Acoustique des bâtiments anciens

Acoustique des bâtiments anciens

Tout au long de l’histoire de l’architecture apparaissent des bâtiments contenant certains phénomènes acoustiques particuliers ou remarquables, souvent étonnants et parfois même spectaculaires. Les sons s’y comportent chaque fois de manière inhabituelle. Diverses configurations ou techniques sont à l’origine de ces phénomènes.

Volonté ou hasard ? Les édifices dans lesquels on rencontre ces phénomènes sont-ils des réalisations résultant d’un intérêt local et momentané pour certaines préoccupations auditives, ou encore des points nous permettant de retracer une préoccupation acoustique constante s’étendant sur une très vaste période, ou au contraire, les effets rencontrés ne sont-ils que fortuits et ne résultant que du seul hasard ?

Certaines idées et pratiques acoustiques s’étendent dans l’espace et dans le temps, se perdant parfois puis réapparaissant de plus belle après un long temps mort. C’est le cas des résonateurs, employés par les Grecs et les Romains dans leur théâtres et qu’on retrouve mille ans plus tard, dans toute l’Europe cette fois et principalement dans les églises romanes, depuis la Scandinavie jusqu’en Yougoslavie, de la Bretagne jusqu’à Moscou. Certains phénomènes sont le résultat inhérent à la construction et à la forme géométrique du bâtiment qui les contient. C’est l’exemple des galeries des murmures qui, selon l’acousticien américain Beraneck, ont toutes été conçues sans volonté acoustique particulière. Autre cas, résultant apparemment aussi de la construction seule, est la propagation des ondes sous une voûte elliptique, permettant à une personne de converser à distance et en secret, en chuchotant avec une autre personne placée à proximité du foyer opposé. On relèvera encore certains bâtiments contenant des effets d’échos multiples et pas mal d’autres renfermant une réverbération assez importante.

Étude de ces différentes caractéristiques cas par cas.

Sommaire

Vases acoustiques

Se présentent sous forme d’un ou de plusieurs vases que les constructeurs ont inséré dans la maçonnerie afin de donner à l’espace considéré un certain rendu sonore propre, une qualité acoustique désirée. Cette pratique d’employer des vases acoustiques remonte à l’antiquité. Vitruve dans ses 10 livres d’architecture[1] nous enseigne qu’ils sont un héritage des Grecs, il nous décrit comment les dimensionner et où les placer. Apparemment leur emploi se limite aux théâtres, et encore pas tous. Uniquement à ceux construits en pierre et en marbre, ceux qui «ne produisent aucune résonance ». précise-t-il.

Au Moyen Âge, ils réapparaissent, dans les églises cette fois, mais encore d’une curieuse manière. En effet, on les rencontre tantôt dans les basiliques et tantôt dans les chapelles, et bien que répartis dans toute l’Europe, ils ne sont pas systématiquement employés[2],[3],[4],[5]. À Paris, par exemple, on en trouve dans la chapelle du Conservatoire des Arts et Métiers (aujourd’hui la bibliothèque) mais pas dans les grandes églises : ni à Saint-Sulpice, ni à Notre-Dame, ni à Saint-Eustache. Par contre, au nord de Paris, on les retrouve dans la basilique de Saint-Denis, dans les cathédrales de Beauvais, Notre-Dame de Senlis, Notre-Dame d’Amiens ; et à Saint-Etienne de Sens et Notre-Dame de Chartres. À Bruxelles, on n’en a pas recensé, mais bien assez près : à Saint-Rombeau de Malines. À Bologne, la cathédrale de San Pétronio en contient plus de 400, et à quelques centaines de mètres de là, dans San Iétro, on n’en retrouve que 25 et de diamètres différents, etc. (bien qu’un sondage seul permette de s’assurer quels sont effectivement les poteries des trous par lesquels on fait passer les cordages depuis l’extrados des voûtes). On a ainsi dénombré à ce jour quelques 200 églises en Europe contenant ces vases acoustiques, dont la moitié rien qu’en France. Les nombreux exemples retrouvés sont de types si différents qu’il est difficile de tirer une conclusion générale quant à cette pratique moyenâgeuse par le fait de la diversité des formes rencontrées (de l’amphore à la jarre pansue) et de la diversité des endroits d’implantation observés (tantôt dans le chœur, tantôt dans les murs latéraux ou encore dans les voûtes) d’autant plus que certains de ces vases ont été choisis et placés par des personnes ne connaissant pas réellement leur fonctionnement, secrètement gardé par les corporations médiévales. À tout ceci, il faut ajouter une énigme : pourquoi ne les rencontre-t-on que dans les églises, et jamais dans les palais ou les châteaux ? Néanmoins, les seules constantes que l’on peut déduire sont de quatre ordres :

