connue de l’histoire de Yorghan Tepe est de loin celle de la ville de Nuzi aux XVe-XIVe siècles av. J.-C. Les tablettes de cette période nous offrent une vision d’une petite ville provinciale de la Mésopotamie du nord à cette période (région peu documentée), dans une région peuplée majoritairement de Hourrites, peuple mal connu parce que peu documenté, et qui le serait encore moins bien s’il n’y avait les tablettes provenant de ce site.
Nature de la documentation écrite
Environ 5 000 tablettes ont été exhumées à Nuzi. De celles dont on a pu identifier la provenance, 3 grands lots se dégagent. Sur le tell central, le palais a livré de nombreuses archives, et quelques unes proviennent du temple double de Shaushga et de Teshub qui se trouve à sa proximité, ainsi que dans des maisons privées du tell. Deux lots privés ont été dégagés dans deux grandes résidences du nord-est du site : celle de Shilwa-Teshub (environ 700 tablettes), fils du roi d’Arrapha ; et celle de Tehip-Tilla (un millier de tablettes), grand propriétaire sans doute lié par mariage à la famille royale. Les textes sont datés aujourd’hui de la première moitié du XIVe siècle av. J.-C., soit les années précédent la destruction du site.
Les archives de Nuzi sont des actes de la pratique, publics et privés. En plus de tablettes relatives à la gestion des domaines privés et surtout du palais (listes de travailleurs, de distributions de rations et d'armes notamment), il s’agit de contrats privés de prêt, de mariage, de transmission d’héritages, mises en gage, des testaments etc., donc beaucoup d’actes juridiques. On a pu reconstituer plusieurs lots d’archives de maisonnées, nous renseignant sur les activités d’une même famille.
Les tablettes sont rédigées en écriture cunéiforme, en akkadien, en médio-babylonien (forme moyenne du babylonien, écrite du XVe au XIe siècles av. J.-C. environ), la langue la plus couramment pratiquée dans les archives de cette période. Mais la particularité du langage de Nuzi est d’être souvent assez fautif. En effet, les scribes qui écrivaient ces tablettes étaient en effet eux-mêmes Hourrites, et l’akkadien n’était pas leur langue maternelle, comme pour le reste des habitants du royaume. Cela explique la présence de termes et tournures hourrites dans les tablettes, ainsi que d'une syntaxe inspirée par celle du hourrite, bien différente de celle de l'akkadien.
Administration
Nuzi est une ville provinciale du royaume d’Arrapha. Elle est administrée par un gouverneur (šaknu) depuis le palais. Cet édifice, situé au centre du tell, constitué de nombreuses salles disposées autour d’une cour centrale, dont on a parfois pu identifier les fonctions : salles de réception, appartements, bureaux, cuisines, magasins. Les murs étaient peints, comme on a pu le voir par des fragments exhumés dans les ruines de l’édifice. Les archives qui y ont été exhumées nous renseignent sur la famille royale, ainsi que sur l’organisation de l’administration interne du palais et de ses dépendances, le paiement en rations des dépendants qui travaillent dans ses domaines.
Des officiers subalternes de l’administration royale sont le sukkallu (souvent traduit par « vizir », seconde le gouverneur), le « chef de district » (halṣuhlu), et le « maire » (hazannu), chacun responsable d’un niveau administratif. La justice est rendue par ces officiers, mais également des juges (dayānu) installés dans les districts.
Les sujets libres de l’État sont redevables d’une charge, l’ilku, qui semble consister en des corvées (service militaire, travaux divers pour les compte de l’État, notamment sur ses terres). Quand une personne vend une terre à une autre mais reste pour l’exploiter, il garde la charge de la corvée : cette dernière pèse donc sur l’exploitant et non le propriétaire. Des terres sont également redevables de taxes, alors que d’autres semblent ne pas y être soumises.
Société et économie
Catégories sociales
La documentation de Nuzi au XIVe siècle av. J.-c. nous donne une vision d’une société divisée en plusieurs catégories sociales, dont les contours sont souvent difficiles à saisir.
- Les rākib narkabti (« conducteurs de chars ») sont l’élite de la société ; comme leur nom l’indique, il s’agit en théorie d’une élite militaire, qui correspond à la classe des maryannu que l’on retrouve souvent en pays hourrite. Dans les faits, il ne s’agit pas que de militaires, mais ce sont les grands propriétaires du royaume d’Arrapha.
- Les ālik ilki (« sujets à corvée ») sont la catégorie mentionnée le plus souvent. Ils sont définis par leur condition de tributaire ; ce sont des propriétaires, servant à l’occasion l’État par des corvées ou le service militaire.
- Les nakkuššu (« substituts » ?) sont un groupe dont on a du mal à saisir la composition ; ils ne sont pas forcément propriétaires ou tenanciers de terres, mais ne semblent pas être des dépendants, et ont apparemment des métiers spécialisés.
- Les aššabu (« résidents ») sont des hommes libres de basse condition, non propriétaires, dans une situation de dépendance vis-à-vis du palais.
- Des esclaves (ardu) sont également présents dans la société de Nuzi.
Vie familiale
Les familles nuzites semblent en majorité être de type nucléaire. Elles sont dominées par un chef de famille. Le mariage est l’étape constitutive du foyer, et est documenté par plusieurs contrats de mariage. Ces documents mentionnent la possibilité de divorce, qui n’est possible qu’à l’initiative de l’époux, pour des causes inconnues ; il doit indemniser la famille de la mariée s’il répudie sa femme, en retournant sa dot. Si la femme est stérile, son mari peut prendre une épouse secondaire pour enfanter, qui garde une position d’infériorité par rapport à la première épouse.
