Tibéhirine

Tibéhirine

Assassinat des moines de Tibhirine

Les Moines de Tibhirine

Dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, sept moines trappistes du monastère de Tibhirine en Algérie sont enlevés lors de la guerre civile algérienne, et séquestrés pendant deux mois avant d'être retrouvés morts le 21 mai 1996.

Les commanditaires de cet enlèvement, leur motivation ainsi que les causes réelles de son issue fatale sont l'objet de débats alors que la version qui a longtemps prévalu d'une responsabilité du Groupe islamique armé est sévèrement remise en cause en 2008 par différents articles de presse qui succèdent à une enquête de l'historien américain John Kiser, qui reçoit l'imprimatur des deux moines rescapés, au profit de la thèse d'une opération la sécurité militaire algérienne.

En 2009, selon un général à la retraite, ancien attaché militaire à l'ambassade d'Alger, qui aurait recu les confidences d'un officier algérien dès 1996, les moines auraient été tués par erreur lors d'une opération menée par l'armée algérienne. Celle-ci a mitraillé un camp d'un hélicoptère, pensant qu'il abritait des membres du GIA. En effectuant une patrouille au sol, elle aurait découvert les corps sans vie des moines. Pour faire croire à un assassinat commis par les terroristes, elle aurait décapité les cadavres des moines. Le gouvernement francais de Alain Juppé aurait été au courant de cette affaire dès 1996 et aurait masqué la vérité à l'opinion publique. Le président Sarkozy a levé le secret défense sur cette affaire.

Sommaire

Le monastère de Tibhirine

Le monastère de Tibhirine[1]
Plaque du jour de la fondation du monastère

Créé à la fin du XIXe siècle, le monastère Trappiste se situe près de Médéa à 90 km au sud d'Alger dans une zone montagneuse. D'abord domaine agricole puis abbaye Notre-Dame de l’Atlas. La ferme et les terres sont nationalisées en 1976, mais les moines gardent ce qu’ils peuvent cultiver[1].

Jean-Marie Rouart décrit les lieux lors de son discours académique à l'Académie française :

« C’était une grande bâtisse un peu austère mais chaleureuse et accueillante, construite en face d’un des plus beaux paysages du monde : les palmiers, les mandariniers, les rosiers se dessinaient devant les montagnes enneigées de l’Atlas. Des sources, une eau claire, irriguaient le potager. Il y avait aussi des oiseaux, des poules, des ânes, la vie. Des hommes avaient choisi de s’installer dans ce lieu loin de tout mais proche de l’essentiel, de la beauté, du ciel, des nuages. Ce n’étaient pas des hommes comme les autres : ils n’avaient besoin ni de confort ni de télévision. Ce qui nous est nécessaire leur était inutile, et même encombrant[2]. »

Les faits

Le 14 décembre 1993, 12 ouvriers croates sont égorgés à quelques kilomètres du monastère. Les auteurs probablement issus du GIA ont séparé musulmans et chrétiens, pour ne tuer que ces derniers[3].

Le 24 décembre, dans la nuit de Noël, un commando du GIA se présente, menaçant, à la porte du monastère. Le père Christian, qui parle arabe, obtient qu'ils déposent leurs armes. Sayeh Atyah, le chef des islamistes, exige trois choses :

  • que les moines versent de l'argent au GIA en signe de soutien. Refus catégorique du père Christian.
  • que le frère Luc, médecin installé à Tibhirine depuis cinquante ans, aille immédiatement dans la montagne soigner des militants blessés. Le frère Luc se dit prêt à soigner quiconque se présentera au monastère, sans poser de questions, en vertu du serment d'Hippocrate.
  • que les moines leur remettent le stock de médicaments. Le père Christian refuse, expliquant que le stock est très maigre et réservé aux pauvres.

« Vous perturbez la fête du prince de la paix, la fête de Noël », ajoute le père Christian. L'islamiste, impressionné, se retire, en précisant qu'il enverra ses blessés munis du mot de passe « Christian »[3].

