- Responsabilité du fait des produits défectueux en France
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Responsabilité pénale Responsabilité administrative Régimes spéciaux Portail Responsabilité civile La responsabilité du fait des produits défectueux est la situation dans laquelle un producteur engage sa responsabilité délictuelle du fait d'un défaut de sécurité de l'un de ses produits ou services entraînant un dommage à une personne quelle qu'elle soit. Il s'agit d'un régime spécial de responsabilité.
La responsabilité du fait des produits défectueux a vu le jour le 25 juillet 1985 sous la forme d'une directive communautaire. C'est 13 ans plus tard que cette directive est enfin transposée dans le droit français grâce à la loi du 19 mai 1998 qui insère les articles relatifs à la responsabilité du fait des produits défectueux au code civil. La France sera par ailleurs condamnée par la CJCE pour ne pas avoir intégré correctement cette directive. La loi de 1998 qui introduit ce régime de responsabilité possède deux caractères fondamentaux :
- un caractère d'ordre public : cela signifie qu'on ne peut déroger à ses dispositions par convention.
- un caractère optionnel en théorie, qui tend en réalité à devenir exclusif : selon la lettre de la directive, la victime pourrait, si elle le désirait, poursuivre le responsable de son dommage sur le fondement de cette loi, ou sur celui du droit commun. Mais la Cour de justice des Communautés européennes a imposé une interprétation restrictive (CJCE, 25 avril 2002, C-52/00), qui tend à évincer tout autre régime de responsabilité sans faute si les conditions de ce régime spécial sont réunies. La 1ère chambre civile de la Cour de cassation s'est pliée à cette interprétation en 2007 (Cass. 1ère Civ., 15 mai 2007, 05-17.947), mais on attend d'autres arrêts de ladite Cour pour voir la confirmation définitive, en droit français, du caractère exclusif du régime de responsabilité du fait des produits défectueux.
Sommaire
Le champ d'application de la loi du 19 mai 1998
Le champ d’application quant à l'objet
L'article 1386-3 du code civil définit le produit de façon extrêmement large dont seuls les immeubles sont exclus :
« Est un produit tout bien meuble, même s'il est incorporé dans un immeuble, y compris les produits du sol, de l'élevage, de la chasse et de la pêche. L'électricité est considérée comme un produit. »
L'article 1386-2 du code civil définit de son côté le dommage réparable de façon très large encore :
« Les dispositions du présent titre s'appliquent à la réparation du dommage qui résulte d'une atteinte à la personne.
Elles s'appliquent également à la réparation du dommage supérieur à un montant déterminé par décret, qui résulte d'une atteinte à un bien autre que le produit défectueux lui-même. »
Il ne faut pas confondre "défectueux" et "vicié". En effet, un produit vicié est celui qui ne répond pas au rôle que l'on pourrait attendre de lui (ex: un téléviseur qui n'affiche pas d'image). Ce type de produit n'est pas concerné par la loi de 1998. Les produits défectueux sont ceux qui présentent un défaut de sécurité (ex: un téléviseur qui implose).
Le champ d’application quant aux personnes
Les personnes concernées par cette loi sont précisément désignées. Du côté des victimes d'une part, il n’y a pas de restriction puisque l’article 1386-1 du code civil écarte expressément toutes distinctions entre les cocontractants et les tiers. Du côté des responsables d'une autre part, il s’agit des producteurs. Le producteur est nécessairement un professionnel qui a travaillé la matière première, un composant, ou une partie du produit. Seul ce dernier est en principe responsable des dommages causés par un défaut de son produit. Cependant, s'il ne peut être identifié, alors seront indifféremment responsables le fournisseur, vendeur, ou loueur (l'élargissement de cette palette de responsables trouve son intérêt dans le courant victimologiste).
Il n'est pas nécessaire de distinguer si le responsable est lié ou non à la victime par un contrat. La loi de 1998 s'applique aussi bien dans le champ contractuel, que délictuel.
