Esba (sorcellerie)

Esba (sorcellerie)

Sabbat (sorcellerie)

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Sabbat de sorcières.
Chronique de Johann Jakob Wick (XVIe siècle).

Dans le folklore européen, on dénomme sabbat les assemblées nocturnes de sorcières, lesquelles donneraient lieu à des banquets, des cérémonies païennes, voire des orgies.

Sommaire

Définition

Il faut distinguer le sabbat des sorcières du shabbat hébraïque. Au Moyen Âge, certains textes chrétiens de démonologie vont jusqu'à qualifier le sabbat des sorcières de « synagogue des sorcières » ou de « synagogue du diable », sans doute à cause de l'analogie entre les deux termes, mais aussi parce que les rites et usages juifs étaient alors méconnus et mal considérés (antijudaïsme). En réalité, le sabbat est le 7ème jour sanctifié par Dieu dans la bible. Il correspond à notre samedi, jour de repos juif. Certains y voient un dérivé de Dionisio sabazius, d'autres de sabae (chèvre), d'autres encore, comme Margaret Murray, du verbe esbattre, dont la racine est commune aux langues romanes. Dans certains textes, le sabbat est effectivement appelé esba. Pourtant, on sait par la bible qu'il vient du mot hébreux Shabbat dérivé probablement étymologiquement du chiffre 7. Celui-ci a une grande importance dans la bible et les mythologies égyptienne et babylonienne, liées aux observations des astres. Sabbat serait la déformation de ce terme ; il conviendrait davantage de parler d'esba.

Historique

Dans l'Antiquité romaine, rappelle Sallmann, la strix était une créature cruelle qui volait la nuit pour dévorer les enfants, pomper les forces des adultes

La première mention de femmes volant la nuit derrière Vénus ou Diane date de 906, dans le Canon Episcopi.[1]

Entre 1250 et 1350 de nombreux débats se sont déroulés sur la nature des démons.

L'Inquisition, commencée en 1229, répand les idées d'hérésie, de sorcellerie.

Le procès des Templiers, en 1307, donne reconnaissance à l'idée que certains adorent une idole à tête animale et le corps couvert de la graisse d'un nouveau-né. Ou alors ces sacrilèges adoreraient un chat noir.

En 1324-1325, en Irlande, à Kilkenny, l'évêque de Ledreda intente un procès à Lady Kyteler, qu'il accuse de posséder un démon privé avec lequel elle a des relations sexuelles et qui lui permet d'ensorceler ses ennemis.

La bulle Super illius specula (1326) du pape Jean XXI assimile la magie rituelle à une hérésie.

"A la fin du XIV° s., deux femmes de Milan sont accusées de chevaucher des animaux, la nuit, de les dévorer, puis de les ressusciter. Elles sont aussi accusées d'entretenir des relations sexuelles avec un démon. C'est le premier cas avéré d'une collision entre plusieurs de ces croyances : celles des dames de la nuit et celle de la sorcière cannibale" (Jean-Michel Sallmann).

Le stéréotype du sabbat se forme vers 1400-1430 dans les Alpes françaises, plus précisément dans le Valais et les diocèses de Sion et de Lausanne.[2] Jean-Michel Sallmann énonce ainsi les séquences[3] : il y a des sorciers et des sorcières, ils s'enduisent le corps d'un onguent fait de chair d'enfants sacrifiés rituellement, ils volent dans les airs vite et loin à cheval sur des animaux ou des balais, ils se rassemblent alors dans un lieu écarté, ils participent là à une cérémonie présidée par le Diable qui est représenté par un bouc, ils adorent le Démon, ils renient la foi chrétienne, ils piétinent les insignes du christianisme, la cérémonie se termine par une orgie générale où les sorciers s'accouplent avec des démons succubes (femelles) et les sorcières avec des démons incubes (mâles), suit un grand festin au cours duquel sont dévorés des enfants préalablement mis à mort rituellement.

