- Pierre Jourde
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Pierre Jourde est un écrivain et critique français né à Créteil le 9 décembre 1955[1]. Il enseigne la littérature à Valence (université Grenoble III).
Connu pour ses pamphlets (La littérature sans estomac, le Jourde et Naulleau) contre ce que les médias, et notamment les pages littéraires du journal Le Monde, présentent comme la littérature contemporaine, il est surtout l'auteur d'essais sur la littérature moderne (Géographies imaginaires, Littérature monstre) et d'une abondante œuvre littéraire exigeante se partageant entre poésie (Haïkus tout foutus), récits (Dans mon chien, Le Tibet sans peine) et romans (Festins secrets, L'heure et l'ombre, Paradis noirs). Il tient depuis janvier 2009 le blog Confitures de culture sur le site littéraire du Nouvel Observateur où il publie régulièrement ses prises de position sur des sujets de société.
Sommaire
Géographies imaginaires et Visages du double
Ces deux ouvrages critiques, parus au début des années 1990, annoncent les thèmes et enjeux qui seront abordés plus tard par Jourde dans ses romans et sont à considérer comme des textes fondateurs d'une esthétique qui sera mise en œuvre dans ses fictions. Dans Géographies imaginaires, de quelques inventeurs de mondes au XXe siècle, Pierre Jourde analyse les mondes imaginés par quatre écrivains du XXe siècle : La Bibliothèque de Babel de Jorge Luis Borgès, Le Seigneur des anneaux de J. R. R. Tolkien, Ailleurs d'Henri Michaux, le Rivage des Syrtes de Julien Gracq. S'appuyant dans un premier temps sur une métapoétique proche de celle de Gaston Bachelard pour rendre compte des espaces imaginés, Jourde analyse ensuite les fonctions des différents éléments géographiques, historiques et linguistiques dans la configuration générale des espaces imaginaires pour finalement voir dans ces œuvres une interrogation sur « le pouvoir créateur et la quête du centre dérobé autour duquel gravite l'écriture moderne »[2], récits qui intègreraient donc une réflexion métacritique et seraient caractéristiques d'une littérature moderne qui « livre à nos investigations le territoire des questions, seul domaine où nous nous reconnaissons »[3]. Cette conception ne sera pas sans influence sur l'œuvre future de Pierre Jourde dont la réflexivité et la mise en abime débouchent sur un fantastique qui remet en cause la figure du narrateur et l'ensemble du récit.
Le double, autre figure de la réflexivité et du spéculaire, étudié tout d'abord théoriquement dans Visages du Double, se retrouvera dans l'ensemble de l'œuvre de Jourde : que ce soit dans Festins secrets, dans L'heure et l'ombre ou Paradis noirs, les narrateurs se retrouvent confrontés à un double négatif, qu'il soit vieillissant comme dans Festins secrets ou fascisant dans Paradis noirs. Cette figure du double semble être le produit de l'imagination schizophrénique du narrateur.
Polémique suite à la parution de Pays perdu
Pays perdu retrace la vie des habitants d'un village du Cantal décrite comme très rude et marquée par l'alcoolisme, la solitude, le suicide... Ce roman est inspiré du village de Lussaud dont est originaire la famille Jourde et a suscité une vive émotion parmi ses habitants, d'autant que plusieurs se sont reconnus ou ont reconnu des proches décédés dans les personnages du roman. Lorsqu'il y est revenu, Pierre Jourde et ses enfants ont alors été agressés physiquement et chassés du village à coups de pierres. Les agresseurs ont été condamnés le 5 juillet 2007 par le tribunal d'Aurillac à des amendes et de la prison avec sursis[4].
