- Traversée de l'Atlantique du corps expéditionnaire français (1780)
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La Traversée de l'Atlantique du corps expéditionnaire français (1780) est un épisode de l'intervention française dans la guerre d'indépendance des États-Unis.
Sommaire
La préparation de l'expédition
Les préparatifs de départ ne se faisaient pas avec toute l'activité désirable. Tout ce qui dépendait du département de la guerre fut, il est vrai, acheminé sur Brest avec promptitude[1]. Mais le ministre de la marine ne déploya pas la même promptitude[2].
Pourtant il fallait se presser de partir sous peine de voir la situation devenir critique et la traversée périlleuse. On savait que la Grande-Bretagne armait une escadre pour arrêter le corps expéditionnaire français, ce qui lui serait d'autant plus facile qu'elle n'aurait pas de convoi à protéger. On apprenait d'autre part que la situation des Américains devenait de jour en jour plus grave et qu'un secours immédiat leur était nécessaire. Le conseil des ministres envoya à M. de Rochambeau l'ordre d'embarquer immédiatement une partie de ses troupes et de son matériel et de partir au premier vent favorable[3].
Article détaillé : Liste des officiers généraux et des principaux personnages du corps expéditionnaire français (1780).Article détaillé : Escadre partie de Brest pour l'Amérique (1780).Article connexe : Histoire de la marine française.Départ de la flotte sous le commandement de Ternay
Dès le 12 avril tout était prêt pour mettre à la voile, et le 15, les vents étant au nord, tout le convoi mouilla dans la rade de Bertheaume. Le lendemain, au moment où la flotte levait l'ancre, les vents tournèrent à l'ouest et le convoi reçut ordre de rentrer.
Jusqu'au 1er mai, les vents furent variables, mais généralement dirigés de l'ouest[4]. Enfin le 2 mai, à quatre heures du matin, M. de Ternay profita habilement d'un bon vent de nord-est pour faire appareiller. Il prit la tête de l'escadre avec le Duc de Bourgogne, le Neptune et le Jazon. Après avoir passé le goulet et pris le large, l'escadre et le convoi firent route vers le sud, traversèrent heureusement le passage du Raz, et, s'étant ralliés, se mirent en ordre de marche.
Heureux débuts
Cette sortie n'avait point été observée par l'ennemi. L'escadre était en bonne route et sur le point de doubler le Cap, lorsque, trois jours après son départ, les vents devinrent contraires et la retinrent pendant quatre jours dans le golfe de Gascogne[5]. Ce ne fut que du 15 au 16 mai que l'escadre et le convoi décapèrent par un vent de nord-est[6]
La flotte britannique était sortie à la faveur du même vent qui avait d'abord poussé les vaisseaux français hors de Brest. La tempête l'avait arrêtée avant qu'elle fût sortie de la Manche et l'avait forcée à rentrer au port. Le convoi français put donc prendre quelque avance.
Après la tourmente essuyée dans le golfe de Gascogne, le chevalier de Ternay se décida à prendre la route du sud, la même qu'avait suivie l'année précédente l'amiral d'Estaing. Celle de l'ouest était plus directe, mais moins sûre, à cause des rencontres que l'on pouvait y faire et de la variabilité des vents. Par le sud, on profitait au contraire des vents alizés. Un climat plus doux était plus favorable à la santé de l'équipage et des troupes. On avait moins de chances de rencontrer l'ennemi. Enfin les vents du sud, qui règnent le plus ordinairement pendant l'été sur les rivages de l'Amérique septentrionale, devaient ramener aisément le corps expéditionnaire vers le nord, au point où il lui serait le plus avantageux de débarquer. Le 25 mai, le vaisseau le Lutin, armé en guerre et chargé de marchandises, quitta l'escadre pour se rendre à Cayenne.
Conduite prudente de Ternay
Le 30 mai, après une navigation des plus agréables, on se trouva par 28° 58' de latitude et 34° 44' de longitude, et la persistance de M. Ternay à maintenir la flotte dans la même direction faisait croire aux officiers, à leur grand regret, qu'on les destinait pour les îles du Vent et non pour l'Amérique du Nord, lorsque l'amiral donna l'ordre de mettre le cap à l'ouest. Les jours suivants, il fit faire voile vers le nord-ouest et exerça l'escadre à passer de l'ordre démarche à l'ordre de bataille, le convoi restant sous le vent. La frégate la Surveillante chassa et prit un brick britannique armé de onze canons. On apprit par le capitaine de ce brick la prise de Charleston par le général Clinton et la présence dans ce port de l'amiral Arbuthnot, qui y attendait l'escadre de l'amiral Graves[7].