  • Ces vases se situent à l’intérieur de locaux clos,
  • Ils sont en général de petites dimensions,
  • Ils se situent loin de l’oreille des auditeurs,
  • Ils sont presque toujours maçonnés, et non comme le décrit Vitruve, posés sur trois coins et pouvant vibrer plus librement.

On remarquera que ces quatre points sont exactement le contraire de la tradition grecque et romaine. Il est utile de préciser une curiosité historique : on sait à peu près tout sur les résonateurs de l’époque romaine, grâce aux textes de Vitruve, bien qu’on n’en ait retrouvé aucun ; par contre on possède beaucoup d’exemples de poteries acoustiques moyenâgeuses, mais aucun texte sur leur fonction ne nous est parvenu. Le frère René Floriot[6], qui a étudié ces vases pendant une vingtaine d’années, a démontré qu’ils sont avant tout des correcteurs d'acoustique. Leur action se jouant essentiellement sur les ondes stationnaires des fréquences propres de la salle et de ses harmoniques. De plus, ils absorberaient en partie les fréquences autour de 200 HZ et nivelleraient les pics des tracés de temps de réverbération. À l’opposé des vases d’airain dont parle Vitruve, qui rendent la voix des acteurs « plus fort et plus claire selon le rapport de consonance qu’elle aura avec quelqu’un de ces vases[7] », et qui sont de véritables résonateurs. Les vases acoustiques du Moyen Âge ont un pouvoir absorbant et régulateur dans les tessitures graves, celles qui ont été cataloguées parmi les plus gênantes et les plus difficiles à éliminer[8].

Enfin autre chose curieuse, est le caveau phonocampique dont M. N. Bechet[9] a signalé l’existence à la cathédrale de Noyon (et qu’on peut voir encore de nos jours). Il le décrit ainsi : «peut-être avez-vous pénétré dans un de ces pittoresques colombiers en briques rouges que l’on rencontre fréquemment dans les gentilhommières de Normandie. L’aspect de logettes où les pigeons roucoulent en famille, ce sont ici des vases hémisphériques en terre cuite qui, superposés horizontalement en étages circulaires, tournent leurs orifices vers le centre du caniveau. La voûte est terminée par une grille à jour qui fait communiquer l’appareil avec le chœur. Ici, l’on a supprimé la communication, mais conservé le caveau, pensant qu’il pouvait aider la voix de l’officiant ». V. de Cuyencourt[10] dit qu’à l’ancienne église des cordeliers d’Amiens, qui datait du XIVe siècle, il y avait sous le chœur un couloir souterrain qui parait avoir servi de caveau phonocampique.

