Province (littérature)

Province (littérature)
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Le vocable « Province, provincial » est fortement connoté en France, où son utilisation est particulièrement fréquente à Paris et relève dans une large mesure du parisianisme. Ce sens est également utilisé à Lima et à Bucharest. Le problème ne se pose pas en ces termes en Belgique ou au Canada, en revanche l’Italie connaît une semblable discrimination[1]. Étymologiquement, la province est le pays vaincu (pro vincere) par les empereurs romains, puis sous l’ancien régime les provinces sont des circonscriptions militaires et fiscales.

La réinvention moderne au XIXe siècle de la province est motivée par des motifs politiques, la France est encore morcelée et divisée, il faut fortifier le sentiment patriotique. Dès lors, le pouvoir travaille à affermir un État centralisateur qui réunit l’ensemble du système administratif dans la capitale, qui aplanit les différences culturelles quand il ne les nie pas (interdiction d’enseigner les langues régionales, par exemple) et qui réécrit l’histoire sous l’impulsion de Michelet en s’efforçant de trouver une continuité historique, parfois artificielle, des ancêtres gaulois jusqu’à la naissance de la fragile république[2].

Dans cette case finale d'une bande dessinée de Caran d'Ache publiée au début du XXe siècle le provincial est caricaturé comme étant gauche et peu intelligent.

Si le concept de province est né et se justifiait dans ce contexte politique incertain, aujourd’hui il a perdu toute pertinence sémantique sauf à qualifier de manière péjorative celui qui n’est pas parisien. Si on lui ôte ce caractère perlocutoire, le vocable est très pauvre en sens. La province est une négation des différences culturelles et même une aberration géographique. En effet, des expressions couramment employées comme « le charme de la province » ou « la sagesse provinciale » nous renseignent peu et, surtout, insinuent que l’art de vivre, l’aspect esthétique ou encore la culture de Bayonne sont en tout point identiques à ceux de Strasbourg.

Une information routière qui nous informe de « ralentissements importants dans le sens Paris-Province et Province-Province » est aussi pauvre en renseignements géographiques puisque le sens Paris-Province peut aussi bien signifier l’est, l’ouest, le nord ou le sud de Paris ; quant à l’expression «  Province-Province » c’est une invention absurde dont on aurait le plus grand mal à donner une définition. De manière plus générale, l’expression « en province » est inutilement redondante sauf à indiquer « l’état intentionnel » de celui qui l’utilise (Searle, Austin).

Par exemple, cette préface du Sopha de Crébillon (Crébillon fils, Le Sopha, Paris, Crémille, 1970) : « [ce roman] valut à Crébillon, fils d'un poète tragique [...], d'être exilé plusieurs années en province. » On s'interroge sur un exil qui offre la France entière, voire le monde entier, sauf Paris. Parfois l'utilisation du terme "province" tend vers l'oxymore.

L’utilisation du vocable province, provincial renseigne dans une certaine mesure sur les intentions du locuteur, mais dans une certaine mesure seulement. En effet, les termes sont d’un emploi si fréquent qu’il y a phénomène de banalisation sémantique. Leur connotation egocentrée et péjorative s’estompe par l’habitude et la fréquence, à l’instar du vocable « nègre, négroïde » qui a traversé le XIXe siècle sans inquiéter. Ceux qui employaient ce vocable pour qualifier certaines populations africaines n’avaient pas nécessairement conscience de sa connotation condescendante, humiliante et discriminatoire. Nous sommes dans un cas de figure semblable aujourd’hui avec la province et le provincial.

La Province fantasmée dans la littérature

La palette de fantasme que génère la France rebaptisée en province dans la littérature est variée mais on peut néanmoins tenter une typologie.

  • Le présupposé complexe d’infériorité du provincial qu’on ne peut plus clair que chez Honoré de Balzac : « La France au dix-neuvième siècle est partagée en deux grandes zones : Paris et la province, la province jalouse de Paris » in La Muse du Département, page 652, qui continue ainsi:

« Quelque grande, quelque belle, quelque forte que soit à son début une jeune fille née dans un département quelconque, si, comme Dinah Piédefer, elle se marie en province et si elle y reste, elle devient bientôt femme de province. Malgré ses projets arrêtés, les lieux communs, la médiocrité des idées, l'insouciance de la toilette, l'horticulture des vulgarités envahissent l'être sublime caché dans cette âme neuve, et tout est dit, la belle plante dépérit. Comment en serait-il autrement ? Dès leur bas âge, les jeunes filles de province ne voient que des gens de province autour d'elles, elles n'inventent pas mieux, elles n'ont à choisir qu'entre des médiocrités, les pères de province ne marient leurs filles qu'à des garçons de province ; personne n'a l'idée de croiser les races, l'esprit s'abâtardit nécessairement ; aussi, dans beaucoup de villes, l'intelligence est-elle devenue aussi rare que le sang y est laid. L'homme s'y rabougrit sous les deux espèces, car la sinistre idée des convenances de fortune y domine toutes les conventions matrimoniales. Les gens de talent les artistes, les hommes supérieurs, tout coq à plumes éclatantes s'envole à Paris. Inférieure comme femme, une femme de province est encore inférieure par son mari. »

  • La niaiserie de l’autre, celui qui n’est pas parisien et que nous venons de rencontrer chez Balzac. « Provincial : qui est gauche, dépourvu de distinction, maniéré. », nous dit le Larousse du XXe siècle. Citons aussi : « C’est un nigaud qui est frais émoulu de la province » (Dancourt), donné en exemple par Le Petit Robert, « Ce n’était plus cette fille simple dont une éducation provinciale avait rétréci les idées » (Voltaire), « On verra clairement que vous avez pleuré à la tragédie, ce qui est un peu provincial » (Genlis).
  • L’abâtardissement, largement entrevu avec Balzac, citons aussi « Elle avait de beaux yeux pour des yeux de province » (Gresset) et « Est-il rien de si pitoyable au monde que les fonctions de journaliste de province, condamné à ne jamais écrire que des vulgarités pour se mettre au niveau de son public. » (Auguste Nefftzer).
  • Le mortel ennui : « Paris est une solitude peuplée ; une ville de province est un désert sans solitude. » (François Mauriac), « En province, la pluie devient une distraction.» (Edmond et Jules de Goncourt), « L'homme est fait pour la femme. La femme est faite pour l'homme... surtout en province, où il n'y a pas de distraction. » (Feydeau) ou encore « Il y a quelque chose de terrible dans ces existences de province où rien ne paraît changer quelles que soient les profondes modifications de l'âme. » (Julien Green).

Notes et références

  1. Claudio Sabelli Fioretti, C'era una volta la provincia. Storia, tendenze, immagini e cultura di un ex piccolo mondo, Milan, Sperling et Kupfer, 1991
  2. Bernard Poche, Les Mésaventures de « laprovince » à travers l’histoire, CNRS-CERAT, Grenoble.

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Contenu soumis à la licence CC-BY-SA. Source : Article Province (littérature) de Wikipédia en français (auteurs)

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