Festins secrets
Dans ce roman, Jourde aborde la déliquescence du système scolaire français à travers le récit d'un jeune enseignant de français progressiste, Gilles Saurat, nommé pour son premier poste dans un sombre et violent collège de province et qui perdra progressivement ses illusions face à des élèves qui ne s'avèrent être que de petites crapules ignorantes. Ce roman à la fois réaliste, avec une dénonciation du tout pédagogique qui a sévi dans les collèges et lycées français ces dernières années et de la complaisance des enseignants face à une violence injustifiable, est aussi une virulente charge contre les hypocrisies de la bourgeoisie provinciale ainsi que la violence de la société française contemporaine qui n'hésite pas à sacrifier ses enfants. Ce récit fortement ancré dans le réel s'accompagne de scènes fantastiques pour finalement s'avérer être le produit de l'imagination délirante d'un narrateur ayant sombré dans la folie et le meurtre. Jourde aborde dans ce livre certains thèmes que l'on retrouvera par la suite :
- la tentation de l'extrémisme politique à travers le discours d'un collègue enseignant, Zablanski, au « cynisme désespéré »[5], et qui n'est pas sans rappeler le personnage de François dans Paradis noirs.
- le sado-masochisme, vu comme une forme ultime et dérisoire des sexualités postmodernes, avec les relations qu'entretiennent Gilles Saurat et Mme Van Reeth, veuve adepte du dolorisme, qui lui loue une chambre et lui fait rencontrer « une bourgeoisie locale adonnée au ragot, à l'extrémisme politique et aux sciences occultes »[6]. Ces relations de maître/esclave se retrouveront dans une perspective becketienne et comique dans la relation entre Bada et Bolo, les personnages principaux de la Cantatrice avariée et dans une perspective réaliste et sombre dans Paradis noirs avec la mise en scène des relations entre de jeunes adolescents et leur souffre douleur.
Ce récit à la stratégie narrative complexe avec tutoiement au lecteur, remise en cause du pacte auteur/lecteur par un narrateur peu fiable, réalisme qui sombre dans le fantastique fut remarqué à sa sortie et obtint de nombreux prix.
L'heure et l'ombre
Roman d'amour sur une très longue durée, multipliant les relais métadiégétiques, passant d'un registre sentimental à un registre réaliste ou comique, L'heure et l'ombre est le récit d'une quête amoureuse par un narrateur hanté par un amour d'enfance vécu dans une petite ville balnéaire. A la manière de Sylvie de Nerval ce récit mêle fantasmes et réalité mais possède aussi une perspective critique avec des passages d'un comique irrésistible sur l'enfant roi, des analyses sans concession sur les chanteurs de rap ou encore sur le sort réservé aux personnes âgées. Dans cet ouvrage apparaît pour la première fois le personnage de l'aïeule, ultime représentante enchantée d'une France rurale désormais disparue et que l'on retrouvera dans Paradis noirs. Un procédé consistant à couvrir la durée d'une vie dans un roman et par une ellipse à donner à voir le narrateur dans sa vieillesse se retrouve à la fois dans l'Heure et l'ombre et dans Paradis noirs.
La cantatrice avariée
Roman absurde, mettant en scène deux ex petits voyoux, Bada et Bolo, qui assurent le service d'ordre d'une secte en voie de disparition qui s'est installée dans un château gothique. Dans ce roman se retrouve une scène récurrente des œuvres de Jourde, le sacrifice d'une jeune fille[7] (cf Festins secrets, L'heure et l'ombre), qui, martyre des sociétés contemporaines, atteint au statut de sainteté par le calvaire enduré. Le château, fait de tunnels, de passages secrets et de sombres cachots, lieu emblématique des romans gothiques et décadents (étudiés notamment dans Littérature monstre) se retrouvera aussi dans Paradis noirs, à travers la description du collège religieux.
Paradis noirs
Présenté comme un récit d'enfance, Paradis noirs raconte un souvenir traumatique d'enfance mais ne se limite pas à cette thématique.
Positionnement politique
Qualifié de réactionnaire par ses opposants, Pierre Jourde n'hésite pas à aller à l'encontre de la doxa commune et mène, à la manière d'un Philippe Muray, un combat contre « L'empire du bien ». Dans Carnets d'un voyageur zoulou dans les banlieues en feu, il s'attaque à la novlangue des journalistes et la représentation médiatique des banlieues françaises et de ses jeunes, considérées comme une entreprise de déréalisation qui ne fait que refuser d'aborder les causes réelles des problèmes. La parution sur son blog et sur le site de la revue Causeur, d'un article sur l'antisémitisme dans les banlieues françaises, Il ne faut pas désespérer Montfermeil[8] dans lequel il s'attaquait à cette attitude qui consiste à faire d'Israël, la commode figure du Croquemitaine responsable de toute la misère du monde a entrainé une virulente polémique.
