Recreations litteraires

Recreations litteraires

Récréations littéraires

Récréations littéraires[1] est un recueil de « curiosités et singularités, bévues et lapsus » relevés par Albert Cim au cours de ses lectures. Publié en 1920, cet ouvrage est l'un des premiers consacrés aux perles que laissent échapper les romanciers, les poètes et les auteurs dramatiques, soit par ignorance ou inattention, soit par manque de goût ou de sens critique.

Certaines de ces perles étaient déjà célèbres au temps où écrivait Albert Cim. Celles qu'il a choisies proviennent aussi bien des auteurs de romans-feuilletons, où elles abondent, que des grands écrivains, où elles se trouvent même chez les plus consciencieux. Cim dit n'avoir pas voulu se moquer, mais se divertir, rien de plus. En bibliographe qu'il était, il a pris soin d'indiquer ses sources.

Sommaire

Florilège

Curiosités mathématiques

« Un matin, le père Rouault vint apporter à Charles le payement de sa jambe remise : soixante et quinze francs en pièces de quarante sous et une dinde.[2]
« Quatre mille Arabes couraient derrière [un chameau], pieds nus, gesticulant, riant comme des fous, et faisaient luire au soleil six cent mille dents blanches.[3] »
  • Charles Mérouvel
« Cette femme avait [...] une taille svelte et souple qu'une main d'homme eût emprisonnée dans ses dix doigts.[4] »
  • Émile Richebourg
« Ce village est situé au centre du triangle obtus que forment les trois villes de Dijon, Châtillon-sur-Seine et Langres.[5] »
« Dès qu'on est deux, je forme un quadrille.[6] »
« Remettez-vous, monsieur, dit le notaire à Adolphe en souriant de son étonnement. Onze cent mille francs, c'est une jolie fortune, mais enfin vous ne serez pas encore millionnaire.[7] »
« Moitié plâtre, moitié briques, moitié bois, ces maisons servaient d'habitations à des rentiers d'Aix-la-Chapelle.[8] »

Singularités anatomiques

« Quel supplice, auprès d'un objet chéri, de sentir que la main nous embrasse, et que le cœur nous repousse ![9] »
« Je foule aux pieds ce trône, et je règne en des lieux / Où mon front avili n'osa lever les yeux.[10] »
« La bouche garde le silence / Pour écouter parler le cœur...[11] »
« Menant son équipage d'une main, de l'autre il fumait une cigarette...[12] »
« Il reçut pour sa fête une belle tête phrénologique, toute marquetée de chiffres jusqu'au thorax et peinte en bleu.[13] »
« Colomba poussa un soupir, regarda attentivement pendant une minute le tapis de la table, puis les poutres du plafond ; enfin, mettant la main sur ses yeux, comme ces oiseaux qui se rassurent et croient n'être point vus quand ils ne voient point eux-mêmes, chanta, ou plutôt déclama d'une voix mal assurée la serenata qu'on va lire.[14] »
« Elle avait la main froide d'un serpent.[15] »
« Victorine continua sa lecture en fermant les yeux.[16] »
« Sur l'honneur, je sentis une larme qui me montait à la gorge.[17] »
« Son nez vaste et charnu, ses lèvres épaisses apparaissaient comme de puissants appareils pour pomper et pour absorber, tandis que son front fuyant, sous de gros yeux pâles, trahissait la résistance à toute délicatesse morale.[18] »
« C'était une figure de reine et une taille de nymphe qui parlait ainsi.[19] »
« Le dandy [...] a passé un pouce déhanché dans son gilet pour en dégager les revers...[20] »
« Les dames chuchotèrent en se regardant avec des bouches souriantes et des roucoulements d'yeux qu'eût enviés une actrice pour jouer les rôles de Marivaux.[21] »
« Un soir, en traversant le boulevard, Marcel aperçut à quelques pas de lui une jeune dame qui, en descendant de voiture, laissait voir un bout de bas blanc... — Parbleu, fit Marcel, voilà une jolie jambe : j'ai bien envie de lui offrir mon bras.[22] »
« Sur le siège, le dos du cocher était étonné d'entendre pleurer si fort.[23] »

