Simon Mathurin Lantara

Simon Mathurin Lantara
Simon Mathurin Lantara
Portrait par Félix Bracquemond
d'après une esquisse de Joseph Vernet.

Simon Mathurin Lantara, à le 24 mars 1729 à Oncy, mort le 22  décembre 1778 à lhôpital de la Charité de Paris, est un peintre français.

Sommaire

Biographie

Fils naturel de Françoise Malvillain, fille non mariée, Lantara fut, à la suite dun procès difficile, reconnu par Simon-Mathurin Lantara, ouvrier tisserand, qui épousa Françoise Malvilain, le 25 février 1732. Il ne reçut dans son enfance dautres leçons que celles du magister de son village, et cette première instruction sarrêta bien vite ; car à lâge de huit ans, ayant perdu sa mère, le jeune homme fut contraint dabandonner ses études et dentrer comme gardien de bestiaux au château de La Renommière, appartenant à Pierre Gillet, échevin de la ville de Paris.

Ce fut dans cette fraîche campagne, au milieu de sites pittoresques et gracieux, que le jeune pâtre sentit se révéler en lui ce goût de la représentation de la nature qui devait le placer au rang des premiers paysagistes. Bientôt la passion du peintre sempara de Lantara : il traçait, de manière autodidacte, avec un bout de branche, sur le sable ou sur les rochers, le plan de ses tableaux agrestes quil nuançait ensuite avec des couleurs naturelles, des feuilles vertes, des brins de mousse, des petits cailloux.

LEsprit de Dieu planant sur les Eaux (1752)
Musée de Grenoble.

Un jour, le fils du seigneur de La Renommière, M. Gillet de Laumont, étant venu au château de son père, fut frappé des dispositions artistiques du jeune vacher. Il lemmena à Versailles, et le plaça chez un peintre dont on ne sait pas le nom. Lantara quitta ce premier maître pour entrer au service personnel dun autre artiste de Paris, qui lui paya ses gages en leçons de peinture. Se sentant assez fort pour se passer de guide, Lantara quitta latelier, et vint se loger rue Saint-Denis dans une pauvre mansarde, d il pouvait à peine entrevoir le ciel.

Il travaillait peu et rêvait beaucoup. Dans sa maison était une fruitière nommée Jacqueline, tille dune marchande aux halles, qui chantait plus quelle ne vendait. La mansarde et le rez-de-chaussée firent bientôt connaissance ; tous deux jeunes, insouciants et pauvres, ils associèrent leur gaieté et leur misère.

Avec son talent et son heureuse facilité, Lantara eût pu acquérir de laisance ; mais artiste par le génie, il létait aussi par la paresse, et la pauvreté était la véritable muse inspiratrice du paysagiste. Puis, enfant de la nature, il ne dessinait jamais si bien quen bras de chemise et sans cravate. Ce laisser-aller ne pouvait lui faire trouver de protecteurs ; il ne plaçait donc ses productions quà des marchands et vil prix.

Pour son complet malheur, Jacqueline mourut ; cétait la seule personne dont Lantara eût jamais été compris et aimé. Il ne chercha pas à se remarier : il se mit à hanter le cabaret pour oublier un amour aussi constant que sincère. Cependant Lantara ne fut pas le bohème, le fainéant, livrogne quil a plu aux vaudevillistes de mettre en scène. Assurément il allait au cabaret ; mais il y allait pour prendre ses modestes repas, comme la majeure partie des écrivains et des artistes de son temps.

Alexandre Lenoir, qui lavait connu, le montre pauvre et heureux dans sa misère ; des crayons, sa palette, ses pinceaux et une huppe quil chérissait, formaient tout son mobilier : « Avec de grands talents il avait linsouciante et la naïveté dun enfant. Ce Lantara, ajoute-t-il, avait les bonnes et les mauvaises qualités dArlequin ; il était, comme le Bergamasque, naïf, spirituellement bête et habilement maladroit. II le peint plus gourmand quivrogne, il aimait mieux une bavaroise au chocolat quune bouteille de vin, et tous ceux qui lentouraient abusaient de ce défaut et de son insouciance en lui faisant faire des dessins, même des tableaux, pour un diner, un gâteau damandes, une tourte ou quelque friandise. »

Alexandre Lenoir cite le limonadier Talbot, place près du Louvre, comme ayant obtenu une belle suite de dessins de Lantara, dont il tira un grand bénéfice, avec les bavaroises et le café à la crème quil lui donnait à ses déjeuners. Quand il avait bien bu, bien mangé, il allait rêver dans les champs, sans souci de la gloire, ni de la fortune. Il aimait la splendeur des astres, les mystères du crépuscule et le silence de la nuit. « Souvent, dit Charles Blanc, on le voyait le soir, immobile sur le Pont-Neuf, à regarder, dans une sainte extase, le soleil dessinant les arches des autres ponts et se mouvant en rayons brisés sur leau du fleuve ; il pleurait dadmiration. » Une fois rentré dans son galetas ou remisé au fond de son café, Lantara peignait de mémoire les effets qui lavaient ému, ou bien il dessinait à la lueur dun quinquet, sur papier bleu, avec des rehauts de crayon blanc, tantôt des clairs de lune tranquilles et mystérieux, tantôt des levers de soleil dont il savait par cœur les teintes, les oppositions et les accidents.

