- Drac (demon)
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Drac (démon)
Pour les articles homonymes, voir Drac (homonymie).Drac est un nom qui désigne, principalement en Occitanie et en Catalogne, un grand nombre de créatures imaginaires de formes variables, dont la plupart sont considérées comme des dragons[1] représentant le diable, liés à l'eau et à ses dangers.
Sommaire
Étymologie, origine et variantes
L'étymologie de drac est celle de dragon, du latin draco[2] ou du grec drakon. La rivière de ce nom, le Drac, dont l'étymologie plus certaine est Drau, d'après une racine hydronomique dur, dora, a été représentée par une figure de créature hybride du drac occitan, génie des eaux[2]. La correspondance avec le dragon étant renforcée par les multiples « colères » dévastatrices de la rivière qui inondait la ville de Grenoble avant d'être déviée et canalisée par des digues (Le serpent et le dragon étaient les noms donnés à l'Isère et au Drac). On trouve aussi les féminins draga, draquessa, ainsi que draquet (parfois drapet)[3], ou encore dracou[4] qui peuvent être des diminutifs (signifiant un petit, ou un jeune drac), ou désigner une créature distincte.
Descriptions
Selon les légendes folkloriques associées, le drac peut avoir différentes formes. Il est tantôt décrit comme un dragon, un génie des eaux, un lutin et même un être humain[1], ou une grande quantité d'animaux différents plus ou moins assimilés au diable.
Dragon
La forme première du Drac est celle du dragon classique. Il possède parfois un joyau sur le front, comme les vouivres[1]. La relation de l'ascension historique du Canigou, par le roi Pierre III d'Aragon, dit qu'en arrivant à proximité du sommet, il trouva un lac d'où s'envola un dragon. Ce drac fut terrassé plus tard par saint Guillaume de Combret[5]. Drac est le nom catalan du dragon (le patron de la Catalogne est saint Georges, combattant emblématique du dragon), mais la plupart des dracs catalans sont liés à l'eau, tel celui qui, vaincu par saint Éméré, ou saint Mer, vivait dans le lac de Banyoles[6]. Le dragon est un élément récurrent dans l'héraldique catalane et dans de nombreuses localités des dragons, souvent cracheurs de feu, sont promenés dans les rues lors des fêtes[7].
La légende dorée de sainte Énimie, patronne de la ville du même nom, en Lozère, dit que celle-ci eut à lutter contre un Drac, un dragon diabolique.
Dans les Alpes, les dragons abondent comme ailleurs. En 1548, le pasteur suisse Johannes Stumpf publie à Zurich une Chronique dans laquelle il propose une première « classification » des dragons, considérés comme des animaux réels : il distingue le Track (Drache) qui vit dans des grottes sous les sommets, et le Lindwurm qui hante les gorges des torrents[8].
Génie des eaux
On a dès le XIIIe siècle des relations de dracs habitant les eaux du Rhône. Un chroniqueur de l'époque dit qu'ils peuvent prendre une apparence humaine, et qu'ils font flotter sur les eaux des coupes en or, ou des anneaux, qui attirent les humains. Quand ceux-ci se sont penchés ou avancés dans l'eau, les dracs s'emparent d'eux pour les dévorer ou se servir d'eux[9] : le drac de Beaucaire est une célèbre légende chroniquée par Gervais de Tilbury au début du XIIIe[10]. Elle raconte l'histoire d'une femme enlevée par un drac alors qu'elle lavait son linge au bord du Rhône : elle avait vu une coupe de bois flotter et n'avait pu s'empêcher de la saisir, c'est alors qu'un dragon l'entraîna par le fond et la força à devenir la nourrice de son fils. Elle vit le dragon enlever des humains en prenant lui-même une apparence humaine puis, sept ans plus tard, elle revint saine et sauve. Son mari et son ami la reconnurent à peine[10].
Dans les régions occitanes, le drac est souvent considéré comme un génie des eaux, une sorte de sirène mâle souvent accompagné de sa forme féminine, la draga, aussi appelée dauna d'aiga en occitan, dona d'aigua en catalan (« dame d'eau »). En Ariège, on a relevé de nombreux témoignages sur les dragas : à Lordat, elles vivaient dans des grottes, près d'un ruisseau où elles faisaient leur lessive avec des battoirs en or, et elles n'avaient qu'un œil au milieu du front. En Pays de Foix, les dragas vivent dans les cours d'eau, ont un corps serpentiforme et sont assimilées à des fées. Elles sont très vindicatives vis-à-vis des intrus, et seul le son des cloches les arrête[11].
