Rapport de 1990

Rapport de 1990

Rapport de 1990 sur les rectifications orthographiques

Le rapport de 1990 sur les rectifications orthographiques[1] est un document présentant un ensemble de modifications de l'orthographe française. Les pays de la francophonie ayant participé aux discussions ont recommandé d'appliquer ces réformes, sans mesures contraignantes.

Sommaire

Historique

Dans son discours du 25 octobre 1989, le Premier ministre français de l'époque, Michel Rocard, a proposé à la réflexion du Conseil supérieur de la langue française cinq points précis concernant l'orthographe :

Un comité d'experts s'est réuni et a élaboré des propositions de rectifications.

« Le Conseil supérieur de la langue française, qui comprend des membres du Maroc, de Belgique et du Québec, a aussi consulté le Haut Conseil de la francophonie, où les Français ne sont pas les plus nombreux. Il y a donc eu consultation des autorités ou institutions spécialisées des pays francophones, conformément à la courtoisie et aux intérêts supérieurs de la langue française »[2].

Ces rectifications sont modérées dans leur teneur et dans leur étendue[3]. On estime qu'elles touchent deux-mille mots dans un dictionnaire de soixante-dix-mille mots, ce qui est largement moins que plusieurs réformes menées dans les siècles passés (modification de l'orthographe d'un mot sur quatre en 1740)[4].

Les propositions du rapport ne visent pas seulement l'orthographe du vocabulaire existant, mais aussi et surtout celle du vocabulaire à naître, en particulier dans les sciences et les techniques.

Dans certains cas, l'orthographe réformée correspond à une orthographe qui était déjà employée, mais en étant auparavant fautive, en particulier dans les cas des accents. Ainsi, nombre de personnes n'utilisaient pas d'accents circonflexes là où les rectifications le permettent (des mots comme « boîte », « île », « il plaît »). Pour le mot « événement », par exemple, un suivi sur internet à l'aide de moteurs de recherche montre que 25 % des pages retournées emploient « évènement » (ce qui ne peut être qualifié de succès de la réforme : plus conforme à la prononciation courante, cette graphie était une faute très répandue).

L'Association pour l'information et la recherche sur les orthographes et les systèmes d'écriture (AIROÉ) pour la France, l'Association pour la nouvelle orthographe (ANO) pour la Suisse, l'Association pour l'application des rectifications orthographiques (APARO) pour la Belgique, le Groupe québécois pour la modernisation du français (GQMNF) pour le Québec, la Coalition pour l'application des rectifications orthographiques (CARO) réunis au sein du Réseau pour la nouvelle orthographe du français (RENOUVO), diffusent régulièrement sur leurs sites respectifs ou dans leurs revues des informations sur le sujet.

Diffusion

Présentées par le Conseil supérieur de la langue française, ces rectifications ont reçu un avis favorable de l'Académie française à l'unanimité, ainsi que l'accord du Conseil de la langue française du Québec[5] et, en Belgique, celui du Conseil de la langue française et de la politique linguistique en sa séance plénière du 9 avril 2008[6].

Le 3 mai 1990, après avoir obtenu quelques modifications mineures aux rectifications, l'Académie française les adopte à l'unanimité[7].Par la suite, beaucoup d'absents regrettèrent publiquement la décision ; des membres de l'Académie française qui avaient voté les rectifications revinrent sur leur position.[réf. nécessaire] Le 17 janvier 1991, lors d'une réunion, les académiciens votent des précisions sur les modalités d'entrée en vigueur des rectifications (23 pour, 6 contre)[8].

L'Académie française, bien que participant à la diffusion des informations sur la réforme[9], dit qu'elle « n’a pas souhaité donner un caractère impératif à ces rectifications ni se limiter à une simple tolérance orthographique » et qu'« elle observe l’évolution de l’usage et se réserve de confirmer ou d’infirmer les recommandations proposées »[10].

Ces « règles » ne sont toutefois que des recommandations. Elles n'ont aucun caractère obligatoire, et c'est une des raisons qui font qu'elles sont largement ignorées ; sans obligation ce sont les habitudes acquises qui perdurent. La réforme de l'orthographe allemande de 1996 avait été imposée plus fermement, par exemple en donnant une date limite à la presse pour s'y conformer. Pour éviter les conflits ouverts qui apparurent en Allemagne, ou par manque de volonté, aucune contrainte comparable ne fut mise en place. Résultat sans même s'opposer activement, une large proportion des francophones ignore l'existence même de la réforme.