Les prédications de Bernardin de Sienne, en Italie du Nord, vers 1420, ont joué un rôle quant au mythe du sabbat. Il avait inauguré le bûcher des vanités où sont brûlés les objets qui poussent au péché, spécialement ceux qui touchent à la vanité, comme les miroirs, les cosmétiques, les robes richement travaillées, les bijoux, les instruments de musique, mais aussi les livres immoraux, les chansons non religieuses, les images licencieuses.

La première chasse aux sorcières se déroule dans le canton du Valais à la fin des années 1420 et au début des années 1430.

En 1437, Johannes Nider, au livre V de son Formicarius (la fourmilière), le premier, mentionne les vols nocturnes de sorcières et les onguents dont leur corps est enduit, l'adoration du Diable.

Jacques Du Clercq[4] a donné la première description en français du sabbat, qu'il attribue aux Vaudois :

"Alors l'inquisiteur déclara que les ci-dessus nommés avaient été en vauderie [sabbat], en la manière qui suit : Quand ils voulaient aller en vauderie, ils s'enduisaient d'un onguent que le diable leur avait donné ; ils en frottaient une verge de bois bien petite, et des palmes en leurs mains ; mettaient cette vergette entre leurs jambes, s'envolaient où ils voulaient, et le diable les portait au lieu où ils devaient faire ladite assemblée... "

En 1486-1487 deux dominicain rhénans, Jacob Sprenger et Henry Institoris (Krämer), dans le Malleus maleficarum (Le marteau des sorcières)[5], soutiennent la thèse du complot sataniste et de la secte des sorciers. La sorcellerie recrute surtout parmi les femmes. Les sorcières effectuent des vols nocturnes, elles rendent hommage au diable, il y a accouplement avec des démons (incubes), anthropophagie.

Par des démons pareils, les actes sexuels de l'impureté la plus honteuse sont commis, non pour le plaisir mais pour l'infection du corps et de l'âme de ceux dont ils se font incubes et succubes. Ensuite au terme d'un acte pareil, conception et génération parfaites peuvent être réalisées par des femmes : ils peuvent à l'endroit requis du ventre de la femme approcher la semence humaine de la matière préparée pour elle. Tout comme ils peuvent recueillir des semences d'autres choses pour d'autres effets. Dans de telles générations, ce qu'on attribue au démon, c'est seulement le mouvement local et non la génération elle-même, dont le principe n'est pas la puissance du démon ou du corps par lui assumé, mais la puissance de celui de qui est la semence. D'où l'engendré est fils non du démon mais d'un homme. (...) Un démon succube prend la semence d'un homme scélérat, un démon proprement délégué près de cet homme et qui ne voudra pas se faire l'incube d'une sorcière. Il donne cette semence à un autre démon détaché près d'une femme, une sorcière ; et celui-ci, sous une constellation qui lui est favorable pour produire quelqu'un ou quelqu'une capable de maléfices, se fait l'incube d'une sorcière.

En 1489, Ulrich Molitor, dans son De Lamiis et Pythonicis Mulieribus (des sorcières et des devins femmes), nie les incubes : "Il ne me paraît pas possible que le diable, agissant comme succube avec un homme puisse recueillir des germes et les transmettre ensuite, comme incube, à une femme." Il attribue le phénomène de sorcellerie à l'imagination.

En 1563, Johann Wier tient les sorcières pour de pauvres femmes mélancoliques (De praestigiis daemonorum ac incantationibus, trad. : Cinq livres de l'imposture et tromperie des diables, Paris, 1567).

En 1921, Margaret Murray, dans The Witch-Cult in Western Europe, a renouvelé la représentation du sabbat. Elle y voit un culte de la fécondité (Janus, Dianus, Diane).

