Correspondance fondamentale de Foata

Correspondance fondamentale de Foata

Sommaire

Description de la correspondance fondamentale de Foata

Il y a plusieurs manières d'encoder une permutation à l'aide d'une suite \scriptstyle\ \omega=(\omega_{1}, \omega_{2}, \dots, \omega_{n}) de \scriptstyle\  n nombres distincts tirés de \scriptstyle\  [\![1,n]\!]  :

  • de la manière la plus classique, à partir de \scriptstyle\  \omega,\ on obtient la permutation \scriptstyle\  T\omega=\sigma définie par \scriptstyle\  \sigma(i)=\omega_{i},\ \scriptstyle\  1\le i\le n  ;
Exemple  :

Si \scriptstyle\ \omega{=}(2,8,10,6,1,3,12,5,4,9,7,15,11,14,13),\ alors

 \begin{align}
\sigma(1)&=2
\\
\sigma(2)&=8
\\
\sigma(3)&=10
\\
\sigma(4)&=6
\\
\dots&=\dots
\end{align}
  • d'une manière plus liée à la structure des cycles, à partir de \scriptstyle\  \omega,\ on obtient la permutation \scriptstyle\  R\omega=\tau définie par \scriptstyle\  \tau(1)=\omega_{1},\ \scriptstyle\  \tau^2(1)=\omega_{2},\ ... , \scriptstyle\  \tau^k(1)=\omega_{k},\ tant que \scriptstyle\  k est plus petit que la longueur \scriptstyle\  \ell_{1} du cycle de \scriptstyle\  \tau contenant 1 ( \scriptstyle\  \ell_{1} est la taille de l'orbite de 1) : la position de 1 dans la suite \scriptstyle\  \omega signale d'ailleurs la longueur de ce cycle : \scriptstyle\  \omega_{\ell_{1}}=1.\ Comment interpréter alors \scriptstyle\  \omega_{\ell_{1}+1}  ? Foata propose d'utiliser la suite restante \scriptstyle\  \omega^{\prime}=(\omega_{\ell_{1}+1}, \omega_{\ell_{1}+2}, \dots, \omega_{n}),\ si elle n'est pas vide, pour encoder les images du plus petit élément \scriptstyle\  m_{2} de cette suite
m_{2}=\min\{\omega_{k}\ |\ell_1+1\le k\le n\},
en posant \scriptstyle\  \tau(m_{2})=\omega_{\ell_1+1},\ \scriptstyle\  \tau^2(m_{2})=\omega_{\ell_1+2},\  \dots ,\  \tau^k(m_{2})=\omega_{\ell_1+k},\ là encore, tant que \scriptstyle\  k est plus petit que la longueur \scriptstyle\  \ell_{2} du cycle de \scriptstyle\  \tau contenant \scriptstyle\  m_{2}  : la position de \scriptstyle\  m_{2} dans la suite \scriptstyle\  \omega signale d'ailleurs la longueur de ce cycle : \scriptstyle\  \omega_{\ell_{1}+\ell_{2}}=m_{2}.\ On itère alors le procédé avec la suite \scriptstyle\  \omega^{\prime\prime}=(\omega_{\ell_{1}+\ell_{2}+1}, \omega_{\ell_{1}+\ell_{2}+2}, \dots, \omega_{n}),\ tant qu'elle n'est pas vide, pour encoder les images du plus petit élément de cette suite
m_{3}=\min\{\omega_{k}\ |\ell_{1}+\ell_{2}+1\le k\le n\}.
Le nombre d'itérations de ce procédé est le nombre de cycles de la décomposition de \scriptstyle\  \tau en cycles disjoints.

Cette seconde correspondance entre suites sans répétitions et permutations est précisément la correspondance fondamentale de Foata.

Exemple  :
  • Toujours avec \scriptstyle\ \ \omega{=}(2,8,10,6,1,3,12,5,4,9,7,15,11,14,13),\ on a
 \begin{align}
m_{1}&=1,\ \ell_{1}=5,\ \tau(1)=2,\ \tau(2)=8,\ \tau(8)=10,\ \tau(10)=6,\ \tau(6)=1,
\\
m_{2}&=3,\ \ell_{2}=1,\ \tau(3)=3,
\\
m_{3}&=4,\ \ell_{3}=3,\ \tau(4)=12,\ \tau(12)=5,\ \tau(5)=4,
\\
m_{4}&=7,\ \ell_{4}=2,\ \tau(7)=9,\ \tau(9)=7,
\\
m_{5}&=11,\ \ell_{5}=2,\ \tau(11)=15,\ \tau(15)=11,
\\
m_{6}&=13,\ \ell_{6}=2,\ \tau(13)=14,\ \tau(14)=13.
\end{align}
Ainsi la correspondance fondamentale de Foata associe à \scriptstyle\  \omega la permutation \scriptstyle\  \tau dont la décomposition en cycles disjoints est :

