- Boustrophédon
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On qualifie de boustrophédon le tracé d'un système d'écriture qui change alternativement de sens ligne après ligne, à la manière du bœuf marquant les sillons dans les champs, de droite à gauche puis de gauche à droite. Souvent, le ductus des lettres est inversé en changeant de sens ; par exemple, la lettre Є tracée de gauche à droite deviendrait Э de droite à gauche. Ce mot vient du grec βουστροφηδόν boustrophêdón, de βοῦς boũs « bœuf » et στροφή strophế « action de tourner » — bien qu'en grec le mot soit un adverbe, c'est un nom en français.
Se sont écrits en boustrophédon principalement des stades anciens d'écritures qui se sont ensuite fixées dans un sens précis : le grec, par exemple, s'est d'abord écrit de droite à gauche, comme le phénicien dont il est issu, puis en boustrophédon et enfin de gauche à droite. Le Guèze, langue liturgique de l'Église éthiopienne orthodoxe, de l'Église érythréenne orthodoxe et de la communauté Beta Israël, l'est également. Le passage par le boustrophédon marque donc une transition. L'alphabet étrusque fonctionne parfois ainsi. Les tablettes rongo-rongo de l'île de Pâques sont écrites en boustrophédon inverse : on lit la première ligne de la gauche vers la droite, puis on fait tourner la tablette de 180 °, on lit également la deuxième ligne de la gauche vers la droite, et ainsi de suite.
Le boustrophédon dans la Grèce ancienne
Inscription de Sigée, vers 550-540 avant l'ère chrétienne (British Museum, numéro d'inventaire BM GR 1816.6-10.107) :
Inscription en boustrophédon Texte normalisé Interprétation ΦΑΝΟΔΙΚΟ
³ΕΜΙΤΟΡΜΟΚ
ΡΑΤΕΟΣΤΟ
ΠΡΟΚΟΝΝΗ
ΣΙΟΚΡΗΤΗΡ
ΑΔΕ:ΚΑΙΥΠΟΚ
ΡΗΤΗΡΙΟΝ:Κ
ΑΙΗΘΜΟΝ:ΕΣΠ
ΡΥΤΑΝΗΙΟΝ
ΕΔΩΚΕΝ:ΣΥΚΕ
ΕΥΣΙΝΦανοδίκο
ἐμὶ τὀρμοκ-
ράτεος το͂
Προκοννη-
σίο κρητῆρ-
α δὲ καὶ ὐποκ-
ρητήριον κ-
αὶ ἠθμὸν ἐς π-
ρυτανήιον
ἔδωκεν Συκε-
εῦσιν.Nota bene : l'inscription se présente en deux alphabets et dialectes : ionien puis attique (avec l'alphabet épichorique local) ; l'exemple donné ne reprend que le texte écrit en dialecte ionien (d'où l'utilisation de η là où l'attique serait ᾱ), avec les lettres actuelles et non celles du document originel. En effet, celui-ci datant d'avant la réforme de -403 (adoption d'un alphabet officiel légèrement différent des usages locaux), il ne suit pas non plus l'orthographe classique : ο, par exemple, sert à noter la voyelle /ọ̄/ (long et fermé), qui sera ensuite transcrite ου (Φανοδίκο = Φανοδίκου, etc.).
Le texte signifie : « Je suis [la stèle] de Phanodikos, [fils] d'Hermokratês, [fils] de Prokonnêsos, et il a donné aux Sigéens un vase pour le vin avec son support, ainsi qu'une passoire, [déposés] dans le prytanée ».
Le boustrophédon dans le monde
L'écriture safaïtique est originellement en boustrophédon. C'est également le cas de l'écriture de Rapa Nui.
Passage du boustrophédon à l'écriture mono-orientée
En -403 l'archonte Archinos prend un arrêté qui, en particulier, fixe le sens de l'écriture de gauche à droite. Pour l'écriture phénicienne l'orientation de droite à gauche s'était faite vers l'an - 1000, orientation des écritures sémitiques - hébreu, araméen, arabe, etc..
Dans le langage informatique
Le terme de boustrophédon désigne une manière de fonctionner des têtes d'impression d'une imprimante, lorsqu'elles sont capables d'imprimer dans les deux sens de déplacement du chariot.
Dans les pratiques actuelles d'écriture
Chez l'enfant
Lorsqu'un enfant ne perçoit pas assez tôt et assez fort l'impératif d'écrire selon le choix d'Archinos, de gauche à droite pour les langues issues du grec (ou de droite à gauche pour les langues sémitiques, par exemple), il explore l'écriture « en miroir » ; il écrit parfois même spontanément en mode boustrophédon[1].
Chez la personne très âgée
On observe chez certaines personnes très âgées ou chez des personnes atteintes de troubles de la pensée un « retour » à l'écriture « naturelle » en mode boustrophédon[réf. nécessaire].
Application mathématique
Il existe en mathématiques une méthode, dite de boustrophédon, permettant de calculer le développement limité de la tangente en 0. Chaque ligne s'écrit dans le sens contraire de la précédente, en effectuant la somme du terme écrit précédemment et du terme écrit au-dessus. Par exemple :
1 → 0 1 1 1 0 ← → 0 1 2 2 5 5 4 2 0 ← → 0 5 10 14 16 16
En prenant la pente de droite (sans le premier chiffre), soit : 1,0,2,0,16, appelée suite de Bernoulli, on obtient le développement limité de tangente (en 0) ; ainsi :
tan(x) = 1*x + 0*X² + 2*x³/3! + 0*x⁴/4! + 16*x⁵/5! + o(x⁵), ce qui donne, après simplifications :
tan(x) = x + x³/3 + 2x⁵/15 + o(x⁵)
Du boustrophédon dans la magie antique
L'écriture « boustrophédonne » fait en premier lieu référence aux defixiones, sortilèges réputés dans la Grèce antique. Ces sorts, rédigés (ou plutôt « fixés ») dans la matière, c'est-à-dire sur des tablettes de terre ou de cire, sont écrits de gauche à droite, puis de droite à gauche, et ainsi de suite… (selon l'étymologie susdite, en référence au mouvement du bœuf labourant le champ, lui aussi d'un côté à un autre…).
Ces sortilèges sont jetés à l'encontre d'un adversaire dans le but de le diminuer ou de contrarier sa victoire (pour empêcher une conquête amoureuse ou encore s'assurer une victoire sportive ; des defixiones ont en effet été retrouvées sur le mythique site des Jeux olympiques, implorant les divinités de consacrer dans la victoire leur propre auteur !).
Contrairement à ce que l'on pourrait croire, ces pratiques n'étaient pas privilège d'une certaine élite, mais étaient accessibles à tous, et donc également pour tout autre usage.
Voir aussi
Notes et références
- http://www.universalis.fr/encyclopedie/boustrophedon/, "Mode d'écriture archaïque (on l'observe chez l'enfant ainsi que chez certains malades mentaux)"
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