Histoire et culture historique dans l'Occident médiéval

Histoire et culture historique dans l'Occident médiéval

Histoire et culture historique dans l'Occident médiéval est le titre d'un livre de Bernard Guenée, édité pour la première fois en 1980. Plusieurs rééditions sont parues par la suite, notamment celle de 1991. Cet ouvrage a été édité par Aubier-Montaigne à Paris au sein de la collection historique. L'édition de 1991 comporte 475 pages.

Sommaire

Introduction

Cet ouvrage a demandé à son auteur de nombreuses recherches. Ainsi, Bernard Guenée a notamment utilisé les ouvrages de la Sorbonne et ceux de la Bibliothèque de l'École des chartes. Par la suite, il a consulté les œuvres et les sources présentes dans divers instituts britanniques renommés, telles que les universités d'Oxford et de Cambridge. L'œuvre en soi se compose dune introduction, de huit paragraphes distincts et dune conclusion plus diverses annexes, dont une très riche bibliographie.

Bernard Guenée a commencé son ouvrage en 1970 et travaillera dessus pendant 10 années entières, jusqu'à sa publication en 1980. On est donc dans la période post 1968 et il sinscrit bien dans ce mouvement de remise en cause de certaines idées qui faisaient alors autorité dans la pensée de beaucoup d'historiens de l'époque. Cest un ouvrage dont le propos est réellement scientifique; il heurte le sens commun en sopposant à deux tendances de la part des médiévistes: tout dabord celle de penser que tous les chroniqueurs et les moines copieurs étaient des personnes banales qui composaient des ouvrages teints de légendes, de miracles, en fait des récits hagiographiques mais pas de réels récits historiques. De même, Guenée combat l'idée que ces derniers se contentaient de simplement recopier, parfois mot pour mot des œuvres historiques antiques ou plus récentes, sans sefforcer de reformuler la moindre phrase. Lautre idée contradictoire est au contraire de considérer que les travaux des historiens du Moyen Âge sont fiables car ces derniers travaillent avec rigueur et sérieux et se basent sur des observations. Cest à ces deux conceptions que B. Guenée soppose car lui veut montrer à travers cet ouvrage quil faut désormais considérer les historiens médiévaux et leurs ouvrages comme des objets détude indépendants, à part entière et que par conséquent, il faut se méfier des récits qui semblent véridiques ou originaux. Il faut reconsidérer ces textes et distinguer le vrai du faux.

En cela, en écrivant ce livre, Bernard Guenée s'inscrit dans le mouvement de la « Nouvelle Histoire », courant historiographique qui apparut dans les années 1970 et qui anima la troisième génération de l'École des Annales. En France, ses principaux représentants sont Jacques Le Goff et Pierre Nora. La nouvelle histoire est avant tout l'« histoire des mentalités »: il s'agit d'établir des structures mentales des sociétés. Avec elle, le champ de l'histoire s'élargit encore plus et la discipline s'intéresse davantage aux phénomènes de longue durée. En fonction de la question posée, l'historien propose une interprétation des données que lui ont fourni les archives et ouvrages qu'il a consulté. En fait, les historiens de la « Nouvelle histoire »se sont lancés dans une analyse globale de vastes ensembles.

En cela, le propos de B. Guenée est bien défini dès le tout début de son ouvrage et se caractérise par quelques questions fondamentales, à savoir quelle a été la place de lHistoire au Moyen Âge ? Qui a été historien ? Comment ces historiens ont-ils travaillé ? Par quels efforts ont-ils construit leur passé proche ou lointain ? Qui les a lus ? Qui les a entendus ? Cest à toutes ces questions que Bernard Guenée compte répondre au travers de son ouvrage mais il précise clairement quil ne pourra fournir que des hypothèses. Il ne faut donc pas prendre pour seul exemple tout ce quil avance dans son ouvrage car ce sont très souvent des idées quil propose mais qui existent parmi tant dautres. Ce nest en effet quune vision de lHistoire qui ne peut représenter toutes les facettes de cette discipline. Lauteur pose des questions, y répond mais ces réponses sont les siennes et peuvent être perçues différemment selon le point de vue du lecteur. Par ailleurs, ce livre est un ouvrage grand public bien quil demande des bases en historiographie si on veut lapprécier et mieux lappréhender. De plus, cest une monographie et non une synthèse générale car cest très détaillé.

