Fanny Kemble

Fanny Kemble
Fanny Kemble par Thomas Sully, 1834.

Frances Anne Kemble (27 novembre 1809 - 15 janvier 1893) est une actrice et femme de lettres anglaise.

Issue d’une famille d'acteurs de théâtre renommée, elle rencontra d'abord le succès à Londres avant d'épouser en 1834 un riche héritier du sud des États-Unis, Pierce Butler, au terme d’une tournée américaine triomphale. Les limites que son mari tenta d'imposer au comportement sa femme, et notamment à l'expression publique de ses opinions antiesclavagistes, provoquèrent un divorce retentissant qui obligea Kemble à reprendre une carrière d’actrice qu’elle limita pour l’essentiel à des lectures de Shakespeare. Fruits de son expérience américaine, son Journal (1835) et son Journal of a Residence on a Georgian Plantation in 1838-1839 (1863), publié en Angleterre après qu’elle eut quitté les États-Unis au début de la guerre de Sécession, furent des succès de librairie considérables, qui restent aujourd’hui encore des sources précieuses sur la vie de plantation dans le Sud.

Sommaire

Biographie

Une enfant de la balle

Formal facial portrait photo of attractive young woman with ringlets, smiling softly and looking into the camera.
Fanny Kemble dans ses jeunes années.

Fanny Kemble est né à Londres dans la famille d'acteurs la plus prestigieuse que compte l'Angleterre de son temps. Son père, Charles Kemble, comme sa mère, Marie-Therèse de Camp, étaient des acteurs réputés, qui n'égalaient toutefois pas en notoriété sa tante, la tragédienne Sarah Siddons. Elle grandit dans un environnement culturel privilégié, côtoyant dès son plus jeune âge aussi bien Walter Scott que Thomas Moore. Une partie de son éducation lui fut dispensée à grand frais à Paris, où elle ne tarda pas à se démarquer par un caractère original. Elle se destina tout d'abord à une carrière littéraire mais accepta finalement, à contre cœur, de monter sur scène, pour venir au secours de ses parents dont les difficultés financières menaçaient le théâtre[1].

Elle fit sensation dès sa première apparition dans le rôle de Juliette dans Roméo et Juliette, le 26 octobre 1829 au Covent Garden. Elle devint rapidement la coqueluche de la scène londonienne, s'illustrant dans la plupart des grands rôles féminins du répertoire, de la Portia du Le Marchand de Venise à la Beatrice de Beaucoup de bruit pour rien en passant par Lady Teazle de L'École de la médisance de Sheridan. James Sheridan Knowles écrivit tout spécialement pour elle un rôle sur mesure, celui de Julia dans The Hunchback. Aux yeux des critiques, elle combinait « la technique majestueuse de son père avec le sentiment passionné de sa mère » (her father’s stately technique with her mother’s passionate feeling), empruntant au premier « sa voix profonde et sonore » et à la seconde ses « grands yeux noirs hypnotiques »[2].

Elle publia son premier roman Frances I, qui devint une pièce de théâtre montée pour la première fois avec succès en 1832[1]. Cette ascension soudaine et les déboires financiers persistants de sa famille la poussèrent à accepter une tournée aux États-Unis, alors en pleine vogue shakespearienne[3] En 1832, elle incarna Bianca dans Fazio à New York City devant un public « ému, étonné et ravi »[1]. Ses prestations lui valurent d'être considérée comme la première grande actrice à se produire devant le public américain qui lui donna le surnom de « Reine de la Tragédie »[1]. Parmi ses admirateurs figure le poète Walt Whitman qui mentionne sa prestation dans son Leaves of Grass[1]. Après sa prestation inaugurale à New York, elle se produisit à Philadelphie où elle fut immédiatement remarquée par Pierce Butler, un gentleman bien né du sud du pays, qui, séduit par son apparition sur scène, la poursuivit de ses assiduités et s'imposa comme le véritable régisseur de son voyage, en mettant tout en œuvre pour rendre son séjour américain agréable.