Vers la fin de sa vie, Lantara avait acquis de la réputation. Quelques amateurs éclairés tâchèrent de lattirer chez eux. Mais il semblait que la dépendance éteignit son génie ; au milieu des séductions du luxe et du confortable, linconstant artiste ne savait rien produire ; et il retournait vite à son cabaret de la rue du Chantre.

Un financier voulut être son protecteur : Lantara mangea et but quelque temps chez lui, puis il sennuya, et revint à lauberge en disant : « Jai secoué mon manteau dor ». Un de ses Clairs de lune lui fut payé par le comte de Caylus cent écus. Lantara, surpris de se voir autant dargent, emporta chez lui son trésor. Mais, comme le savetier de la fable, il eut peur des voleurs ; il consulta ses amis, et, après mûre délibération, il fut décidé quon boirait les cent écus pour quils ne fussent pas volés.

Lantara avait une profonde aversion pour les figures, et nen mettait jamais dans ses tableaux. Charles Blanc affirme quil savait si peu faire ce quil appelait des bonshommes, que Taunay, Demarne, Barre, Bernard et surtout Joseph Vernet lui prêtèrent souvent leur concours pour animer ses paysages. Un jour un certain marquis lui avait commandé la vue extérieure dune église avec ses environs ; le peintre ny mit pas un seul personnage. Le marquis lui fit observer cette absence. « Ils sont à la messe, dit Lantara en montrant léglise. — Eh ! bien ! je prendrai votre tableau quand ils en sortiront, répliqua lamateur. »

La misère et linconduite minèrent rapidement la santé de Lantara, qui dut chercher un refuge à lhôpital de la Charité. Le supérieur le soigna, et parvint même à le faire travailler en flattant son penchant ; il lui promettait pour chaque dessin une visite à la cave. Lantara appelait cela « la carte à payer ». Sorti une première fois de lhospice, il ne tarda pas à y rentrer : cétait le 22 décembre 1778 à midi ; à six heures il avait cessé de vivre ; il avait quarante-neuf ans.

À son dernier moment, laumônier chercha à peindre les joies du paradis à Lantara : « Vous êtes bien heureux, mon fils, lui disait-il, vous allez voir Dieu en face pendant léternité ! — Quoi, mon père, reprit le moribond, toujours de face ? Jamais de profil ! » Et il expira.

Diderot écrivit dans sa correspondance, le quatrain suivant qui semble assez bien résumer la vie de lartiste : Vers pour être mis au bas du portrait du pauvre Lantara peintre plein de talens, et mort dans la misère.

Je suis le peintre Lantara
La Foi ma tenu lieu de livre
LEspérance me faisait vivre
Et la Charité menterra.

Malgré la rapidité et le décousu de sa vie, Lantara est resté lun des premiers paysagistes français. Sa manière rappelle celle de Claude Lorrain. Il excellait dans la perspective aérienne ; il excellait à rendre les différentes heures du jour ; les ciels de ses tableaux sont dun ton vaporeux et fin et dune grande légèreté de touche : ses points du jour ont toute la fraîcheur du matin ; ses couchers de soleil, chauds et lumineux, nont pas moins de vérité ; ses clairs de lune sont dun ton argentin, plein de mélancolie. Ses eaux sont toujours mobiles, transparentes et naturelles.

Lantara a laissé peu de tableaux, parmi lesquels son portrait, mais beaucoup de dessins au crayon noir rehaussé de blanc. On cite entre autres un Orage et deux Vues de fleuves avec des ruines (1766) dans le genre de Joseph Vernet, qui probablement en a fait les personnages. Duret a gravé, daprès Lantara, la Rencontre fâcheuse ; le Pêcheur amoureux ; lheureux baigneur ; le Berger amoureux en quatre pièces.

Piquenot a reproduit la Nappe deau et les Chasse-Marée, deux pièces. Le Bas a gravé le premier livre des Vues des environs de Paris, douze feuilles en long.

Les œuvres de Lantara, signées de lui, furent fort recherchées. Le buste de ce maître, au ciseau de Guersant, a de solennellement inauguré le 6 juin 1852 par les soins dÉmile Bellier de La Chaviguerie.