Le champ d'application quant aux délais
Pour rentrer dans le champ de la loi, le produit doit avoir été mis en circulation après 1998. La mise en circulation se traduit par deux caractères :
- le producteur a été dessaisi du produit
- le produit est mis en vente ou dans toute autre forme de distribution
En 2006, la CJCE a donné une définition de la mise en service d'un produit. C'est lorsque « le produit sort du processus de fabrication et rentre dans le processus de commercialisation. »
La loi prévoit deux délais pour agir et au-delà desquels on ne pourra plus agir :
- le délai de prescription : l'article 1386-17 impose un délai de 3 ans « à compter de la date à laquelle le demandeur a eu ou aurait dû avoir connaissance du dommage, du défaut et de l'identité du producteur. »
- le délai de forclusion : la victime ne peut plus agir contre le producteur au-delà de 10 ans à compter de la mise en circulation du produit. Si le dommage survient dans ce délai de 10 ans, alors l'action de la victime se prescrit par 3 ans, à compter du jour où elle a eu, ou aurait dû avoir connaissance du défaut de sécurité. Selon l'article 1386-5 du code civil, ce « produit est mis en circulation lorsque le producteur s’en est dessaisi volontairement. Un produit ne fait l'objet que d'une seule mise en circulation. »
Les conditions de la responsabilité
Les éléments constitutifs de la responsabilité
La loi écarte toutes exigences de preuve de faute particulière du fabricant pour engager sa responsabilité. Le responsable ne pourra donc pas s'exonérer en prouvant qu'il n'a pas commis de faute. Il ne pourra non plus s'exonérer en prouvant que la chose a été produite dans les régles de l'art, ou conformément aux exigences en vigueur. Ce n’est donc pas un système de responsabilité basée sur la faute.
La victime devra prouver 3 choses : un dommage, un défaut de l'objet et un lien de causalité. Son préjudice pourra dès lors être réparé sur le principe de la réparation intégrale.
Le défaut est défini à l'article 1386-4 du code civil. C'est celui qui compromet la sécurité et non pas celui qui porte atteinte à l'utilité du bien. Ce défaut s’apprécie de manière objective, par rapport à une personne normalement diligente. D’après la Cour de cassation, le fabricant est tenu de livrer un produit exempt de tous défauts de nature à causer un danger pour les personnes ou pour les biens. Elle s’attache à ce que les règles de l’art et des techniques, ainsi que l’obtention des autorisations administratives aient été obtenues.
Les faits susceptibles d'écarter la responsabilité
L'article 1386-11 du code civil énumère un à un les faits exonératoires.
- Les moyens de défense tendant à prouver l’inexistence de l’une des conditions de la responsabilité
Il s’agit de la preuve par le producteur que le produit n'était pas mis en circulation. Il peut s'agir également de la preuve que le défaut n’existait pas au moment où le produit a été mis en circulation mais qu’il s’est crée postérieurement à cette mise en circulation. Le producteur peut tout aussi se dégager de sa responsabilité en montrant que le produit n’était pas destiné à la vente ou à toutes autres formes de distribution. En effet, ce système de responsabilité est fondé sur une mise en circulation volontaire à des fins professionnelles.
- Les causes traditionnelles d’exonération
Il s’agit de la faute de la victime ainsi que du fait du tiers. La faute de la victime peut être exonératoire partiellement ou totalement. Le fait du tiers ne peut pas constituer une cause exonératoire de la responsabilité du producteur 1386-14.
Aucune clause limitative ou exclusive de responsabilité ne peut en principe limiter la responsabilité du producteur. Cependant, exceptionnellement, pour les conventions passées entre professionnels, et seulement pour les dommages causés aux biens, ces clauses sont tolérées.
- Les causes d’exonération conditionnelles
Ce sont des causes d’exonération admises par principe, tout en réservant à la victime la possibilité de les écarter si elle établit que le producteur n’a pas pris, après la mise en circulation du produit, les mesures nécessaires pour remédier au défaut (plus aucune référence dans la législation française à cette condition de suivi du produit depuis condamnation de la France par la CJCE pour conformité imparfaite avec la directive européenne de 1985). Il en existe deux sortes :
- Le fait du prince : le producteur qui démontre que le défaut n’est que la conséquence de normes impératives pourra s’exonérer de sa responsabilité.
- Le risque de développement : il s'agit du vice où le défaut d’une chose existait au moment de la mise en circulation, mais que l’état des connaissances scientifiques et techniques à ce moment-là ne permettait pas de déceler. L’appréciation des connaissances scientifiques et techniques se font sans tenir compte des qualités d’aptitudes professionnelles du producteur.
L'effet exonératoire de ces 2 mesures peut être écarté si, en présence d’un défaut révélé dans un délai de 10 ans, le producteur n’a pas pris les mesures propres à en prévenir les conséquences dommageables.
Les mesures légales de protection du consommateur
La nocivité de certains produits pour l'environnement ou la santé humaine ne se révèle souvent qu'à long terme, comme on l'a constaté pour l'amiante. Dès lors, le régime de responsabilité du fait des produits défectueux est particulièrement protecteur de l'acheteur et du consommateur. Il met donc à la charge du vendeur plusieurs obligations :
- une obligation d'information et de sécurité définie à l'article L111-1 du code de la consommation
- une obligation de conformité définie à l'article L212-1 du code de la consommation
- la garantie d'un produit contre tout vice caché
Les articles L221-1 à L221-11 du code de la consommation vont dans le sens de la protection du consommateur.