\tau=(2,8,10,6,1)\ (3)\ (12,5,4)\ (9,7)\ (15,11)\ (14,13)\ =\ R(\omega).
Par ailleurs l'écriture traditionnelle de \scriptstyle\  \tau est :

T^{-1}\circ R(\omega)=(2,8,3,12,4,1,9,10,7,6,15,5,14,13,11).
  • D'un autre côté, la décomposition en cycles disjoints de \scriptstyle\  \sigma est :

\sigma=(2,8,5,1)\ (10,9,4,6,3)\ (12,15,13,11,7)\ (14).
Ainsi la correspondance fondamentale de Foata associe à \scriptstyle\  \sigma la suite \scriptstyle\  \tilde{\omega} suivante :

\tilde{\omega}=R^{-1}\circ T(\omega)=(2,8,5,1,10,9,4,6,3,12,15,13,11,7,14).

Bijectivité

Cet encodage d'une permutation par une suite, attribué à Foata, est-il bijectif, c.-à-d. atteint-on toutes les permutations ? N'atteint-on pas plusieurs fois la même permutation ? En effet, un cycle de longueur \scriptstyle k donné s'écrit de \scriptstyle k manières différentes (123 s'écrit aussi 231 ou 312), et l'unique décomposition en cycles d'une permutation à \scriptstyle \ell cycles disjoints, de longueurs respectives \scriptstyle (k_{j})_{1\le j\le\ell},\ s'écrit donc de

\ell !\prod_{1\le j\le\ell}k_{j}

manières différentes, puisque des cycles disjoints commutent. De plus la séquence obtenue en juxtaposant les écritures des différents cycles est ambigüe, car on y perd la trace des séparations entre les cycles.

Cependant, on notera que la séquence obtenue à l'aide de la correspondance de Foata évite tous ces écueils. En effet on n'écrit pas chaque cycle n'importe comment, mais en terminant par son plus petit élément, ce qui fixe une manière unique d'écrire chaque cycle. Par ailleurs, on n'écrit pas les cycles dans n'importe quel ordre, mais rangés par ordre croissant du plus petit élément de chaque cycle. Il est ainsi clair que chaque permutation possède un seul encodage, bien défini, donné par le cycle contenant 1, écrit de sorte à se terminer par \scriptstyle m_{1}=1,\ suivi par le cycle contenant le plus petit élément, \scriptstyle m_{2},\ n'appartenant pas au cycle de 1, s'il existe des éléments n'appartenant pas au cycle contenant 1, ce deuxième cycle écrit de sorte à se terminer par \scriptstyle m_{2},\ etc ...

Réciproquement, chaque encodage \scriptstyle \omega ne peut être associé qu'à une seule permutation : en effet, bien que la fin de chaque cycle ne soit pas indiquée par l'encodage (qui est une suite de \scriptstyle n nombres tous différents, mais sans marques qui puissent indiquer la fin de chaque cycle), on remarque que si \scriptstyle \omega est associé, via la correspondance fondamentale de Foata, à une permutation \scriptstyle \tau,\ alors chaque \scriptstyle m_{i} est plus petit que tous les nombres entiers situés après lui dans la suite \scriptstyle \omega,\ et que cette propriété est caractéristique des \scriptstyle m_{i},\ puisque le plus petit élément du cycle apparaissant en dernier dans le cycle, les autres nombres du cycle sont suivis, un peu plus loin, par un nombre qui est strictement plus petit. En d'autres termes, les \scriptstyle m_{i} sont exactement les records vers le bas de la suite renversée \scriptstyle \tilde{\omega}=(\omega_{n}, \omega_{n-1}, \dots, \omega_{1}). Ainsi

Propriété — Les cycles de la permutation \scriptstyle R\omega associée à la suite \scriptstyle \omega par la correspondance fondamentale de Foata sont décrits par les fragments de cette suite \scriptstyle \omega qui se terminent par les records vers le bas de la suite renversée \scriptstyle \tilde{\omega}=(\omega_{n}, \omega_{n-1}, \dots, \omega_{1}). En particulier le nombre de cycles dans la décomposition de la permutation \scriptstyle R\omega est égal au nombre de records vers le bas de la suite renversée \scriptstyle \tilde{\omega}=(\omega_{n}, \omega_{n-1}, \dots, \omega_{1}).

Cela permet de retrouver les fins de cycles de la permutation encodée par la suite \scriptstyle \omega,\ et de vérifier ainsi que chaque suite possède un antécédent unique dans l'ensemble des permutations.

