- Pavage de Penrose
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Les pavages de Penrose sont des pavages du plan découverts par le mathématicien et physicien britannique Roger Penrose dans les années 1970. Ce sont des pavages non périodiques caractérisables par des règles locales : s'ils ne sont historiquement pas les premiers à vérifier cette propriété, ils sont parmi les plus simples, et à ce titre largement étudiés (le premier tel pavage, construit par Robert Berger en 1966, comportait 20426 tuiles).
Les 17 pavages périodiques du plan étaient connus de longue date quand Roger Penrose s'est intéressé aux pavages non périodiques. Son intention n'était pas d'ouvrir un nouveau champ des mathématiques et de la physique mais seulement de créer un divertissement mathématique. En 1974, il publia un article présentant un pavage du plan à l'aide de pentagones, de losanges, de pentagrammes et de portions de pentagrammes[1].
Les pavages de Penrose présentent une symétrie d'ordre 5 (invariance par rotation d'angle 2π/5 radian, soit 72 degrés). Ils ne sont pas périodiques, c'est-à-dire qu'on ne peut les décrire comme un motif répété sur une grille régulière. Ils sont cependant quasi-périodiques, c'est-à-dire que tout motif apparaissant dans le pavage réapparaît régulièrement.
Les pavages de Penrose ne seraient restés qu'un joli divertissement mathématique si n'avaient été découverts, en 1984, des matériaux présentant une structure fortement ordonnée comme celle des cristaux mais non périodique : les quasi-cristaux. Les pavages non périodiques, en particulier ceux de Penrose, s'avérèrent alors un modèle plausible de ces étranges matériaux.
Il existe trois types de pavages de Penrose, chacun comportant une infinité de variantes :
- Le premier type, qu'on appelle P1, utilise comme pièces de base des pentagones, des losanges, des pentagrammes et des portions de pentagramme.
- Le second type, ou P2, a pour pièces de base deux quadrilatères, l'un convexe, l'autre concave, connus comme « cerfs-volants » et « fléchettes ».
- Le troisième type, P3, a pour pièces de base deux sortes de losanges, « fins » et « gros ».
On s'est aperçu que fléchettes, cerfs-volants et losanges peuvent tous être construits à partir d'une paire de triangles d'or. Les pièces de P2, « cerfs-volants » et « fléchettes », sont obtenues respectivement par le collage de deux triangles d'or aigus de côtés proportionnels à [1;φ;φ] et par le collage de deux triangles d'or obtus de côtés proportionnels à [1;1;φ]. Celles de P3, les losanges fins et gros, par le collage de deux triangles d'or aigus de côtés proportionnels à [1;φ;φ] et par le collage de deux triangles d'or obtus de côtés proportionnels à [φ;φ;φ²]. Cette série de simplifications permet de considérer les triangles d'or comme prototypes des autres pièces et de dire qu'un type « zéro » précède les autres.
Sommaire
Pavage de Penrose avec triangles d'or (pavage de type 0)
Il existe de nombreuses façons de définir un triangle d'or. L'une des plus simples est la suivante :
« Un triangle d'or est un triangle isocèle possédant la propriété suivante : pouvoir être découpé en 2 triangles isocèles inégaux et possédant à leur tour la propriété »On peut démontrer qu'il n'existe que deux types de triangles d'or, le type aigu (A) et le type obtus (O). ces deux types de triangles d'or pouvant s'obtenir en découpant un pentagone régulier de la façon suivante :
Chacun de ces types possède un angle de 36 ° (soit radians). les deux autres angles étant (comme le montre la figure ci-dessus), soit égaux à , soit multiples de (d'un facteur 2 ou 3).
L'angle est lié au nombre d'or φ par de nombreuses propriétés ; en effet :
- et
- Les côtés d'un triangle d'or aigu ont des longueurs proportionnelles à [1;φ;φ]
- Les côtés d'un triangle d'or obtus ont des longueurs proportionnelles à [1;1;φ]
La propriété peut être précisée de la façon suivante :
- Tout triangle d'or aigu (A) de dimensions [1; φ; φ] peut se décomposer (de 4 façons différentes, 2 à 2 symétriques) en 3 triangles : un triangle d'or obtus [1/φ; 1/φ; 1] et deux triangles d'or aigus [1/φ; 1 ;1], ces nouveaux triangles ayant donc, par rapport au triangle d'or générateur, une taille divisée par φ ;
- Tout triangle d'or obtus (O) de dimensions [1; 1; φ] peut se décomposer (de 2 façons différentes et symétriques) en deux triangles : un triangle d'or aigu [1/φ; 1; 1] et un triangle d'or obtus [1/φ; 1/φ; 1].