Galeries des murmures

Autre cas fréquemment rencontré, les galeries des murmures, posent la question : est-ce un effet du hasard ou une volonté de la part des constructeurs ? La réponse semble plus simple en ce sens que peu d’exemples existent et qu’on comprend mal leur utilité si fonction acoustique il y avait. En effet, la propagation d’ondes perpendiculaires à une paroi courbe ne peut se rencontrer que dans un édifice ayant un mur circulaire et lisse : tambour à la base d’une coupole, par exemple. C’est précisément ce qu’on peut observer sous les dômes de Saint-Pierre à Rome, à Saint-Paul à Londres, où des personnes, la tête plaquée contre le mur concave, se parlent à voix basse, à 35 m de distance. Le long de ces parois, le son se propage étonnement bien, et les personnes réalisant cette expérience sont toujours surprises d’entendre clairement leur interlocuteur placé à l’opposé, d’autant plus que s’ils essayent de se parler directement à travers la coupole, la dispersion des ondes sonores rend leurs paroles inaudibles. Jearl Walker, dans un texte consacré aux voûtes à échos[11] écrit que contrairement à la propagation naturelle d’un son, dont l’intensité diminue comme l’inverse du carré de la distance : « Dans le modèle des réflexions multiples (contre la paroi) de la cathédrale Saint-Paul , l’intensité ne décroît que selon l’inverse de la distance. Cela signifie que le son qui voyage le long du mur de la galerie reste plus fort que celui transmis directement à travers la coupole. » A l’extérieur, on retrouve ce même phénomène le long de murs circulaires de certains jardins (Kingston, par exemple), dans les exèdres qui sont des bancs circulaires appuyés le long d’un mur courbe (monument à Alphonso XII dans le parc central de Madrid, ceux du parc Sans-Soucis à Potsdam, ...) ou de fortifications (enceinte de la ville d’Urbino, au bas du Palais Ducal) et aussi dans quelques théâtres antiques, où deux personnes placées à l’extrémité d’un même gradin, communiquent, la tête face au dièdre formé par le siège horizontal et le dossier vertical du gradin. Au théâtre romain d’Orange, on se chuchote ainsi à plus de 80 m l’un de l’autre. Bien que l’effet soit chaque fois frappant, c’est bien un choix géométrique et non acoustique qui a présidé dans l’élaboration du plan de tous ceux-ci.

Voûtes elliptiques

Dans les espaces où le croisement de deux voûtes en plein cintre engendre une ellipse sur les diagonales, les sons émis près d’un foyer se concentrent d’eux-même au foyer opposé, sans intervention humaine aucune, car tout ceci résulte également de la construction ; le phénomène acoustique étant inhérent à la géométrie même de l’espace et aux dièdres convexes formés par la rencontre des deux voûtes. Comme dans le cas précédent, nous nous trouvons avec l’exemple de la transmission d’un son très fiable (un chuchotement) sur une distance qu’il n’aurait pas pu franchir sans l’aide de la forme du bâtiment. C’est ce qu’on peut observer dans « La salle dite de l’écho » (Salle Lavoisier) au musée du Conservatoire des Arts et Métiers de Paris, par exemple. Les diagonales ont 16,25 m et le relevé de la voûte se superpose exactement au modèle mathématique (tracé de l’ellipse). Des exemples plus anciens comme la Salle de los secretos à L'Alhambra de Grenade, ne relèvent apparemment pas d’une préoccupation acoustique de la part des constructeurs mais plutôt d’une coutume acoustique vivante, vécue, qui soit venue s’appliquer sur l’architecture après coup ; car on a probablement vite remarqué que, placée chacune au bon endroit, deux personnes pouvaient communiquer en chuchotant sans être entendues par quiconque se trouvant placé entre-elles. La tentation est forte de penser que de construire par la suite certains espaces ayant cette forme particulière de géométrie au plafond aurait été intentionnelle. Aussi, la plupart des exemples que j’ai pu observer : Loggia dei Mercanti à Milan, Passagio Lei Enzo à Bologne, Salla dei Giaganti du Palazzo del Te à Mantoue, salle dans le château de Caprarolle (Palais Farnèse), se situent en Italie et ont été construits à la Renaissance. En France, la salle des cariatides du Louvre est à rapprocher des exemples italiens. Par contre, la finalité acoustique n’est plus évidente en ce qui concerne la salle hexagonale de l’Observatoire de Paris. Néanmoins, on rencontre parfois des emplois extraordinaires de cette possibilité : ainsi en Haute-Loire, dans une chapelle de La Chaise-Dieu, à l’endroit comportant ce phénomène, on confessait les lépreux, à distance et toujours en secret ! Enfin, selon E.J. Haslinghuis citant le cas du château de Wursburg en Allemagne, les bâtisseurs se servaient de cette particularité pour vérifier la bonne exécution des voûtes elliptiques et l’exactitude de leur tracé en les testant acoustiquement, par chuchotement d’un foyer à l’autre[12].

