Guerre des paysans en Alsace et en Lorraine

Guerre des paysans en Alsace et en Lorraine

La guerre des paysans, aussi appelée guerre des rustauds désigne les révoltes paysannes qui ont secoué le Saint Empire romain germanique au début du XVIe siècle. L'Alsace est touchée de plein fouet par ce mouvement, avec l'apparition d'armées de paysans qui s'opposent à l'ordre établi. Les débordements du mouvement en Lorraine et sur les terres alsaciennes du Duc de Lorraine entraînent l'intervention militaire de ce dernier, ce qui marque la fin sanglante des révoltes en Alsace et en Lorraine.

Sommaire

Les origines religieuses du mouvement

Tandis que luthériens, calvinistes et anglicans organisent leurs Églises en Europe, de nouveaux courants protestants plus radicaux jugent que le protestantisme établi ne va pas assez loin dans la simplicité du christianisme biblique. Plusieurs de ces groupes suscitent des révoltes politiques ou s'attaquent aux églises dont ils détruisent les images, les vitraux, les statues et les orgues.

Ils s'attaquent avec une égale violence aux Églises protestantes établies et à l'Église catholique. Luther désapprouve ce bouleversement radical ; cependant, en vue d'aboutir à un règlement pacifique, il exhorte les seigneurs à satisfaire certaines revendications des paysans. Finalement, il fait volte-face et condamne sévèrement leurs recours à la violence dans un pamphlet de 1525 intitulé « Wider die mördischen und räubischen Rotten der Bauern », (« Contre les hordes criminelles et pillardes des paysans »).

Le soulèvement en Allemagne

Article détaillé : guerre des Paysans allemands.

Les historiens débattent encore des causes du soulèvement. Dans les différentes régions concernées, la condition des paysans est très variable. Des laboureurs aisés participent à la révolte, et la conjoncture économique n’est pas fondamentalement mauvaise. Il ne s’agit donc pas d’une révolte de la misère, même si le poids des redevances, de la dîme et de la corvée était assez lourd pour contribuer à un réel endettement.

Douze Articles rédigés en Souabe et adoptés par toutes les bandes paysannes, contestent la hiérarchie ecclésiastique et formulent des exigences, dont le droit de choisir leurs propres pasteurs, l'abolition du servage, le droit de pêche et de chasse, l'abolition de nombreux impôts féodaux et la garantie d'être traités justement par les tribunaux seigneuriaux.

Des combats entre les paysans et les serviteurs des nobles éclatent en 1524 à Shühlingen, dans ce qui est aujourd'hui le canton de Schaffhouse (nord de la Suisse, Forêt-Noire), et l'insurrection s'étend rapidement sur la plus grande partie de l'Allemagne centrale, occidentale et méridionale, à l'exception de la Bavière. La révolte est particulièrement violente en Thuringe, où elle prend un tour religieux sous l'influence de la secte des anabaptistes dirigée par Thomas Münzer.

Pasteur à Zwickau de 1520 à 1521, Münzer soutient la paysannerie dans la lutte qui oppose les guildes de mineurs et les classes supérieures. Il revendique l'inspiration divine, et se met à prêcher la suprématie de la lumière intérieure sur l'omnipotence de l'Écriture sainte. Il affirme également que le peuple, dans sa simplicité, peut accueillir cette lumière intérieure. Tour à tour expulsé de plusieurs villes, pour avoir poussé les paysans et les ouvriers à se révolter ouvertement, il participe, pendant une courte durée, à la guerre des Paysans (1524-1525) puis revient à Mühlhausen pour prendre la tête d'une révolte contre les autorités civiles et religieuses locales. Il réussit à renverser le régime féodal et à organiser pendant un temps une communauté de paysans dans laquelle tout est possédé en commun. Battu à Frankenhausen le 15 mai 1525, Münzer est jeté en prison et exécuté.

À la fin de cette même année, après bien des atrocités commises par les deux parties et la mort de milliers de personnes, les nobles de la ligue de Souabe réussissent à écraser la rébellion dans toute l'Allemagne, mais la révolte se poursuit en Autriche jusqu'à l'année suivante. Les paysans allemands n'obtiennent en définitive aucune concession, tandis qu'en Autriche les nobles abolissent quelques-unes des injustices à l'origine du soulèvement. Paradoxalement, l'opposition de Martin Luther, dont les principes ont été adoptés par les paysans mécontents et ont inspiré leur révolte, contribue à la défaite des rebelles.

