Viol de Nankin

Viol de Nankin

Massacre de Nankin

Ossements de victimes retrouvés sur le site du mémorial de Nankin
Bas-relief du mémorial de Nankin

Le massacre de Nankin (en chinois, 南京大屠杀 pinyin Nánjīng Dàtúshā), également connu sous l'appellation Viol de Nankin, est un événement de la seconde guerre sino-japonaise durant lequel l'Armée impériale japonaise se livra à des atrocités contre la population civile de la ville chinoise de Nankin et les soldats de l'armée nationaliste du Guomingdang faits prisonniers.

Ce massacre, qui débuta le 13 décembre 1937 juste après la bataille de Nankin, dura six semaines et fit entre 100 000 et 300 000 victimes suivant les sources et selon l'étendue de la zone considérée. Il eut lieu sous les yeux de nombreux Occidentaux, dont les Américains John Magee, George Fitch et Robert Wilson — seul chirurgien resté à Nankin durant le massacre —, ainsi que l'Allemand John Rabe et la missionnaire Minnie Vautrin dont les mémoires personnels ont été publiés.

Sommaire

Invasion de la Chine

Article du 13 décembre 1937 publié dans le Nichi Nichi shimbun et racontant les « exploits » des sous-lieutenants Mukai et Noda lancés dans un concours de décapitation. Arrivé au score 106 contre 105 et ne pouvant déterminer le vainqueur, le concours continua pour 150[1].

En septembre 1931, l'armée impériale japonaise envahit la Mandchourie, une province de République de Chine, suite à un attentat contre une voie de chemin de fer appartenant à une société japonaise. Cet attentat, très vraisemblablement[réf. nécessaire] réalisé par les Japonais eux-mêmes pour justifier l'invasion, marqua le début de la conquête de la Mandchourie par le Japon. En 1932, Hirohito approuva la nomination d'un gouvernement fantoche, avec à sa tête le dernier empereur de la dynastie Qing, Puyi, dans cette province chinoise, renommée Manzhouguo (ou Mandchoukouo).

En 1937, suite à l'incident du pont Marco Polo, Hirohito donna son accord à l'invasion du reste du territoire chinois, ce qui conduisit à la Guerre sino-japonaise (1937-1945). Dès lors, l'armée japonaise se vit opposer une forte résistance, notamment durant la bataille de Shanghai qui fut particulièrement sanglante.

Certains historiens émettent l'hypothèse que la violence des combats à Shanghai fut en partie responsable de la « mise en condition psychologique » des soldats japonais pour qu'ils commettent plus tard les atrocités à Nankin. Une des explications les plus vraisemblables demeure toutefois la décision prise par Hirohito d'approuver une directive de son état-major suspendant les mesures de protection du droit international à l'égard des prisonniers chinois[2]. L'influence de la propagande impériale qui décrivait les étrangers et surtout les autres populations asiatiques comme des « êtres inférieurs » faits pour être dominés, voire du bétail (kichiku), fut certainement aussi significative.

Pendant le trajet menant de Shanghai à Nankin, le Nichi Nichi Shimbun rapporta d'ailleurs, en feuilleton s'étalant du 29 novembre au 13 décembre, un concours impliquant deux officiers de l'armée shōwa qui avaient parié pour savoir lequel d'entre eux serait le premier à décapiter 100 Chinois avec son sabre[3].

Massacre

Cadavres d'enfants chinois massacrés par l'armée shōwa

Le 8 décembre, alors que la capitale Nankin était assiégée, Tchang Kaï-chek et sa femme évacuèrent la ville avec une partie des troupes. Le 11, les soldats chinois demeurés sur place reçurent à leur tour l'ordre d'abandonner la capitale.

Le 13 décembre, la bataille de Nankin était terminée. L'armée japonaise, forte de plus de 160 000 hommes[4] , pénétra dans la ville, fit prisonniers les soldats chinois encore présents et les divisa en petits groupes. Le massacre débuta alors et les Chinois de tous âges, aussi bien civils que militaires, furent tués à la baïonnette et au sabre pendant que les femmes étaient violées et éventrées.

Dans son journal de bord, le lieutenant-général Kesago Nakajima, note le passage suivant pour la journée du 13 décembre : « Il y a des prisonniers partout, tellement que nous ne pouvons pas nous en occuper… La règle en vigueur est "N'acceptez aucun prisonnier !"… J'ai entendu dire que l'unité Sasaki a disposé à elle seule de 1 500 Chinois. Une compagnie assurant la garde de la porte Taiping a disposé d'un autre 1 300. Un groupe de 7 000 à 8 000 s'est incrusté autour de la porte Xianho et est encore en train de se rendre. Nous avons vraiment besoin d'une large tranchée pour régler le sort de ces 7 000 à 8 000 mais nous ne pouvons en trouver aucune, alors quelqu'un a suggéré ce plan : "Divisez-les en sous-groupes de 100 à 200 et conduisez-les dans un endroit approprié pour les éliminer"[4] »

Cadavres de chinois le long des berges du Yangzi Jiang

Nankin disposait d'une zone internationale où résidaient de nombreux Occidentaux. Leurs témoignages décrivent des exécutions sommaires de civils, des actes de tortures voire de vivisection, des viols collectifs de femmes et d'enfants, et ce, sans la moindre tentative de « reprise en main » du commandement japonais.