Dans certaines prisons, les détenus communiquaient par ce moyen entre eux ou avec l’extérieur. Mais ce qui constitue à m’intriguer, c’est comment à Rome, dans la Basilique Saint-Jean de Latran, sur les 12 bas-côtés de couvertures apparemment identiques on a découvert le seul qui contienne cette caractéristique acoustique ? On peut encore ajouter à ces lieux cités, les suivants : Église de Cublize, près de Roanne ; La Cathédrale d’Agrigente en Sicile ; celle de Glouchester ; les salles des chapitres des cathédrales de Séville et St-Jacques de Compostelle ; la salle du Trésor de la cathédrale de Narbonne ; la Rocca Sant’Angelo près de Pérouse; le cabinet de travail dans la Maison Chinoise qui est un pavillon du château royal de Drottningholm, près de Stockholm ; Bourges : La maison de Jacques Cœur, etc. Trop d’exemples ne peuvent tous venir d’une simple coïncidence. En réalité, ce phénomène acoustique avait été «démontré » et expliqué depuis bien longtemps et déjà le savant allemand Athanasius Kircher dans son Musurgia Universalis, publié en 1620 le décrit (p. 300: Fabricas ellipticas fonos mirificè intendentes configuere)[13].
Un peu plus tard, Antoine Furetiere, dans son Dictionnaire universel, publié en 1690, définit le terme écho comme ceci :
Echos : « en termes d’Architecture, fe dit de certaines figures de voute qui font d’ordinaire elliptiques,ou paraboliques, qui redoublent les fons des échos artificiels[14]
En 1740, Trévoux, dans son Dictionnaire François et Latin reprend la même définition et ajoute le terme échométrie qu’il définit ainsi :
Echométrie : « Science, Art de faire des échos ; de faire des bâtiments dont la difposition, et fur tout celle des voûtes forme des échos[15]
Il est à remarquer que ce terme d’Echométrie a été repris par la majorité des dictionnaires jusqu’au xxè siècle. Enfin, dans une édition plus tardive de 1771, Trévoux nous donne une autre précieuse indication :
Cabinets secrets : «en physique, font des cabinets dont la conftruction eft telle, que la voix de celui qui parle à un bout de la voute, eft entendue à l’autre bout[16]. »

Écho

Les phénomènes d’échos proprement dit (réflexions franches contre une paroi), sont inhérents à la géométrie même du bâtiment. Les phénomènes d’échos peuvent se présenter beaucoup plus souvent qu’on ne le pense : lorsqu’on sait que par le passé, chaque ville de quelque importance, était entourée de remparts, une personne placée à distance appropriée et face à ces murs, recevait sa voix en retour ; identiquement entre les piles suffisamment espacées d’un pont, contre les berges de certaines rivières ; et on dit même que les voiles des navires anciens formaient écho. «Les lieux contribuent beaucoup à la cognoiffance de ce que nous cherchons, comme pourroient eftre les voûtes de plaftre, les cabinets qui font au bout des iardins, aux berceaux, aux Eglifes retentiffantes, aux arcades des grands ponts qui font fur les riuieres, aux caues des maifons, & aux niches & murailles refcrefpies; les bois remplis de brouffailles, les chaumieres, les iardins & les palliffades, les ifles remplies de faules, les prez, & les ruts des marais. L’ingenieux Architecte mene & place l’Echo dans les iardins & dans les bois, fe ferant de l’aduantage que la nature luy prefente, comme feift autrefois l’Architecte de la galerie Olympique, & des fept tours de Byzance » écrit en 1636, Marin Mersenne dans son traité Harmonie Universelle[17]. Dès que l’on regarde de plus près les cas les plus célèbres, on ne peut s’empêcher de penser que la proportion des espaces et leur dimension particulière ne sont pas uniquement l’effet d’une seule volonté constructive et visuelle, mais bien qu’une attention et une préoccupation acoustiques auraient également guidé les constructeurs. À la villa Simonetta de Milan, la proportion de la cour arrière est de 17 mètres sur 34, et l’on sait que pour produire un écho franc, il faut 17 ou un multiple de 17 mètres entre le point d’émission et la paroi réfléchissante. Cette villa a été longtemps visitée pour ses propriétés acoustiques remarquables ; malheureusement les bombardements de la seconde guerre mondiale l’ont grandement endommagée. L’écho ne se produit plus que deux fois seulement dans le sens du plus grand côté. Et pourtant : «d’une fenêtre percée à l’étage supérieur, dans l’aile gauche du château ; et donnant sur la cour , un coup de pistolet est répété 40 à 50 fois, le bruit de la voix est reproduit de 24 à 30 fois. Monge et Addison ont vérifié le fait, et Bernoulli a affirmé qu’il avait compté jusqu’à 60 répétitions[18]. »

