- Théologie du corps
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La Théologie du corps fait référence à une série de 129 conférences données par le pape Jean-Paul II lors de ses audiences du mercredi sur la place Saint-Pierre, de septembre 1979 à novembre 1984. Il s'agit du premier enseignement majeur de son pontificat, et du plus long enseignement (696 pages) jamais donné par un pape sur le même sujet. Ces audiences sont réunies sous le titre Homme et femme il les créa, publié chez Cerf.
Jean-Paul II, tout en restant fidèle à la longue tradition de l’Église, notamment en ce qui concerne les conclusions morales, va toutefois renouveler tout le discours officiel, en partant du point de vue de Dieu pour faire une véritable théologie de la sexualité et du mariage.
Sommaire
À l’image de Dieu homme et femme
Dans l’Évangile de Mathieu, lorsque les pharisiens le questionnent sur la répudiation, Jésus les renvoie au plan de Dieu à l’origine. Par là, il indique aussi à ses auditeurs le chemin qu’il faut suivre pour comprendre la valeur et les exigences du mariage. Dans son étude sur les premiers chapitres de la Genèse, Jean-Paul II va attirer l'attention du lecteur sur trois expériences fondamentales qui sont des expériences inscrites en tout homme : la solitude, l’unité et la nudité originelles. L’homme se découvre seul dans la création, distinct de tous les autres êtres visibles, et en même temps il découvre qu’il est fait pour le don de lui-même à un autre. C’est aussi ce qu’affirme le concile Vatican II dans la constitution Gaudium et spes : l’homme, parce qu’il est à l’image de Dieu qui est pur don, pure relation, « ne peut pleinement se trouver que par le don désintéressé de lui-même[1] ». L’homme est appelé à vivre avec quelqu’un et pour quelqu’un[2], et cela fonde son humanité. Aussi, est-ce au moment de la création de l’être humain, comme homme et femme, et dans la communion de ceux-ci que la création est achevée.
« Dieu dit : “ Faisons l’homme à notre image, comme notre ressemblance […]” Dieu créa l’homme à son image, à l’image de Dieu il le créa, homme et femme il les créa.(Gn 1, 26-27) » Dans la communion dont l’homme et la femme sont capables, et qui est cause de la donation de la vie, Dieu se révèle dans son être intime. Le corps a donc la vocation de permettre la communion de l’homme et de la femme et d’être ainsi image de la communion des personnes en Dieu. Jean-Paul II dira de façon univoque le 20 février 1980 : « Le corps en effet – et seulement lui – est capable de rendre visible ce qui est invisible : le spirituel et le divin. Il a été créé pour transférer dans la réalité visible du monde le mystère caché de toute éternité en Dieu et en être le signe visible[3]. » Ainsi, la nudité à l’origine n’avait rien de honteux, mais révélait à l’homme et à la femme, la vocation de tout leur être. « Or tous deux étaient nus, l’homme et sa femme, et ils n’avaient pas honte l’un devant l’autre. (Gn 3, 25)»
Les conséquences du péché originel sur les relations entre hommes et femmes
Une barrière s’érige entre les hommes et femmes aujourd’hui et ce temps de félicité originelle, celle du péché originel. La première conséquence du péché des origines concerne directement les rapports entre hommes et femmes. Ces rapports ont été brisés, tout d’abord parce que le regard des deux a changé. L’homme et la femme ont voulu cacher les signes sexuels de leurs corps, comprenant que ceux-ci pouvaient attirer des regards impurs réduisant leur personne à l’état d’objet dont on peut user ou se satisfaire. Ces regards, dont le Christ lui-même met sévèrement en garde (Mt 5, 28), cherchent à prendre possession de l’autre là où il devrait y avoir un respect inconditionnel de l’autre comme un sujet libre. À cause de cela, nos rapports entre hommes et femmes ne sont plus dans la dynamique du don réciproque, mais du prêt, du vol ou de l'échange. L’homme et la femme en viennent à se dominer mutuellement. L’homme, chez qui le désir sexuel est très fort, va avoir tendance à attendre de la femme qu’elle satisfasse son désir, et ainsi réduire celle-ci à un simple objet de son plaisir. Chez la femme, cette domination sera plus subtile; connaissant le poids du désir chez l’homme, et se voyant sur ce point plus libre que lui, elle peut chercher à utiliser ce désir pour manipuler l’homme et obtenir de lui ce qu’elle veut, et ainsi considérer les rapports sexuels comme un pis-aller pour combler un besoin affectif. Cependant, tous deux, l’homme et la femme, gardent en eux le sentiment qu’ils sont faits pour plus grand, et la sexualité semble finalement un obstacle à l’amour, à la pureté, à la spiritualité, et à l’accomplissement personnel. Les époux peuvent vouloir chercher à l’extérieur du mariage le bonheur auquel ils tendent. On en vient enfin à accuser le corps des maux dont on est soi-même responsable.
Jean-Paul II reprend ici une thèse qu'il avait déjà esquissée dans Amour et responsabilité et qu'il appelle loi du don, dérivée du second impératif catégorique de Kant et selon laquelle une personne ne peut jamais être traitée « simplement comme un moyen, mais toujours en même temps comme une fin ». Plus précisément : « la personne est un bien tel que seul l’amour peut dicter l’attitude appropriée et valable à son égard[4] ».
