- Philosophie de la laïcité
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La laïcité, c'est-à-dire la sécularisation des institutions politiques, renvoie à l'idée que des hommes capables d'esprit critique sauront mieux vivre ensemble, débattre, discerner l'intérêt général par-delà leurs croyances et leurs opinions différentes, voire contradictoires.
Sommaire
1. L'idéal laïque et la séparation de l'Église et de l'État
La Laïcité n'a pas pour objet de soumettre le citoyen, à une norme identitaire nationale, ni d'extirper tout particularisme. Il ne s'agit pas tant de délivrer la pensée humaine de la religion que de permettre à chacun de croire, ou de ne pas croire, sans obligation.
La loi de 1905 (article 1) :la République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des Cultes sous les seules restrictions édictées dans l'intérêt de l'ordre public.
Au prétexte d'émanciper les citoyens de la superstition, soulignait Ferdinand Buisson, on peut en venir à violer les consciences en cherchant à imposer un dogme athée. L'objet de la laïcité est donc plutôt de rendre possible une distanciation à l'égard de l'identité confessionnelle, à l'égard des croyances, et de libérer ainsi une place pour l'autonomie du jugement et pour la construction du Bien commun. C'est-à-dire de la République. C'est donc aussi, penser la Nation comme une entité politique, et non plus confessionnelle ou ethnique. (Voir sur ce point Henri Pena-Ruiz) L'on instaure ainsi un lien politique compatible avec la liberté de l'individu, par opposition au lien plus resserré et plus contraignant de la communauté.
Selon les catégories du sociologue allemand Ferdinand Tönnies, la laïcité fait de la Nation non plus une Gemeinschaft, c'est-à-dire une communauté privilégiant la prépondérance du tout, mais bien une Gesellschaft, une société reposant sur l'association des individus. Cela signifie que la laïcité n'est pas antireligieuse, et n'est pas non plus une forme d'athéisme d'État. Elle obéit à une logique politique et juridique irréductible à celle de la croyance, ou de l'incroyance. La laïcité repose ainsi sur la séparation des Églises et de l'État. Chacun est libre de ses croyances, et celles-ci sont égales entre elles. L'État ne reconnaît aucune d'entre elles comme officielle, obligatoire ou privilégiée. Enfin, cette liberté de croire et de pratiquer est tout autant la liberté de ne pas croire, et de ne pas pratiquer.
La notion de neutralité religieuse en France
La personne privée étant également un citoyen, doit se soucier des affaires publiques, et accepter de vivre avec ceux qui ne croient pas comme lui ou n'ont aucune croyance religieuse. La loi républicaine ne repose donc pas sur la volonté divine et le principe d'hétéronomie, mais bien sur celui de l'autonomie du jugement, chacun se devant de discerner l'intérêt général. Pour cette raison, il est nécessaire d'éclairer le citoyen, et non de l'endoctriner.
Si elle n'est pas antireligieuse, la laïcité suppose néanmoins une sécularisation de la vie juridique et politique. Il s'agit d'une sécularisation qui est en grande partie organisée par la Loi et le pouvoir politique, et ne traduit pas seulement une évolution spontanée des mentalités : lors de la Révolution, la citoyenneté a été octroyée, non aux communautés, mais aux personnes. Le Droit a alors perdu tout fondement confessionnel.
Henri Pena-Ruiz explique ainsi le partage laïque entre l'opinion privée et ce qui appartient à la sphère publique, c’est-à-dire, à ce qui appartient à tous les citoyens : "laïque est la communauté politique en laquelle tous peuvent se reconnaître, l'option spirituelle demeurant affaire privée. Cette affaire privée peut prendre deux dimensions : l'une strictement personnelle et individuelle, l'autre collective - mais dans ce cas le groupe librement formé ne peut prétendre parler au nom de la communauté totale ni coloniser la sphère publique. Il est de l'ordre de l'association particulière et non de la société commune."
Toutefois les manifestations extérieures du culte (processions, cloches, calvaires etc) sont protégées par la loi dès lors qu'elles sont légalement établies. Cette situation favorable à l'expression publique du christianisme en France est combattue pour l'islam ce qui apparait contraire au principe d'égalité, constitutif de l'idéal républicain.
La séparation laïque sur le plan scolaire
L'école areligieuse
En France, l'école publique n'a pas le droit de transmettre des croyances, qui sont d'ordre privé et spirituel; si elle agissait autrement, elle lèserait la liberté de conscience.
Par la loi de 1905 il s'agissait aussi de libérer la croyance de la tutelle des Églises organisées (ce qui n'était pas pour déplaire à certains protestants qui obtinrent temporairement de conserver l'enseignement des devoirs envers Dieu).
Actuellement l'État en France ne donne donc ni satisfecit ni veto en matière de croyance, il veille simplement à ce que les religions constituées ne mettent pas en péril cette liberté de croire et à ce qu'elles n'empiètent pas sur le domaine public.
Les Églises ne conservent qu'une autorité spirituelle et morale, que le croyant leur reconnaît, ou non, librement. Que la religion n'appartienne plus au domaine public, à la chose commune, ne signifie pas qu'elle n'a pas de droit de cité dans l'espace public, ou qu'elle soit amputée de sa dimension sociale. Les processions n'ont pas été interdites en 1905 (contrairement au projet d'Emile Combes). Mais aucun culte n'a de valeur officielle, aucun culte n'est reconnu, ou proscrit, par l'État. En conséquence de quoi, la République ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte. (article 2 de la loi de 1905)
L'école, un lieu de préparation pour la pratique de la politique
Dans la conception française contemporaine, l'école est un lieu particulier, puisque c'est celui où se forme le citoyen. L'école n'est donc pas apolitique. La morale repose désormais sur le principe de l'autonomie rationnelle.
Ferdinand Buisson définissait la sécularisation comme le mouvement selon lequel des fonctions toujours plus nombreuses de la vie sociale échappent désormais au régime mental théologique, caractérisé par l'hétéronomie. De même que l'agnostique ne s'en prend pas à Dieu mais tente de concevoir une forme d'existence qui ne se définit plus par la religion et ses enjeux, l'école laïque veut enseigner qu'il est possible de se mettre d'accord, de parvenir à des vérités scientifiques, ou toutes autres choses, en mettant hors-jeu les options spirituelles. La science n'est pas une croyance, de même nature que la croyance religieuse, mais elle obéit à une logique par essence antidogmatique: celle de l'esprit critique. La dérive dogmatique de cette position existe, néanmoins, c'est ce qu'on appelle le scientisme.
Notes et références
Bibliographie
- Jean Baubérot, Laïcité 1905-2005, entre passion et raison, Seuil, 2004
- Pierre Bayle, De la tolérance: commentaire philosophique, Pocket, 1992
- G. Bruno (alias Mme Fouillée), Le Tour de la France par deux enfants, 1877, (réédition Belin, 1977)
- Ferdinand Buisson, article "Laïcité" in Dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire, 1880-1887
- Condorcet, Cinq Mémoires sur l'instruction publique, Flammarion, 1994
- Marcel Gauchet, La Religion dans la démocratie, Gallimard, 1998
- Catherine Kintzler, Qu'est-ce que la laïcité ?, Vrin, 2007
- Raphaël Liogier, Une laïcité légitime - La France et ses religions d'État, Entrelacs, 2006
- Michel Onfray, Traité d’athéologie, Paris, Grasset, 2005
- Henri Pena-Ruiz, La Laïcité, Flammarion, 1998
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