Dans ses Contes populaires de la Gascogne, Jean-François Bladé a deux contes intitulés Le drac. Dans le premier[12], le drac n'a pas de forme explicite (on peut supposer qu'il a une apparence humaine), il se désigne lui-même comme le Roi des eaux, il vit dans un beau château au milieu d'un jardin sur la mer, il peut marcher sur les flots et commander vents et tempêtes.
La plupart de ces génies des eaux sont décrits comme vivant dans les sources ou les puits[1]. Certaines descriptions font état de longs cheveux d'algues vertes et de nageoires translucides, à l'instar des ondins[1].
Âne rouge ou cheval, formes du Diable
Dans les Pyrénées, le drac peut se présenter sous la forme d'un grand âne rouge qui surgit la nuit, souvent à proximité d'un pont, et qui peut s'enfler démesurément et effrayer le passant pour le précipiter dans la rivière et le noyer. D'autres fois, l'âne rouge prend l'aspect d'un animal paisible, des enfants montent sur son dos et le corps de l'âne s'allonge jusqu'à accueillir un grand nombre d'enfants (en général, sept). Il se jette alors dans l'eau d'un étang ou d'une rivière, les entraînant tous dans la mort. Ces légendes avaient cours de la Catalogne à la Bigorre[13] et au-delà, dans tout le domaine occitan. Près de Narbonne, un cheval engloutissait les imprudents dans le Trou de Viviès. Dans un conte de l'Albret de l'abbé Léopold Dardy, c'est un cheval rouge qui jette neuf enfants dans une fondrière[14]. À Aigues-Mortes, un cheval nommé drapé (drapet, draquet ?) emporte les enfants vers une destination inconnue.
En Rouergue, le drac était un démon poursuivant les hirondelles. Ceci expliquait le vol erratique de cet oiseau. En fait, l'hirondelle suit les moustiques qui font des tours et détours pour échapper à leur prédateur. Mais les insectes étant trop petits pour être vus de loin, il a fallu trouver une autre raison pour expliquer ce vol.
Dans les légendes languedociennes, notamment de Rouergue et dans la région du Viaur, selon l'écrivain occitan Jean Boudou qui a écrit les Contes du Drac, le drac est considéré comme étant le fils du diable. De son épouse, nommée en occitan draquessa, il eut une multitude de descendants, les dracous, qui ne cessent de jouer des tours plus ou moins pendables aux humains.
Enfin, le drac peut prendre la forme d'animaux variés : par exemple, un agneau ou une brebis, que le passant prend sur ses épaules. L'animal se met alors à peser de plus en plus. La fin peut être dramatique, mais le plus souvent l'animal disparaît dans un ricanement, en disant qu'il a fait une bonne promenade et le naïf s'en tire avec une frayeur rétrospective. Dans ce type d'anecdotes, très fréquentes, le drac n'est pas toujours cité nommément. Plus rarement, il se transforme en objets : une jeune fille trouve sur son chemin une belle pelote de fil, qu'elle utilise pour coudre sa robe de mariée. En pleine cérémonie, la robe tombe en morceaux, la laissant à moitié nue. C'était un drac qui s'était changé en fil[15].
Lutin
Le drac est enfin une sorte de lutin[16], souvent désagréable, mais pas vraiment malfaisant, qui s'amuse à jouer toutes sortes de tours aux humains dans leurs maisons, à exciter le bétail, à mener grand tapage. Le plus souvent, il existe des méthodes pour s'en débarrasser : comme ils doivent laisser les choses dans leur état initial avant de repartir, on place sur leur passage un bol rempli de grains, qu'ils renversent, et ils doivent ramasser tous les grains sans en oublier un seul (ou, dans les contes d'Auvergne, un bol rempli de cendres), tâche fastidieuse qui les dissuade de revenir. Selon d'autres sources, les dracs adorent compter, il suffit donc de mettre sur leur passage une grande quantité de petits objets, comme un bol de graines, pour les occuper ; ou bien, comme le fait un paysan rusé, qui dit à un drac qu'il était fils des étoiles, et que toutes lui appartenaient : le drac est encore en train de les compter. Dans le second conte Le drac de Bladé[17], le lutin rend des services tant que l'humain respecte les termes du contrat, puis se venge terriblement, et on ne sait pas comment il disparaît : soit qu'il parte de lui-même, soit par l'intervention d'un devin lanusquet (les devins des Landes étaient réputés pour leur efficacité).
