- Trafic de piastres
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Affaire des piastres
L’affaire des piastres, trafic de piastres ou scandale des piastres est un scandale financier et politique de la Quatrième République né dans le contexte de la Guerre d’Indochine. Après avoir contribué à diminuer le soutien à la guerre, il tourna court avec la perte de l’Indochine et le climat politique et social qui s'ensuivit, peu propice aux débats sur la période coloniale.
Sommaire
L'origine du problème
La piastre en question était l’unité monétaire de l’Indochine française (actuels Cambodge, Laos et Vietnam), frappée par la Banque d’Indochine. Son cours était depuis les années 30 administrativement lié au franc, à la façon du franc CFP ou du franc CFA. Ce lien traduisait l'union de la France et de ses colonies et devait favoriser la constitution de liens économiques forts entre les différentes régions de l'Union Française. Dans le contexte de l'après-guerre, marqué par une grande instabilité monétaire, cette union monétaire (la Zone Franc) devait aussi favoriser la stabilité des monnaies françaises et permettre de partager des devises fortes (dollar américain). Le taux de change pour les transferts Indochine-France fut fixé à 17 F en 1945, alors que sa valeur sur les marchés asiatiques était de 10 F ou moins. Les monnaies étaient cependant alors couramment officiellement surévaluées : c'était une technique de gouvernement monétaire comme une autre, favorisant notamment l'édification de zones monétaires et économiques cohérentes. Dans le cas de l'Union Française, cette surévaluation traduisait par ailleurs la prétention française d'assurer à ses colonies un niveau de vie renforcé - et de réaffirmer ainsi sa domination politique.
Le développement du trafic (1949-1954)
La différence entre le taux officiel de la piastre et son cours sur les marchés libres ou parallèles suscita cependant le développement d'importants arbitrages [(j'achète une piastre à 5 francs à Hong Kong et je la revends 17 francs au Trésor français)], coûteux pour la France et socialement problématiques. Pour pouvoir changer de la piastre, il fallait néanmoins justifier le transfert et obtenir l’aval de l’Office indochinois des changes (OIC). La situation troublée de l’époque, divers problèmes juridiques ne facilitant pas les contrôles de l’OIC, un trafic florissant par le biais de fausses exportations, fausses factures ou surfacturations, etc., impliquant Français et Indochinois, se développa à partir de 1948. On estime qu'environ 15% des flux financiers au départ de l'Indochine dans ces années auraient été effectués pour une raison différente que celle indiquée à l'administration et qu'une petite partie [(quelques dizaines de milliers d'euro par an ?)] aurait servi à spéculer ou à soutenir le Viet Minh.
Le scandale des piastres (1953-1954)
L’affaire fut mise à jour en 1950 mais ne suscita qu’un intérêt limité chez les parlementaires, jusqu’en 1952-1953. Après quelques articles dans divers journaux, J. Despuech, ancien employé de l'Office Indochinois des Changes et compagnon de l'extrême droite, publia en mai 1953 un brûlot sur ces trafics. Selon lui, l'empereur Bao Dai, l'ancien haut commissaire Emile Bollaert, les généraux Mast et Revers, l'ancien ministre Paul Giaccobi, certains partis politiques (RPF, MRP) auraient profité du taux de la piastre. Une commission parlementaire fut constituée le 2 juillet 1953 ; le 12 décembre suivant, L'Assemblée nationale décida de tenir secrets les travaux de cette commission. Par opportunisme politique, la France étant à la veille de la faillite, René Mayer, Président du Conseil, décida alors de dévaluer la piastre, ramenant sa parité à 10 francs. Cette mesure unilatérale et brutale fut très mal accueillie en Indochine et considérée comme un signe avant-coureur du retrait français.
Épilogue
Selon Bernard B. Fall, ce trafic fut l’une des sources de profit dans le cadre d’une colonisation dont le bilan général s’avéra très négatif pour le budget national. L’aventure coloniale n'a été profitable que pour quelques particuliers ou grandes compagnies privées, comme la Banque d'Indochine, Descours & Cabaud, les Brasseries et glacières d'Indochine, etc. Plus largement, le trafic des piastres met en cause les politiques monétaires de l'Après Guerre, très politisées et laissant une large place à l'intervention des pouvoirs politiques et administratifs... au risque de favoriser la corruption ou les scandales.
Voir aussi
- Références bibliographiques
- Lucien Bodard, “La guerre d'Indochine. L'enlisement, l'humiliation, l'aventure”, Grasset, 1 500 p. Paris 1997.
- Yves Gras, “Histoire de la Guerre d’Indochine”, Plon, Paris, 1979.
- Paul Mus, Viêt Nam. Sociologie d’une guerre, Seuil, Paris, 1952.
- Jules Roy, La bataille de Dien Bien Phu: Julliard, 1963 ; Albin Michel, 1989.
- Thanh H. Vuong, Théorie des contextes et relations internationales: départ de la première Guerre d’Indochine, dans Études Internationales, Vol. XVII, No. 3, pp, 571-597, septembre 1986
- Thanh H. Vuong, colonisations du Viêt Nam et colonialisme vietnamien, dans Études Internationales, Vol. XVIII, No. 3 pp. 546-571, septembre 1987.
- Despuech Jacques, Le trafic des piastres, Deux rives, 1953
- Articles connexes
- Liens externes
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