Tout en explorant les côtés sombre de l'humain, la tentation du mal et la dualité de l'humain, la pensée de Jourde est avant tout une philosophie pragmatique et humaniste profondément attachée à la liberté de pensée, à la défense des plus faibles face à la violence sauvage, à l'opposition aux obscurantismes de toutes sortes et au populisme anti-intellectuel, au règne des médias et aux hypocrisies de la société française. Pierre Jourde s'est aussi profondément impliqué dans la défense de l'Université française et lors du mouvement de grève de 2009, a multiplié articles et interventions pour défendre les enseignants chercheurs[9]. Enfin, il est partisan d'une liberté d'expression totale et de l'abrogation de toutes les lois l'ayant limitée en France, comme l'indique sa signature de la pétition lancée par le site Enquête & Débat[10].
Œuvres
Essais & Critiques
- Géographies imaginaires, 1991
- Huysmans : à rebours, 1991
- L'alcool du silence : sur la décadence, 1994
- Visages du double, avec Paolo Tortonese, 1996
- L'Opérette métaphysique d'Alexandre Vialatte, 1996
- Empailler le toréador : l'incongru dans la littérature française, 1999
- La littérature sans estomac, 2002, Prix de la critique de l'Académie française 2002[11]
- Petit déjeuner chez Tyrannie, avec Éric Naulleau, 2003
- Le Jourde & Naulleau, avec Éric Naulleau, Mots et Cie, Paris, 2004
- La voix de Valère Novarina (dir), actes du colloque de Valence, l'Écarlate/l'Harmattan, 2004
- Littérature et authenticité, 2005
- Portrait des mouches, 2005
- Carnets d'un voyageur zoulou dans les banlieues en feu, 2007
- La littérature monstre : essai sur la littérature moderne, 2008
- 40 ans de rentrée littéraire, avec Ulf Andersen, 2010
- C'est la culture qu'on assassine, Balland, 2011
Récits & Romans
- Carnage de clowns, 1999
- Dans mon chien, 2002
- Pays perdu, 2003, Prix Générations du roman 2003
- Festins secrets, 2005, Grand Prix Thyde Monnier de la SGDL, Prix Renaudot des lycéens, Prix Valéry Larbaud
- L'œuvre du propriétaire, 2006
- L'heure et l'ombre, 2006
- La cantatrice avariée, 2008
- Le Tibet sans peine, 2008
- Paradis noirs, 2009
- La présence, 2011
Notes
- Notice d'autorité personne sur le site du catalogue général de la BnF
- Pierre Jourde, Géographies imaginaires, José Corti, 1991, quatrième de couverture
- op cit, p 325
- Chroniques judiciaires du Monde.
- Pierre Jourde, Festins secrets, l'esprit des Péninsules, 2005, p 169
- op cit, 4ème de couverture
- Pierre Jourde, la Cantatrice avariée, l'esprit des péninsules, 2008, p 63-64
- Il ne faut pas désespérer Montfermeil
- Université: les fainéants et les mauvais chercheurs, au travail! (archive Wikiwix)
- Enquête & Débat, Pierre Jourde : "L'essentiel de de la censure, c'est celle qu'on ne voit pas", 22 mars 2011
- Discours sur les prix littéraires prononcé par Jean-Marie Rouart sur le site de l'Académie française. Consulté le 28 novembre 2010
Liens externes
- Le blog de Pierre Jourde, Confitures de culture
- Enquête & Débat, Pierre Jourde : "L'essentiel de de la censure, c'est celle qu'on ne voit pas", 22 mars 2011
- « Il y a en France une bonne vieille tradition de la terreur intellectuelle. »
- Interview à propos de La Littérature sans estomac
- Commentaire sur Pays perdu
- Ubu à Saint-Germain-des-prés: Le roi Sollers, rondiné par Pierre Jourde dans TsimTsoûm
- Site consacré à Pierre Jourde
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