Diathese

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Diathèse

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Le terme de diathèse s'utilise en linguistique pour désigner ce que l'on entend plus communément par « voix » verbale. C'est un trait grammatical décrivant comment s'organisent les rôles sémantiques dévolus aux actants par rapport au procès verbal ; elle considère surtout comment sont répartis ceux d'acteur du procès verbal et de patient (le cas échéant). Changer la diathèse d'un verbe quand l'opération est possible ne doit pas modifier profondément le sens de l'énoncé. Le terme de voix est réservé à la morphologie verbale : il décrit la forme que prend le verbe pour signifier une diathèse.

Certains verbes sont intrinsèquement dénués de toute notion de diathèse : ce sont principalement les verbes d'état (comme être, paraître, sembler, demeurer, rester, etc. en français) ; ceux-ci sont en effet extérieurs à la notion d'actance. Ils se conjuguent cependant à la voix active (qui est la voix non marquée en français). Distinguer voix de diathèse est donc nécessaire dans l'analyse de détails.

L'on considère qu'il existe deux diathèses principales que l'on peut permuter, la voix active et la voix passive. Ce ne sont cependant pas les seules.

Sommaire

Voix active

Dans cette diathèse, le sujet grammatical et l'objet grammatical coïncident respectivement avec les rôles sémantiques d'acteur et d'objet patient. La voix active est de loin la manière « normale » et la plus répandue dans les langues du monde pour énoncer une action verbale.

Dans les langues flexionnelles, le sujet est normalement au nominatif, l'objet à l'accusatif. Le cas est différent dans les langues à ergativité verbale (voir aussi plus bas).

Exemples :

  • français : le chat [sujet acteur] mange [verbe] la souris [objet patient] ;
  • anglais : the cat [sujet acteur] is eating [verbe] the mouse [objet patient] ;
  • chinois : 貓 [sujet acteur] 吃 [verbe] 老鼠 [objet patient] (māo / chī / lǎoshǔ) ;
  • grec ancien : ὁ αἴλουρος [sujet acteur : nomin.] ἔδει [verbe] τὸν μῦν [objet patient : accus.] (ho aíluros / édei / tòn mũn) ;
  • japonais : 猫が [sujet acteur] ねずみを [objet patient] 食べます [verbe] (neko-ga / nezumi-wo / tabemasu) ;
  • xhosa : ikati [sujet acteur] iyatya [verbe] impuku [objet patient].
  • allemand :"die Katze" [sujet acteur] "isst" [verbe] "die Maus" [objet patient].

Voix passive

Il est notable que toutes les langues n'ont pas le choix entre plusieurs voix : la voix passive est donc une possibilité parmi d'autres d'énoncer l'action verbale. C'est le cas en créole de la Guadeloupe, par exemple, qui ne dispose que de l'actif (il y existe cependant quelques verbes de sens passif, comme pri « être pris » par opposition à pwann « prendre », mais cette distinction est lexicale et non syntaxique : il n'est pas possible de transformer n'importe quelle phrase active en phrase passive. Ainsi : an ka pwann biten-lasa « je prends cette chose » ~ biten-lasa ka pri « cette chose est prise », mais on ne peut rendre passif l'énoncé an ka vwè biten-lasa « je vois cette chose » parce qu'il n'existe pas de verbe « être vu »).

Dans cette diathèse, l'objet patient devient sujet grammatical. C'est donc une thématisation du patient par inversion des actants.

Passif agentif

Cette diathèse est le plus souvent sentie comme secondaire par rapport à la voix active (qui serait un « degré zéro » d'expression) ; il s'agit de la transformation d'un énoncé actif, dans laquelle l'objet patient de l'actif devient le sujet patient (« sujet grammatical qui subit l'action »), tandis que le sujet acteur devient le complément d'agent du verbe. Ce qui montre bien le caractère secondaire de cette diathèse dans certaines langues, c'est la possibilité de construire un énoncé passif agentif (à partir d'un verbe qui s'y prête) tout en créant une phrase qui « ne se dirait pas » ; prenons l'exemple du français : la choucroute est mangée par moi est un énoncé valide mais artificiel par rapport à je mange la choucroute.