L'ouvrage de Bernard Guenée a pour objectif prioritaire de réhabiliter les historiens du Moyen Âge. L'auteur illustre ses convictions grâce à de nombreux exemples issus de ses longues années de recherches. En d'autres termes, il sagit pour l'auteur de convaincre les lecteurs et leur prouver par des arguments persuasifs quil a bel et bien existé des historiens durant la période médiévale, des historiens tel quon lentend aujourdhui, c'est-à-dire sen tenant aux événements passés, aux faits en les vérifiant à laide de documents variés qui montrent que de réels travaux historiques ont été réalisés au Moyen Âge. Cet ouvrage na pas une vocation critique, cest un ouvrage explicatif destiné à apporter des connaissances aux lecteurs. Il explique comment était construite lHistoire au Moyen Âge, qui en étaient les auteurs et comment procédaient-ils, comment travaillaient-ils, les méthodes quils utilisaient ? Dans un second temps, lauteur sintéresse aux résultats de ce travail, à son emploi au sein de la société médiévale et ses conséquences sur le long terme.

Pour mener à bien ce travail particulièrement rigoureux, B. Guenée a fréquenté quotidiennement les bibliothèques des instituts les plus prestigieux de France et de Grande-Bretagne. Il a ainsi utilisé les travaux les plus récents de lhistoriographie médiévale, ainsi que des sources écrites de lépoque tels que des codex, ces livres manuscrits disposant de pages reliées ensemble et d'une couverture.

Contenu général de l'ouvrage

Le plan de l'ouvrage, dont l'auteur dit qu'il n'est qu'un essai, suit les réponses aux questions que se pose l'historien à propos de ses collègues du Moyen Âge.

L'introduction

Lintroduction de louvrage sattarde sur la perception du Moyen Âge à travers les siècles suivants, du XVIe siècle à nos jours. L'auteur explique la façon dont les historiens du XIXe siècle concevaient lHistoire et lhistoriographie médiévale. Une œuvre dhistorien doit se comprendre dans le contexte historique, à lépoque celle-ci fut rédigée. En effet, les contextes politique, économique, social, religieux et même culturel influencent énormément la pensée et les convictions de lhistorien. En retour, son œuvre sen retrouve forcément inspirée. Guenée nous rappelle qu'il faut attendre réellement le XXe siècle et les travaux dhistoriens comme Marc Bloch avec ses Annales ou encore Gilson et Marrou pour que le Moyen Âge ne soit plus mis de côté et négligé. Les historiens redonnèrent de la valeur et de limportance à lHistoire médiévale en la traitant au même niveau que les autres périodes historiques.

Chapitre 1 : Qu'est-ce que l'histoire : qui a été historien ?

Dans le premier chapitre, la question qui est préalablement posée est la suivante, à savoirQuest-ce que lHistoire ?’ Lauteur nous donne premièrement une définition de la discipline historique. Pour ce qui est des historiens du Moyen Âge, ils définissent lHistoire en sinspirant ou même en reprenant les définitions des historiens antiques, et plus précisément les historiens romains tel Caton ou Fabius Pictor. Quoi quil en soit, pour les historiens du Moyen Âge, le récit historique doit être vrai, il doit sefforcer de respecter au mieux la vérité (même si ce sera loin dêtre respecté en réalité).

En outre, le récit historique doit être simple afin quil soit compris et assimilé par le maximum de personnes. De fait, lhistorien a pour simple ambition de donner le récit littéral de ce qui sest passé. Par ailleurs, pour les auteurs du Moyen Âge, la connaissance historique repose sur 3 données fondamentales: les personnes qui provoquent les événements, les lieux ils se produisent et lépoque, la période ils arrivent. Cependant, en ce qui concerne les lieux, les historiens du Moyen Âge ny accordaient pas autant dimportance que leurs prédécesseurs romains. De même pour le temps, il nen existait quun seul pour lhistorien chrétien du Moyen Âge. Lhistoire sintéresse aux événements passés car lavenir relève du domaine de la prophétie, on ne peut pas prévoir ce qui arrivera. Le travail de lhistorien consiste donc à conserver la mémoire des temps passés.