En Communauté française de Belgique

Journal gratuit Passe-Partout, 19 août 2009.

En 1998, les ministres de l’enseignement obligatoire et de l’enseignement supérieur recommandent l’application de la nouvelle orthographe dans les écoles par circulaires ministérielles mais sans en imposer l'enseignement[11]. À la rentrée scolaire 2008, de nouvelles circulaires ministérielles invitent les enseignants de tous niveaux à enseigner prioritairement la nouvelle orthographe[12].
Le mercredi 18 février 2009, les parlementaires de la Communauté française de Belgique, débattant du problème de la « fracture orthographique », sont unanimes à approuver la réforme[13].

À partir du 16 mars 2009, les journaux de la presse francophone belge La Libre Belgique, Le Soir et La Dernière Heure passent à la nouvelle orthographe[14] grâce au logiciel Recto mis au point par le Cental, centre d'informatique pour l'étude du traitement des langues rattaché à la Faculté de philosophie et lettres de l'Université catholique de Louvain-la-Neuve. Ce logiciel est à la disposition des particuliers sur internet[15] et donne, outre la rectification du texte encodé, la justification des modifications.

La presse gratuite, diffusée hebdomadairement dans les boites aux lettres des particuliers, note, à l'occasion de la rentrée des classes 2009, l'application de la « nouvelle orthographe » dans l'enseignement francophone.

Entrée dans les ouvrages de référence

Les rectifications orthographiques de 1990 ont été publiées en France au Journal officiel, dans la partie administrative, qui n'a pas de valeur contraignante.

L'Académie française, le 17 janvier 1991, "rappelle que le document officiel [...] ne contient aucune disposition de caractère obligatoire. L'orthographe actuelle reste d'usage [...]. Elle estime qu'il y avantage à ce que les dites recommandations ne soient pas mises en application par voie impérative et notamment par circulaire ministériel." (23 voix pour cette déclaration). L'Académie française n'est pas suivie par le gouvernement, qui agira par circulaire ministérielle (au grand dam du Nouvel Observateur: "La langue française relève t-elle des compétences du gouvernement français? Sa graphie, ses règles grammaticales sont-elles soumises à l'autorité d'un Premier Ministre? [...] Rocard n'a pas autorité pour publier une circulaire pour imposer sa réforme à l'école. S'il la publie, il faudra empêcher son application"). La circulaire, forme choisie pour la diffusion des rectifications orthographiques, a une valeur juridique beaucoup moins importante que le décret ou l'arrêté.

Les rectifications orthographiques ont fait l'objet de circulaires concernant leur enseignement en Suisse et en Belgique[16]. En France, les programmes publiés en 2007 par le ministère de l'Éducation précisent qu'« on s'inscrira dans le cadre de l'orthographe rectifiée »[16]. Dans les programmes publiés en 2008, il est précisé que « l'orthographe révisée est la référence »[17].

L'Académie française a intégré un « certain nombre » des rectifications orthographiques dans dans la dernière édition en cours de son dictionnaire (la neuvième) tout en « mentionnant les autres à la fin de l’ouvrage »[18]. Les dictionnaires Hachette les ont complètement adoptées depuis 2002[19]. Des rectifications ont été reprises dans le Nouveau Littré. Les dictionnaires Larousse et Robert les intègrent progressivement. En particulier, l'édition 2009 du Robert a repris un grand nombre des modifications.

Les correcteurs informatiques (de Microsoft, OpenOffice, Antidote, ProLexis, etc.) incorporent les nouvelles orthographe dans leurs mises à jour, mais en laissant le choix à l'utilisateur (souvent même, l'ancienne orthographe est la configuration par défaut). C'est également le cas des logiciels développés par Mozilla qui proposent depuis quelques années le choix entre une base de mots conforme à la réforme et une base suivant l'ancienne orthographe. Pour être certain d'avoir la nouvelle orthographe, il est permis d'installer le Dictionnaire HunSpell en Français (réforme 1990) [3] . ProLexis propose à l'utilisateur de choisir l'orthographe qu'il emploiera, aussi bien qu'il lui propose d'appliquer ou non la féminisation des noms de métiers.

Les éditeurs restent souvent à l'ancienne orthographe : Grasset & Fasquelle (exemple : Qui connaît Madame Royal ?, paru en 2007).