Le lieu

Selon la tradition, les contes, les légendes, le sabbat est célébré dans une clairière, une lande, à un carrefour, de nuit dans un endroit désert, près d’une source ou d'une fontaine, ou en un lieu offrant une particularité topographique, tel qu’un sommet de colline, un rocher ou un amas de pierres, ou encore un lieu connu depuis la préhistoire, comme un dolmen, ou simplement un grand arbre séculaire, toujours dans la nature et en contact avec elle. Les cultes des religions païennes n’ont rien à voir avec le satanisme : c’est le christianisme qui voudra y voir le diable, qu’il assimilera à ce que les anthropologues appellent le Dieu Cornu ( peut-être le Cernunos des gaulois), divinité symbolisant la vie depuis les premières expériences religieuses des hommes et expression de la pensée magique au cours du paléolithique. Ce n’est qu’en 1303, dans un document où l’évêque de Coventry sera accusé de sorcellerie, que l’Église utilisera pour la première fois le terme de « diable » à propos du Dieu Cornu.

Un cercle de pierres à l'intérieur duquel ils ont exécuté une danse rituelle est la seule trace tangible laissée par les participants au sabbat. Cette danse, au paléolithique comme dans certaines sociétés traditionnelles contemporaines, devait sans doute conduire les participants à un état proche de la transe de type chamanique. À partir du néolithique, avec la naissance de cultes liés à l’observation des astres et leur adoration en tant que divinités, la danse en cercle, un flambeau en main, fait sans doute son apparition, mais les deux types doivent coexister, selon les cérémonies liées aux périodes de l’année.

Les dates

Le sabbat n’a pas particulièrement lieu le samedi mais plutôt à la veille des fêtes chrétiennes. Dans la tradition la plus ancienne, il semble même qu’il ait eu lieu plutôt dans la nuit du jeudi au vendredi. Les solstices, les équinoxes, sont des dates importantes, comme le 2 février (correspondant à la chandeleur), le 1er mai ou le 1er novembre. Avec les débuts de l’agriculture se développent les cultes agraires liés à la fertilité, qui perdureront durant toute l’antiquité et nous sont assez bien connus. Les fêtes en l’honneur de Dionysos, les Bacchanales (voir aussi : Bacchantes) sont en quelque sorte autant de prototypes antiques de ce que sera le sabbat, ou plutôt l'esba, du Moyen Âge. L’on y arrive alors avant minuit pour partir à l’aube.

La cérémonie

Célébration des forces vitales de la Nature incarnées par le Dieu cornu, symbolisé par le cerf ou un autre animal à cornes tel le bouc ou le taureau, et dès les origines certainement personnifié par le chaman de la tribu s’ornant de ses attributs et portant un masque figurant l’animal, maître de la cérémonie, il s’agit d’un spectacle dont les participants sont les acteurs. Aussi la cérémonie se compose-t-elle d’un banquet où l’animal, de la préhistoire à l’antiquité, était sacrifié et consommé sur place. Des drogues extraites de plantes ayant un effet hallucinogène y étaient certainement consommées pour parvenir à la vision extatique durant la danse rituelle. En certains cas, chez les primitifs, une victime humaine, capturée dans une tribu ennemie, était probablement sacrifiée, d’où le cannibalisme parfois évoqué.

Au Moyen Âge, on y vient pour s’échanger les recettes de toute une pharmacopée traditionnelle, onguents, potions, confectionnés avec des simples végétaux ou des organes d’animaux, y apprendre les incantations nécessaires au bon fonctionnement des remèdes, ceci pour ce qui est des réunions, plus particulièrement liées au « culte de Diane » hérité de l’antiquité, fréquentées par une société essentiellement féminine structurée selon des critères égalitaires et matriarcaux où le savoir se transmettait de mère en fille, de génération en génération, de sorcière « initiée » à « adepte » nouvelle recrue. Société de guérisseuses et de sages-femmes, le terme de « Belladone » désignant la plante médicinale est là pour en témoigner. S’y rendent des femmes habiles en leur art, entreprenantes et vivant de leur commerce, fileuses et tisserandes ; et la quenouille, le fuseau apparaissent dans les contes de fées des veillées. Leurs groupes forment alors sans aucun doute des réseaux solidaires.

