- Eau polymérisée
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L'eau polymérisée était une forme hypothétique polymérisée d'eau qui a été un sujet de controverse scientifique à la fin des années 1960. En 1969, la presse généraliste s'y est intéressée. En 1970, des doutes sur l'authenticité de l'eau polymérisée ont commencés à se faire jour[1],[2],[3]. Á la fin de l'année 1973, il apparu clairement que l'eau polymérisée n'existait pas[4].
Á présent, l'eau polymérisée est utilisée comme exemple de science pathologique (en).
Sommaire
Historique
Le physicien soviétique Nikolai Fedyakin, travaillant dans un petit laboratoire de recherche public à Kostroma, Russie, fit des mesures sur les propriétés de l'eau après qu'elle eut été condensée et qu'elle se fut écoulée de manière répétée dans de petits tubes capillaires en verre[5]. Certaines de ses expériences semblaient montrer que l'eau se séparait en deux phases. Alors que l'une des phases conservait les propriétés de l'eau commune, l'autre semblait être un nouvel état de l'eau qui avait un point d'ébullition plus élevé, un point de congélation plus bas et une viscosité bien plus importante que l'eau ordinaire (proche de celle d'un sirop).
Boris Derjaguin (en), directeur du laboratoire de physique des surfaces à l'Institut de chimie physique de Moscou, eut connaissance des expériences de Fedyakin. Il prit de nombreuses précautions pour éviter toute contamination (capillaires de quartz, etc.) et reproduisit la nouvelle forme d'eau[5]. Il améliora la méthode. Bien qu'il ne produisit alors que de très faibles quantités du mystérieux matériau, il le fit bien plus rapidement que Fedyakin. Par rapport à l'eau ordinaire, les analyses des propriétés de ce nouveau matériau montrèrent un point de congélation bien plus bas (-40 °C ou moins), un point d'ébullition de 150 °C ou plus, une masse volumique comprise entre 1 100 et 1 200 kg⋅m-3, une augmentation de volume avec la température et une augmentation de viscosité par un facteur de 15. Jusqu'en 1966, Derjaguin publia une dizaine d'articles sur le sujet, tous en Russe, dans des journaux scientifiques soviétiques. De courts résumés furent aussi publiés en anglais dans Chemical Abstracts. Cependant, cela n'attira pas l'attention des scientifiques occidentaux.
En septembre 1966, Derjaguin voyagea en Angleterre à l'occasion des "Discussions de la Faraday Society" à Nottingham. Il y présenta son travail, et cette fois-ci, les scientifiques anglais remarquèrent ce qu'il nommait alors eau anormale. Les scientifiques anglais débutèrent alors des recherches sur ce matériau. En 1968, des recherches débutèrent aux États-Unis. En 1969, l'American National Standards Institute confirma l'expérience. La même année, le concept apparut dans les journaux et les magazines[1].
En pleine guerre froide, les militaires américains craignirent d'être en retard sur le sujet de l'eau polymérisée par rapport à l'Union soviétique[6]. Ellis R. Lippincott (université du Maryland) interpréta les spectres infra-rouges comme ceux d'une forme d'eau polymérisée (polywater en anglais)[5].
Une controverse scientifique s'en suivit. Des expérimentateurs furent capable de reproduire les découvertes de Derjaguin alors que d'autres échouèrent. Plusieurs théories furent échafaudées pour expliquer le phénomène. Certains proposèrent que c'était la cause de l'augmentation de résistance des câbles téléphoniques transatlantiques, tandis que d'autres, dont F. J. Donahoe (collège de Wilkesen, Pennsylvanie), prédirent que si de l'eau polymérisée était mise en contact avec de l'eau ordinaire, cette eau ordinaire serait transformée en eau polymérisée, rappelant le scénario d'apocalypse du roman Le Berceau du chat de Kurt Vonnegut : toute l'eau terrestre serait transformée en eau polymérisée, menant à un assèchement de la planète, scénario qui fut invoqué par des astronomes pour expliquer l'aridité de Vénus. Des applications pratiques furent aussi échafaudées, telle que l'utilisation comme imperméabilisant pour les textiles. Au début des années 1970, l'eau polymérisée était de notoriété publique au sein du grand public[7].