Les Occidentaux furent les témoins du massacre jusqu'au 15 décembre, date où la majorité d'entre eux furent forcés d'évacuer la ville à l'exception d'un groupe de 22 personnes, dont le directeur de la zone, l'Allemand et membre du parti nazi John Rabe, qui écrivit un journal détaillé des événements et tenta de protéger les civils au mieux de ses moyens.

Iwane Matsui, Yasuhiko Asaka et tous les officiers du contingent de l'armée défilent symboliquement pour célébrer la prise de la ville

Il y note notamment pour le 13 décembre : « Ce n'est pas avant d'avoir parcouru la cité que nous réalisons l'ampleur de la destruction. Nous tombons sur des cadavres tous les 100 ou 200 mètres. Les corps des civils que j'ai examinés avaient des trous de balle dans le dos. Ces gens ont vraisemblablement fui avant d'être abattu par derrière[5]. », puis pour le 17 décembre : « La nuit dernière près de 1 000 femmes et filles auraient été violées, et environ 100 au collège pour filles Ginling. On n'entend rien d'autre que des viols. Si les époux ou les frères interviennent, ils sont abattus. De tous côtés, ce que l'on entend et voit, c'est la brutalité et la bestialité des soldats japonais[6]. »

Cadavre d'une femme avec une tige de bambou dans la vulve. Cette pratique était utilisée par les soldats shōwa pour marquer leur mépris à l'égard des chinoises. [7]

« Des corps jonchent le sol tous les 100 ou 200 m. On est saisi d'un écœurement irrépressible en trouvant encore et encore les cadavres de femmes avec des tiges de bambou insérées dans la vulve. Même de vieilles femmes de plus de 70 ans sont régulièrement violées» [8].

Le 19 décembre, le réverend James M. McCallum écrit quant à lui dans son journal : « Je ne sais pas par où commencer. Jamais je n'ai entendu ou lu une telle brutalité. Viol! Viol Viol Nous les estimons à au moins 1000 cas par nuit et plusieurs par jour. En cas de résistance, ou de n'importe quel geste qui ressemble à de la désaprobation, il y a un coup de baionnette ou une balle... Les gens sont hystériques... Des femmes sont enlevées tous les matins, les après-midi et les soirs. Toute l'armée nipponne semble libre d'aller et de venir à sa guise, et de faire tout ce qui lui plait. » [9]

Une fois la ville sous contrôle, le prince Yasuhiko Asaka et le général Iwane Matsui, commandants des forces impériales, purent y pénétrer en grande pompe.

Jugement des crimes

Le Tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient (TMIEO) a établi que durant cette période, 20 000 viols furent perpétrés et estima qu'il y eut environ 200 000 personnes tuées par les Japonais, estimations fondées sur les documents détenus par les deux associations humanitaires qui s'étaient chargées du rassemblement et de l'enterrement des cadavres, le Svastika rouge et T'ung-shan She, ainsi que sur les témoignages des survivants. Le tribunal de Nankin a quant à lui évalué à 300 000 le nombre de victimes. Cette estimation comprend « plus de 190 000 civils et soldats chinois massacrés à la mitrailleuse par l'armée japonaise, dont les corps ont été brûlés pour dissimuler les preuves. » et plus de « 150 000 victimes d'actes de barbarie que les associations de charité ont enterrées. » [10]

Ce nombre a été adopté officiellement par le gouvernement chinois qui l'a inscrit sur le mausolée commémoratif du massacre[11].

Le prince Yasuhiko Asaka en 1940

En 1954, alors qu'il attendait son jugement pour crimes de guerre, le major Ohta Hisao de l'ancienne armée impériale japonaise, remit aux autorités un rapport où il détaillait les diverses méthodes utilisées par l'armée shôwa pour se débarrasser des cadavres des civils et militaires chinois assassinés à Nankin. Ainsi, d'après lui, à Hsiakwan, les corps furent notamment empilés par groupes de cinquante avant d'être jetés dans le Yang-Tse. Ailleurs, des milliers de cadavres furent chargés sur des camions, pour être brûlés ou enterrés dans des zones inhabitées. Ohta estima que 150 000 cadavres avaient disparu de la surface de la terre entre le 15 et le 18 décembre 1937.