Le verbe lui-même peut changer de forme dans les langues flexionnelles (il se met à la voix passive). Selon les langues, le complément d'agent est souvent introduit par une préposition :

  • Actif : [A = actant¹ = sujet acteur] + [B = procès verbal] + [C = actant² = objet patient] ;
  • Passif : [C = actant¹ = sujet patient] + [B = procès verbal] (+ [prép.]) + [A = actant² = d'agent].
Il est entendu que l'ordre dans lequel se suivent les actants dépend de la langue.

Exemples de transformation passive des énoncés précédents :

  • français : la souris [sujet patient] est mangée [verbe au passif] par [prép.] le chat [complément d'agent] ;
  • anglais : the mouse [sujet patient] is eaten [verbe au passif] by [préposition] the cat [complément d'agent] ;
  • chinois : 老鼠 [sujet patient] 被 [prép.] 貓 [complément d'agent] 吃了 [verbe invariable] (lǎoshǔ / bèi / māo / chīle)[1] ;
  • grec ancien : ὁ μῦς [sujet patient : nomin.] ἔδεται [verbe au passif] (ὑπὸ [prép.]) τοῦ αἰλούρου [complément d'agent : cas oblique] (ho mũs / édetai / hupò / toũ ailúrou[2] ;
  • japonais : ねずみは [sujet patient] 猫に [complément d'agent] たべられます [verbe au passif] (nezumi-wa / neko-ni / taberaremasu) ;
  • xhosa : impuku [sujet patient] ityawa [verbe au passif] yikati [complément d'agent][3].

L'on a ici envisagé les cas où la phrase passive serait le résultat de la transformation d'une phrase active. Le complément d'agent y est donc obligatoire, puisqu'il reprend le sujet de la phrase active. Par conséquent, seuls les verbes transitifs directs (c'est-à-dire les bi- ou trivalents) peuvent subir cette transformation (on ne peut considérer valides des transformations comme je lui parle > *il est parlé à par moi ; en revanche, cette langue est parlée par des milliers de locuteurs est valide, puisque l'on utilise le verbe parler de manière transitive directe). C'est pour cela que l'on parle de passif agentif.

Passif non agentif

Il existe cependant des constructions passives qui ne sont pas issues de telles transformations et dans lesquelles l'agent n'est pas nécessaire voire impossible. Si le sujet patient d'un énoncé au passif non agentif continue de « subir l'action », le sujet sémantique de l'énoncé (celui qui agit réellement) n'est pas indiqué. Dans certaines langues (anglais, latin, grec dans une moindre part) un verbe peut être mis au passif non agentif alors qu'il est intransitif ou transitif indirect ; il peut même recevoir un objet patient. Dans ce cas, le passif non agentif sert de forme impersonnelle, indiquée dans les exemples suivants par la traduction au moyen de on.

Exemples :

  • français : la souris [sujet patient] est mangée [verbe transitif direct au passif][4] ;
  • anglais :
    • the mouse [sujet patient] is eaten [verbe transitif direct au passif],
    • this bed [sujet patient] has been slept in [verbe intransitif au passif] = « *ce lit a été dormi dans » = « on a dormi dans ce lit »,
    • Marc [sujet destinataire] was given [verbe transitif au passif] a knife [objet patient][5] = « *Marc fut donné un couteau » = « on donna à Marc un couteau » ;
  • norvégien :
    • det sies at... (« on dit que », litt. « il est dit que »)
  • latin :
    • amor [verbe transitif au passif] = « je suis aimé »,
    • laboratur [verbe intransitif au passif] = « *il est travaillé » = « on travaille »[6] ;
  • grec ancien :
    • φιλοῦμαι [verbe transitif au passif] (philoũmai) = « je suis aimé »,
    • βεϐοήθηται [verbe transitif indirect au passif] μοι [objet indirect] (beboếthêtai) = « il m'a été porté secours » = « on m'a porté secours »[7] ;
  • chinois[8] :
    • 他 [sujet] 被 [prép.] 打了 [verbe transitif + accompli] (tā bèi dǎle) = « il / par / avoir frappé » = « il a été frappé »,
    • 老鼠 [sujet-patient ou sujet agissant] 吃了 [verbe transitif + accompli] (lǎoshǔ chīle) = « la souris / avoir mangé » = « la souris a été mangée » ou « la souris a mangé ».

On le voit, le passif non agentif est sans doute la forme la plus complexe de passif ; son emploi varie énormément d'une langue à l'autre et ses emplois permettent des énoncés parfois intraduisibles directement.