L’écho est un phénomène que l’on rencontre d’abord dans la nature et les lieux les contenant ont été déifiés ou entourés d’une aura particulière : on leur attribuait des influences fastes ou néfastes. La nymphe Echo, qui était une orade (nymphe des montagnes et des grottes) pour ses bavardages incessants et ses chants, fut condamnée par Héra à ne plus répéter que la dernière syllabe des mots que l’on prononcerait devant elle. Par la suite, et à cause de l’impossibilité de déclarer son amour pour Narcisse, elle alla cacher sa peine dans des cavernes solitaires. La douleur l’y consuma : ses os se changèrent en rocher, et il ne resta d’elle que sa voix[19]. Les lieux contenant la voix de la nymphe sont célèbres et ont été à l’époque romantique, présentés comme symboles de la voix de la nature. Tels sont, par exemple les rochers de Lorelei à Bingen au bord du Rhin, la forêt de Woodstock près d’Oxford où l’écho se répète dix-sept fois, celui de Rosneath près de Glasgow, etc.

Si l’on considère qu’une architecture sacrée doit contenir certaines manifestations étonnantes, certaines règles représentatives des lois divines et de la cosmologie de l’époque, il est compréhensible que nos ancêtres aient voulu reproduire certains effets d’écho, à l’intérieur ou à l’extérieur d’édifices sacrés. Et ce n’est peut- être pas un hasard si, à l’âge baroque, deux jésuites donnèrent aux différents phénomènes d’écho une place non négligeable dans leurs livres décrivant les divers aspect du monde et les lois de l’univers. Josephus Blancanus y consacre dans son Livres de la Sphère au terme Echométrie, 30 pages, comprenant une foule de théorèmes additionnés de propositions[20], et Athanasius Kircher, dans son Mursurgia Universalis, 71 pages au chapitre Magia Phonocamptica[21].

Il est intéressant de noter que les hommes du passé faisaient attention à la qualité des échos, à leur différents rendus, découlant de la forme des lieux, de l’air et de la nature des matériaux des parois réfléchissantes : tel écho ne renvoie que certaines notes bien particulières, tel autre semble tantôt s’approcher et tantôt s’éloigner, etc. Pour en revenir à des expressions architecturales, voulues ou non, le curieux écho que l’on peut observer dans les caves du Panthéon ajoute une singulière impression dans les couloirs donnant accès aux tombes des grands hommes : en effet, un coup sec frappé sur le pan d’un vêtement produit un bruit analogue à celui d’une détonation, et lorsqu’on laisse tomber une pièce de monnaie sur le sol, il s’ensuit un bruit fortement amplifié accompagné de multiples échos. Le bruit des pas s’amplifie également et s’accompagne d’autres bruits de pas qui semblent venir de différentes directions. Le même effet de Flutter écho peut être observé à l’Ekotemplet, pavillon elliptique situé dans le parc Haga de Stockholm.