Lambition de lHistoire médiévale est dêtre événementielle. Lhistorien doit étudier les faits et événements du passé, mais pas tous, seulement les plus marquants, les plus importants. Cest ce qui donnera naissance aux Annales qu racontent et décrivent les événements notables année par année. En outre, on peut noter que lHistoire du Moyen Âge sintéressa plus aux faits et actions des hommes remarquables quaux événements remarquables en eux-mêmes. En fait, lhistorien du Moyen Âge met avant tout en lumière les faits et gestes des personnages importants, tant les laïcs que les ecclésiastiques, tels les rois, les évêques. Mais vers la fin du Moyen Âge, lhistoire se fait plus ambitieuse, elle veut de moins de moins sen tenir aux simples faits mémorables et cherche à élargir ses possibilités de recherche, son champ daction. LHistoire a déjà la volonté dêtre une discipline scientifique plus que littéraire car elle doit sen tenir et respecter au mieux les réels faits et événements historiques. Mais ce quil ne faut pas omettre, cest que lHistoire au Moyen Âge est indissociable de la théologie. Elle sert en effet à expliquer, à soutenir les pratiques religieuses de lépoque de même que justifier le droit. Elle nest pas une matière, une science autonome; elle est liée à dautres domaines. LHistoire nétait quune science auxiliaire, inséparable de la religion.

Chapitre 2 : les Profils d'historiens

Il faut savoir que la façon dont on concevait et écrivait lHistoire au Moyen Âge sinspirait beaucoup des méthodes antiques, en particulier celles des romains. En effet, lHistoire ancienne était bien connue au Moyen Âge et des auteurs latins comme Tite-Live, Lucain, Salluste, Suétone ou encore Valère-Maxime étaient abondamment lus, copiés et traduits par les hommes du Moyen Âge, spécialement par les moines au sein des monastères. En réalité, durant une bonne partie du Moyen Âge, les historiens en tant que tels étaient des moines qui rédigeaient lHistoire au sein de leurs monastères.

Comme je lai dit précédemment, lHistoire et la théologie sont indissociables au Moyen Âge. LHistoire et lHistoire sainte sont considérées par les ecclésiastiques médiévaux comme une seule et même chose. LHistoire sert la religion. Elle explique les action de Dieu et se doit dexpliquer pourquoi il a agi ainsi et pas autrement. Les faits et événements historiques sont perçus comme la volonté de Dieu qui sapplique sur Terre. Les historiens médiévaux étant chrétiens, leur vision et leur façon décrire lHistoire sont forcément influencées par leurs croyance, leur religion. Ils construisent lHistoire en fonction du contexte historique et de la pensée de lépoque. Les historiens médiévaux étaient en fait aussi des théologiens. Écrivant lHistoire, leur but était de travailler à la louange et à a gloire de Dieu. Ils situaient lHistoire dans une perspective théologique.