Évidences

« Pégase s'effarouche et recule en arrière.[24] »
« Il en coûta la vie et la tête à Pompée.[25] »
« En vous voyant sous l'habit militaire, / J'ai déviné que vous étiez soldat.[26] »
« L'esturgeon monstrueux soulève de son dos / Le manteau bleu des mers, et regarde en silence / Passer l'astre des nuits...[27] »
« Quand la borne est franchie, il n'est plus de limites.[28] »
« Je dirai qu'une femme ne doit jamais écrire que des œuvres posthumes à publier après sa mort.[29] »
« ...une pauvre veuve qui n'avait qu'un fils unique.[30] »
« Un petit ménage si gentil, et propre, et qui s'adorait, et où l'on n'entendait jamais un mot plus haut l'un que l'autre ![31] »

Amphigouris

« C'était un de ces moments où l'âme a besoin de cette glace que l'accent d'un sage jette sur l'incendie du cœur pour retremper le ressort d'une énergique résolution.[32] »
« Il se leva debout.[33] »
« Rien que l'arrivée de Mme Borderie rompait le fil électrique empoisonné qui servait de conducteur à l'esprit de la société...[34] »
« Le pépin du mécontentement était semé dans une terre fertile et allait donner en peu de temps un arbre touffu.[35] »
« Cette fois, les regards furent si directs, que Montalais sentit le rouge lui monter au visage en flammes violettes.[36] »
« Ah ! dit don Manoel en portugais.[37] »
« Éclairés par des becs de gaz, allumés de loin en loin, des murs frappaient des coups crus dans l'ombre.[38] »
« [un instituteur] aux yeux ardents, d'un bleu globuleux et fanatique.[39] »
« ...ce renard, qui s'était approché de mon observatoire à pas de loup, ne mangera jamais plus de pain.[40]
« Oui, oui, nous partons, dit Pierre, qui se détourna, cherchant son chapeau, pour s'essuyer les yeux.[41] »
« Je m'en vais mettre les fers au feu pour tirer les vers du nez de Mme Barbançon afin de voir ce qu'elle a dans le ventre ![42] »
« Les doigts du capitaine couraient alors sur les claviers de l'instrument ; je remarquai qu'il n'en frappait que les touches noires, ce qui donnait à ses mélodies une couleur essentiellement écossaise.[43] »
« Son œil, à demi fermé, vibrait et haletait, pour ainsi dire, lançant autour d'elle des regards trempés de volupté.[44] »
« Il portait un veston et un gilet à carreaux avec un pantalon de même couleur.[45] »
« Bientôt les navires se trouvèrent à plusieurs milles de ces deux cadavres, dont l'un était plein de vie.[46] »

Amphibologies, cacophonies, kakemphatons

« Ô le plus grand poltron qui jamais ait été ![47] »
« Et le désir s’accroît quand l’effet se recule.[48] »
« Tombe aux pieds de ce sexe à qui tu dois ta mère ![49] »
« Vierge non encore née, en qui tout doit renaître.[50] »
« Non, il n'est rien que Nanine n'honore.[51] »
« Jamais les larmes de mon ami n'arroseront le nœud qui doit nous unir.[52] »
« Je dédaigne et je hais les hommes, et mon pied / Sent le mou de la fange en marchant sur leurs nuques.[53] »
« La vache paît en paix dans ces gras pâturages.[54] »
« Le diable aime surtout à mettre sa queue dans les affaires des pauvres femmes délaissées, et Caroline en est là.[55] »
« Les paysans fuyaient en emportant leurs lares.[56] »

La phrase du chapeau

Parmi les curiosités ou les monstruosités littéraires, dit Albert Cim, la « phrase du chapeau » de l'académicien Patin est légitimement célèbre. Robert de Bonnières l'a citée comme « le plus mémorable exemple du plus joyeux galimatias[57] » :

« Disons-le en passant, ce chapeau fort classique, porté ailleurs par Oreste et Pylade, arrivant d'un voyage, dont Callimaque a décrit les larges bords dans des vers conservés, précisément à l'occasion du passage qui nous occupe, par le scoliaste, que chacun a pu voir suspendu au cou et s'étalant sur le dos de certains personnages de bas-reliefs, a fait de la peine à Brumoy qui l'a remplacé par un parasol.[58] »

Cim ajoute que Patin a néanmoins été surpassé par Léon Cladel qui, dans l'un de ses contes, a réussi à intercaler une bonne partie de l'histoire de France et d'Angleterre entre le sujet et le verbe de cette phrase :