L'effet Haas

L’effet Haas est la sensation d’un doublement de la puissance sonore lorsqu’on se trouve près d’un réflecteur. Le son direct s’additionne au son réfléchit et semble être deux fois plus fort. Cet effet que l’on rencontre en premier lieu dans la nature, avait été remarqué depuis fort longtemps. A.C. Raes[22] a montré que le Christ a utilisé cet effet lorsqu’il s’adressait aux foules et en particulier lors de sa prédication au lac de Génésareth. Ses auditeurs se plaçaient sur le bord en pente du lac et lui, se tenait sur une barque à quelque distance. Le son direct plus celui reflété sur la surface de l’eau calme s’additionnaient et il y avait de ce fait amplification. Comme l’a démontré François Canac[23], cet effet a été maximal dans les théâtres grecs antiques et se trouve être à la base de la réussite de ces constructions. Les acteurs jouaient devant un mur réflecteur sur une scène longue et étroite. L’emploi judicieux de ce procédé, on le retrouve 20 siècles plus tard, lorsque se généralise l’installation de chaires de vérité dans les églises . Ces chaires sont surmontées d’abat-voix qui réutilisent l’effet Haas. La voix directe du prêtre est amplifiée par les sons réfléchis sur ce petit plafond.

Focalisation des sons

Pour les cas de focalisation de sons en dehors ou dans certains édifices, on peut citer deux exemples dont l’un est volontairement conçu. Dans un château de Philippe II, la loge royale cachée du public, reçoit les sons émis à son côté grâce à la réflexion des ondes acoustiques sur une surface concave[24]. L’autre exemple se situe dans le parc Bomarzo de la villa Orsini à Viterbo, où se trouve une grande gueule, comme un masque immense, dans lequel on peut entrer et s’asseoir autour d’une table. Lorsqu’on y parle, tout ce qui s’y dit peut être entendu à un point précis dans le parc, loin en dehors du lieu d’émission. À rapprocher de ces exemples, la forme demi-sphérique et le cul-de-four surmontant les absides des premières églises chrétiennes est aussi un réflecteur acoustique permettant au prêtre se tenant face à l’abside et donc dos aux fidèles, de se faire entendre distinctement par ces derniers. Dans certaines rues, les sons provenant des cloches des églises y sont plus distincts et mieux perçus qu’à d’autres endroits. Aujourd’hui encore, les amateurs de concerts de carillons, se rendent au Vlaaikensgang à Anvers ou au Clapgat à Malines afin de mieux entendre leur musique favorite, perpétuant ainsi une tradition vieille de plusieurs siècles.

Long temps de réverbération

Le temps de réverbération relativement long, on le retrouve dans toutes les églises et dans certains cas, il est remarquablement prolongé. C’est ce qu’on observe dans le Baptistère de Pise : 12 secondes ! Lorsqu’on y chante plusieurs notes staccato, on les entend réunies en l’air en un accord pendant plusieurs secondes. Les églises cisterciennes sans grandes ouvertures, le sol libre de chaises et dans leur grande nudité sont particulièrement réverbérantes à tel point que dans l’abbaye du Thoronet par exemple, toute conversation parlée dans la nef est tout simplement incompréhensible. C’est à dessein que l’espace central est dédié au chant et qu’une salle plus petite, la salle capitulaire, se trouvant à côté, servait aux sermons. Ce qui reste très extraordinaire dans cette abbaye, c’est la “réponse” entière de toute la nef qui résonne au moindre bruit, au murmure même. Lorsqu’on y chante dans les fréquences basses et que notre cage thoracique se met à résonner, l’église, aux mêmes fréquences agit comme une caisse de résonance. Il y a à ce moment une unité entre le corps et l’espace peu commune ; le chant est porté et soutenu par l’acoustique grâce à la réverbération généreuse qui donne aux monodies une aura harmonique en transformant les intervalles mélodiques en intervalles harmoniques.