Reproches que cette conduite lui attire
Le 20 juin, comme on était au sud des Bermudes, les frégates d'avant-garde signalèrent six vaisseaux faisant force de voiles sur le convoi. M. de Ternay fit aussi mettre ses frégates en ligne de bataille, et l'ennemi, surpris de voir sept vaisseaux de ligne sortir de ce groupe de voiles marchandes, s'arrêta[8]. On se canonna encore de part et d'autre jusqu'au coucher du soleil sans grand résultat, et le chevalier de Ternay continua sa route avec son convoi. «Il préféra, dit Rochambeau, la conservation de son convoi à la gloire personnelle d'avoir pris un vaisseau ennemi.» Sa conduite fut jugée tout autrement par les officiers français, et une circonstance du même genre vint bientôt encore augmenter le mécontentement de l'armée contre cet officier[9]
On sut plus tard que la frégate que l'on avait failli prendre était le Rubis, de 74 canons, et que l'escadre dont elle faisait partie, commandée par le capitaine Cornwallis[10], retournait à la Jamaïque après avoir escorté cinquante vaisseaux marchands jusqu'à la hauteur des Bermudes.
Insubordination et indiscipline des officiers de la marine française
Le capitaine du Jazon, M. de la Clochetterie, avait hautement blâmé pendant le combat la faute qu'avait commise M. de Ternay en faisant diminuer de voiles ses deux vaisseaux de tête, ce qui avait donné au Rubis le temps de se dégager et de rejoindre sa ligne. Appelé au conseil qui fut tenu, à la suite de ce combat, à bord du vaisseau amiral, et interrogé à son tour sur ce qu'il pensait de la destination de l'escadre britannique : «C'est trop tard, dit-il, monsieur l'amiral, j'aurais pu vous le dire hier au soir ; il a dépendu de vous d'interroger le capitaine du Rubis[11].»
M. de Ternay suivait scrupuleusement dans sa conduite les instructions qu'il avait reçues. Il ne perdait pas de vue sa mission, qui consistait à amener aux États-Unis le corps expéditionnaire le plus vite et le plus sûrement possible[12]. Cependant, quand il apprit plus tard que ces vaisseaux britanniques allaient rejoindre aux îles du Vent la flotte de Rodney et lui donner ainsi la supériorité sur celle du comte de Guichen pour toute la campagne, il en ressentit un si profond chagrin que sa mort, paraît-il, en fut hâtée[13].
Le 21, la Surveillante prit un gros bateau britannique chargé de bois, venant de Savannah.
Arrivée sur les côtes de Virginie
Un sondage exécuté le 4 juillet indiqua qu'on était sur les côtes de la Virginie. A dix heures du matin le Duc de Bourgogne, l'Amazone et la Surveillante prirent un gros bateau armé, qui ne se rendit qu'après avoir reçu quelques coups de canon[14]. On jugea que le bâtiment pris n'était qu'une mouche chargée de surveiller l'approche des Français, et l'on présuma que c'étaient les six vaisseaux déjà combattus le 20 juin qui s'étaient ralliés aux forces de Graves et d'Arbuthnot. M. de Ternay s'appliqua en conséquence à éviter leur attaque[15].
Des pilotes de l'île de Marthas-Vinyard, des bancs de Nantucket, dirigèrent le convoi vers le mouillage de Rhode-Island, où l'on atterra, sous la conduite du colonel Elliot envoyé par le général américain, après quatre jours de brumes épaisses et d'alternatives de calmes et de vents contraires.
Le lendemain, après soixante-dix jours de traversée, la flotte entrait dans la rade de Newport[16].
«Après une si longue traversée et de si justes alarmes, on peut concevoir notre joie; nous touchions enfin cette terre si désirée où la seule apparition du drapeau français allait ranimer les espérances des défenseurs de la liberté. Nous fûmes accueillis par les acclamations du petit nombre de patriotes restés sur cette île naguère occupée par les Britanniques et qu'ils avaient été forcés d'abandonner[17].»
Article détaillé : Arrivée aux États-Unis du corps expéditionnaire français de 1780.Notes
- Dès les premiers jours d'avril, on avait rassemblé dans ce port les régiments de Bourbonnais, de Soissonnais, de Saintonge, de Deux-Ponts, de Neustrie, d'Anhalt, la légion de Lauzun, un corps d'artillerie et de génie avec un équipage de campagne, un équipage de siège et de nombreux approvisionnements.
- Bordeaux pour en fournir. Ceux-ci furent arrêtés par le vent et, l'on fut obligé d'en faire venir de Saint-Malo, où l'on n'en put trouver qu'un nombre insuffisant. Le départ de la flotte de M. de Guichen, avec tous les transports de troupes et de munitions que l'on envoyait aux Antilles, avait privé Brest de ses vaisseaux de transport. Des ordres tardifs furent envoyés à
- En vain le général réclama-t-il contre le danger auquel on l'exposait en réduisant de moitié un corps d'armée qui n'était déjà que trop faible. Il ne put obtenir que la promesse formelle de l'envoi prochain de la seconde division de son armée. Il se résigna à emmener le plus de troupes qu'il pourrait et à partir au plus vite.