L’insurrection en Alsace et en Lorraine

Ce soulèvement a été minutieusement préparé car il éclate dans toutes les parties de l’Alsace le même jour, le 14 avril 1525, et bénéficie d’un effet de surprise totale. Les autorités ne peuvent opposer aucune résistance. Le mouvement gagne très vite le Duché de Lorraine. Des paysans révoltés pénétrent dans la région de Blâmont, de Saint-Dié. Plus au nord, il gagne Dieuze et le bailliage d’Allemagne (la partie germanophone du Duché de Lorraine). Les insurgés occupent l’abbaye d’Herbitzheim qui devient un grand centre de rassemblement où 3 000 paysans lorrains rejoignent les révoltés alsaciens, fin avril-début mai. Les autorités sont ainsi menacées par une dangereuse entreprise de destruction de l’ordre établi. Aussi le duc Antoine de Lorraine se résout-il fin avril à monter une expédition militaire.

Le 4 mai Antoine rassemble à Nancy des fantassins, des cavaliers et des artilleurs, avec pièces, munitions et vivres, et se met en marche en direction de Dieuze. Le lendemain il fait étape à Vic-sur-Seille d’où des détachements de cavaliers, d’archers et d’arquebusiers vont verrouiller les principaux passages vosgiens (Saint-Dié, Raon-l’Etape, Blâmont) et Sarreguemines. Une troupe commandée par le capitaine de Sarreguemines, Jean de Braubach, tente ainsi de couper la route à une bande de paysans (dont le nommé Hans Zoller de Rimling). Une rencontre sanglante a lieu au Wittringerhof. Le combat prend fin quand Jean de Braubach est fait prisonnier, et les paysans peuvent rejoindre les insurgés alsaciens à Herbitzheim.

À Vic-sur-Seille, l’armée ducale compte entre 12 000 et 15 000 hommes : nobles de Lorraine, de Champagne, de Brie et leurs soldats ; cavaliers de diverses origines ; lansquenets venus des Pays-Bas et d’Allemagne du nord ; fantassins espagnols. Le 11 mai elle fait mouvement sur Dieuze, où elle est renforcée par les cavaliers de Claude de Lorraine, comte de Guise, frère du duc et gouverneur de Champagne, donc des troupes françaises, et par les lansquenets d’un autre frère d’Antoine, Louis de Vaudémont (qui a rassemblé sa troupe à Pont-à-Mousson).

Le 14 mai, l’armée est encore complétée à Sarrebourg par le comte de Nassau-Sarrebrück et par des gentilshommes français.

Saverne et Lupstein

Un parti favorable au soulèvement existe à Saverne et les autorités de la ville décident d’abandonner la place. Le 13 mai au soir, des milliers d’insurgés pénétrent dans la ville sans avoir à livrer combat. Ceux de Herbitzheim, passant par Diemeringen, Graufthal, Dossenheim, les rejoignent le lendemain, avec leur otage Braubach. Une autre bande arrive encore de Neuwiller. Puis le commandant en chef des paysans alsaciens, Erasme Gerber, originaire de Molsheim, se rend en personne à Saverne. Mais dans le même temps des cavaliers du duc de Lorraine ont investi le château de Haut-Barr, qui domine la ville. Le gros de l’armée, qui a quitté Sarrebourg pendant la nuit du 14 au 15 mai, s’installe devant les remparts de Saverne et décide d’attendre le lendemain.

Le 16 mai un drame survient à une douzaine de kilomètres de là, à Lupstein, où se sont regroupés trois à quatre mille paysans. On ne sait pas précisément quels événements déclenchent le drame, mais il semble qu’une escarmouche dégénère et provoque un massacre et l’incendie de la localité. Devant l’évolution de la situation, les Rustauds proposent d’évacuer Saverne et de partir. Mais Antoine refuse, et exige la reddition totale, la livraison de 100 otages ; et il obtient la libération de Braubach.

Le lendemain 17 mai un nouvel incident déclenche à nouveau un massacre, à Saverne cette fois. Une bagarre dégénère et on tue sans discernement dans les rues et les maisons. Il semble qu’Antoine et le comte de Vaudémont ne contrôlent plus leurs soldats, qui mettent à sac toutes les habitations, l’Hôtel de Ville, l’église. Erasme Gerber est capturé et pendu. Pendant ce temps Neuwiller est aussi occupé, avec un bon nombre d'exactions.

On estime à environ 20 000 le nombre des tués à Lupstein, Saverne et Neuwiller.