Un mariage américain

En 1834, mettant de côté les doutes qu'elle éprouvait sur sa capacité à se plier aux contraintes d'une vie maritale, elle céda aux avances de Butler et se retira de la scène pour épouser son prétendant à Philadelphie[1]. Petit-fils du père fondateur Pierce Butler, son mari était l’héritier d’une fortune fondée sur le coton, le tabac, le riz et donc sur l’esclavage dont sa grand-père s'était fait le farouche défenseur au moment de l'indépendance du pays. Deux filles naquirent rapidement de cette union.

Kemble mit à profit le temps qu'elle passait éloignée de la scène pour mettre sur le papier ses observations sur son expérience américaine, genre auquel s'était essayée avec succès trois ans plus tôt Frances Trollope avec The Domestic Manners of the Americans (1832). Ce projet fut un premier sujet de discorde pour le jeune couple, Butler estimant qu'une femme mariée, qui plus est une lady de l'aristocratie du sud, ne devait pas exercer d'activités publiques, sous peine de se montrer inconvenante. L'écriture, et surtout la publication de récits personnels ou fictionnels comptaient au nombre des activités proscrites par le nouveau statut de sa jeune épouse. Se heurtant à la volonté farouche de sa femme de voir son journal publié, il tenta, sans plus de succès, de racheter pour 2500 dollars l'ouvrage à son éditeur, avant qu'il ne parût en 1835. Ce Journal of Frances Anne Butler (2 vols., 1835), sans être aussi acerbe que celui de Trollope, n'était pas sans révéler une certaine condescendance vis-à-vis des mœurs américaines, lesquelles restaient marquées pour la jeune femme par leur provincialisme[1].

L'esclavage, dont les revenus du couple dépendirent directement après que Butler eut hérité des plantations de son père à la mort de celui-ci, devint un autre casus belli. Gagnée à la cause abolitionniste, sous l'influence du pasteur unitarien William Ellery Channing, Fanny Kemble tint à accompagner son mari en Géorgie lorsqu'il dut prendre en charge la gestion de ces nouvelles terres. De ce séjour de 18 mois, elle tira un nouveau récit, intitulé Residence of a Georgian Plantation in 1838-1839, qui déclencha la fureur de son mari. Il parvint cette fois-ci à repousser sa publication puisque Kemble ne publia son journal qu'en 1863 en Angleterre, alors que le divorce avait été prononcé depuis plusieurs années. Après son séjour géorgien, désireuse de prendre quelques distances, Kemble regagna l'Angleterre, bientôt rejointe par son mari. Pendant deux ans et demi la crise qui avait secoué le couple sembla éteinte mais les difficultés refirent surface à leur retour aux États-Unis en 1843. Butler tentait toujours de régir la vie de sa femme, utilisant leurs deux filles, qu'il menaçait de lui enlever, pour contenir ses velléités de remonter sur scène ou d'exprimer publiquement de ses sentiments antiesclavagistes. Le mari tenta ensuite de priver sa femme de ses longues randonnées à cheval, qu'il assimilait à des tentatives pour échapper temporairement et symboliquement aux contraintes de la vie maritale, en vendant son cheval. Cette dernière répondit dans la foulée en publiant une série de poèmes dont elle tira les bénéfices nécessaires au rachat de sa monture[1].

L'épisode marqua une rupture qui devait s'avérer définitive. À la suite de ce premier bras de fer, Butler limita drastiquement la possibilité pour sa femme de voir ses enfants, qui vivait pourtant sous le même toit qu'elle. Elle repoussa fermement l'offre écrite de réconciliation, subordonnée à une promesse de soumission, qu'il lui présenta en ces termes : « Si vous contrôler votre tempérament irritable, et si vous consentez à soumettre votre volonté à la mienne, nous pourrions nous réconcilier et être heureux »[1]. Elle regagna à nouveau l'Angleterre, où elle tenta sans grand succès un retour à la scène, sévèrement jugé par la critique, qui retrouvait une actrice dont le jeu, estimait-elle, était désormais gâté par des « sentiments américains exprimés trop librement ». Elle dut retourner aux États-Unis en 1848 pour faire face à la demande de divorce déposée par son conjoint. Celui-ci plaida publiquement l'abandon dans son Statement auquel elle s'empressa de répondre par un texte intitulé Answer. Le divorce fut prononcé en 1849, laissant à Fanny Kemble la garde de ses filles deux mois dans l'année et une pension annuelle de 1500 dollars[1].