Dans la nuit du 26 au 27 mars 1996, à 1 h 30 du matin, un groupe d'une vingtaine d'individus se présente et réclame frère Luc. Devant le refus du gardien, ils pénètrent de force et se précipitent alors directement vers le bâtiment où dorment les moines. Après des tractations avec le père Christian, ils réveillent six autres moines. Les membres du groupe islamiste les emmènent de force. Le Père Christian ayant déclaré au commando qu'ils étaient sept moines présents, deux frères restent cachés dans leur chambre et échappent à l'enlèvement. Frère Jean-Pierre et frère Amédée, seuls survivants et témoins directs des évènements de 1993 et 1996, livrent pour la première fois leur récit au micro de Philippe Reltien pour l'émission Interception de France Inter du 8 avril 2007.

Les moines enlevés n'ayant pas été abattus immédiatement, les autorités françaises croient à la possibilité d'une libération rapide. L'armée algérienne recueille des renseignements, mais rate le groupe d'extrême justesse dans cette région de maquis. L'avis des spécialistes à l'époque des faits est que les moines ont été conduits jusqu'à l'« émir » Zitouni.

Les négociations

Les services français de renseignement tentent de retrouver la trace des moines. Philippe Rondot de la DST rencontre Smaïn Lamari, le chef de la Sécurité militaire, qui lui fait part de l'absence de tout résultat. Philippe Rondot se rend alors à l'ambassade de France à Alger, où il rencontre le chef d'antenne de la DGSE, les services secrets français. Ce lieutenant-colonel assure que deux des moines - les plus âgés - auraient été relâchés sur la route de Bône. La DGSE a d'ailleurs transmis une note ultra confidentielle à ce sujet à Jacques Chirac, en plein sommet antiterroriste à Charm-el-Cheikh, en Égypte.

Philippe Rondot retourne voir le général Lamari, qui dément. Dès le début, donc, se détachent deux visions du dossier : l'une avec la DST et les Algériens ; l'autre avec la DGSE et le ministère des Affaires étrangères français, qui feront cavalier seul.

Le 18 avril, Djamel Zitouni revendique l'enlèvement des moines dans le communiqué n° 43[4] du GIA. Il assure au président Chirac qu'ils sont toujours sains et saufs, mais il réclame la libération d'Abdelhak Layada, détenu en Algérie pour une série d'attentats à la bombe, et termine par cette phrase terrible : « Si vous libérez, nous libérerons ; si vous refusez, nous égorgerons. »

Le 30 avril, un certain Abdullah se présente à l'ambassade de France à Alger, porteur d'une cassette audio sur laquelle on entend la voix des moines et d'un texte signé de leurs mains. Le messager est mis en contact avec le représentant de la DGSE. L'entretien dure une heure et demie. Un système de contacts téléphoniques est mis au point, de telle sorte que le GIA puisse rappeler.

Avant d'être raccompagné dans le centre d'Alger avec la voiture blindée de l'ambassade, cet étrange messager reçoit un récépissé - publié par le journal Libération - à en-tête de l'ambassade de France. « Aujourd'hui, le 30 avril 1996, à midi, nous avons reçu votre messager, Abdullah, qui nous a remis votre lettre accompagnée d'une cassette. Nous souhaitons maintenir le contact avec vous. »

Devant l'absence de nouvelles, la rumeur enfle : des contacts parallèles auraient été noués grâce aux bons offices de Jean-Charles Marchiani alors Préfet du Var. Le 9 mai, un communiqué du ministère des Affaires étrangères français tombe pour démentir toute « tractation » entre la France et le GIA, et, au passage, assure que Marchiani n'a jamais joué les intermédiaires dans ce dossier.

Le Vatican est tenu à l'écart par la France mais, lors de son voyage surprise en Tunisie, le 14 avril, le pape Jean-Paul II lance des messages et noue des contacts à propos des moines.