En additionnant ce nombre à celui des statistiques d'enterrements, l'historien chinois Sun Zhaiwei[12] parvint alors au chiffre de 370 000 morts, deux fois plus qu'Hiroshima et Nagasaki réunis. D'après l'historien chinois Liu Fang-Chu, 430 000 personnes auraient été assassinées en un peu plus d'un mois.

Le général Iwane Matsui, responsable militaire des troupes ayant pris Nankin fut condamné à mort lors du Procès de Tōkyō pour ne pas avoir empêché le massacre. En raison d'un pacte conclu en 1945 entre l'empereur Hirohito et le général Douglas MacArthur, le prince Yasuhiko Asaka, oncle de l'empereur et officier ayant commandé le massacre des civils, ne fut pas accusé devant le tribunal. Dans une déposition faite le 1er mai 1946 aux enquêteurs internationaux, il nia l'existence d'un massacre et déclara « n'avoir jamais reçu de plainte quant à la conduite de ses troupes ». Le chef d'état-major de l'Armée, le prince Kotohito Kan'in, mourut quant à lui quelques mois avant la fin de la Seconde Guerre mondiale.

Révisionnisme

Articles détaillés : Révisionnisme au Japon et Guerre des manuels.

Aujourd'hui au Japon, certaines personnes, dont des politiciens de haut rang, nient publiquement l'existence du massacre ou mettent en cause le nombre de personnes tuées et son importance dans l'Histoire. Cette discussion est associée à du révisionnisme.

Des soldats de l'armée impériale japonaise pénètrent dans la ville de Nanjing en janvier 1938

En avril 2005, la parution au Japon de manuels scolaires minimisant l'importance du massacre de Nankin (réduit à une note en bas de page), provoque de violentes manifestations anti-japonaises en Chine, en Corée du Sud, ainsi qu'une dénonciation virulente de la part des autorités nord-coréennes (la Corée entière fut occupée par le Japon de 1910 à 1945).

En novembre 2006 commençait l'année de la culture de la Chine au Japon en signe de la réconciliation entre les deux pays. Le comité conjoint de 20 historiens a terminé la première phase de ses travaux en décembre 2006 à Beijing, sans que ne soient toutefois abordés des sujets spécifiques comme le massacre de Nankin[13].

Le même mois, le nouveau premier ministre japonais, Shinzō Abe, tenta de mettre fin aux querelles en reconnaissant que son pays avait commis des atrocités durant la Seconde Guerre mondiale et de se réconcilier avec son voisin[14]. Il alimenta toutefois lui-même par la suite cette controverse avec ses propos sur les femmes de réconfort (propos encore une fois dénoncés par les états autrefois compris dans la sphère de coprospérité de la grande Asie orientale).

Filmographie

  • Soleil noir : le massacre de Nanjing (Hei tai yang : Nanjing datusha, Black Sun) (1995), réalisé par Tun Fei Mou
  • Ne pleure pas Nanjing (Nanjing yi jiu san qi, Don't cry Nanking) (1995), réalisé par Ziniu Wu
  • Le cauchemar de Nanjing (Nanking nightmares) (2004)
  • Nanking (2007), réalisé par Dan Sturman et Bill Guttentag.
  • Nanjing, Nanjing (南京! 南京! ; en anglais : City of Life and Death) (2009), réalisé par Lu Chuan

Musicographie

  • Le compositeur chinois Bright Sheng a écrit en 2000 Nanjing! Nanjing!, un thrène pour orchestre et pipa
  • Le groupe de hip hop taiwanais Machi a composé en 2007 la chanson Nanjing 1937 [2]