Dans l'Aude, en Pays de Sault et au Pays d'Olmes, on confectionnait avec les restes de pâte un gâteau du Drac, que l'on laissait dans un coin afin de se concilier ses bonnes grâces[18].
Notes et références
- ↑ a , b , c , d et e Édouard Brasey, La Petite Encyclopédie du merveilleux, Éditions le pré aux clercs, Paris, 14 septembre 2007, 435 p. (ISBN 978-2842283216), p. 145
- ↑ a et b Frédéric Mistral, Trésor du Félibrige : « Le Drac du Rhône était un monstre ailé et amphibie qui portait sur le corps d'un reptile les épaules et la tête d'un beau jeune homme. Il habitait le fond du fleuve où il tâchait d'attirer, pour les dévorer, les imprudents gagnés par la douceur de sa voix »
- ↑ Frédéric Mistral, Trésor du Félibrige, article Drapet
- ↑ Jean Boudou, Contes du Drac)
- ↑ Olivier de Marliave, Panthéon pyrénéen, Toulouse, Loubatières, 1990, p. 120
- ↑ Joan Soler i Amigó, Mitologia catalana, dracs, gegants i dones d'aigua, Barcelona, Barcanova, 1990, p. 106
- ↑ Voir ca:Drac
- ↑ Michel Meurger, L'espace et le temps des dragons : le dragon dans l'aire européenne, in Êtres fantastiques, de l'imaginaire alpin à l'imaginaire humain, Musée dauphinois, Grenoble, 2006
- ↑ Paul Sébillot, Le Folklore de France, 1904-1906, « Les Eaux douces », p. 170, rééd. Imago, 1983
- ↑ a et b Gervais de Tilbury, Otia Imperalia (vers 1214), traduction de Marcel Maupoint
- ↑ Charles Joisten, Les Êtres fantastiques dans le folklore de l'Ariège, Toulouse, Loubatières, 2000
- ↑ Jean-François Bladé, Contes populaires de la Gascogne, éditions Aubéron, 2008, p. 161
- ↑ Olivier de Marliave, Panthéon pyrénéen, p. 102
- ↑ Léopold Dardy, Anthologie populaire de l'Albret, rééd. IEO, 1985, vol. 2, p. 106-107
- ↑ Richard Bessière, Traditions, légendes et sorcellerie, de la Méditerranée aux Cévennes, éditions de Borée, 2004
- ↑ Frédéric Mistral, Tresor dou Felibrige, article Drapet, ou draquet, « petit Drac, petit lutin en Languedoc »
- ↑ Jean-François Bladé, Contes populaires de la Gascogne, p. 331
- ↑ Olivier de Marliave, Panthéon pyrénéen, p. 106
Annexes
Articles connexes
Liens externes
Bibliographie
- Paul Sébillot, Folklore de France, 1904-1906. rééd. sous le titre Croyances, mythes et légendes des pays de France, établi par Francis Lacassin, Éditions Omnibus, 2002, (ISBN 2-286-01205-9)
- Olivier de Marliave, Panthéon pyrénéen, Toulouse, Loubatières, 1990
- Jean-François Bladé, Contes populaires de la Gascogne, éditions Aubéron, 2008
- Léopold Dardy, Anthologie populaire de l'Albret, 1890, rééd. IEO, 1985
- Charles Joisten, Les Êtres fantastiques dans le folklore de l'Ariège, Toulouse, Loubatières, 2000
- Jean Boudou (Joan Bodon) : Los contes del Drác (Les contes du Drac), 1975. Rééd. Rodez, Edicions de Roèrgue (occitan), Éditions du Rouergue (français), 1989.
- Joan Soler i Amigó, Mitologia catalana, dracs, gegants i dones d'aigua, Barcelona, Barcanova, 1990
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