Conduits acoustiques

Il existe encore d’autres particularités acoustiques liées à l’architecture et qu’on ne peut classer dans les divers cas cités plus haut : par exemple, à Frascati, dans la villa Parizi, on écoute face à une vasque tout ce qui se dit à l’étage inférieur. On ne peut douter de l’intention acoustique d’une telle disposition qui ne peut être le fruit du hasard ou une résultante de la géométrie propre au bâtiment. Déjà, deux des trois principaux théoriciens de l’architecture du quattrocento parlent des conduits acoustiques. Francesco di Giorgio Martini dans son traité d’architecture publié en 1490 en explique le but ainsi que la façon de les réaliser : “Qu’il puisse se faire (on peut faire) un instrument par lequel le seigneur entend facilement tout ce qui se dit dans sa maison, “Lui absent” dit-on, et cette forme : On fait une concavité laquelle est comme une fenêtre murée de la grosseur du mur (une niche) et creusée tel un petit tube, et dans la partie supérieur on fait une concavité de la forme dessinée qui parvienne à un lieu d’où le seigneur en appuyant l’oreille entendra tout bien que l’on parle doucement, parce que les résidus du son et de la voix dans ce lieu anguleux se fortifient et d’une certaine façon les bribes dispersées s’unissent et se fortifient comme l’expérience le démontre[25]”. Léon Battista Alberti en parle également dans son traité De Re Aedificatori, publié en 1485 : «Il est opportun de se rappeler combien sont utiles aux tyrans les conduits acoustiques cachés dans l’épaisseur des murs, au moyen desquels on perçoit les discours soit des hôtes, soit des familiers de la maison[26]. » Ensuite, en 1650, Athanasius Kircher, en explique la technique et la disposition dans son Musurgia Universalis[27]. Ce système est en fait l’ancêtre des «speaking tubes», tuyaux permettant de transmettre la parole et les informations à l’intérieur des grandes maisons et de certains hôtels du siècle passé[28]. À condition que les tuyaux soient de petit diamètres et que les parois intérieures soient lisses, le son de la voix se propage étonnamment bien.

Autres

Enfin, dernier exemple qui a retenu notre attention, est celui que l’on rencontre dans la salle du trône du palais Ducal d’Urbino. Au plafond de cette salle sont aménagés de petites ouvertures au centre de rosaces et de médaillons. Lorsqu’on se place sur l’extrados de ce plafond, on peut entendre (et espionner) tout ce qui se dit dans la salle même, en contrebas, et ceci par les ouvertures situées au milieu des rosaces.

Les effets rencontrés relèvent-ils d’une préoccupation acoustique déterminée de la part des constructeurs ou non ? Bien qu’une réponse définitive ne puisse être donnée ici, il est certain que dans un grand nombre de constructions citées, les phénomènes acoustiques ne sont pas l’effet du hasard seul. Néanmoins, à la volonté de quelques constructeurs du passé de vouloir réaliser des espaces impressionnants d’un point de vue sonore ou contenant certains effets remarquables, il est nécessaire de superposer une trame de pratiques d’acoustique vivante qui engloberait un ensemble touffu de volontés, de pratiques obscures, de légendes, de fausses rumeurs et d’heureuses coïncidences. Néanmoins, une investigation rétrospective d’une importante série de bâtiments du passé se révèle nécessaire et nous procurerait sûrement beaucoup plus de surprises qu’on ne le pense.

Enfin, il est nécessaire de se rendre compte que dans la vaste période s’étendant depuis la fin de l’Empire romain jusqu’au début du XIXe siècle, l’acoustique fut présente, non sous la forme d’une science, au moins sous la forme d’expressions vivantes abouties.