Retour sur le devant de la scène

L'argent n'était toutefois pas la préoccupation première de Kemble qui rencontrait depuis son retour aux États-Unis un vif succès dans ses lectures de Shakespeare, dont elle n'hésitait pas à déclamer le texte original des pièces les plus audacieuses, alors qu'il était de coutume de ne jouer du dramaturge qu'une partie soigneusement choisie du répertoire ou de n'offrir au public qu'un texte expurgé des passages susceptibles de heurter les oreilles les plus chastes. Profitant de ce revirement de fortune, Kemble fit l'acquisition de la propriété de Tanglewood dans les Monts Berkshire où elle mena une vie affranchie des contraintes qui pesaient sur son sexe. Un de ses contemporains notait ainsi qu'« elle pêchait, portait d'amples pantalons, montait seule à cheval et corsait si bien son punch que toute la bonne société de la ville était un jour reparti passablement éméchée d'une de ses réceptions »[1].

La guerre de Sécession ayant détourné le public de ses représentations théâtrales, elle reprit une fois de plus le chemin de l'Angleterre en 1863. Un recueil de ses pièces de théâtre ainsi que son Journal of a Residence on a Georgian Plantation in 1838-1839 parurent cette année-là dans son pays d'origine. Ce dernier texte connut un retentissement d'autant plus grand que sa parution coïncida avec les discussions engagées au Parlement à propos du soutien à apporter aux belligérants américains. Le Royaume-Uni ne savait quel parti soutenir. Ces intérêts économiques dans le secteur textile l'incitait à soutenir le Sud, son principal pourvoyeur de coton, le rôle de porte-drapeau international de l'antiesclavagisme, qu'il assumait depuis qu'il avait lui-même aboli l'esclavage, à prendre le parti du Nord. Le Journal de Kemble joua un rôle non négligeable dans le débat public. Il fournissait un témoignage de première main sur les conditions de vie des esclaves du Sud. Kemble décrivait de manière poignante l'arbitraire qui régnait dans les plantations, ainsi que ses tentatives infructueuses pour améliorer le sort des captifs. Plusieurs députés ne manquèrent pas de citer à l'Assemblée des passages de l'ouvrage pour repousser l'idée d'un rapprochement avec la Confédération[1].

Personnalité désormais bien établie du monde des lettres, Kemble continua de 1863 à 1879 à naviguer régulièrement entre l'Angleterre et les États-Unis. Elle poursuivit l'édition de ses mémoires et établit à Londres un salon assez couru. Henry James, qu'elle avait rencontré à Rome en 1872 par l'intermédiaire de sa fille Sarah devint un de ses invités réguliers. Fanny lui inspira plusieurs nouvelles et son roman Washington Square, basé sur un épisode de la vie sentimentale de son frère. James considérait qu'elle était « la première femme de Londres...un volcan...qui écrit exactement comme elle parle ». Elle s'installa définitivement en Europe en 1879 et mourut à Londres en 1893[1].

Notes et références

  1. a, b, c, d, e, f, g, h, i, j, k, l et m James Ross Moore. "Kemble, Fanny" American National Biography Online, Feb. 2000, [lire en ligne].
  2. Cité dans David Deirdre, Fanny Kemble : A Performed Life, Philadelphie : University of Pennsylvania Press, 2007, p. 45.
  3. Lauwrence W. Levine, Culture d'en haut, culture d'en bas. L'émergence des hiérarchies culturelles aux États-Unis, Paris, La Découverte, 2010, p. 29.

Bibliographie

  • Catherine Clinton, Fanny Kemble's Civil Wars, 2000
  • David Deirdre, Fanny Kemble : A Performed Life, Philadelphie : University of Pennsylvania Press, 2007
  • J. C. Furnas, Fanny Kemble: Leading Lady of the Nineteenth Century Stage, 1982
  • Mary M. Turner, Forgotten Leading Ladies of the American Theatre, 1990
  • Constance Wright, Fanny Kemble and The Lovely Land, 1972

Wikimedia Foundation. 2010.

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