Voix moyenne

Bien moins répandue, la voix moyenne est une diathèse surtout indo-européenne, qui ne s'est que rarement conservée dans les langues modernes dérivées. Elle indique que le sujet-agent accomplit l'action dans son propre intérêt ; il est en sorte agent et patient du procès verbal. Certaines utilisations de la voix moyenne recoupent donc celles de la construction réflexive (comme je me lave). Il serait cependant erroné de parler de voix moyenne pour le français (d'autant plus que la tournure pronominale ne se limite pas à cette diathèse). Le moyen se rencontre principalement en grec ancien, sanskrit, islandais (ancien et moderne) et latin pour une faible part (celui-ci ayant transformé la diathèse moyenne en passif). Il est notable qu'historiquement l'indo-européen opposait l'actif au moyen et ne connaissait pas le passif, qui n'a été qu'un développement tardif, souvent à partir du moyen lui-même (comme en latin). Ainsi, en grec ancien le moyen et le passif sont identiques sauf à deux temps, futur et aoriste : c'est pour cela qu'on parle souvent de voix médio-passive. En sanskrit, le passif et le moyen ne se distinguent principalement qu'au présent ; ailleurs, c'est le moyen qui est utilisé pour signifier l'une ou l'autre voix. En islandais, enfin, les verbes moyens sont obtenus par la suffixation de -st (qui vient de -sk en vieil islandais, lui-même issu de sik, accusatif du pronom réfléchi « soi-même ») et ne sont pas hérités de l'indo-européen. Ils possèdent plusieurs valeurs, parmi lesquelles une valeur réfléchie (voire moyenne), réciproque, passive, ou perfective, entre autres. On le voit, on nomme « voix moyenne » une diathèse qui n'est pas forcément de valeur moyenne mais peut emprunter les valeurs des autres diathèses.

En outre, certains verbes des mêmes langues indo-européennes sont exclusivement conjugués au moyen ; on les nomme media-tantum (seulement moyens) ou encore déponents (ce dernier terme étant surtout réservé au latin et au grec). S'il existe bien quelques verbes media tantum de valeur passive, dans la plupart des cas celle-ci est moyenne, active ou intransitive. De plus, vu qu'en en latin la diathèse moyenne est devenue passive, les media tantum qui ont conservé un sens moyen sont particulièrement notables.

Exemples :

  • grec ancien :
    • θύομαι « je sacrifie pour moi » (valeur moyenne),
    • κεῖμαι « je gis » (media tantum de valeur intransitive),
  • sanskrit :
    • यज॑ते yájate « il sacrifie pour lui-même » (valeur moyenne),
    • शेते॑ śéte « il gît » (media tantum de valeur intransitive),
  • latin :
    • inquinor « je me salis » (media tantum à valeur moyenne),
    • uēlor « je me couvre » (media tantum à valeur moyenne),
    • sequor « je suis » [suivre] (media tantum à valeur active),
  • islandais :
    • matast « manger » (valeur intransitive),
    • sjást « être vu » (valeur passive),
    • klæðast « s'habiller » (valeur moyenne),
    • iðrast « se repentir » (media tantum),
    • skjátlast « se méprendre » (media tantum).

Réflexion

Constructions ergatives

On parle d'ergativité quand, dans une diathèse active, le sujet grammatical est le patient sémantique ; c'est le cas de phrases comme :

  • français : la branche [sujet patient] a cassé ;
  • anglais : the branch [sujet patient] broke.

Ce qui prouve que l'on a affaire à des sujets patients est la possibilité de changer la diathèse du verbe sans inverser les actants : la branche casse et la branche est cassée sont sémantiquement identiques (au contraire de bébé mange et bébé est mangé). On peut obtenir le même genre de constructions avec des verbes comme pendre (« la montre pend à son poignet » = « ... est pendue à son poignet ») ou planter (« le logiciel plante encore » = « ... est encore planté »).

Dans certaines langues (langues du Caucase, basque, inuktitut), l'ergativité ne se limite pas à quelques constructions mais fait partie du système de la langue.

Pragmatique de l'emploi du passif en français

En effectuant des tests statistiques sur des groupes de sujets, on a pu mettre en évidence des préférences pour la forme active ou passive, selon le cas, au sein de couples de phrases en français, et en inférer les motivations plus ou moins conscientes.