« À peine eut-elle débouché des gorges de Saint-Yrieix sur le plateau marneux qui les surplombe et d'où l'on découvre, à travers l'immense plaine s'étendant du dernier chaînon des Cévennes aux assises des Pyrénées, ces montagnes dont la beauté grandiose arracha jadis des cris d'enthousiasme au peu sensible Béarnais, déjà roi de Navarre, et faillit le rendre aussi troubadour que bien longtemps avant lui l'avait été Richard Cœur de Lion, alors simple duc du Pays des Eaux, où l'on trouve encore quelques vestiges des monuments érigés en l'honneur de ce descendant de Geoffroy, comte d'Anjou, lequel seigneur, aucun historien n'a su pourquoi ni comment, ornait en temps de paix sa toque, en temps de guerre son haubert d'une branche de genêt, habitude qui lui valut le surnom de Plantagenet, porté plus tard par toute la famille française à laquelle le trône anglo-saxon, après la mort d'Étienne de Blois, le dernier héritier du trône de Normandie, avait été dévolu, ma monture prit peur et manqua de me désarçonner.[59] »

Perles apocryphes

Albert Cim signale au cours de son livre quelques perles apocryphes, le plus souvent inventées de toutes pièces en vue de nuire à leur auteur supposé.

  • « L'amour a vaincu Loth ! » Attribué à Simon-Joseph Pellegrin.
  • « J'habite à la montagne, et j'aime à la vallée. » Attribué, avec plusieurs autres, à Charles-Victor Prévost d'Arlincourt.
  • « Il sortit de la vie / Comme un vieillard en sort. » Attribué à Victor Hugo qui, selon Onésime Reclus, était le premier à rire de cette plaisanterie et ne manquait pas de riposter : « Tout en faisant des vers comme un vieillard en f'rait. » Ce calembour involontaire provient d'un drame d'Adolphe Dumas où l'on trouve ces deux vers qui firent tomber la pièce : « Je sortirai du camp, mais quel que soit mon sort / J'aurai montré, du moins, comme un vieillard en sort.[60] »

