Flâneur

Flâneur
Le Flâneur, Paul Gavarni, 1842.

Charles Baudelaire a utilisé le mot flâneur pour caractériser l'artiste dont l'esprit est indépendant, passionné, impartial, « que la langue ne peut que maladroitement définir ». « Pour le parfait flâneur, pour l'observateur passionné, c'est une immense jouissance que d'élire domicile dans le nombre, dans l'ondoyant, dans le mouvement, dans le fugitif et l'infini. Être hors de chez soi, et pourtant se sentir partout chez soi ; voir le monde, être au centre du monde et rester caché au monde »[1]. Sous l'influence de Georg Simmel[2], le philosophe allemand Walter Benjamin[3] (traducteur de Baudelaire) a développé cette notion et, après lui, beaucoup d'autres penseurs ont aussi travaillé le concept de flâneur, en le liant à la modernité, aux métropoles, à l'urbanisme et au cosmopolitisme.

Sommaire

Selon Charles Baudelaire

Charles Baudelaire

« Le peintre de la vie moderne », dans Le Figaro, 1863.

« Observateur, flâneur, philosophe, appelez-le comme vous voudrez ; mais vous serez certainement amené, pour caractériser cet artiste, à le gratifier d'une épithète que vous ne sauriez appliquer au peintre des choses éternelles, ou du moins plus durables, des choses héroïques ou religieuses. Quelquefois il est poète ; plus souvent il se rapproche du romancier ou du moraliste ; il est le peintre de la circonstance et de tout ce qu'elle suggère d'éternel. Chaque pays, pour son plaisir et pour sa gloire, a possédé quelques-uns de ces hommes-là. Dans notre époque actuelle, à Daumier et à Gavarni, les premiers noms qui se présentent à la mémoire, on peut ajouter Devéria, Maurin, Numa, historiens des grâces interlopes de la Restauration, Wattier, Tassaert, Eugène Lami, celui-là presque anglais à force d'amour pour les élégances aristocratiques, et même Trimolet et Traviès, ces chroniqueurs de la pauvreté et de la petite vie. »

— II - Le croquis de mœurs

« Pour le parfait flâneur, pour l'observateur passionné, c'est une immense jouissance que d'élire domicile dans le nombre, dans l'ondoyant, dans le mouvement, dans le fugitif et l'infini. Être hors de chez soi, et pourtant se sentir partout chez soi ; voir le monde, être au centre du monde et rester caché au monde, tels sont quelques-uns des moindres plaisirs de ces esprits indépendants, passionnés, impartiaux, que la langue ne peut que maladroitement définir. L'observateur est un prince qui jouit partout de son incognito. L'amateur de la vie fait du monde sa famille, comme l'amateur du beau sexe compose sa famille de toutes les beautés trouvées, trouvables et introuvables ; comme l'amateur de tableaux vit dans une société enchantée de rêves peints sur toile. Ainsi l'amoureux de la vie universelle entre dans la foule comme dans un immense réservoir d'électricité. On peut aussi le comparer, lui, à un miroir aussi immense que cette foule ; à un kaléidoscope doué de conscience, qui, à chacun de ses mouvements, représente la vie multiple et la grâce mouvante de tous les éléments de la vie. C'est un moi insatiable du non-moi, qui, à chaque instant, le rend et l'exprime en images plus vivantes que la vie elle-même, toujours instable et fugitive. »

— III - L'artiste, homme du monde, homme des foules et enfant

« Ainsi il va, il court, il cherche. Que cherche-t-il ? A coup sûr, cet homme, tel que je l'ai dépeint, ce solitaire doué d'une imagination active, toujours voyageant à travers le grand désert d'hommes, a un but plus élevé que celui d'un pur flâneur, un but plus général, autre que le plaisir fugitif de la circonstance. Il cherche ce quelque chose qu'on nous permettra d'appeler la modernité ; car il ne se présente pas de meilleur mot pour exprimer l'idée en question. Il s'agit, pour lui, de dégager de la mode ce qu'elle peut contenir de poétique dans l'historique, de tirer l'éternel du transitoire. »

— IV - La modernité

Notes et références

  1. Charles Baudelaire, Le peintre de la vie moderne, Paris: Fayard, 2010.
  2. Georg Simmel, Les grandes villes et la vie de l'esprit, Paris: L'Herne, 2007.
  3. Walter Benjamin, Paris, capitale du XIXe siècle : Le Livre des passages, 3e édition, Paris: Editions du Cerf, 1997.