En outre, lHistoire était liée au droit et à sa pratique mais il faut attendre cependant le XVe siècle pour voir apparaître de véritables historiens qui sattachent aux faits historiques et qui ne sont plus, ou de moins en moins influencés par la morale religieuse. Ils essayent dailleurs de se démarquer de laspect religieux pour éviter de linduire dans leur travail historique. En cela, le droit a joué un rôle important dans ce détachement de lhistorien vis-à-vis de laspect théologique. La pratique du droit a progressivement mené à une Histoire particulièrement bien documentée, distincte de lHistoire rhétorique ou théologique. Bien que lHistoire neut quune place secondaire dans les universités médiévales, elle prit cependant son indépendance au fil des années et se constitua en véritable science, discipline à part, avec ses propres règles et principes. Cela est du à plusieurs facteurs, premièrement les progrès de lÉtat favorisèrent la réflexion pratique qui tendait à justifier dans la science historique les théories politique. Deuxièmement, on peut noter le rôle des humanistes du XVe siècle qui, admirant les auteurs latins comme Tite-Live et Salluste, contribuèrent à imposer lidée que lHistoire avait son importance et quen cela, elle devait être indépendante de toute autre matière ou discipline. Progressivement, lHistoire devient objet denseignement, même si cela prend un certain temps. Cependant, elle ne coupait par pour autant ses liens avec la religion et le droit. Dans le deuxième chapitre, B. Guenée présente les auteurs de la production historique du Moyen Âge. Il nous montre ainsi que ce sont exclusivement des ecclésiastiques et hommes dÉglise (pour le Haut Moyen Âge) qui rédigent des œuvres historiques, et cela pour plusieurs raisons. Tout dabord, ils sont parmi les rares à savoir en théorie lire et écrire. Seuls les ecclésiastiques, certains laïcs et membres de la noblesse sont effectivement lettrés. Par ailleurs, les clercs, en particulier les moines ont accès à des bibliothèques au sein de leurs établissements monastiques. Ils connaissent le latin et leur travail consiste notamment à recopier des ouvrages antiques. Le moine était donc préposé à rédiger des ouvrages historiques au sein dun scriptorium. Lhistoire monastique avait la particularité dêtre collective, elle était en effet le fruit dun travail déquipe. Cependant, il faut nuancer ces affirmations en rappelant certains points. Tout dabord, les ouvrages monastiques étaient souvent des récits hagiographiques ou à la gloire de puissants tels que les rois. Autrement dit, lHistoire produite dans les monastères était avant tout une Histoire sainte. En outre, les moines devaient se consacrer en priorité à la prière et de ce fait le travail historique ne constituait quune faible partie du temps de travail des moines. Par ailleurs, ces derniers nétaient pas tous des scribes et étaient loin de maîtriser correctement le latin, aussi bien pour le lire que pour lécrire. Les monastères nétaient de plus pas tous dotés dun scriptorium. Il faut donc relativiser lapport historique des moines. Bien que ce soit eux qui pour la grande majorité produisaient de lHistoire, celle-ci demeurait limitée et était teintée dun fort aspect religieux. Quant aux ordres mendiants, ils ne se consacraient que rarement à la discipline historique dans le sens , contrairement aux moines, ils se déplaçaient souvent détablissements en établissements religieux, de monastères en monastères et de ce fait avaient un accès limité aux ouvrages présents dans les bibliothèques monastiques. En effet, un dominicain par exemple navait pas aisément les moyens de la recherche historique à sa disposition. LHistoire était loin de constituer un centre dintérêt majeur des frères dominicains ou franciscains. Très peu dentre eux étudiaient lHistoire car lenseignement quils recevaient ou quils enseignaient nétait pas centré sur cette discipline mais beaucoup plus sur la théologie.

Chapitre 3 : Le travail de l'historien

La documentation : comment ces historiens ont-ils travaillé? Par quels efforts ont-ils reconstruit leur passé proche ou lointain ? Lauteur sattache à développer les différentes facettes du travail de lhistorien au Moyen Âge. Il commence par présenter le travail de documentation et de recherche des sources et des informations indispensables pour le travail de tout historien.

Il fallut attendre la fin du Moyen Âge pour que la distinction soit réellement faite entre récits et documents ainsi quentre copies et originaux. Les documents écrits ont longtemps servi au Moyen Âge à défendre des privilèges et des possessions particulières. Ces documents constituaient une preuve écrite que certains droits revenaient bien à telle personne, à telle fondation monastique, bien que certains soient falsifiés. En outre, toutes les archives mirent du temps à être enfin mieux classées et plus accessibles. Mais quand cela fut réalisé vers les XIVe et XVe siècles, cela eut un impact positif pour la conservation des documents historiques et pour les futures recherches des historiens qui avaient désormais accès à davantage de documents qui étaient mieux conservés. Ces livres ayant été mieux conservés que les chartes et autres documents diplomatiques, les historiens utilisaient en conséquence bien plus de copies que de documents originaux. Ainsi, les livres constituaient de loin la première source auxquels avaient accès les historiens. En cela, lHistoire ne pouvait pas se construire sans bibliothèques. Or, au Moyen Âge, les bibliothèques étaient rares et souvent situées au sein de monastères, d un difficile accès aux ouvrages quelles contenaient, ouvrages en nombre limité dailleurs. Cependant, même si les bibliothèques médiévales se multiplient au fil des siècles et donc les livres qui les composent, le nombre douvrages historiques reste particulièrement faible dans le sen les ecclésiastiques, en particulier ceux occupant les ordres mendiants, ne sintéressent pas à lHistoire. Leur culture est avant tout théologique. Cest avec les premières maisons dimprimerie que le tournant se produisit réellement car ceci permit la multiplication du nombre douvrages. Leur meilleure et plus rapide diffusion permit aux historiens davoir un accès facilité à de nouveaux livres mis à leur disposition. La quête des sources vers la fin du Moyen Âge, se traduisit par une multiplication des voyages détudes par les historiens. En effet, cest avec la Renaissance que leurs déplacements se concrétisent afin davoir accès à des sources lointaines, situées dans diverses bibliothèques dEurope.