Pendant cette période, plusieurs personnes mirent en question l'authenticité de ce qui était maintenant connu en Occident sous le nom d'eau polymérisée. La principale préoccupation portait sur la contamination de l'eau, même si de nombreux articles scientifiques assuraient que toutes les précautions avaient été prises pour l'éviter.
Denis Rousseau (en) et Sergio Porto des Laboratoires Bell répétèrent les expériences et les publièrent en mars 1970 : les analyses révélaient une composition faite majoritairement de sodium et de chlore[8]. Il apparut aussi qu'un article soviétique de 1968 rapportait la présence de composés organiques[5]. Denis Rousseau analysa sa propre sueur, qu'il collecta à la suite d'un match de handball américain de son laboratoire. Il trouva qu'elle avait un spectre identique à celui de l' eau polymérisée. Il publia alors un article suggérant que l'eau polymérisée n'était rien d'autres que de l'eau avec de petites impuretés biologiques[9]. Cette nouvelle défraya la chronique : le 27 septembre 1970, Le New-York Times ironisa : « eau polymérisée ou transpiration de chercheur ?». La nouvelle fut aussi publiée, par exemple, le 28 septembre dans le Chemical & Engineering News et le 12 octobre dans le Der Spiegel[5].
Il s'en suivit une nouvelle vague de recherches, cette fois-ci dans des conditions mieux contrôlées. Invariablement, on ne produisait plus d'eau polymérisée. Et invariablement, les analyses chimiques montraient que les échantillons d'eau polymérisée étaient contaminés par d'autres substances, expliquant ainsi les modifications des points de fusion et d'ébullition. Des examens au microscope électronique mirent en évidence la présence de petites particules solides de différentes natures, allant du silicium aux phospholipides, expliquant la plus grande viscosité. En fait, les tubes en verre et en quartz, même très propres, n'en sont pas moins poreux. Ces pores absorbent les vapeurs d'eau et de sels organiques contenus dans l'air. Les expériences qui produisaient soi-disant de l'« eau polymérisée » mettaient en fait en évidence la précipitation de ces sels et des poussières microscopiques de verre ou de quartz provenant des tubes. L'utilisation de tubes en polyéthylène – non poreux – confirma le mécanisme[5].
Les scientifiques qui étaient partisans de l'eau polymérisée reconnurent qu'elle n'existait pas. Cela pris quelques années de plus en Union soviétique, où des scientifiques continuèrent à travailler sur le sujet. C'est en août 1973 que Derjaguin reconnut publiquement, au travers d'une lettre dans Nature, que l'eau polymérisée n'existait pas[10], mettant fin aux débats. Au final, en quelques années, 400 chercheurs publièrent près de 500 articles sur le sujet[5].
Denis Rousseau (en) utilisa l'eau polymérisée comme un exemple typique de science pathologique (en), et a ensuite rapporté d'autres exemples[11].
Il a été suggérée que l'existence de l'eau polymérisée aurait dû être rejetée sur des considérations théoriques. Les lois de la thermodynamique prédisait que, puisque l'eau polymérisée avait un point de fusion plus élevée que l'eau ordinaire, cela signifiait qu'elle était plus stable, et que donc l'ensemble de l'eau contenue dans les capillaires aurait dû se transformer spontanément en eau polymérisée, et non pas seulement une partie[12]. Richard Feynman fit remarquer que, si un tel matériau avait existé, alors il existerait aussi un animal qui ne nécessiterait pas de nourriture. Cet animal ingèrerait uniquement de l'eau normale et excrèterait de l'eau polymérisée, utilisant pour vivre l'énergie libérée par la transformation[12].
Dans la science-fiction
L'histoire "Polywater Doodle" par Howard L. Myers, utilisant le surnom de Dr Dolittle fut publié dans le numéro de février 1971 de Analog Science Fiction and Fact. Elle fait figurer un animal entièrement composé d'eau polymérisée, avec le métabolisme décrit par Richard Feynman.