Bibliographie

  • BAUDELAIRE, Challes, Le Peintre de la vie moderne, Paris, Fayard, collection « la petite collection », 2010, 112 p., EAN : 9782755505672.
  • BECKER, Karin, Le Dandysme littéraire en France au XIXe siècle, Paris, Editions Paradigme, collection « Références », 2010, 196 p., EAN : 978286878286.
  • BENJAMIN, Walter; Paris, capitale du XIXe siècle : Le Livre des passages, 3e édition, Paris; Editions du Cerf, collection « Passages », 1997, 972 p., EAN : 9782204031578.
  • BRAGUE, Rémi, Image vagabonde : Essai sur l'imaginaire baudelairien, Chatou, Editions de la Transparence, collection « essais d'esthétique », 2008, 144 p., EAN : 9782350510361.
  • BRIX, Michel, Le Romantisme français : Esthétique platonicienne et modernité littéraire, Louvain, Peeters, collection « d'études classiques », 1999, 303 p., EAN : 9789042907386.
  • BRUNEL, Pierre, Baudelaire antique et moderne, Paris, P. U. Paris - Sorbonne, collection « recherches actuelles en littérature comparée », 2007, 179 p., EAN : 9782840504955.
  • COMPAGNON, Antoine, Les Cinq paradoxes de la modernité, Paris, Seuil, collection « Philosophie Generale », 1990, 189 p., EAN : 9782020114622.
  • COMPAGNON, Antoine, Baudelaire devant l'innombrable, Paris, P. U. Paris - Sorbonne, 2003, 206 p., EAN : 9782840502630 .
  • COMPAGNON, Antoine, Les Antimodernes : De Joseph de Maistre à Roland Barthes, Paris, Editions Gallimard, collection « bibliothèque des idées », 2005, 464 p., EAN : 9782070772230.
  • COVIN, Michel, L'Homme de la rue : Essai sur la poétique baudelairienne, Paris, L'Harmattan, collection « Ouverture philosophique », 2001, 185 p., EAN : 9782738497581.
  • FRANGNE, Pierre-Henry, La Négation à l'œuvre : La Philosophie symboliste da l'art (1860 – 1905), Rennes, P. U. Rennes, collection « Æsthetica », 2005, 371 p., EAN : 9782753501096.
  • HAMEL, Jean-François, Revenances de l'histoire : Répétition, narrativité, modernité, Paris, Les Editions de Minuit, collection « Paradoxe », 2006, 234 p., EAN : 9782707319593.
  • HEINICH, Nathalie, L'Élite artiste : Excellence et singularité en régime démocratique, Paris, Les Editions de Minuit, collection « Bibliothèque des sciences humaines », 2005, 370 p., EAN : 9782070774920.
  • KOPP, Robert, Baudelaire : Le Soleil noir de la modernité, Paris,Editions Gallimard, collection « découvertes Gallimard », 2004, 159 p., EAN : 9782070314140.
  • PICHOIS, Claude et AVICE, Jean-Paul, Dictionnaire Baudelaire, Tusson, Du Lerot, 2004, 502 p., EAN : 9782876531949.
  • SCHIFFER, Daniel Salvatore, Le Dandysme, dernier éclat d'héroïsme, Paris, P. U. F., collection « Intervention philosophique », 2010 , 296 p., EAN : 9782130582274.
  • SIMMEL, Georg, Les Grandes villes et la vie de l'esprit, Paris, Éditions de l'Herne, collection « nets de l'Herne », 2007 , 59 p., EAN : 9782851976864.
  • VAILLANT, Alain (ed.), Baudelaire journaliste : Articles et chroniques, Paris, Flammarion, collection « GF », 2011 , 381 p., EAN : 9782080712783.
  • VOUILLOUX, Bernard, Le Tournant "artiste" de la littérature française : Écrire avec la peinture au XIXe siècle, Paris, Hermann, collection « Savoir Lettes », 2011 , 535 p., EAN : 9782705668914.

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