Quant aux références et aux sources, elles constituaient au Moyen Âge lidéal de lérudition, du savoir. Ainsi, on considérait que les meilleurs historiens du Moyen Âge étaient ceux ayant la volonté de fournir des références nombreuses et précises. Cependant, ces références restent souvent imprécises car les œuvres citées nont en général pas de chapitres mais seulement un titre. La nature des sources constituant une attente de la part des lecteurs, les historiens accordèrent plus dattention à préciser les lieu se trouvait le livre en question alors que les juristes et les théologiens ny accordaient pas attention.


Chapitres 4 et 5 : le travail de l'historien

Le travail de l'historien : l'élaboration et la composition. Qui les a lus ? Qui les a entendus ? Bernard Guenée concentre son étude sur le travail propre de lhistorien. Il commence par ce quil appelle l’« élaboration » pour ensuite se pencher sur la conception de lHistoire, toujours dans loptique du Moyen Âge. Il est premièrement question de la critique des témoignages, en insistant sur lauthenticité, la validité des divers documents auxquels a recours lhistorien médiéval. Au Moyen Âge, lauthenticité dun ouvrage est lobjectif central de son auteur car ce dernier cherche à convaincre, à prouver à son lecteur la véracité de ce quil écrit, des faits quil expose. Il veut montrer que la documentation quil a utilisé est tout à fait fiable. En cela, une œuvre historique pouvait inspirer et être reconnue comme authentique si son auteur était connu. Mais il fallait parfois une autorité supérieure pour pouvoir confirmer lexactitude de tel ou tel ouvrage. Ainsi, pour certaines œuvres, il fallait lappréciation du pape ou de lempereur, dans une moindre mesure celle dune autorité ecclésiastique ou laïque influente tel lévêque, un prince séculier, quelquun de reconnu de par son titre. Si cette authenticité était fondée et accordée, louvrage en question était « approuvé ». Par conséquent, certains textes se révélaient plus ‘’vrais’’ que dautres.

A linverse, un ouvrage qui manque dautorité ou qui nen a tout simplement pas est qualifié d’« apocryphe ». Cette authenticité se révèle particulièrement importante au Moyen Âge car ils permettent par exemple à des monastères de prouver quils appartiennent à tel ou tel diocèse ou évêché. De même, elle permet de justifier certains droits et possessions qui reviennent à une autorité laïque par exemple. En cela, les falsifications, les rajouts dinformations et les modifications volontaires de documents officiels ne sont pas rares. Sur cette idée de vrai et de faux document, lauteur en vient à distinguer un autre problème inhérent aux textes, à savoir distinguer loriginal du falsifié, le vrai du faux. Ainsi, en 1453, Aeneas Sylvius Piccolomini précise quil faut pour chaque document, excepté les Saintes Écritures qui ne peuvent être réfutées, déterminer qui est lauteur, quelle vie il a mené, quelle est sa religion et quelle est sa valeur personnelle. Il faut aussi considérer avec quels autres récits le document concorde, diffère, si ce quil dit est probable et enfin sil est en accord avec le temps et le lieu dont il traite. Par la suite, le domaine du temps, plus particulièrement de la maîtrise de celui-ci est abordé. En effet, comme le précise B. Guenée, la meilleure arme dont disposent les historiens du Moyen Âge pour critiquer les sources et les témoignages, cest bien la chronologie. Lun des premiers soucis de lhistorien du Moyen Âge est de situer les événements dans le temps, de connaître les dates. Mais le problème est que les érudits médiévaux navaient pu sappuyer que sur la Bible pour établir une chronologie qui se révèle donc souvent fausse. Les historiens du Moyen Âge ne purent en cela maîtriser le temps historique. Néanmoins, ils ont le souci daccumuler le plus de documentation possible mais sattardent aussi à la retravailler afin de reconstruire la vérité du passé. Cependant, ce type de travail sinscrivait dans une perspective propre à lépoque médiévale et donc différente de la notre. Par ailleurs, cest au Moyen Âge que les techniques du travail dhistorien ont réellement commencé à se développer et se sont approfondies par la suite. De plus, les divers systèmes de mesure du temps et des problèmes que cela pose sont également mis en lumière par lauteur, montrant ainsi que ces systèmes se révèlent plus nombreux et plus riches quon peut le penser. Pour ce qui est du chapitre V, lauteur saccorde à mettre en lumière une autre facette du travail dhistorien, à savoir la composition. Il présente donc pas à pas le long et complexe travail de lhistorien, étape après étape mais cette fois-ci en se concentrant sur la rédaction à proprement parler de louvrage historique. Ainsi, après avoir rassemblé et classé, mis en forme la documentation auquel il avait eu accès, lhistorien médiéval devait désormais construire son œuvre à partir de lensemble de ces sources. Le travail de copie était soit réalisé par lhistorien lui-même ou bien par des scribes. Ensuite, de nombreuses additions, corrections et suppressions étaient appliquées aux textes. Les œuvres historiques du Moyen Âge nont souvent ni prologue, ni chapitres. En outre, dans les premiers siècles du Moyen Âge, les définitions que les théoriciens donnaient des « Annales », des « Chroniques » ou encore du mot « Histoire » étaient loin dêtre claires et par conséquent bon nombre dérudits ne faisaient pas de distinction entre ces 3 mots, les utilisant lun pour lautre, comme de parfaits synonymes. Il faut attendre plusieurs siècles pour que la distinction sopère réellement.