Résumé des modifications

  • le trait d'union : un certain nombre de mots remplaceront le trait d'union par la soudure (exemple : « porte-monnaie » devient « portemonnaie », comme « portefeuille » ; exemple qui est souvent à l'honneur, la réforme de l'orthographe allemande ayant transformé « Portemonnaie » en « Portmonee ») ;
  • le pluriel des noms composés : les mots composés du type « pèse-lettre » suivront au pluriel la règle des mots simples (des « pèse-lettres  ») ;
  • l'accent circonflexe : il ne sera plus obligatoire sur les lettres « i » et « u  », sauf dans les terminaisons verbales et dans quelques mots (exemple : « qu'il fût  », « mûr  ») ;
  • le participe passé des verbes pronominaux : il sera invariable dans le cas de « laisser » suivi d'un infinitif (exemple : « elle s'est laissé mourir ») ;
  • les anomalies :
    • mots empruntés : pour l'accentuation et le pluriel, les mots empruntés suivront les règles des mots français (exemple : un « imprésario », des « imprésarios ») (dans pas mal de cas, il s'agit non de nouvelles formes, mais de trancher des cohabitations existantes)
    • séries désaccordées : des graphies seront rendues conformes aux règles de l'écriture du français (exemple : « douçâtre » remplace « douceâtre  »), ou à la cohérence d'une série précise (exemple : « boursoufler » devient « boursouffler » comme « souffler  », « chariot » devient « charriot » comme « charrette »).

Ces propositions sont présentées sous forme, d'une part, de règles d'application générales et de modifications de graphies particulières destinées aux usagers et aux enseignants, et, d'autre part, sous forme de recommandations à l'usage des lexicographes et des créateurs de néologismes.

Détail

Les modifications dont il est question dans cet article (1990) ont introduit 10 règles de modifications sur proposition du Conseil supérieur de la langue française :

Règles Exemples
Les numéraux composés sont toujours reliés par des traits d'union. trente-et-un
cinq-cents
six-millième
Dans les noms composés de la forme verbe + nom (par exemple : pèse-personne) ou préposition + nom (par exemple : sans-papier), le second élément prend la marque du pluriel lorsque le mot est au pluriel. un presse-papier, des presse-papiers
un après-midi, des après-midis
Emploi de l'accent grave (au lieu de l'accent aigu) dans un certain nombre de mots ainsi qu'au futur et au conditionnel des verbes qui se conjuguent comme céder. événement → évènement
réglementaire règlementaire
je cèderai, ils règleraient
L'accent circonflexe disparaît sur i et u, mais on le maintient dans les terminaisons verbales du passé simple, du subjonctif, et en cas d'ambiguïté (ou ambigüité, voir ci-dessous le paragraphe concernant le tréma). coûtcout
entraînerentrainer, nous entrainons
paraîtreparaitre, il parait
Les verbes en -eler ou -eter se conjuguent comme peler ou acheter. Les dérivés en -ment suivent les verbes correspondants. Exceptions : appeler, jeter et leurs composés. j'amoncèle, amoncèlement
tu époussèteras
Les mots empruntés forment leur pluriel comme les mots français et sont accentués conformément aux règles qui s'y appliquent. des matchs
des scénarios
révolver
La soudure s'impose dans un certain nombre de mots, notamment :
  • les mots composés de contr(e)- et entr(e)-
  • les onomatopées
  • les mots d'origine étrangère
  • les mots composés avec des éléments « savants »
contrappel
entretemps
tic-tactictac
week-endweekend
agroalimentaire
portemonnaie
Les mots en -olle et les verbes en -otter (et leurs dérivés) s'écrivent respectivement -ole et -oter. Exceptions : colle, folle, molle et les mots de la même famille qu'un nom en -otte (comme botter, de botte). corole
frisoter, frisotis
Le tréma est déplacé sur la lettre u prononcée dans -güe- et -güi- et est ajouté dans quelques mots. aigüe, ambigüe
ambigüité
argüer, gageüre
Le participe passé de laisser suivi d'un infinitif est invariable (à l'image de faire) elle s'est laissée mourir → elle s'est laissé mourir

Il y a, en outre, une soixantaine de modifications orthographiques isolées (modifications sur des mots divers, par exemple charriot sur le modèle de charrue).

Exemple

La Dictée de Mérimée devient dans cette orthographe (les termes modifiés ou confirmés par le Rapport de 1990 sont en gras) :

« Pour parler sans ambigüité, ce diner à Sainte-Adresse, près du Havre, malgré les effluves embaumés de la mer, malgré les vins de très bons crus, les cuisseaux de veau et les cuisseaux de chevreuil prodigués par l'amphitryon, fut un vrai guêpier.


