- Très chrétien
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« Très chrétien » est un qualificatif que les papes attribuent initialement comme un honneur aux souverains de leur choix mais qui, à partir de Charles V, servit à désigner le seul roi de France et son royaume.
Le nom de très chrétien fut appliqué indifféremment au roi, au peuple ou au territoire français et devint peu à peu un objet de gloire, une justification d'être, apportant aux Français la certitude d'être un élément important du plan de Dieu dans l'ordre du monde au cours des temps[1].
Sommaire
Le roi de France, roi très chrétien
L'historien Hervé Pinoteau a étudié l'utilisation de ce titre depuis les temps mérovingiens, il en a décrit les différentes étapes[2].
Mérovingiens et Carolingiens
Le terme christianissimus est donné par le pape à des princes francs et autres dès l'époque mérovingienne, puis au maire du palais Charles Martel et à ses descendants. Charlemagne se le confère lui-même dans un capitulaire de 802. Néanmoins, la chancellerie pontificale le confère également aux empereurs de Constantinople et aux rois des Bulgares. Il s'agit d'un titre glorieux accordé à titre individuel et non héréditaire.
Capétiens directs
C'est sous les Capétiens directs que l'idée que ce titre particulier est spécifique au roi de France apparaît. Lors de la querelle des investitures, le pape donne ce titre à Louis VII. Thomas Becket appelle dans ses lettres Louis VII « le roi très chrétien » par opoposition au roi d'Angleterre. Dans une bulle de 1214, le pape écrit à Philippe II Auguste : « Entre tous les princes séculiers, tu as été distingué par le titre de chrétien ». Cependant, Louis IX, bien que canonisé avant la fin du XIIIe siècle, reçoit rarement ce titre.
Valois et Bourbons
À la fin du règne de Charles V, le pape commence à réserver ce titre au seul roi de France, ce que Raoul de Presles souligne en 1375. La chancellerie française s'attache, à partir de cette date, à lier le titre de « très chrétien » à celui de roi de France et Charles VI affirme : « Nous avons pris la résolution de conserver ce très saint surnom conquis par nos prédécesseurs ».
Les papes Eugène IV, Nicolas V, Calixte III, Pie II y voient un titre héréditaire légué à Charles VII par ses prédécesseurs, ce que confirme l'empereur Frédéric III qui écrit : « Vos ancêtres ont assuré à votre race le nom très chrétien comme un patrimoine qui se transmet à titre héréditaire ». À partir de Paul II (1464), les adresses des lettres papales sont « À mon très cher fils en Jésus-Christ, Louis, roi de France très chrétien ». Bulles et brefs reprennent alors systématiquement la formule. Louis XI est ainsi le premier bénéficiaire continu de ce qualificatif.
Lors des conflits entre Charles VIII puis Louis XII et la papauté, il est question de retirer ce surnom au roi de France, ce qu'empêche l’avènement de Léon X.
Le titre n'était connu en France que sur les monnaies et médailles pouvant circuler à l'étranger. Dans les traités et conventions avec l'étranger, les rois Bourbons s'intitulaient « roi très chrétien de France et de Navarre ». Dans les traités, on peut lire l'abréviation de « Sa Majesté très chrétienne » : S.M.T.C.
La reine de France est désignée comme la reine très chrétienne.
En exil, Charles X inscrit sur le registre d'un hôtel autrichien « très chrétien » comme religion, alors que les personnes de sa suite se contentent de « catholique ». Au XVIe siècle, les papes donnent au roi d'Espagne le qualificatif de « roi catholique » ; en 1748, ils confèrent celui de « très fidèle » au roi de Portugal.
Les rois d'Angleterre puis de Grande-Bretagne, qui ne renoncent officiellement à leur prétention à la couronne de France qu'en 1801, préférent souvent appeler le roi de France « roi très chrétien » plutôt que de lui donner son titre complet.
Le peuple de France, peuple très chrétien
L'historienne Colette Beaune a décrit comme cette qualification de « Très chrétien » ne fut pas réservée au seul roi de France mais était appliquée également au royaume et au peuple de France[1].
Fondements historiques de la qualité de très chrétien reconnue au peuple de France
Plusieurs faits historiques furent mis en avant pour justifier de qualifier la France de nation très chrétienne :
- les Francs ont été le premier peuple barbare converti au catholicisme à l'époque de Clovis ;
- les Francs créèrent les États pontificaux sous Pépin et Charlemagne ;
- les Francs jouèrent un rôle décisif dans les Croisades, à tel point qu'en Orient tous les croisés furent qualifiés de Francs quelle que fût leur origine ;
- le royaume des Francs abrite une grande concentration de sanctuaires et de reliques, au premier rang desquels la sainte Chapelle et la couronne d'épines.
Ouvrages insistant sur cette qualité
C'est au XIIe siècle que l'idée apparaît que les Francs l'emportent sur les autres peuples par la foi, considérée comme la première des vertus[3]. Aussi bien dans la Gesta Dei per Francos que dans l' Histoire de Jérusalem de Robert le Moine, se mêlent l'exaltation de la foi de toute la Chrétienté et celle du royaume des Francs. La gens Francorum fidèle au Pape, mue par le doigt de Dieu, est une « beata gens », un peuple saint. Dans le plan de Dieu, un rôle lui est réservé à part. Des textes de la fin du XIe siècle attribue la qualité de très chrétien au peuple franc, non au territoire.
Mathieu Paris, Anglais pourtant, assure qu'en France "la Foi est la plus vive et la plus pure". Jacques de Vitry ou Saint Thomas affirment[4] qu'« il y a beaucoup de nations chrétiennes, marmi elles, la France et les Français sont purs catholiques ». Les églises y sont nombreuses et riches, les reliques précieuses et vénérées.