Néanmoins, une avancée de cette époque réside dans la mise en place dune seule et même échelle du temps, dune unique chronologie qui sert de repère pour tous les événements historiques notés dans les Annales, d une clarification de la notion du temps. Dans les œuvres historiques de la fin du Moyen Âge, les livres, chapitres et tables des matières étaient largement répandus bien quils nétaient pas encore très usités par les historiens. Néanmoins, la présence de ces éléments, composantes essentielles dun ouvrage, permettaient au lecteur de trouver ses marques, ses repères à travers louvrage et de comprendre de quoi il était question, d au final une meilleure appréhension et compréhension de lHistoire, voire une certaine appréciation de cette discipline. Et ce plaisir de la science historique sest accru avec lapparition des illustrations au Bas Moyen Âge. En effet, bien quelles napparurent que tardivement, les artistes des monastères consacraient de leur temps et de leur talent à compléter dillustrations diverses les œuvres liturgiques comme hagiographiques. Il semble quOtton de Freising ait été le premier historien à avoir eu lidée dillustrer lune de ses œuvres. En 1157, il offrit effectivement à lempereur Frédéric II Barberousse un manuscrit de sa Chronique ou Histoire des deux cités qui était décorée dune quinzaine de miniatures.

Chapitre 6: Le succès de l'oeuvre

Quelle somme de connaissances, quelle image du passé ont-ils pu léguer à leurs contemporains et à leurs successeurs ? Il est question du succès de lœuvre est des raisons qui y sont liées. En cela, une fois le récit achevé, il faut comme il le dit lui-même ‘’suivre le destin de cette œuvre’’. Ce chapitre ne sintéresse donc plus à leffort de lhistorien pour produire son ouvrage mais bien à la diffusion de celui-ci dans la société médiévale. Cependant, il faut savoir que la pensée médiévale considérait que la renommée de lœuvre tenait à loriginalité de son contenu et non à son succès et à sa diffusion. Ainsi, lun des premiers critères qui permettent de déterminer aujourdhui le succès dun ouvrage, cest le nombre de manuscrits copiés à lépoque et qui nous sont parvenus jusquà aujourdhui. De plus, dun point de vue spatial, cest le succès du livre qui fait lampleur de sa diffusion. Ainsi un ouvrage connaissant un grand succès sera diffué sur une large zone géographique. A linverse, un succès limité voire faible se diffusera seulement à un niveau régional ou local. Quant à la dimension temporelle, un ouvrage à succès sera copié plus de fois et aura donc une durée de vie plus importante, donc plus de chances de parvenir jusquà nous. Par la suite, lauteur se concentre sur les raisons du succès dune œuvre au Moyen Âge. Il met ainsi en avant deux éléments constitutifs de louvrage, à savoir le fond et la forme. Ainsi, en ce qui concerne le fond, lauteur nous informe que lambition des clercs du Moyen Âge était de connaître et donc de raconter lHistoire du monde entier d la création dHistoires universelles. Cependant, au fil du Moyen Âge, on constate qu le goût des clercs et des laïcs pour lHistoire les amène à privilégier certains moments, certaines périodes en particulier. En ce qui concerne la forme, cest la brièveté qui fait loi. Dailleurs, de nombreux auteurs précisent dès le prologue quils ne sattarderont pas sur les détails. Enfin, on peut dire que le succès du récit historique dépend de moins en moins du réseau de monastères qui se transmettent les ouvrages mais passe plutôt par de plus en plus de bourgades qui deviennent progressivement des villes, véritables « carrefours de la culture » selon les mots de lauteur. En effet, lavenir dun ouvrage dHistoire était lié à laccueil dun public diversifié et surtout urbain composé de clercs, de notables, de bourgeois, en fait la population lettrée. Au Bas Moyen Âge, cétaient donc dans les villes que se jouait la pérennité des ouvrages.