Références

  1. Albert Cim, Récréations littéraires. Curiosités et singularités, bévues et lapsus, etc., Hachette, Paris, 1920. Texte en ligne
  2. Gustave Flaubert, Madame Bovary, Michel Lévy, Paris, 1857, t. 1, p. 30.
  3. Alphonse Daudet, Tartarin de Tarascon, Lemerre, Paris, 1886, p. 198.
  4. Charles Mérouvel, Jenny Fayelle, Dentu, Paris, 1881, p. 28.
  5. Émile Richebourg, La Petite Mionne, Rouff, Paris, 1927, p. 3.
  6. Paul de Kock, Jean, Rouff, Paris, s.d., p. 14.
  7. Paul de Kock, Monsieur Dupont, Rouff, Paris, s.d., chap. 29, p. 60.
  8. François de Nion, Pendant la guerre, Flammarion, Paris, 1916 [Version parue dans Le Journal, 17 mai 1915].
  9. Jean-Jacques Rousseau, La Nouvelle Héloïse, III, 18, Œuvres complètes, vol. III, Hachette, Paris, 1856, p. 68.
  10. Voltaire, L'Orphelin de la Chine, II, 6, 1755.
  11. Alfred de Musset, Nuit de mai, Poésies nouvelles, Charpentier, Paris, 1864, p. 48.
  12. Eugène Fromentin, Une année dans le Sahel, Plon, Paris, 1859, p. 41.
  13. Gustave Flaubert, Madame Bovary, Michel Lévy, Paris, 1857, t. 1, p. 30.
  14. Prosper Mérimée, Colomba, Charpentier, Paris, 1862, p. 30.
  15. Ponson du Terrail, cité dans Le Soleil, 11 septembre 1897.
  16. Edmond About, Les Mariages de Paris, Hachette, Paris, 1882, p. 180.
  17. Gustave Droz, Monsieur, Madame et bébé, Hetzel, Paris, 1846, p. 149.
  18. Anatole France, L'Orme du mail, Calmann Lévy, Paris, 1897, p. 112.
  19. Frédéric Soulié, Le Maître d'école, Librairie nouvelle, Paris, 1859, p. 298.
  20. Champfleury, Les Demoiselles Tourangeau, Marcel Lévy, Paris, 1864, p. 67.
  21. Champfleury, Les Amoureux de Sainte-Périne, Librairie nouvelle, Paris, 1859, p. 55.
  22. Henry Murger, Scènes de la vie de bohême, Michel Lévy, Paris, 1876, p. 176.
  23. Edmond et Jules de Goncourt, Germinie Lacerteux, Charpentier, Paris, 1864, p. 254.
  24. Nicolas Boileau, Épître IV, Le Passage du Rhin, 1672.
  25. Pierre Corneille, La Mort de Pompée , II, 3, 1644.
  26. Nicolas Brazier, L'Enfant du régiment, Barba, Paris, 1818.
  27. Alfred de Musset, Les Marrons du feu, Premières poésies, Charpentier, Paris, 1861, p. 63.
  28. François Ponsard, L'Honneur et l'argent, III, 5, Michel-Lévy, Paris, 1853.
  29. Stendhal, De l'Amour, II, 55, Michel-Lévy, Paris, 1857, p. 192.
  30. Champfleury, La Pasquette, Charpentier, Paris, 1876, p. 78.
  31. Émile Zola, Pot-Bouille, Charpentier, Paris, 1882, chap. IV, p. 78.
  32. Alphonse de Lamartine, Raphaël, Hachette, Paris, 1859.
  33. Victor Hugo, Les Misérables, 1re partie, II, 10, Hetzel-Quantin, Paris, s.d., t. 1, p. 135.
  34. Champfleury, Les Amoureux de Sainte-Périne, Librairie nouvelle, Paris, 1859, p. 55.
  35. Champfleury, Monsieur de Boisdyver, Poulet-Malassis, Paris, 1861, p. 12.
  36. Alexandre Dumas, Le Vicomte de Bragelonne, t. III, Calmann Lévy, Paris, s. d., chap. 38, p. 379.
  37. Alexandre Dumas, Mémoires d'un médecin, Le Collier de la Reine, t. II, 1850, p. 51.
  38. Joris-Karl Huysmans, En ménage, Charpentier, Paris, 1881, p. 2.
  39. Alphonse Daudet, L'Évangéliste, Dentu, Paris, 1883, p. 205.
  40. Léon Cladel, Urbains et ruraux, Lemerre, Paris, 1890, p. 155.
  41. Émile Zola, Lourdes, Charpentier, Paris, 1894, p. 238.
  42. Eugène Sue, L'Orgueil, t. I, Marpon, Paris, s.d., p. 94.
  43. Jules Verne, Vingt Mille Lieues sous les mers, Hetzel, Paris, s.d., p. 173.
  44. Frédéric Soulié, Les Mémoires du Diable, vol. III, Michel Lévy, Paris, 1877, p. 296.
  45. Léopold Stapleaux, cité dans L'Intermédiaire des chercheurs et des curieux, 20 décembre 1897, col. 772.
  46. Gustave Aimard, Les Rois de l'océan, t. I, Roy, Paris, 1891, chap. 5, p. 112.
  47. Paul Scarron, Jodelet ou le Maître valet, IV, 7, 1645.
  48. Pierre Corneille, Polyeucte, I, 1, 1642.
  49. Gabriel-Marie Legouvé, Le Mérite des femmes, 1801.
  50. Jean-Baptiste Rousseau, À la postérité, IV, 6, Œuvres de Malherbe, de J.-B. Rousseau, etc., Didot, Paris, 1858, p. 362.
  51. Voltaire, Nanine, III, 8, 1749.
  52. Jean-Jacques Rousseau, La Nouvelle Héloïse, I, 64, Œuvres complètes, vol. III, Hachette, Paris, 1856, p. 238.
  53. Victor Hugo, La Légende des siècles, Zim-Zim, t. 2, Hetzel-Quantin, Paris, s.d., p. 100.
  54. Pierre-François Tissot, Bucoliques de Virgile, 1800, cité par Jean-Baptiste Tenant de Latour, Mémoires d'un bibliophile, Dentu, Paris, 1861, p. 219.
  55. Honoré de Balzac, Petites Misères de la vie conjugale, Librairie nouvelle, Paris, 1862, p. 135.
  56. Jean-Pons-Guillaume Viennet, La Franciade, 1863, cité par Ferdinand Nathanael Staaff, La Littérature française, vol. II, Didier, Paris, 1884, p. 606 n.
  57. Robert de Bonnières, Mémoires d'aujourd'hui, 2e série, Ollendorff, Paris, 1883-1888, p. 88.
  58. Henri Joseph Guillaume Patin, Études sur les tragiques grecs, vol. I, Hachette, Paris, 1842, p. 114.
  59. Léon Cladel, Urbains et ruraux, Ollendorff, Paris, 1894, p. 107-109.
  60. Adolphe Dumas, Le Camp des croisés, Barba, Paris, 1838.
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