Anecdotes invérifiables

Émile Bellier de la Chavignerie a recueilli pieusement certaines anecdotes qui sont le commun des vies dartistes romancées :

  • Son père était un tisserand, et lui-même a commencé sa vie comme gardien de bétail, mais, après avoir attiré lattention de Gille de Reumont, le fils de son maître, il a été placé dans latelier dun peintre à Versailles[1]. Peu après apprenti chez un autre peintre à Paris, il peint en labsence de son mentor une mouche sur un de ses tableaux, celui-ci de retour essaye de chasser lintruse[2].

Fortune critique

  • En 1809, une pièce de Pierre-Yves Barré, Picard, Radet et Desfontaines, intitulée Lantara, ou le peintre au cabaret, a été joué au Vaudeville avec grand succès.

Œuvres

  • Grenoble, musée des Beaux-arts, LEsprit de Dieu planant sur les eaux, 1752. Ce tableau représent une mer calme surmontée de rayons de lumière provenant du Tétragramme. Le triangle avec les lettres YHWH se distingue à peine, et le visiteur pressé ne verra quune marine. Pour cette œuvre lire le très beau texte de Gilles Chomer[3]: Fascinante marine mystique......... peinture assez exceptionnelle....... prégnance dun sujet rarement représenté...... tableau pré-symboliste, (qui mêle) étrangement une observation quasi naturaliste et une vision proprement métaphysique.

Bibliographie

  • Émile Bellier de la Chavignerie, Recherches sur le peintre Lantara, Paris, 1852.
  • George Levitine, « Les origines du mythe de lartiste bohème en France : Lantara », Gazette des Beaux-arts, septembre 1975, p49-60.
  • Edmond Zeigler, Simon-Mathurin Lantara, p18-19.

Sources

  • Ferdinand Hoefer, Nouvelle Biographie générale, t. 29, Paris, Firmin Didot frères, 1862, p491-4.

Notes

  1. Mythe de lenfant berger dessinant dans la campagne, remarqué par un haut personnage qui le sort de la misère.
  2. Autre mythe du talent découvert.
  3. Peintures françaises avant 1815, la collection du musée de Grenoble, Paris, Ed. La Réunion des Musées Nationaux, 2000, ISBNb2-7118-2950-2, notice n° 68, reproduit en couleurs p. 161:

Lien externe


Wikimedia Foundation. 2010.

Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Simon Mathurin Lantara de Wikipédia en français (auteurs)

Игры ⚽ Нужно сделать НИР?

Regardez d'autres dictionnaires:

  • Simon Mathurin Lantara — (24 March 1729 ndash; 22 December 1778) was a French landscape painter.He was born at Oncy. His father was a weaver, and he himself began life as a herdboy; but, having attracted the notice of Gille de Reumont, a son of his master, he was placed… …   Wikipedia

  • Mathurin — is a French forename that may refer to: Saint Mathurin (Maturinus) (d. 500 AD), French saint Mathurin Cordier (Corderius) (ca. 1480 1564), French educator Mathurin Régnier (1573 1613), French satirist Mathurin Jacques Brisson (1723 1806), French… …   Wikipedia

  • Лантара — (Simon Mathurin Lantara) французский пейзажист (1729 78). Сын бедного живописца вывесок, Л. и сам провел жизнь в бедности, отчасти оттого, что мало писал, отчасти от невоздержанности. Л. изображал закаты и восходы солнца, лунное сияние, туманы,… …   Энциклопедический словарь Ф.А. Брокгауза и И.А. Ефрона

  • Oncy — sur École 48°22′57″N 02°28′26″E / 48.3825, 2.47389 …   Wikipédia en Français

  • Oncy-sur-Ecole — Oncy sur École 48°22′57″N 02°28′26″E / 48.3825, 2.47389 …   Wikipédia en Français

  • Oncy-sur-École — 48° 22′ 57″ N 2° 28′ 26″ E / 48.3824958, 2.4739301 …   Wikipédia en Français

  • Oncy-sur-école — 48°22′57″N 02°28′26″E / 48.3825, 2.47389 …   Wikipédia en Français

  • Oncy sur école — 48°22′57″N 02°28′26″E / 48.3825, 2.47389 …   Wikipédia en Français

  • Peinture française au XVIIIe siècle — François Boucher, Renaud et Armide, 1734, Musée du Louvre La peinture française au XVIIIème siècle est marquée par le goût « rococo » qui inspire toutes les formes de l art. Le rococo et le néoclassicisme caractérisent les arts visuels… …   Wikipédia en Français

  • Démythisation — Mythe  Pour l’article homophone, voir Mite. Un mythe est un récit qui se veut explicatif et fondateur d une pratique sociale. Il est porté à l origine par une tradition orale, qui propose une explication pour certains aspects fondamentaux du …   Wikipédia en Français

Share the article and excerpts

Direct link
https://fr-academic.com/dic.nsf/frwiki/1542036 Do a right-click on the link above
and select “Copy Link”