Chapitre 7 : La culture historique

De quel poids ont-ils pu peser sur les mentalités et les comportements ?

Ce chapitre se révèle essentiel car il aborde lautre thème majeur de louvrage à mon sens, ce qui figure dans le titre même du livre, à savoir la culture historique. Effectivement, après avoir longuement présenté le travail de lhistorien médiéval et analysé le succès ou non de sa production, lauteur sattarde désormais sur lensemble de toutes ces productions historiques, tous ces ouvrages qui constituent un fond commun de connaissances considérable et qui peut se définir comme une certaine « culture historique ». Pour cela, le but de B. Guenée nest pas de présenter la somme de cette culture historique construite durant la période médiévale mais bien de montrer quelle a pu être la culture historique amassée et détenue au fil des siècles par les historiens du Moyen Âge et par la même occasion celle des autres catégories de la population médiévale. Ainsi le propos commence par étudier lHistoire des historiens, c'est-à-dire la somme du savoir entreposé dans les bibliothèques à travers les œuvres historiques et les connaissances possédées par les historiens médiévaux. Lélément essentiel, cest quà la fin du Moyen Âge, le fond commun de la culture historique occidentale était constitué pour lessentiel dun héritage antique au travers des œuvres des historiens grecs et romains. Néanmoins, il y avait une base de connaissances datant de la période médiévale qui se constituait dune quinzaine douvrages provenant dhistoriens latins païens ou chrétiens et dont la plus récente avait été écrite au VIIIe siècle. La culture historique a été notamment influencée par certains événements politiques dont lun constitue un élément majeur. Cest effectivement avec leffondrement de lEmpire carolingien que des liens se sont créés entre monastères. Lauteur parle ‘’solidarité monastiques’’ mais aussi linfluence des grandes bibliothèques de quelques puissantes abbayes ont formé un certain nombre daires culturelles bien distinctes les unes des autres. Seule une minorité de la population possédait une culture historique, à savoir presque exclusivement des clercs et des laïcs qui ont en effet le temps de sadonner à lHistoire, de sy intéresser et denrichir leur savoir par la lecture dœuvres historiques. Lhistoire nétant pas considérée comme une discipline majeure méritant une place à part, elle nétait pas enseignée et venait surtout soutenir lenseignement théologique. De fait, lHistoire était seulement diffusée et lue parmi les élites de la population qui avaient un goût pour la science historique. En somme, le problème du Moyen Âge résidait dans cette diffusion de la culture historique qui se révélait très limitée car bénéficiant exclusivement aux hautes catégories de la société médiévale. En effet, la masse du peuple navait pas accès à cette culture faute de temps ou de moyens financiers.