- Graves, forte de onze vaisseaux, en rade de Plymouth, tandis qu'ils s'opposaient au départ des troupes françaises. Ils étaient favorables au départ de l'escadre de l'amiral
- Ternay ne jugea pas qu'il dût en être ainsi et il fit réparer cette avarie aussi bien que possible. La Provence perdit deux mâts. Son capitaine demanda à relâcher; mais M. de
- cotre le Serpent fut renvoyé en France pour porter cette nouvelle. Le 15, le
- 12 juin, on prit un petit bâtiment britannique, chargé de morue et de harengs, qui se rendait d'Halifax à Saint-Eustache. M. de Rochambeau fit distribuer aux troupes les morues et les harengs; le bâtiment fut pillé, dégréé et abandonné. (Blanchard.) Le
- Un seul de ses vaisseaux, qui sans doute avait chassé trop de l'avant, était fort éloigné des autres et pouvait être coupé par le Neptune et le Jazon, vaisseaux de tête de la ligne française. Le convoi était alors bien rassemblé et bien à l'abri derrière les frégates la Surveillante et l'Amazone ; mais M. de Ternay, s'apercevant que la Provence, quoique chargée de voiles, ne pouvait le suivre et faisait une lacune dans sa ligne, arrêta ses deux premiers vaisseaux dans leur chasse contre la frégate britannique; qui put dès lors rallier les siens, après avoir essuyé toutefois le feu de toute la ligne française.
- 20 juin 1780, deux hommes tués et cinq ou six blessés; le Duc-de-Bourgogne, autant; en tout, vingt et un hommes hors de combat. (Blanchard.) Le Neptune eut, dans l'affaire du
- 64, le Bristol de 30 et la frégate le Niger de 32. (Dumas.) L'escadre aux ordres du capitaine Cornwallis était composée des cinq vaisseaux : l'Hector et le Sultan de 74 canons, le Lion et le Rubis de
- Ces paroles, qui traduisaient le mécontentement du marin, étaient un de ces actes d'insubordination qu'on laissait passer inaperçus et auxquels les officiers supérieurs prenaient peu garde à cette époque. V. p. 8, Mercure de Grasse.
- 25 mai, la gabarre l'Isle-de-France dut remorquer le transport Baron d'Arras. (Blanchard.) Pendant la traversée, les vaisseaux et les frégates étaient obligés chaque jour de mettre en panne pour attendre les bâtiments de transport. Le
- comte d'Estaing eut à essuyer le même reproche en plusieurs circonstances. Sa conduite aurait dû au contraire tourner à sa gloire. (Voir sur ce sujet et sur la réhabilitation de d'Estaing, Histoire impartiale de la dernière guerre, par J. de Saint-Vallier.) Le
- Arbuthnot et le général Clinton étaient rentrés à New-York. Ils avaient laissé cinq mille hommes dans la première ville, sous les ordres de lord Cornwallis. Le soir même, au moment où l'on se disposait à mouiller devant le cap Henry, on aperçut à l'avant une flotte dans laquelle on ne comptait pas moins de dix-huit voiles. D'après les papiers de ce bâtiment, on sut qu'après la prise de Charleston, l'amiral
- Il vira de bord, fit quelques fausses routes pendant la nuit, et se dirigea ensuite de nouveau vers le nord-ouest. Les dix-huit voiles signalées devant la baie de Chesapeake n'étaient en effet qu'un convoi venant de Charleston à New-York, sous l'escorte de quelques frégates. La méprise de M. de Ternay lui attira de nouveaux reproches, plus durs peut-être que les premiers, et auxquels il pouvait répondre par les mêmes excuses.
- Ternay était la même que celle qu'avait prise d'Estaing en 1778, ainsi qu'on put le vérifier sur le journal de M. de Bellegarde, enseigne à bord du Conquérant, en 1780, qui avait déjà servi sous d'Estaing. Le scorbut fit de grands ravages sur les vaisseaux, et il n'y avait pas de jour qu'on ne perdît au moins un ou deux hommes. (Bl.). Le Conquérant, en arrivant à Newport, avait environ soixante malades; il y en avait moins sur les autres vaisseaux; mais outre que ceux-ci n'avaient pas un chargement en hommes supérieur à ce qu'ils pouvaient contenir, leurs équipages étaient embarqués seulement depuis le mois d'avril, tandis que celui du Conquérant avait été embarqué dès le 3 février pour partir avec M. de Guichen. (Blanchard.) La route suivie par l'escadre de M. de
- La Fayette que le corps expéditionnaire fut redevable de cette délicate attention. Dumas. M. Blanchard rappelle aussi la joie des soldats français à la vue de la terre ferme après leur longue traversée. Il ajoute que ce qui les surprit agréablement fut surtout la vue de deux drapeaux blancs aux fleurs de lis, qui, placés à l'entrée de Newport, rappelaient à leurs cœurs la patrie absente, les assuraient d'un bon accueil, et les tranquillisaient sur le résultat des tentatives que les Britanniques avaient faites pour les repousser de Rhode-Island. C'est à M. de
Source
Thomas Balch, Les Français en Amérique pendant la guerre de l’Indépendance des États-Unis 1777-1783, 1872 [détail de l’édition]
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