- Nikki (littérature)
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Le terme nikki (日記?, ou niki), signifiant littéralement « journal » ou « note journalière », désigne au Japon plusieurs formes d’écrit à travers les siècles pouvant se rapprocher de journaux intimes, de notes administratives ou de recueils d’anecdotes et de poésie ; la dimension temporelle y est presque toujours présente. Ces journaux sont tenus suivant les époques par des catégories sociales variées (fonctionnaires, dames de la cour, aristocrates, guerriers...) et dans des optiques différentes. Originaire de Chine, leur développement au Japon est toutefois fortement lié à la cour de Heian.
À l’époque de Heian se développe un genre littéraire particulier que les historiens nomment rétrospectivement nikki bungaku (« bungaku » signifiant « littérature »), et qui se rapporte la plupart du temps aux journaux en langue vernaculaire de femmes.
Sommaire
Étymologie et origine
Nikki (日記?), littéralement « journal » ou « note journalière », est composé des kanjis 日 (nichi, ici ni, le jour) et 記 (ki, chronique, archive) ; le sens littéral est donc « jours gardés en mémoire ». Le terme est parfois romanisé en niki.
Le nikki ne désigne pas un genre littéraire très précis, mais au contraire plusieurs formes d’écrit mouvantes au cours de l’histoire du Japon. Toutefois, son origine renvoie aux journaux tenus quotidiennement par l’administration très centralisée et bureaucratique de l’Empire chinois ancien, dont les textes étaient écrits au fil des jours, mais pas toujours datés.
Formes d’écrit
Le terme nikki désigne donc plusieurs formes d’écrits suivant les périodes, tel que détaillé ci-dessous.
Journaux officiels et procès verbaux
L’usage de journaux officiels est attesté dans l’administration du Japon dès le début du IXe siècle : les fonctionnaires tenaient des notes au jour le jour des affaires administratives en caractères chinois (kanjis). Le journal du Dajō-daijin (ministère des Affaires suprême), nommé Geki nikki, aurait été utilisé comme archives historiques[1].
Un autre usage officiel fut celui des procès verbaux du bureau de Police (Kebiishi-chū), nommés également nikki, dans lequel les officiers notaient les rapports d’interrogatoires et d’enquêtes. Des procès verbaux étaient aussi décernés lors des concours de poésie à la cour (uta awase)[2].
Nikki bungaku ou littérature de nikki
Vers le Xe siècle, un nouveau genre littéraire japonais apparaît : il s’agit de recueils proches des journaux intimes tenus par les classes instruites. Le premier exemplaire du genre est le Tosa nikki (935) de Ki no Tsurayuki, qui raconte son séjour à Kyōto (Heian), entrecoupé de poèmes waka et utilisant les caractères japonais kana. Toutefois, c’est parmi les dames de la cour de Heian que ce genre se développe et acquiert une identité propre entre le Xe et le XIIe siècle environ. En effet, à la cour de l’empereur, le chinois reste une matière prépondérante et tout homme instruit l’étudie dès le plus jeune âge, que ce soit pour la calligraphie ou la composition de poèmes aux codes très stricts. En revanche, les femmes n’y sont que rarement initiées, si bien que le développement vers le IXe siècle d’un syllabaire japonais plus simple nommé kana leur donne plus largement accès à la voie des lettres[3]. Cela permet l’apparition d’une réelle littérature nationale très variée, que ce soit poésie, romans (monogatari), et donc les nikki qui portent alors sur les anecdotes de la vie à la cour, ou bien un événement particulier comme un voyage. Il convient de noter que le Tosa nikki, bien qu’écrit par un homme, adopte le point de vue d’un personnage fictif féminin, afin de renforcer la délicatesse des sentiments[4].
Dans ce contexte, les principales influences du nikki demeurent la poésie waka et les contes poétiques (uta monogatari), tels que les Contes d’Ise (Xe)[5]. Au nombre des journaux les plus célèbres de nos jours figurent par exemple le Kagerō nikki (sur le mariage malheureux de l’auteur), le Takemitsu nikki (principalement de la poésie), le Murasaki Shikibu nikki (recueil d’anecdotes et de réflexions sur la vie au palais), l’Izumi Shikibu nikki (sur la romance de l’auteur avec un prince, émaillé de nombreux poèmes mélancoliques), ou encore le Sarashina nikki (œuvre inédite abordant tous les thèmes et rédigée durant 39 ans)[6]. Tous ces journaux sont l’œuvre de dames de la cour et adoptent une forme proche de l’écrit intime, bien qu’il s’agisse plus généralement de mémoires, d’anecdotes, de recueils de poèmes, de lettres ou de réflexions personnelles. Le fameux Murasaki Shikibu nikki (tenu par Murasaki Shikibu, auteur du Dit du Genji) contient par exemple de nombreuses anecdotes et réflexions sur la vie au palais, la fuite du temps ou le manque de manières des hommes[7].
Le concept de « littérature de nikki » (nikki bungaku) n’apparaît que bien plus tard parmi les spécialistes, au XXe siècle. Au sens le plus strict, il ne s’agit que des journaux féminins tenus aux époques de Heian et de Kamakura ; S. Katō ou J. S. Mostow définissent ainsi ces nikki rédigés en prose et en kana comme une spécificité des dames de la noblesse (en opposition aux écrits en chinois ou en vers des hommes)[8],[9]. Plusieurs catégories peuvent être identifiées : les carnets de voyage, les autobiographies, les recueils de poésie et d’anecdotes, les notes et essais, et enfin les récits consacrés à un événement particulier[2]. Souvent, des caractéristiques communes à tous les nikki ressortent, selon E. Miner : l’insertion de poèmes, un découpage temporel libre (non au jour le jour), mais chronologique, et un style raffiné[10] ; la nature autobiographique apparaît également prépondérante : le journal porte sur son auteur plus que tout autre[11] (l’étude du journal de Murasaki Shikibu permet par exemple de montrer le caractère perspicace, mais solitaire, de son auteur[7]). Toutefois, ce genre littéraire n’est pas à proprement parler bien défini, et des œuvres plus tardives comme l’Izayoi nikki (1280) ou La Sente étroite du Bout-du-Monde de Bashō peuvent également s’en rapprocher par plusieurs aspects.