Quelles que soient, quelque exigües qu'aient pu paraitre, à côté de la somme due, les arrhes qu'étaient censés avoir données la douairière et le marguiller, il était infâme d'en vouloir, pour cela, à ces fusiliers jumeaux et malbâtis, et de leur infliger une raclée, alors qu'ils ne songeaient qu'à prendre des rafraichissements avec leurs coreligionnaires. Quoi qu'il en soit, c'est bien à tort que la douairière, par un contresens exorbitant, s'est laissé entrainer à prendre un râteau et qu'elle s'est crue obligée de frapper l'exigeant marguiller sur son omoplate vieillie.
Deux alvéoles furent brisés ; une dysenterie se déclara suivie d'une phtisie et l'imbécilité du malheureux s'accrut.
« Par saint Martin, quelle hémorragie ! » s'écria ce bélitre.

À cet évènement, saisissant son goupillon, ridicule excédent de bagage, il la poursuit dans l'église tout entière. »

— Prosper Mérimée

Bibliographie

  • La source première est un fascicule (sur papier) du Journal officiel de la République française, édition des Documents administratifs (ISSN 0242-6773), année 1990, no 100, 6 décembre 1990, intitulé : Les Rectifications de l'orthographe – Conseil supérieur de la langue française. Le fascicule comporte 18 pages numérotées de 1 à 18 ; les pages 2, 6, 8 et 10 sont blanches. Le fascicule comporte une Présentation de Maurice Druon (pages 3 et 4), une Réponse du Premier ministre (page 7) – alors Michel Rocard, le plan du Rapport (page 9) ainsi que le rapport lui-même (pages 11-18).
  • André Goosse membre du Conseil supérieur de la langue française, La « nouvelle » orthographe, Exposé et commentaires, Duculot, Paris-Louvain-la-Neuve, 1991
  • Bernadette Wynants, L'orthographe, une norme sociale, Mardaga, Liège, 1997 (ISBN 2-87009-660-7).

Notes et références

  1. Le rapport selon l'Académie française
  2. Journal officiel du Sénat français, 4 février 1993, p.  187.
  3. "Ces rectifications sont modérées dans leur teneur et dans leur étendue", selon l'Introduction du rapport du Conseil supérieur
  4. Voir [1]
  5. Questions fréquentes sur les rectifications de l'orthographe - Office québécois de la langue française
  6. A la découverte de la nouvelle orthographe - site de la Communauté française de Belgique
  7. [pdf]« Les rectifications de l'orthographe », dans Journal officiel de la République française, no 100, 6 décembre 1990, p. 3 (ISSN 0242-6773) [texte intégral (page consultée le 12 septembre 2009)] 
  8. [pdf]Jacqueline Bossé Andrieu, Abrégé des règles de grammaire et d'orthographe, Presses de l'Université du Québec, 1996 (ISBN 2-7605-0864-1), p. 93 (livre) / 1 (pdf) 
  9. « Introduction du rapport du Conseil supérieur de la langue française », sur le site de l’Académie française.
  10. « Rectifications orthographiques (1990), état de la question », sur le site de l’Académie française.
  11. Site officiel du Service de la langue française de la Communauté française
  12. Autre article du site officiel du Service de la langue française de la Communauté française
  13. La libre Belgique, quotidien belge, 19 février 2009.
  14. [tt_news=453 « Le 16 mars, la presse belge passe à la "nouvelle orthographe" », Communauté française de Belgique]
  15. Rectification de votre orthographe en ligne
  16. a  et b • www.orthographe-recommandee.info : informations sur les rectifications de l'orthographe française (« nouvelle orthographe » ou « orthographe rectifiée »)
  17. Voir [2]
  18. Académie française, « Transformations et "réformes" de l'orthographe ». Consulté le 12 septembre 2009
  19. Jean-Jacques Didier, Olivier Hambursin, Philippe Moreau, Michel Seron, Cahiers du CENTAL, vol. 1 : "Le français m'a tuer": actes du colloque L'orthographe française à l'épreuve du supérieur : Institut libre Marie Haps, Bruxelles, 27 mai 2005, Presses univ. de Louvain, 2006, 113 p. (ISBN 2874630209), p. 46 

Voir aussi

Lien externe

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