La pratique de l’adoption est courante dans la documentation de Nuzi, notamment pour servir dans des pratiques de ventes de terres déguisées (voir plus bas). Il existe également des contrats de prise en fraternité.
Les femmes de Nuzi avaient une condition qui semble meilleure que dans la plupart des autres régions du Moyen Orient du Bronze récent. Dans certains cas de figure, il arrive qu’un père de famille produise un acte qui fait de sa fille son fils, c’est-à-dire qui fait de sa fille l’héritière principale de sa famille, s’il n’a pas de fils. Il s’agit alors d’assurer la succession familiale, et la pratique du culte des ancêtres, et probablement de protéger la fille face à d’autres héritiers masculins potentiels, comme un oncle ou un cousin.
Économie et structures agraires
L’économie de la région de Nuzi est évidemment dominée par l’agriculture. Celle-ci est avant tout céréalière (orge surtout), avec ou non la pratique de l’irrigation des champs. Les canaux sont placés sous la responsabilité de superviseurs (gugallu), qui surveillent l’utilisation de l’eau par les exploitants. Les rendements semblent pouvoir être notables dans des champs irrigués (entre 7/1 et 10/1 selon certaines estimations). Des jardins et vergers irrigués servaient à compléter la production des champs. On pratiquait également l’élevage.
Le territoire rural est divisé entre plusieurs communautés villageoises constitués de petits propriétaires disposant de champs dans le domaine proche du village (ugâru), et des grands domaines appartenant à l’État et aux élites du royaume, organisées autour de bâtiments appelés dimtu (« tours »), sans doute des sortes de fermes fortifiées. Les deux sont souvent proches. Il existe également des espaces de « steppe » (ṣeritu), incultes, servant sans doute à faire paître le bétail.
Les grands propriétaires sont connus grâce aux archives de Tehip-Tilla et de Silwa-Teshub (qui est un membre de la famille royale). Après l’État qui est le plus grand propriétaire, ce sont eux qui dominent l’économie rurale, et s’imposent aux petits exploitants grâce à leurs moyens financiers importants. Ils concèdent notamment des prêts à des taux très élevés (50 % le plus souvent), généralement en grain, parfois en métal. Ces prêts courent souvent sur le long terme, et peuvent impliquer la mise en gage d’une personne (sa capacité de travail) ou d’une terre (prêt dit titennūtu, une forme d’antichrèse). Il pourrait s’agir d’un moyen déguisé d’aliénation d’une terre.
Le transfert de propriété semble interdit par le droit en vigueur dans le royaume d’Arrapha. Pour obtenir un champ, on procède donc à un achat déguisé, en se servant la pratique de l’adoption : le vendeur « adopte » l’acheteur comme « fils » (ana marūti), et lui donne en guise de « part d’héritage » (zittu) la propriété ; en remerciement, l’acheteur/adopté donne un « cadeau » (qīštu) au vendeur/adoptant, qui correspond au prix d’achat de la propriété dont il en « hérité ». Tehip-Tilla se fait de la sorte adopter une centaine de fois. Il semble par ces nombreux transferts de propriété effectués au profit des grands propriétaires que la région de Nuzi voit un mouvement de concentration de terres au profit des plus puissants, au détriment des petits paysans appauvris, lesquels restent exploitants des terres qu’ils aliènent, versant ensuite une part de la récolte au nouveau propriétaire.
Commerce
Quelques documents nous informent également sur l’activité des marchands (tamkāru) de Nuzi. Ceux-ci sont des marchands qui effectuent des voyages à but commercial au profit avant tout du palais (ce sont donc des agents de l’État), mais aussi de personnes privées avec lesquelles ils passent des contrats. Le financement du commerce privé peut se faire par des prêts commerciaux (là aussi à un taux annuel de 50 %), ou bien par des associations réglant le partage du profit (contrats-n/mēmelu). Il s’agit généralement d’approvisionner le palais et les grandes maisons en produits non disponibles à Nuzi.
Matériel archéologique
Les fouilles de Yorghan Tepe ont livré de nombreux objets de la période du Bronze récent. C’est sur ce site qu’a été identifié pour la première fois un type de céramique courant en Mésopotamie du nord à la période du royaume du Mitanni, la « céramique de Nuzi », caractérisée par un décor peint en blanc sur un fond sombre. Les motifs sont souvent géométriques (triangles, bandes), curvilignes (rosettes, volutes), et floraux.
Le site a également livré des objets montrant le développement de la technique de la glaçure-émaillage, marquant le début de la réalisation d’objets en verre : briques émaillées, fritte, « faïence » (du verre coloré). On a également exhumé sur le tell des armes en métal, ainsi que des figurines en terre cuite.
Bibliographie
- (en) M. P. Maidman, « Nuzi: Portrait of an Ancient Mesopotamian Provincial Town », dans J. M. Sasson (dir.), Civilizations of the Ancient Near East, vol. 2, New York, 1995, p. 931-947 ;
- X. Faivre et B. Lion, « Nuzi », dans F. Joannès (dir.), Dictionnaire de la civilisation mésopotamienne, Paris, 2001, p. 595-596 ;
- (en) C. Zaccagnini, « Nuzi », dans R. Westbrook (dir.), A History of Ancient Near Eastern Law, vol. 1, Leyde, 2003, p. 565-617.
Liens externes
- B. Lion, « Nuzi, une ville du monde hourrite », sur le site Hatti, Association des amis de la civilisation hittite, 1998 ;
- (en) Site sur les découvertes archéologiques à Nuzi ;
- (en) Transcription et traduction de tablettes de Nuzi ;
- (en) Pages du Semitic Museum de Harvard sur les objets exhumés à Nuzi.
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