Références

  1. Vitruve, 10 livres d’architecture (trad. Claude Perrault, 1673), Paris, Ed. Balland, pp. 157-163
  2. Jean De Sturler, Notes sur l’emploi de poteries creuses dans les édifices du Moyen Âge, in : revue Le Moyen Âge, n°3, Bruxelles, 1957, pp. 241-265.
  3. Jean De Sturler, Notes complémentaires sur l’emploi de poteries creuses dans les édifices du Moyen Âge, in : revue Le Moyen Âge, n° 4, Bruxelles, 1960, pp. 595-602.
  4. Y. P. Castel (père),Les systèmes de vases acoustiques anciens dans les églises du Finistère (XIVè-XVIIè s.), Bulletin de la Société Archéologique du Finistère, Tome CIV, 1976.
  5. Jean-Marc Fontaine, Un système historique de correction sonore, in : Qualité acoustique des lieux d’écoute, Colloque C.N.R.S.- E.R.A. 537, Paris, 1981.
  6. René Floriot (frère), Les vases acoustiques au Moyen Âge, thèse faculté des sciences de l’Université d’Aix-Marseille, 1964.
  7. Vitruve, op. cit. pp. 160-161.
  8. René Floriot (frère), Les vases acoustiques du Moyen Âge, in: bulletins du GAM, n° 98, Paris, juin 1978, p. 8.
  9. M. A. Bechet, Notes d’Art et d’Archéologie, 1982, cité dans L. Cloquet, Traité d’architecture, Paris et Liège, Librairie Polytechnique Ch. Béranger, 1901, pp. 248-249.
  10. V. de Cuyencourt, Mémoire sur l’ancienne église des Cordeliers d’Amiens, Amiens, Yocht et Tellier, 1891, cité par Cloquet.
  11. Jearl Walker, Expériences d’amateur, in : Pour la Science, n°14, décembre 1978, pp. 104-105.
  12. Dr. E.J. Haslinghuis, au terme Fluistergaleriy in : Bouwkundige termen, Utrecht/Antwerpen, Bohn, Scheltema & Holkema, 1986, p. 131.
  13. Athanasius Kircher,Musurgia universalis sive Ars magna consoni et dissoni in X libros digesta, Romae, Haeredes Francisci Corbelletti; Ludovicus Grignanus, 1650.
  14. Antoine Furetiere, Dictionnaire universel, La Haye et Rotterdam, Arnout et Reinier, Leers, 1690. (SNL - Le Robert, Paris, 1978)
  15. Trevoux, Dictionnaire universel François et Latin, Nancy, Piere Antoine, 1740.
  16. Trevoux, Dictionnaire François et Latin, Paris, Compagnie des Libraires Associés, 1771.
  17. Marin Mersenne, Harmonie universelle, Paris, 1636, facsimilé des Editions du Centre National de la Recherche Scientifique, Paris, 1986, p. 54.
  18. R. Radau, L’acoustique ou les phénomènes du son, Paris, Librairie Hachette et Cie, 1ère édition, 1867, pp. 121-122.
  19. Larousse, Mythologie générale, Paris, 1935, pp. 158-159.
  20. Josephus Blancanus, Sphaera Mundi, seu Cosmographia Demonstrativa, ac facili Methodo tradita: in qua todius mundi fabrica, una cum novis,Tychonis, Kepleri, Galilaei, aliorumq, astronomorum adinventis continetur accessere I. Brevis introductio ad Geographiam II. Apparatus ad Mathematicarum studium III. Echometria, id. est Geometrica traditio de Echo, Boroniae, typis Sebastiani Bonomii Sumptibus Hieronymi Tamburini, 1620.
  21. Magia fine Ars Phonocamptica eft recondition fonorum fcientia, qua reflexal & multiplicatae vocis vitute, prodigiofos & canfarum ignaris miraculofos effectus p & Stames: pp. 237-308.
  22. Auguste Raes, Isolation sonore et acoustique architecturale, Paris, Ed. Chiron, 1965, pp. 325-326.
  23. François Canac, L’acoustique des théâtres antiques - ses enseignements, Paris, C.N.R.S., 1967.
  24. Cours d’acoustique, Université de Louvain-la-Neuve, circa 1975, p. 157.
  25. F. di Giorgio Martini , Trattati di Architettura Ingegneria e arte militare, secondo trattato, et figures f. 24 TAV. 207 et f. 24 v TAV. 208., Milano, Edizione il Polifilo, 1966, pp. 352-353 (trad. J. Baldasso).
  26. L. Battista Alberti, De Re Aedificatoria, (l’architettura), libro quinto, capitolo III, Edizione il Polifilo, Milano, 1966, p. 346, (trad. J. Baldasso).
  27. Athanasius Kircher , Op. Cit. II, f. 303.
  28. E. Barberot, Traité de construction civile, Paris et Liège, Librairie Polytechnique Ch. Béranger, 1920 , contient de nombreux renseignements techniques quant au fonctionnement, à la réalisation et à l’application des speaking tubes, pp. 831-832.
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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Acoustique des bâtiments anciens de Wikipédia en français (auteurs)

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