La mort des moines

Le 21 mai, le communiqué n° 44 attribué au GIA annonce : « Nous avons tranché la gorge des sept moines, conformément à nos promesses. Que Dieu soit loué, ceci s'est passé ce matin ». Mais le gouvernement algérien se refuse à confirmer l'information. Seulement neuf jours plus tard, il annonce la découverte des seules têtes des moines qui ont été retrouvées près de Médéa, détachées visiblement des corps enterrés puis déterrés. Les têtes reposaient sur un fond de satin blanc et sont chacune accompagnées d'une rose. Un membre du GIA arrêté en 2001 affirme que leurs corps reposeraient à Bougara, dans la plaine agricole de la Mitidja[5] mais ceux-ci n'ont pas été retrouvés.

Après les obsèques à la nouvelle cathédrale d'Alger, ils sont enterrés, conformément à leur désir, au monastère de Tibhirine. Ce massacre suscite une très forte émotion en France. Il cause sans doute aussi la mort politique de Zitouni, dont le radicalisme est condamné par certains de ses compagnons d'armes. A tel point que le bulletin du GIA basé à Londres, El Ansar, qui devait publier des révélations sur les négociations avec la France, cesse de paraître.

Les sept moines assassinés

  • Dom Christian de Chergé, prieur de la communauté depuis 1984, 59 ans, moine depuis 1969, en Algérie depuis 1971.
  • Le Frère Luc Dochier, 82 ans, moine depuis 1941, en Algérie depuis 1947. Médecin, il a exercé pendant la deuxième guerre mondiale avant de prendre la place d'un père de famille nombreuse en partance pour un camp de prisonniers en Allemagne. Présent cinquante ans à Tibhirine, il a soigné tout le monde gratuitement, sans distinction. Déjà en juillet 1959, il avait été enlevé par les membres du FLN (Front de Libération Nationale)
  • Le Père Christophe Lebreton, 45 ans, moine depuis 1974, en Algérie depuis 1987.
  • Le Frère Michel Fleury, 52 ans, moine depuis 1981, en Algérie depuis 1985. Membre de l'Institut du Prado, il était le cuisinier de la communauté.
  • Le Père Bruno Lemarchand, 66 ans, moine depuis 1981, en Algérie et au Maroc depuis 1990.
  • Le Père Célestin Ringeard, 62 ans, moine depuis 1983, en Algérie depuis 1987. Son service militaire fait en Algérie le marqua pour le reste de sa vie, car notamment, en tant qu'infirmier, il soigna un terroriste que l'armée française voulait achever.
  • Le Frère Paul Favre-Miville, 57 ans, moine depuis 1984, en Algérie depuis 1989. Il était chargé du système d'irrigation du potager du monastère[6].

La polémique

« Les proches des sept moines ont droit à la vérité », a déclaré le père Veilleux, fin mars 2006 à Paris, alors que l'avocat de la partie civile, Me Patrick Baudouin, dénonçait l'opacité anormale et la lenteur excessive dans l'instruction menée en France par le juge Jean-Louis Bruguière.

Autre son de cloche, le livre de Mohamed Balhi, qui apporte des faits saillants sur la polémique entre la DGSE et la DST, avec en toile de fond une polémique franco-française intense, qui réapparaît régulièrement. L'ouvrage de Mohamed Balhi, "L'enlèvement des moines", paru en 2002, donne un aperçu, à travers le regard d'un Algérien, sur l'avènement des Trappistes, quelques années après la colonisation française, dans la région de Staouali, jusqu'au départ de ceux-ci en Yougoslavie puis leur retour en Algérie à Tamezguida en 1936. "L'enlèvement des moines" pointe du doigt la nébuleuse islamiste, évoque la cohabitation qui a régné entre la population locale et les religieux assassinés. Mohamed Balhi se départit des clichés d'usage, apporte un éclairage historique et sociologique sur l'implantation même du christianisme en Algérie où l'on est passé d'une Eglise organiquement liée à la colonisation,à une Eglise devenue étrangère en terre d'Islam après l'indépendance du pays.


Une bavure de l'armée ?