Bibliographie

Référence

  1. Michaël Prazan, Le Massacre de Nankin, Denoël p. 128.
  2. Akira Fujiwara, Nitchū Sensō ni Okeru Horyo Gyakusatsu, Kikan Sensō Sekinin Kenkyū 9, 1995, p. 22.
  3. Après la guerre, le 28 janvier 1948, les deux officiers ont été condamnés à être fusillés par le tribunal de Nankin. Ce fait divers est retombé dans l'oubli jusqu'à la parution en 1967 d'une étude de l'historien Tomio Hora et surtout d'une série d'articles de l'historien Katsuichi Honda sur le massacre de Nankin dans le Mainichi Shimbun en 1971. Ces articles déclenchèrent de violents débats qui durent jusqu'à nos jours. En 2000, l'historien Tadashi Wakabayashi publia une étude dans laquelle il soutint que le concours était une « fabrication » mais que son influence s'était avérée positive sur la société nippone pour l'amener à prendre conscience des atrocités de l'ère Shōwa (Wakabayashi, « The Nanking 100 man killing contest debate », Journal of Japanese Studies, Vol 26, n° 2, 2000.) Selon le vétéran Uno Shintaro, il est vraisemblable que les officiers aient tué en majorité des prisonniers avec leur sabre. Katsuchi Honda, The Nanjing Massacre : A Japanese Journalist confronts Japan's National Shame, p.131, 132, [1] En 2003, les familles de Mukai et Noda intentèrent sans succès un recours judiciaire en diffamation à l'encontre de Honda et du Mainichi Shimbun. Dans son jugement, le tribunal conclut notamment que la diffamation ne pouvait être prouvée compte tenu des déclarations incriminantes des deux soldats. (Décision du district de Tokyo (jp))
  4. a  et b Akira Fujiwara, The Nanking Atrocity
  5. The Good man of Nanking, the Diaries of John Rabe, 1998, p. 67.
  6. Ibid, p. 77.
  7. Military Commission of the Kuomintang, Political Department : A True Record of the Atrocities Committed by the Invading Japanese Army compiled July 1938 http://museums.cnd.org/njmassacre/njm-tran/njm-ch10.htm, http://www.princeton.edu/~nanking/html/image_11.html
  8. Témoignage de John Rabe, employé chez Siemens et membre du parti nazi, qui résidait alors à Nankin: Every 100 or 200 meters we found new bodies. One is left breathless with disgust by finding time and again the corpses of women who have had bamboo stakes driven into their vaginas. Even old women of over 70 are constantly being raped. Citation retrouvée sur http://www.spiegel.de/international/world/0,1518,523453,00.html
  9. Hua-ling Hu, American Goddess at the Rape of Nanking: The Courage of Minnie Vautrin, 2000, p.97
  10. Tokushi Kasahara, "Le massacre de Nankin et les mécanismes de sa négation par la classe politique japonaise"
  11. Nanjing Massacre, L'estimation du nombre des victimes étant difficile à chiffrer, ce point donne lieu à une polémique. Cf. Jean-Louis Margolin, « Une réévaluation du massacre de Nankin », Perspectives chinoises, n°92, novembre-décembre 2005, page n°2. À cet effet, l'historien Tokushi Kasahara soutient que le nombre de victimes est « plus de 100 000 et près de 200 000, ou peut-être plus » dans Nankin jiken o dou miruka 1998 Aoki shoten, ISBN 4-250-98016-2, p. 18, dont 80,000 soldats massacrés alors qu'ils étaient prisonniers. Le massacre de Nankin et les mécanismes de sa négation par la classe politique japonaise Cette estimation inclut la zone immédiate autour de Nanjing. Hiroshi Yoshida évalue le nombre à « plus de 200 000 » (Nankin jiken o dou miruka p. 123, YOSHIDA Hiroshi Tennou no guntai to Nankin jiken 1998 Aoki shoten, ISBN 4-250-98019-7, p. 160). De plus, selon deux télégrammes du 14 décembre 1937 et du 25 janvier 1938, expédiés par l'ambassadeur américain en Allemagne et le Consul américain à Shanghai, une évaluation approximative de 500 000 victimes avait été faite à l'époque pour la région comprenant Huangzhou, Jiagxin et Shanghai avant l'invasion de Nanjing, U.S. archives reveal war massacre of 500,000 Chinese by Japanese Army, http://news.xinhuanet.com/english/2007-12/12/content_7236237.htm
  12. Sun Zhaiwei, 南京大屠杀 (Le massacre de Nankin), Pékin, Beijing chubanshe, 1997.
  13. « China, Japan end first joint study session on history », China Daily, 27 décembre 2006.
  14. (fr) « Chine et Japon veulent publier en 2008 une étude conjointe de leur histoire », La Tribune, 17 novembre 2006.

Voir aussi

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Articles connexes

Liens externes

Ouvrages de référence

Monographies

  • Le massacre de Nankin. Une page tragique de la deuxième guerre mondiale, Xu Zhigeng, 1995
  • The Nanjing massacre, Joshua A. Fogel, 1997
  • The Rape of Nanking, Iris Chang, 1998
  • Le massacre de Nankin 1937, Michaël Prazan, 2007
  • L'armée de l'empereur, Jean-Louis Margolin, 2007
  • Tokyo Mo Hayder, 2004

Témoignages sur le massacre

  • The good man of Nanking, the diaries of John Rabe, John E. Woods, 1998
  • American goddess at the rape of Nanking : the courage of Minnie Vautrin, Hua-Ling Hu, 2000
  • Eyewitness to massacre : American missionaries bear witness to Japanese atrocities in Nanjing, Zhang Kaiyuan (editeur), East Gate book, 2000
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