Les risques de développement
Cette appellation recouvre les risques découlant de produits défecteux que l'on ne pouvait déterminer au vu de l'état des connaissances scientifiques et techniques. Aucune faute ne peut donc être reprochée au producteur. Ces risques commencent aux frontières du principe de précaution et traduisent l'impossibilité d'atteindre le risque zéro. Amiante, sang contaminé, médicament aux effets secondaires non décelables en sont des exemples emblématiques[1].
La responsabilité du fait de l'organisation
La responsabilité civile du fait de l'organisation propose un fondement novateur visant notamment la réparation des dommages résultant de produits ou de services défectueux. Ce fondement repose sur l'idée qu'il existe un risque organisationnel propre à toute organisation (producteur, distributeur) susceptible de créer un dommage à autrui, ceci indépendamment de toute faute ou négligence. L'organisation est considérée en soi comme une entité qui crée un risque de dommage, à l'instar d'autre responsabiliité pour risque (véhicule automobile, centrale nucléaire, etc.) Il s'agit donc d'une responsabilité pour risque qui entraîne la possibilité pour une victime d'un produit défecteux d'être indemnisée pour le préjudice subit. Cette responsabilité a également l'avantage pour le consommateur de couvrir le domaine des services défectueux. Socialement cette responsabilité répond à une attente des consommateurs-justiciables. Juridiquement, cette responsabilité permet d'offrir des solutions à de nombreux problèmes, tels que le motif d'imputation, la charge de la preuve ou encore les risques de développement. Cette proposition doctrinale n'a pas encore été reprise par les tribunaux[2].
Voir aussi
Références
- Editions universitaire de Dijon, 2005 Oudot Pascal, Le risque de développement,
- Editions Socio-Juridiques, Genève 2010. Aeschimann Gordon, La responsabilité civile du fait de l'organisation: droit et société,
Bibliographie
- Le nouveau titre IV bis du Livre III du Code civil, De la responsabilité du fait des produits défectueux, Jacques Ghestin, JCP G 1998, I, 148
- Colloque des 6 et 7 novembre 1986, Sécurité des consommateurs et responsabilité du fait des produits défectueux, sous la direction de Jacques Ghestin, organisé par le Centre de Droit de l’Université de Paris I, Panthéon-Sorbonne, Paris, LGDJ, 1987
- Les produits défectueux, Responsabilité de droit commun, Régime spécial (Loi du 19 mai 1998, Assurance), Jean-Claude Montanier, Litec, 2000
- La Directive CEE du 25 juillet 1985 sur la responsabilité du fait des produits défectueux, Yvan Markovits, sous la direction de Jacques Ghestin, Paris, LGDJ, 1990
- Les contrats spéciaux, Philippe Malaurie et Laurent Aynès, Defrénois, 5e édition, 2011
- Les obligations, de François Terré, Philippe Simler et Yves Lequette, Paris, Dalloz, 10e édition, 2002
- Droit des obligations, Philippe Malinvaud, Paris, Litec
- Traité de droit civil, Les obligations – La responsabilité : conditions, de Genviève Viney, sous la direction de Jacques Ghestin, Paris, LGDJ, 3e édition, 2006
- Traité des contrats – Les contrats de la distribution, Martine Behar-Touchais et Georges Virassamy, sous la direction de Jacques Ghestin, LGDJ, 1999
- La nouvelle crise du contrat, sous la direction de Christian Jamin et Denis Mazeaud, Paris, Dalloz, 2003
- Droit de la responsabilité de Philippe le Tourneau et Loïc Cadiet, Paris, Dalloz, 2003
- Le contrat de vente, Philippe le Tourneau, Paris, Dalloz, 2005
- Responsabilité civile professionnelle, Philippe le Tourneau, Paris, 2e édition, Dalloz Référence, 2005
- Responsabilité des vendeurs et fabricants, Philippe le Tourneau, Paris, Dalloz, 2009
- Contrats (Ventes civiles et commerciales, baux d’habitation, baux commerciaux), de Bernard Gross et Philipe Bihr, PUF, 2002
- Droit civil – Contrat spéciaux, Paul-Henri Antonmattei et Jacques Raynard, Paris, Litec, 2007
- La responsabilité du fait des produits, étude de droit comparé, Jean-Sébastien Borghetti, préface de Geneviève Viney, Paris, LGDJ, 2004
- La Directive 85/374/CEE relative à la responsabilité du fait des produits défectueux : dix ans après, Monique Goyens, Belgique, Centre de droit de la consommation, 1996
- L’action du consommateur contre le fabricant d’un objet affecté par un vice caché (en droit anglais et en droit français), Stéphane Gruber-Magitot, Paris, PUF, 1978
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