Quand le prologue des Grandes Chroniques de France, dans le dernier quart du XIIIe siècle, présente la nation française, c'est la qualité de très chrétienne qu'il met d'abord en évidence : « Cette nation ne fut pas sans raison renommée sur toutes les autres nations, car elle ne souffrit longement la servitude de l'idolâtrie et de la mécréantise... Tôt obéit à son créateur, à Dieu offit les prémices et le commencement de son règne... Puisqu'elle fut convertie,a foi ne fut plus fervemment et droitement tenue en nulle autre terre. Par elle est multipliée, par elle est soutenue, par elle est défendue. Si une autre nation fait à sainte Église force ou grief, en France vient faire sa complainte, en France, vient refuge et secours ; de France vient l'épée et le glaive par qui elle est vengée et France comme loyale fille secourt sa mère en tous besoins. »
Au début du XVIe siècle, quand Jean Lemaire de Belges dédie à Louis XII un Traité de la différence des schismes, il consacre vingt-trois chapitres (un par schisme) à l'action conciliatrice et salvatrice de la France envers l'Église.
Reconnaissance par la papauté de cette qualité
Les papes encouragèrent cette vision des choses à plusieurs reprises. Ainsi, le pape Grégoire IX affirma à saint Louis que la France était la tribu de Juda du nouvel Israël qu'est l'Église ; la bulle Dei Filius Cujus précise ainsi[5] : « Le Fils de Dieu, aux ordres de qui tout l'Univers obéit, au bon plaisir de qui servent les rangs de l'armée céleste, constitua, en signe de puissance divine, les divers royaumes selon des distinctions de langues et de race, ordonna les divers régimes des peuples au service des ordres célestes ; parmi ceux-ci, de même que la tribu de Juda est élevée d'entre les fils du Patriarche [Jacob] au don d'une bénédiction spéciale, de même le royaume de France est distingué par le Seigneur avant tout autre peuple de la terre par une prérogative d'honneur et de grâce. »
Bien avant saint Louis, dès l'époque mérovingienne, les papes avaient reconnu le caractère spécifique et éminemment chrétien et glorieux du peuple franc. Ainsi, le pape saint Grégoire Ier le Grand écrivit à Childebert II, roi des Francs en Austrasie[6] : "Autant la dignité royale élève au-dessus des autres hommes, autant votre dignité royale franque vous élève au-dessus des royautés des autres nations".
Le pape Paul Ier dans une lettre aux chefs clercs et laïcs du royaume des Francs, mentionna pour le reprendre à son compte le prologue de la loi salique, rédigé entre 757 et 766, exaltant longument "l'illustre nation des Francs, qui a Dieu pour fondateur"[7].
Les privilèges de France, conséquences de cette qualité
Philippe IV le Bel est le premier roi à se faire appeler régulièrement « roi très chrétien ». Sous son règne, l'argumentation royale est basée sur la surchristianisation du territoire royale[8]. Le frère mendiant Guillaume de Sauqueville compare au cours de l'été 1302 la France au peuple de Dieu : élue comme Israël, la France est la terre de la nouvelle alliance, la terre promise, la terre sainte ; Philippe IV le Bel reprit cette argumentation : « Le Très-Haut Seigneur Jésus, trouvant dans ce royaume plus que dans toute autre partie du monde une base stable pour la sainte foi et la religion chrétienne et considérant qu'il y avait là la plus grande dévotion envers lui, son vicaire et ses mnistres, décida de l'honorer au-dessus de tous les royaumes et principautés de quelques prérogatives et grâce singulières. »
Ces prérogatives sont le sacre par la sainte Ampoule, la guérison des écrouelles, la possession des armoiries aux lys et l'oriflamme, qui furent complétées par la suite par exemple par la loi salique et devinrent les privilegia Franciae qui connurent à la fin du Moyen Âge des développements spectaculaires[9]. Bernard du Rosier, dans son ouvrage Miranda de laudibus Franciae publié avant 1461 donna une liste détaillée des privilèges du roi et du royaume très chrétiens, liste qui fut complétée défintivement par Jean Ferrault avec ses vingt privilèges écrits vers 1509 mais publiés seulement en 1520[10].
Bibliographie
- Jean de Pange, Le Roi très chrétien. Essai sur la nature du pouvoir royal en France., Paris, librairie Arthème Fayard, 1949.
- Noël Valois, Le Roi très chrétien, La France chrétienne dans l'histoire., Paris, 1896, p. 314-327.
- Dom Henri Leclercq, Le Roi très chrétien, Dictionnaire d'archéologie chrétienne et de liturgie, 1948, t. 14, 2e partie, col. 24622464.
Notes et références
- Colette Beaune, Naissance de la nation France, éd. Gallimard, 1985, p. 283.
- Hervé Pinoteau, La symbolique royale française, Ve - XVIIIe siècle, P.S.R. éditions, 2004, p. 125.
- Colette Beaune, Naissance de la nation France, éd. Gallimard, 1985, p. 284.
- Colette Beaune, Naissance de la nation France, éd. Gallimard, 1985, p. 285.
- Hervé Pinoteau, La symbolique royale française, Ve - XVIIIe siècle, P.S.R. éditions, 2004, p. 172.
- Hervé Pinoteau, La symbolique royale française, Ve - XVIIIe siècle, P.S.R. éditions, 2004, p. 55.
- Hervé Pinoteau, La symbolique royale française, Ve - XVIIIe siècle, P.S.R. éditions, 2004, p. 83.
- Colette Beaune, Naissance de la nation France, éd. Gallimard, 1985, p. 287.
- Colette Beaune, Naissance de la nation France, éd. Gallimard, 1985, p. 288.
- Colette Beaune, Naissance de la nation France, éd. Gallimard, 1985, p. 310 et 311.
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