La vocation au don « sponsal »
Si l’on en demeurait là, on devrait conclure inexorablement que la sainteté est impossible dans le mariage. Cependant, le Christ vient racheter ce qui semblait perdu, et fait entrer le mariage, sacrement primordial, dans une toute nouvelle dimension de rédemption. Tout homme est appelé à se réaliser dans le don « sponsal » de lui-même. L’espérance des chrétiens, est dans la résurrection des corps. Dieu épousera alors toute l’humanité et la fera participer à sa vie même. Dieu se donnera à l’homme et viendra épuiser en lui toute soif de communion. Aussi, le mariage est destiné à nous préparer à cet état final, en cultivant en nous ce désir de communion. Commentant le chapitre vingt-deux de l’Évangile selon saint Mathieu, Jean-Paul II montre qu’il n’y a pour tout homme qu’une vocation, celle du don total et désintéressé de soi, à laquelle il est appelé à répondre de deux manières possibles : le célibat consacré et le mariage. Tous deux sont complémentaires et essentiels, l’un à l’autre. Si le mariage prépare au Royaume, le célibat consacré anticipe ce qui ne sera pleinement réalisé que dans le Royaume, l’union totale à Dieu. Ainsi, les célibataires consacrés rappellent aux mariés la fin de leur mariage, et les mariés montrent l’incarnation de l’amour dans le don total d’eux-mêmes.
C’est dans l’Épitre aux Éphésiens que Jean-Paul II va inviter ses auditeurs à trouver la norme du mariage chrétien. Saint Paul, dans ce passage célèbre, invite les époux à la soumission mutuelle, à l’image du Christ et de son Église, « que les femmes soient soumises à leurs maris comme au Seigneur […] maris, aimez vos femmes, comme le Christ a aimé l’Église : il s’est livré pour elle (Ep 5, 21 ; 5, 25) ». Tout mariage humain doit donc être compris selon l’unique mariage, dans lequel il trouve sa raison d’être et son accomplissement. C’est sur ce modèle que les époux chrétiens, à l’aide de la grâce du sacrement, sont invités à conformer leur propre mariage. Et de même que le Christ s’est « livré pour l’Église, afin de la sanctifier », c’est à une œuvre de sanctification mutuelle que sont appelés les époux chrétiens. Le mariage comme sacrement de la nouvelle alliance devient image des épousailles mystiques du Christ avec l’Église. Or si le consentement mutuel est la forme du sacrement du mariage, sa matière est le corps des époux. C’est dans la consommation du mariage que le mariage est pleinement constitué. Le don des corps dans l’acte conjugal vient donc exprimer et réaliser le don mutuel que les époux font d’eux-mêmes et de toute leur vie. Le don des corps, en tant qu’il exprime le mariage, devient un acte liturgique.
Le don sincère de soi-même
Par le don complet qu’ils font d’eux-mêmes dans le mariage et par le don aussi de leurs corps, « les époux tendent à la communion de leurs êtres en vue d’un mutuel perfectionnement personnel pour collaborer avec Dieu à la génération et à l’éducation de nouvelles vies[5] ». C’est par et à travers l’exercice de la sexualité que les époux sont appelés à vivre la sainteté. Dans le langage des corps s’expriment l’amour, la fidélité et l’honnêteté[6]. Jean-Paul II rappelle cependant que le « langage du corps » a des exigences s’il veut exprimer la vérité du don, et que le mariage, pour être la réponse réelle à une vocation, doit tendre constamment à se conformer aux épousailles du Christ et de l’Église. Cela a des conséquences concrètes, notamment en ce qui concerne la contraception. L’homme et la femme qui utilisent la contraception ne se donnent pas entièrement l’un à l’autre mais retiennent une part d’eux-mêmes, leur fécondité. Cela va surtout à l’encontre de la dignité de la personne humaine. En effet, l’homme et la femme, plutôt que de changer leur comportement pour s’adapter au rythme naturel de fécondité de la femme, interfèrent dans le processus de fécondation, pour ne pas avoir à changer leur comportement, et cela, au détriment bien souvent de la femme qui, étant toujours « disponible », en vient à être réduite à un objet dont l’homme peut jouir quand il en sent l’envie. La dignité de la personne appelle à une procréation responsable, qui peut être vécue grâce aux méthodes naturelles de régulation des naissances. Le respect du cycle et de l’organisme de l’épouse est pour le mari, et pour tout le couple, un lieu d’apprentissage et de communication qui favorise de façon privilégiée l’intimité entre les époux. La procréation responsable peut aussi être comprise comme un appel, pour certains couples, à une plus grande générosité. De même qu’en Dieu, relation et vie sont inséparables – l’amour en Dieu étant créateur –, la signification unitive et la signification procréative ne peuvent être dissociées sans faire obstacle à la communion. Enfin, l’acte conjugal ne peut être bien vécu que dans le mariage où il manifeste et couronne justement le don que les époux font de leur personne et de leur vie. « Lorsqu’il participe au plan d’amour éternel […] ce langage du corps devient pour ainsi dire un “prophétisme du corps”[7] ».
Notes et références
- Gaudium et spes, n° 24, §3.
- Jean-Paul II, Audience du 9 janvier 1980, §2
- Audience du mercredi, 20 février 1980, § 4
- Karol Wojtyla, Amour et responsabilité, trad. du polonais par Thérèse Sas, Paris, Stock, 1978, p. 33.
- Yves Semen, La sexualité selon Jean-Paul II, Paris, Presses de la Renaissance, 2004, p. 191.
- Audience du 4 juillet 1984, § 2.
- Audience du 22 août 1984, § 2.
Voir aussi
Articles connexes
Bibliographie
- Jean-Paul II, Homme et femme il les créa; Une spiritualité du corps, Cerf, 2007.
- Yves SEMEN, La sexualité selon Jean-Paul II, Presses de la Renaissance, 2003.
- Karol WOJTYLA, Amour et responsabilité, Stock, 1978.
Lien externe
- ThéologieduCorps.fr : les catéchèses, et un commentaire
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