Notes journalières
La dernière forme du nikki se rapporte aux notes privées tenues au jour le jour par l’empereur, les aristocrates ou les fonctionnaires sur les cérémonies et les activités auxquelles ils ont assisté. Ces écrits se différencient à proprement parler des journaux intimes en ce sens qu’ils se veulent factuels et impersonnels. Loin de l’optique littéraire des dames, leur usage tend à l’époque de Heian à constituer une véritable jurisprudence sur les sujets consignés ; ils sont d’ailleurs transmis de père en fils. Parmi les plus connus figurent ceux de l’empereur Uda et de Fujiwara no Michinaga. Toutefois, avec le déclin de la cour et l’instauration du shogunat, l’importance de ces nikki décroit et ils servent bientôt de simples recueils de souvenirs ; en revanche, d’autres classes sociales s’en emparent, comme les guerriers, les moines, les marchands, etc., ce qui permet de rendre compte de la vie intellectuelle et quotidienne des japonais[2].
Ces nikki étaient tenus sur des rouleaux calendriers mentionnant la position des planètes ou des informations sur le jour (présages, fêtes...). Ils sont principalement rédigés en kanbun (chinois classique), bien que les journaux plus récents arborent parfois des passages en kana[2].
Historiographie
Il reste de nos jours plusieurs centaines de nikki (notamment les notes journalières de la noblesse) qui, par leur précision, leur richesse et la diversité des auteurs et des époques, offrent une masse d’informations pour les historiens[2].
Le genre eut probablement une certaine influence sur la développement de la littérature japonaise, en premier lieu sur le chef-d’œuvre de Murasaki Shikibu, le Dit du Genji[5]. Ils ont également servi de thèmes pour des peintures, notamment le Murasaki Shikibu nikki emaki, un rouleau narratif peint du XIIIe siècle réalisé dans le style japonais du yamato-e.
Annexes
Articles connexes
Bibliographie
- (en) Richard Bowring, « Japanese Diaries and the Nature of Literature », dans Comparative Literature Studies, vol. 18, no 2, juin 1981, p. 167-174
- Shūichi Katō (trad. E. Dale Saunders), Histoire de la littérature japonaise : Des origines au théâtre Nô, vol. 1, Fayard, 1985, 378 p. (ISBN 9782213016283)
- (en) Donald Keene, Travelers of a Hundred Ages: The Japanese As Revealed Through 1,000 Years of Diaries, Diane Pub Co, 1999, 468 p. (ISBN 9780788155208)
- (en) Marilyn Jeanne Miller, The Poetics of Nikki Bungaku: A Comparison of the Traditions, Conventions, and Structure of Heian Japan’s Literary Diaries with Western Autobiographical Writings, Garland, 1985, 412 p. (ISBN 9780824067045)
- (en) Marilyn Jeanne Miller, « Nikki bungaku: Literary Diaries: Their Tradition and Their Influence on Modern Japanese Fiction », dans World Literature Today, vol. 61, no 2, été 1987, p. 207-210
- (en) Earl R. Miner, « The Traditions and Forms of the Japanese Poetic Diary », dans Pacific Coast Philology, vol. 3, avril 1968, p. 38-48
- (en) Joshua S. Mostow, At the house of gathered leaves: shorter biographical and autobiographical narratives from Japanese court literature, University of Hawaii Press, 2004, 211 p. (ISBN 9780824827786) [lire en ligne]
Ci-dessous sont listées les publications de journaux traduits en français :
- Sugawara no Takasue no musume, Murasaki Shikibu, Izumi Shikibu (trad. Marc Logé), Journaux des dames de cour du Japon ancien, Picquier, 1998, 210 p. (ISBN 9782877303828)
- Murasaki Shikibu (trad. René Sieffert), Journal de Murasaki-Shikibu, Publications orientalistes de France, 1987, 87 p. (ISBN 9782716901079) (réédité en 2000)
Notes et références
- (en) Donald H. Shively et William H. McCullough, The Cambridge History of Japan: Heian Japan, vol. 2, Cambridge University Press, 1999 (ISBN 9780521223539) [lire en ligne], p. 364
- Seiichi Iwao et Hervé Benhamou, Dictionnaire historique du Japon, vol. 2, Maisonneuve & Larose, 2002 (ISBN 2706816325), p. 2044-2046
- Shively 1999, p. 13
- (en) Moriyuki Itoh, « Some Aspects of Narration in Japanese Nikki Diary Literature », dans 人文社会論叢. 人文科学篇, vol. 2, 1999, p. 1-9 [texte intégral]
- Encyclopædia Britannica, vol. 22, 15e éd., 1998, p. 275-276
- Shively 1999, p. 441-442
- Keene 1999, p. 42-46
- Katō 1985, p. 209
- Mostow 2004, p. 37
- Miner 1968
- (en) Earl Roy Miner, Hiroko Odagiri et Robert E. Morrell, The Princeton Companion to Classical Japanese Literature, Princeton University Press, 1988 (ISBN 9780691008257) [lire en ligne]
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