En juillet 2008, le journal La Stampa reprend l'information publiée dès mars 2006 par John Kiser dans l'ouvrage Passion pour l'Algérie (traduction et mise à jour : Henry Quinson)[7] que les sept moines français enlevés auraient été tués depuis un hélicoptère de l'armée algérienne[8]. Dès mars 2006, John Kiser précise que "d'après une source interrogée à Alger, l'attaché militaire de l'ambassade de France aurait admis que les services de renseignement avaient intercepté une conversation dans laquelle un pilote d'hélicoptère algérien disait : 'Zut ! Nous avons tué les moines !'" L'attaché militaire, le Général François Buchwalter, rend public son témoignage en juillet 2009 (cf. Le Figaro, 6 juillet 2009). Le "fonctionnaire" interviewé par la Stampa évoque par ailleurs la mort de l'évêque d'Oran, Pierre Claverie, qui aurait été assassiné dans le cadre de cette affaire.

Références

  1. Le monastère de Tibéhirinein L'Humanité, 29/03/1996, article en ligne
  2. Jean-Marie Rouart, Les moines de Tibhirine, discours académique du 06/12/2001, discours en ligne
  3. a  et b La Mort des Sept Moines de Tibhirine, in revue France, n.d., article sur le site de l'abbaye cistercienne d'Oka
  4. Que disait le message du GIA ?, in L'Humanité, 25/05/1996, article en ligne
  5. Il y a 10 ans, les moines de Tibhirine étaient assassinés, communiqué AFP, 21/05/2006, article en ligne sur Minorités.org
  6. Source des biographies :Site de l'Église catholique d'Algérie
  7. John Kiser (trad. et mise à jour : Henry Quinson) Passion pour l'Algérie : les moines de Tibhirine, Nouvelle Cité, Prix des libraires Siloë 2006, p. 358, cf. bibliographie
  8. Laurent Marchand, Les moines de Tibéhirine victimes d'une bavure ?, in Ouest France, 09/07/2008, article en ligne

Bibliographie

  • Mireille Duteil, Les Martyrs de Tibhirine, éd. Salvator, 1996
  • René Guitton, Si nous nous taisons… Le martyre des moines de Tibhirine, éd. Calmann-Lévy, 2001
  • John Kiser (trad. Henry Quinson), Passion pour l'Algérie : les moines de Tibhirine, éd. Nouvelle Cité, 2006, présentation en ligne
  • Rina Sherman, Le huitième mort de Tibhirine, éd. Tatamis, 2007, présentation en ligne
  • Henry Quinson, Prier 15 jours avec Christophe Lebreton, moine, poète, martyr à Tibhirine, éd. Nouvelle Cité 2007, présentation en ligne
  • Raymond Mengus,Un Signe sur la montagne, éd. Salvator, 2008
  • En 2009, les éditions de Bellefontaine, une maison d'édition monastique, lance une collection spécifiquement consacrée aux moines de Tibhirine; Lancement de la collection sur le blog de la maison d'édition, 09/05/2009.
  • Mohamed Balhi "Tibhirine, l'enlèvement des moines",2002,Editions Dar El Farabi,Liban.

Voir aussi

Autre son de cloche, le livre de Mohamed Balhi, qui apporte des faits saillants sur la polémique entre la DGSE et la DST, avec en toile de fond une polémique franco-française intense, qui réapparaît régulièrement. L'ouvrage de Mohamed Balhi, "L'enlèvement des moines", paru en 2002, donne un aperçu, à travers le regard d'un Algérien, sur l'avènement des Trappistes, quelques années après la colonisation française, dans la région de Staouali, jusqu'au départ de ceux-ci en Yougoslavie puis leur retour en Algérie à Tamezguida en 1936. "L'enlèvement des moines" pointe du doigt la nébuleuse islamiste, évoque la cohabitation qui a régné entre la population locale et les religieux assassinés. Mohamed Balhi se départit des clichés d'usage, apporte un éclairage historique et sociologique sur l'implantation même du christianisme en Algérie où l'on est passé d'une Eglise organiquement liée à la colonisation,à une Eglise devenue étrangère en terre d'Islam après l'indépendance du pays.


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