Exemple

Dans l'exemple de la section précédente, les records vers le bas de la suite renversée apparaissent ci-dessous en gras et soulignés :

\ \tilde{\omega}{=}(\underline{\bold{13}},14,\underline{\bold{11}},15,\underline{\bold{7}},9,\underline{\bold{4}},5,12,\underline{\bold{3}},\underline{\bold{1}},6,10,8,2),

ce qui, comparé à la décomposition en cycles disjoints de la permutation \scriptstyle\  \tau\  :


\tau{=}(2,8,10,6,1)\ (3)\ (12,5,4)\ (9,7)\ (15,11)\ (14,13),

indique comment inverser la correspondance fondamentale de Foata.

Applications

On peut considérer le groupe \scriptstyle\ \mathfrak{S}_n\ des permutations de n symboles comme un univers probabiliste, chaque permutation étant équiprobable. Alors la longueur des cycles, le nombre de cycles de la décomposition d'une permutation en cycles disjoints, le nombre de montées, le nombre d'inversions, etc ... sont des variables aléatoires, dont la loi est intéressante. Par exemple, une formule due à Cauchy indique que la loi jointe du nombre de cycles de longueur respectivement 1,2,3, etc ... est la loi d'une suite \scriptstyle\ (Y_1,Y_2,Y_3, \dots)\ de variables de Poisson indépendantes de paramètres respectifs 1, 1/2, 1/3, etc ..., 1/n, conditionnées à ce que :

\sum_{k\ge1}\ k\,Y_k\ =\ n.

Cela entraîne (mais pas immédiatement) que la loi jointe du nombre de cycles de longueur respectivement 1,2, etc ... converge vers une suite de variables de Poisson indépendantes de paramètres respectifs 1, 1/2, 1/3, etc ..., non conditionnées, mais cela ne permet pas de dire grand chose sur la loi limite des longueurs des plus grands cycles d'une permutation tirée au hasard. C'est là, entre autres, que la correspondance de Foata montre son utilité.

Stick-breaking process, processus de Poisson-Dirichlet et longueurs des cycles

Stick-breaking process et processus de Poisson-Dirichlet

Le processus de Poisson-Dirichlet[1] de paramètre (0,θ) est une variable aléatoire \scriptstyle\ X=(X_k)_{k\ge1}\ à valeurs dans le simplexe de dimension infinie :

S=\left\{x=(x_k)_{k\ge1}\,\left|\ x_i\ge0, \forall i\ge1\text{ et } \sum_{i\ge1}x_i=1\right.\right\}.

La description la plus parlante du processus de Poisson-Dirichlet est donnée par l'« algorithme » suivant, qui produit le processus de Poisson-Dirichlet \scriptstyle\ X=(X_k)_{k\ge1}\  :

  • casser un bâton de longueur 1, en deux morceaux de tailles aléatoires respectives \scriptstyle\ Y_1=U_1\ et \scriptstyle\ R_1=1-Y_1,\ puis casser à nouveau le morceau restant \scriptstyle\ R_1=1-Y_1\ en deux morceaux aléatoires \scriptstyle\ Y_2=R_1U_2,\ et \scriptstyle\ R_2=R_1(1-U_2),\ puis casser à nouveau le morceau restant \scriptstyle\ R_2\ en deux morceaux aléatoires \scriptstyle\ Y_3=R_2U_3,\ et \scriptstyle\ R_3=R_2(1-U_3),\ etc ... de manière à produire une suite \scriptstyle\ Y=(Y_k)_{k\ge1}\ à valeurs dans \scriptstyle\ S\ ;
  • ordonner la suite \scriptstyle\ Y=(Y_k)_{k\ge1}\ dans l'ordre décroissant pour obtenir une suite décroissante \scriptstyle\ X=(X_k)_{k\ge1}\ à valeurs dans \scriptstyle\ S.\

Si les variables aléatoires réelles \scriptstyle\ (U_k)_{k\ge1}\ sont indépendantes et suivent toutes la loi Bêta de paramètre (1,θ), alors \scriptstyle\ X=(X_k)_{k\ge1}\ suit la loi de Poisson-Dirichlet de paramètre (0,θ).

Nota. \scriptstyle\ Y(\omega)\ appartient à \scriptstyle\ S\ si et seulement si

\ \sum_{i\ge 1}U_i(\omega)=+\infty,\

ce qui se produit avec probabilité 1 dans le cas du processus de Poisson-Dirichlet. Les \scriptstyle\ Y_i(\omega)\ sont donnés par la formule explicite

\ Y_i(\omega)=U_i(\omega)\ \prod_{1\le k\le i-1}\,(1-U_k(\omega)),\

et les restes \scriptstyle\ R_i(\omega)\ sont donnés par

\ R_i(\omega)=\ \prod_{1\le k\le i}\,(1-U_k(\omega)).\

Lien avec les longueurs des cycles

Considérons une permutation au hasard sur n symboles, τ, ou encore la suite ω de n nombres tous différents qui lui est associée par la correspondance de Foata. Notons \scriptstyle\ X^{(n)}(\omega)=\left(X^{(n)}_k(\omega)\right)_{k\ge1}\ la suite finie des longueurs des cycles de la décomposition de τ, rangées par ordre décroissant, longueurs toutes divisées par n, et suite finie complétée par une suite infinie de zéros.