L'eau polymérisée est l'idée centrale du roman d'espionnage et à suspens "A Report From Group 17" par Robert C. O'Brien (en) (1972). L'histoire est basée sur l'utilisation d'un type d'eau polymérisée qui rend les gens contrôlables et incapables d'une pensée ou d'une action indépendante.
L'épisode de Star Trek intitulé The Naked Time[13] décrit l'eau polymérisée comme capable d'infecter et de se propager comme un virus. Au début, les victimes touchées commencent par transpirer fortement, puis elles perdent leurs inhibitions, agissant comme si elles étaient saoules. Cette intrigue fut plus tard reprise dans la série dérivée Star Trek : La Nouvelle Génération dans l'épisode The Naked Now[14].
Liens internes
Liens externes
- (en) Arthur M. Diamond, Jr, « The polywater episode and the appraisal of theories », dans A. Donovan et al., Scrutinizing Science, Kluwer Academic Publishers, 1988 [lire en ligne (page consultée le 13 août 2011)], p. 181-198
Notes et références
- (en) « Science: Unnatural Water », dans Time magazine, 19 décembre 1969 [texte intégral (page consultée le 11 août 2011)]
- (en) « Polywater », dans New-York Times, 22 septembre 1969 [résumé (page consultée le 13 août 2011)]
- (en) « Doubts about Polywater », dans Time magazine, 19 octobre 1970 [texte intégral (page consultée le 13 août 2011)]
- (en) S. T. Buttler, « Polywater Debate Fizzles Out », dans The Sydney Morning Herald, 17 septembre 1973 [texte intégral (page consultée le 13 août 2011)]
- Marie-Christine de La Souchère, « L'eau polymérisée a fait transpirée les chimistes », dans La Recherche, no 454, Juillet-août 2011, p. 108-110 (ISSN 0029-5671) [texte intégral (page consultée le 13 août 2011)]
- (en) Drew Fetherston, « U.S. Begins Efforts To Exceed the USSR In Polywater Science.: Pentagon Picks Firm to Study Water-Like Fluid That Boils At 400, Was Isolated in 1961 », dans The Wall Street Journal, 30 juin 1969 [résumé (page consultée le 11 août 2011)]
- (en) Christian et Berka, « How You Can Grow Your Own Polywater », dans Popular Science, juin 1973, p. 105-107 [texte intégral]
- (en) Denis L. Rousseau et Sergio P. S. Porto, « Polywater: Polymer or Artifact? », dans Science, AAAS, vol. 167, no 3926, 27 mars 1970, p. 1715-1719 [résumé, texte intégral, lien DOI (pages consultées le 13 août 2011)]
- (en) Denis L. Rousseau, « "Polywater" and Sweat: Similarities between the Infrared Spectra », dans Science, AAAS, vol. 171, no 3967, 15 janvier 1971, p. 170-172 [résumé, texte intégral, lien DOI (pages consultées le 13 août 2011)]
- (en) B. V. Derjaguin et N. V. Churaev, « Nature of "Anomalous Water" », dans Nature, vol. 244, 17 août 1973, p. 430-431 [texte intégral, lien DOI (pages consultées le 13 août 2011)]
- (en) Denis L. Rousseau, « Case Studies in Pathological Science », dans American Scientist, vol. 80, no 1, janvier-février 1992, p. 54-63 [texte intégral, lien DOI (pages consultées le 13 août 2011)]
- (en) Henry H Bauer, « 'Pathological Science' is not Scientific Misconduct (nor is it pathological) », dans HYLE - International Journal for Philosophy of Chemistry International, vol. 8, no 1 = janvier-février, 2002, p. 5–20 [texte intégral (page consultée le 13 août 2011)]
- http://memory-alpha.org/wiki/The_Naked_Time_(episode)
- http://memory-alpha.org/wiki/The_Naked_Now_(episode)
Voir aussi
Bibliographie
- Franks, F., Polywater MIT Press, 1981 ISBN 0-262-06073-6Categorie:Eau
Catégories :- Forme de l'eau
- Controverse scientifique
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