À partir du moment où les grandes hérésies apparaissent, le sabbat et ses pratiques cultuelles païennes peuvent être génériquement qualifiés de sorcellerie. Cette pratique, tolérée par le christianisme conquérant mais pas encore enracinée en profondeur dans la société rurale (le christianisme ne s’y étant pas implanté du jour au lendemain et le nord de l’Europe et les pays slaves ne furent guère christianisés avant l’an mille), va être perçue comme une forme d’hérésie et combattue comme telle au fur et à mesure que les participants vont devenir plus nombreux. Or ils vont le devenir, et le sabbat va drainer, du fond des campagnes, les déshérités de tout poil et de toutes origines, les mécontents et les malheureux, les « déçus de la religion officielle », par le biais du bouche-à-oreille. Il s’agit alors plutôt d’un festin où les drogues et la boisson ont certainement leur rôle (il suffit de penser au joli champignon rouge à pois blancs qu’est l’amanita muscaria, présent dans l’iconographie des fables). On vient dès lors au sabbat pour oublier des conditions de vie difficiles, pour manger à satiété et faire la fête. Et si le « diable » y fait son apparition, masqué comme il se doit, pour y mener la danse, c’est bien souvent à un rebelle contre l’ordre établi qu’il fait penser. Dans les procès-verbaux des tribunaux de l’Inquisition, il est généralement décrit comme affable et débonnaire, et non pas comme un criminel sanguinaire.

Un des aspects du sabbat souvent évoqué, tant par la culture populaire que par l’Inquisition, est son caractère sexuel, explosion des sens. Dans une société sexophobe où, par tradition religieuse après la rupture avec la liberté sexuelle de l’antiquité qui n'était pas hantée par l'idée de péché, la chasteté est à l’ordre du jour et les interdits nombreux, le sabbat devient l’occasion de rapports sexuels et de relations libres. Indubitablement, cette liberté sexuelle évoquée et qualifiée d’orgiaque fait partie de cette fête comme dans tout rite de la fertilité et en toute occasion sociale dans un monde rural au moment des moissons, des vendanges, etc. Selon la nature et le caractère de ses participants, ces réunions peuvent évidemment avoir connu des dérives bestiales, parfois effectivement sataniques, et criminelles. [réf. nécessaire]

Dans le monde contemporain

Le « culte de Diane » évoqué est également appelé de manière générique « Ancienne Religion » et correspond aujourd’hui au néo-paganisme et à ses formes variées comme le néo-druidisme, ainsi qu'à ce qu’on nomme la Wicca dans le monde anglo-saxon. Margaret Murray soutient que les adeptes du culte de Diane se réunirent de tous temps par groupe de 13 forment un coven.

Eyes Wide Shut, le dernier film de Stanley Kubrick, peut être considéré comme une représentation contemporaine du sabbat, mais le « maître de cérémonie » incarne davantage la puissance de l'argent, Mammon pourrait-on dire, puisque les spectateurs invités ne sont que d'aisés notables, tandis que les jeunes femmes formant cercle ne sont autres que des prostituées payées. Les participantes aux sabbats antiques ne l'étaient pas ou n'y participaient pas à ce titre, de sorte que la meilleure comparaison qu'on puisse faire de nos jours est davantage avec une manifestation de type Woodstock, ou encore avec les rave-party.

La commune d'Ellezelles en Belgique organise chaque dernier samedi du mois de juin la reconstitution d'un sabbat de sorcières. Selon une légende locale, cinq sorcières furent exécutées par la corde et par le feu pour des méfaits de sorcellerie commis sur le site de la commune (lieu-dit Mareû à Chorchiles).

Voir aussi

Articles connexes

Liens externes

Notes et références

  1. Hansen, Quellen und Untersuchungen zur Geschichte des Hexenwahns und der Hexenverfolgung im Mittelalter, Bonn, 1901, V-703 p.
  2. Norman Cohn, Démonolâtrie et sorcellerie au Moyen Âge, 1975, trad., Payot, 1982.
  3. Jean-Michel Sallmann, Dictionnaire historique de la magie et des sciences occultes, Le livre de poche, coll. "Pochothèque", 2006, p. 633.
  4. Jacques Du Clercq, Mémoires d'un magistrat d'Arras (1448-1467).
  5. Sprenger et Krämer, Le marteau des sorcières (1486-1487), trad., Jérôme Millon, 1987.
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