Chapitre 8 : Le poids de l'histoire

Enfin, le huitième chapitre saccorde à développer lidée du poids qua pu avoir lHistoire au sein de la société du Moyen Âge mais aussi du poids de lHistoire médiévale dans le temps et en loccurrence pendant les siècles suivants. En premier lieu, lauteur sintéresse à la notion de propagande historique qui existait au Moyen Âge. Il est vrai que le pouvoir royal sest souvent servi de lHistoire pour défendre certaines ides ou revendiquer certains droits. De même, lHistoire venait justifier la possession de tel ou tel domaine ou région; par exemple, elle servait de prétexte à la politique pour mettre en avant certaines idées ou bien promouvoir certaines actions. Aussi, la propagande historique était déjà bien présente au Moyen Âge et utilisée par le pouvoir politique pour rappeler les hauts-faits du passé par exemple, tel fut le cas à la veille daffrontements militaires. Ainsi, au vu du poids de lHistoire dans la propagande du Moyen Âge, les rois et les princes prirent soin de veiller à la composition dœuvres historiques qui venaient leur pouvoir et leurs droits ou encore donner la meilleure image deux-mêmes. Il ne faut donc pas prendre à la lettre ce qui est écrit dans certains ouvrages car certaines informations historiques ont pu être modifiées, retouchées ou encore des faits magnifiés, agrémentés de données pas forcément véridiques. Plus généralement, le passé servait au Moyen Âge à justifier le présent. Lhistoire était utilisée à des fins politiques ou encore religieuses quand il sagissait de reprendre des faits, des actes présents dans les textes sacrés, tel la Bible ou les Testaments. Pour finir, la justice et la politique avaient besoin de lHistoire pour quelle leur fournisse des arguments qui venaient légitimer leurs pouvoirs respectifs, mais aussi des idées simples et des exemples afin détablir des continuités dans le temps présent, en fait expliquer le présent et ses normes par le passé.

En cela, connaître le passé est au Moyen Âge un atout essentiel. Lhistorien médiéval possède donc un pouvoir particulier. Il doit non pas raconter ou écrire le passé mais plutôt le réinterpréter, réinterprétation de lHistoire qui nest pas la même selon lépoque à laquelle vit lhistorien. Lenvironnement et la période à laquelle lhistorien écrit vont effectivement influer sur sa perception du passé et par conséquent il écrira une Histoire différente que celle dun historien moderne ou contemporain. Mais comme le précise B. Guenée, lhistorien médiéval devait également « réinventer le passé » afin de répondre aux désirs de son époque, de se conformer aux attentes de son temps. Le problème qui se pose à partir de est bien sur de savoir distinguer pour les historiens daujourdhui le vrai du faux.

Conclusion

Dans sa conclusion, B. Guenée récapitule toutes les périodes du Moyen Âge à travers lesquelles évoluèrent lHistoire et le travail de lhistorien. Mais il insiste surtout sur le fait quil existait bel et bien des historiens au Moyen Âge. En effet, même si lHistoire rédigée durant la période médiévale était fortement imprégnée par les idées défendues et incarnées par le christianisme, il en résulte néanmoins des données précieuses pour connaître et comprendre le Moyen Âge.

Ce qu'il faut surtout retenir, c'est que l'Histoire au Moyen Âge a pour vocation de soutenir la théologie, elle est véritablement au service de cette discipline. Par ailleurs, l'Histoire se construit progressivement en passant dune transmission orale à une transmission écrite.

Apport historiographique

À travers cet ouvrage, Bernard Guenée donne une vision nouvelle de la conception de l'Histoire au Moyen Âge et les influences, les répercussions qu'elle a pu avoir sur les mentalités de l'époque et celles des siècles suivants. En rejetant la fausse vision qu'avaient les historiens du XIXe siècle sur la période médiévale, l'auteur nous permet d'avoir une nouvelle approche du Moyen Âge, une approche qui se révèle être bien plus véridique et scientifique. Il nous donne ainsi une perception claire et précise du poids qu'a pu avoir l'Histoire dans la société et la culture médiévale.

Bilan

L'ouvrage de Bernard Guénee constitue donc une contribution de première importance et se révèle fondamentale en ce qui concerne la connaissance de l'idéologie féodale, de la pensée médiévale de l'Histoire ainsi que de l'impact de la culture historique sur les mentalités et les comportements de l'époque. En apportant par ailleurs des éléments sur la réflexion critique que peuvent avoir les historiens sur leur propre Histoire, cet ouvrage constitue une "lecture indispensable" selon les mots d'Alain Guerreau.

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Histoire et culture historique dans l'Occident médiéval de Wikipédia en français (auteurs)

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