Voici une synthèse des exemples et explications proposés par Jean Costermans dans son ouvrage Psychologie du langage [9] :

Cas Forme active Forme passive Préférence Explication avancée
1 Ce livre comporte onze chapitres * Onze chapitres sont comportés par ce livre Actif Passif possible seulement si le verbe exprime une action
2 Le garçon lance la balle La balle est lancée par le garçon Actif Terme animé en premier
3 Les bandits ont attaqué le piéton Le piéton a été attaqué par les bandits 50% Terme singulier a tendance à être placé en premier
4 Le médecin trompe sa femme Sa femme est trompée par le médecin Actif Terme comportant une référence possessive à l’autre en second
Son avocat réconforte l’accusé L’accusé est réconforté par son avocat Passif
5 La voisine m’a recommandé ce produit Ce produit m’a été recommandé par la voisine Passif Terme comportant un déterminant contextuel en premier
L’ouragan a arraché son toit Son toit a été arraché par l’ouragan Passif
6 Je pensais que le gangster avait blessé un policier Je pensais qu’un policier avait été blessé par le gangster Actif Terme défini (« le ») en premier
Je pensais qu’un gangster avait blessé le policier Je pensais que le policier avait été blessé par un gangster Passif
7 Des champignons ont empoisonné sa sœur Sa sœur a été empoisonnée par des champignons Passif Animé > Inanimé
Singulier > Pluriel
Déterminé > Indéterminé
(3 facteurs s’additionnant)
8 (« portefeuille » déjà évoqué) Passif Topique contextuel
On a retrouvé le portefeuille Le portefeuille a été retrouvé
9 (terme « train » déjà employé en tant qu’agent) Actif Préconditionnement sémantique contextuel
Le train a heurté la voiture La voiture a été heurtée par le train
(terme « voiture » déjà employé en tant que patient) Passif
Le train a heurté la voiture La voiture a été heurtée par le train

Notes

  1. Il est nécessaire, en chinois, d'utiliser un verbe marqué d'une particule aspecto-temporelle (ici 了 [+ accompli]) quand la phrase est passive. La phrase vaut donc « la souris a été mangée par le chat ». L'ensemble 吃了 ne doit ainsi pas être considéré comme un verbe conjugué au passif mais un verbe à l'accompli.
  2. Normalement, seuls les compléments d'agents représentant des personnes sont introduits par la préposition ὑπὸ (de même en latin pour la préposition ab). Ce cas est intéressant car il montre la grande proximité entre le complément d'agent et le complément circonstanciel de moyen ou de cause : on considère en effet en grec et en latin que les compléments d'agents inanimés de verbes passifs ne prennent pas la préposition car ils sont en fait des compléments circonstanciels. Ainsi, un énoncé gréco-latin tel que « la maison est secouée par le vent » serait rendu par une phrase signifiant « la maison est secouée au moyen du vent », et un tel complément ne prendrait, de fait, pas de préposition.
  3. Yikati est aussi utilisé pour exprimer « c'est le chat » ; -wa exprime la voix passive.
  4. En français, le passif non agentif et le passif agentif ne se distinguent que par l'absence de complément d'agent. Seuls les verbes transitifs directs peuvent être concernés.
  5. On note là une construction équivalent à a knife [sujet patient] was given [verbe transitif au passif] to Marc [complément d'attribution]. Le patient de la phrase n'est plus le sujet grammatical de la phrase passive.
  6. Passif impersonnel sans sujet patient réel.
  7. Les constructions impersonnelles sont moins fréquentes en grec et se limitent à un certain nombre de verbes.
  8. Le chinois fonctionne bien différemment des autres langues vues jusqu'ici : il distingue syntaxiquement les constructions au passif non agentif selon que le sujet-patient est humain ou non humain. Dans le premier cas, la préposition 被 bèi (ou « pseudo-verbe » : en chinois, les prépositions fonctionnent souvent comme des verbes ; le terme même de « préposition » n'est qu'une habitude de la grammaire latine) doit être utilisée seule, devant le verbe (on peut aussi considérer qu'elle est employée comme préfixe verbal). Elle correspond à la préposition par, by, ὑπὸ, ab, des autres langues analysées ici. Si le sujet-patient est non humain, rien ne permet de distinguer syntaxiquement la diathèse d'un verbe transitif employé absolument (sans objet). Seul le contexte permet de trancher.
  9. Jean Costermans, Psychologie du langage, Ed. Pierre Mardaga, Bruxelles (ISBN 2-87009-125-7)

Voir aussi

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