La bataille contre les Rustauds à Saverne (Gravure de Gabriel Salmon illustrant le livre de Nicolas Volcyre de Sérouville, 1526)

Scherwiller

L’armée quitte Saverne le 18 mai pour Marmoutier en direction du sud où les bandes de l’Alsace centrale (Barr, Ebermunster, Ribeauvillé, Sélestat) aspirent à venger leurs morts, et à continuer à défendre leur cause, tandis qu’une troupe d’insurgés s’est aussi formée dans les territoires mêmes du duc de Lorraine, à Saint-Hippolyte et Val-de-Liepvre.

La plus importante de ces troupes, celle d’Ebermunster, commandée par Wolf Wagner, prend place à l’ouest de Scherwiller, où d’autres viennent la rejoindre. Cette armée dispose d’arquebuses et d’une artillerie capturée dans les places qu’elle a occupées. Elle bénéficie de l’appoint de soldats de métier, Suisses notamment. Elle a enfin choisi pour se battre un terrain favorable qu’elle connaît bien.

Le 12 mai, la bataille est rude : 500 (?) tués dans l’armée ducale et 4000 au-moins pour une troupe de 15 à 20 000 insurgés.

La fin de la guerre

Battus en Basse et Moyenne Alsace, les révoltés tiennent encore une partie du sud. Les princes allemands supplient Antoine de continuer l’expédition. Probablement frappé par l’ampleur de la tuerie, il refuse et préfère regagner Nancy. Les fantassins se regroupent à Lunéville et Saint-Nicolas-de-Port où ils peuvent vendre le produit de leur butin. L’expédition ne met pas un terme à la guerre. Les insurgés sont impitoyablement traqués dans le sud et dans la région de Wissembourg.

Le 24 mai le duc et sa suite sont accueillis triomphalement à Nancy. L’expédition d’Antoine a un profond retentissement en Occident. Le mouvement des paysans exprime à la fois la contestation sociale et une hostilité à l’égard de l’Église catholique. Mais les chroniqueurs mettent délibérément l’accent sur l’aspect religieux. Le duc victorieux apparaît comme un croisé, défenseur impitoyable de la foi catholique menacée.

Le calme revenu, Antoine fait réaliser une vaste enquête dans le bailliage d’Allemagne. Chaque chef de famille est interrogé et les réponses inscrites sur un registre. Il en ressort que beaucoup reconnaissent s’être rendus aux rassemblements de Herbitzheim et de Diemeringen et, parfois, avoir participé ou assisté au pillage des cures. Presque tous déclarent avoir quitté les bandes avant l’affrontement de Saverne, à la demande des prévôts. Cette enquête ne semble pas avoir abouti à une quelconque répression.

Histoire et légende de la Rusticiade

Le récit en latin des événements a été mis en vers par le chanoine de Saint-Dié Pillart[1] (ou Pilladius[2]) dans les années suivant immédiatement leurs fins. A l'occasion de la régence de la mère du nouveau duc Charles III, le poème a été traduit en français par Brayé de Nancy et publié sous le titre La Rusticiade en 1548 à Metz[1]. La mode était de flatter les princes, en l'occurrence feu le grand-père du jeune duc orphelin, en comparant leurs faits d'armes à ceux de l'Illiade, comme le sera l'Henriade de Voltaire en hommage à Henri IV.

L'expression de guerre des rustauds était celle qui était employée à l'époque et qu'on retrouve dans ce texte. Rustaud avait le sens d'habitant de la campagne et n'avait pas le sens réduit aujourd'hui à celui d'homme fruste. Cependant le mépris des paysans existait déjà et s'y entendait également. La connotation péjorative était à l'époque renforcée par la proximité avec les verbes rusteier, qui signifiait combattre rudement, et rustiser, qui signifiait maltraiter[3]. Dans l'expression rustauds s'entendait une association entre habitants des campagnes et brutes cognantes alors que le terme paysan renvoie à une intégration sociale dans le pays et à un acteur du paysage.

À côté de l'histoire apologétique, se sont développées des récits oraux donnant une réinterprétation historique à des légendes plus anciennes et composant une part importante du folklore lorrain[1].

Notes et références

  1. a, b et c J.O.B. d'Haussonville, Histoire de la réunion de la Lorraine à la France, p. 22, note 1, Michel Levy frères, Paris, 1854.
  2. Odile Jurbert, La Réforme en Lorraine du sud au XVIe siècle in Les Réformes en Lorraine (1520-1620) sous la direction de Louis Châtellier. Presses Universitaires de Nancy, 1986. (ISBN 2-86480-240-6). p. 64
  3. F. Godefroy, Lexique de l'ancien français, p. 469, Honoré Champion, Paris, 1994.

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