Par exemple, pour \scriptstyle\ \ \omega=(2,8,10,6,1,3,12,5,4,9,7,15,11,14,13)\ et \scriptstyle\  \tau=(2,8,10,6,1)\ (3)\ (12,5,4)\ (9,7)\ (15,11)\ (14,13), on a


X^{(15)}(\omega)=\left(\frac13,\ \frac15,\ \frac2{15},\ \frac2{15},\ \frac2{15},\ \frac1{15},\ 0,\ 0,\ 0,\ 0,\ \dots\right).

Alors [2] [3]

Théorème — \scriptstyle\ \left(X^{(n)}\right)_{n\ge1}\ est une suite de variables aléatoires à valeurs dans le simplexe \scriptstyle\ S\ , suite qui converge faiblement vers une distribution de Poisson-Dirichlet de paramètre (0,1) (i.e. les variables aléatoires réelles \scriptstyle\ (U_k)_{k\ge1}\ intervenant dans la définition du processus de Poisson-Dirichlet suivent toutes la loi Bêta de paramètre (1,1), qui n'est autre que la loi uniforme sur l'intervalle [0,1]).

Grâce à la correspondance de Foata, on voit que les longueurs des cycles sont dictées par les positions des nombres \scriptstyle\ m_i\ (les records successifs) lesquelles positions sont uniformément distribuées sur la place laissée par les cycles précédents, ce qui fait apparaître naturellement une version discrète du stick-breaking process. On peut alors sans peine formaliser une démonstration rigoureuse du résultat de convergence en loi ci-dessus.

Notons que la loi de \scriptstyle\ X_1\ (premier terme de la suite X) est appelée distribution de Dickman et est omniprésente dans l'analyse probabiliste d'objets algèbriques (taille du plus grand facteur premier d'un nombre entier tiré au hasard, degré du facteur premier de plus haut degré d'un polynome tiré au hasard, taille du plus long cycle d'une permutation tirée au hasard, etc ...).

Interprétations du nombre de Stirling

Les nombres de Stirling de première espèce comptent le nombre de permutations de n objets ayant exactement k cycles, mais aussi le nombre de permutations de n objets ayant exactement k records. A l'aide du code de Lehmer d'une permutation, le nombre de records, et donc le nombre de cycles également, peuvent être vus comme des sommes de variables de Bernoulli indépendantes, ce qui explique la forme multiplicative de la série génératrice des nombres de Stirling, et ouvre la voie à des estimées précises sur la concentration de la loi du nombre de cycles (estimations via l'inégalité de Hoeffding, ou bien à l'aide du théorème central limite).

Voir aussi

Notes

  1. (en) J. F. C. Kingman, « Random Discrete Distributions », dans Journal of the Royal Statistical Society. Series B (Methodological), vol. 37, no 1, 1975, p. 1-22 [texte intégral] 
  2. (en) A. M. Vershik et A. A. Shmidt, « Limit measures arising in the theory of groups I. », dans Theor. Probab. Appl., vol. 22, 1977, p. 79-85 .
  3. (en) J. F. Kingman, « The population structure associated with the Ewens sampling formula », dans Theor Popul Biol., vol. 11, no 2, avril 1977, p. 274-283 

Pages liées

Bibliographie

  • (en) M. Lothaire, Combinatorics on Words, Addison–Wesley, coll. « Encyclopedia of Mathematics and its Applications », 1983 (réimpr. 1997), 260 p. , Section 10.2.
  • (en) Philippe Flajolet et Robert Sedgewick, Analytic Combinatorics, Cambridge University Press, 15 janvier 2009, 1re éd., 824 p. (ISBN 0521898064) , Section II.6.3.
  • (en) Jean Bertoin, Random Fragmentation and Coagulation Processes, Cambridge University Press, coll. « Cambridge Studies in Advanced Mathematics », 28 août 2006, 1re éd., 288 p. (ISBN 0521867282) , Section 2.2.4.
  • (en) Jim Pitman, Combinatorial Stochastic Processes: Ecole d'Eté de Probabilités de Saint-Flour XXXII - 2002, Springer, coll. « Lecture Notes in Mathematics », 6 juillet 2006, 1re éd., 256 p. (ISBN 354030990X) 

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