Ainsi précisée, la propriété peut être utilisée pour construire un pavage de Penrose de type 0. Voici comment :En découpant un premier triangle d'or (aigu ou obtus, peu importe) et en opérant un agrandissement d'un facteur φ, puis en recommençant l'opération précédente une infinité de fois, on constitue un pavage complet du plan à l'aide des deux types de triangles d'or. Si, à l'étape n, on appelle le nombre de triangles aigus et le nombre de triangle obtus, on observe les formules de récurrence :
- on + 1 = on + an
- an + 1 = on + 2an = on + 1 + an
En considérant la suite un définie par
- u2n = on
- u2n + 1 = an,
on s'aperçoit que cette suite vérifie la relation de récurrence de la suite de Fibonacci
- un + 2 = un + 1 + un,
suite dont on sait que le rapport de deux termes consécutifs tend vers le nombre d'or φ. Ainsi la valeur limite du rapport du nombre de triangles obtus et du nombre de triangles aigus est un nombre irrationnel, ce qui entraîne que le pavage obtenu de cette façon ne peut pas être périodique.
Pavage avec cerfs-volants et fléchettes (pavage de type 2)
Le pavage précédent a l'avantage de la simplicité mais sa construction n'est pas unique : en effet, chaque découpage d'un triangle peut s'effectuer d'au moins deux façons différentes (symétriques). En outre, ces découpages ne donnent pas une impression de régularité et conduisent donc à des pavages assez peu élégants.
Mais on peut concevoir un autre type de pavage.
En réunissant deux triangles d'or aigus ayant pour sommet commun le sommet dont la bissectrice est un axe de symétrie pour les deux autres sommets (sommets correspondants à un angle de 36°), on obtient un « pavé » en forme de cerf-volant. Si on fait la même construction avec deux triangles obtus (sommets correspondants à un angle de 108°), on obtient un « pavé » en forme de fléchette.
On peut alors paver le plan avec ces deux nouveaux « pavés ». En effet, si on prend bien soin de ne jamais accoler une flèchette et un cerf-volant en formant un parallélogramme, on peut construire ainsi un pavage non périodique. Il suffit pour cela de nommer les sommets comme indiqué sur la figure ci-dessus et de se fixer pour règle de n'accoler deux sommets que s'ils portent le même nom. Il existe une infinité de pavages du plan de ce type.
Mais on peut également, comme pour le pavage à l'aide des triangles d'or, définir un algorithme de « construction par découpage » consistant à chaque étape à découper chaque cerf-volant en deux cerfs-volants et deux demi fléchettes et une fléchette en un cerf-volant et deux demi-fléchettes, et en agrandissant d'un facteur φ le résultat obtenu (remarquer que les sommets changent de nom à chaque étape, A devenant B et B devenant A).
La cohérence du procédé est assurée par le fait que les demi-fléchettes ainsi générées s'associent toujours avec leur voisine pour reconstituer une fléchette complète (ce qui assure la disparition des lignes en pointillé visibles sur la figure précédente).
La figure obtenue au bout de plusieurs itérations laisse déceler une quasi-symétrie d'ordre 5. Il est facile de prouver que, comme pour les triangles d'or, la proportion entre le nombre de cerfs-volants et celui de fléchettes tend vers le nombre d'or φ, ce qui assure que le pavage ainsi construit n'est pas périodique.A la différence du premier type de pavage, ici la construction par découpage génère un seul type de pavage de type 2 puisque le découpage des cerfs-volants et des fléchettes ne peut être réalisé que d'une seule façon !
Un exemple : trois générations de 4 figures
Voici des exemples de générations successives en partant d'une forme de base. Dans les figures « Soleil » et « Étoile », on retrouve la figure de départ réduite à la deuxième génération. Le « Soleil » apparaît même dans la génération 3.
Nom Generation 0 Generation 1 Generation 2 Generation 3 Cerf-volant (demi) Flèche (demie) Soleil Étoile Pavage avec des losanges (pavage de type 3)
Il est aussi possible de paver le plan à l'aide de deux figures géométriques simples comme les deux losanges suivants. À condition de les assembler en respectant la couleur et le sens des vecteurs. Ces contraintes d'assemblage assurent que le pavage obtenu ne sera pas périodique. Comme précédemment, il existe une infinité de pavages du plan non périodiques à l'aide de ces deux pièces.
Comme pour les autres types de pavage de Penrose, on peut définir aussi un algorithme de « construction par découpage » : il suffit de découper chaque gros losange en un gros losange, deux demi-losanges fins et deux demi-losange gros, et chaque losange fin en deux demi-losange fins et deux demi-losanges gros. La cohérence du procédé est assurée par le fait que les demi-losanges ainsi générés s'associent toujours avec leur voisin pour reconstituer un losange complet (ce qui assure la disparition des lignes en pointillé visibles sur la figure ci-contre).
La figure obtenue au bout de plusieurs itérations laisse déceler une quasi-symétrie d'ordre 5. Il est facile de prouver que, comme pour les triangles d'or, la proportion entre le nombre de gros losanges et celui de losanges fins tend vers le nombre d'or φ. Ce qui assure que le pavage ainsi construit n'est pas périodique.
Pavage dit « pentagonal » (pavage de type 1)
Le pavage construit autour de pentagones, P1, est en fait le premier découvert par Penrose, qui s'est inspiré d'abord des recherches de Johannes Kepler[2]. Il est bien connu qu' on ne peut couvrir le plan avec des pentagones, mais trois autres pièces suffisent pour combler les interstices, tout en imposant l'ordre apériodique. Ces pièces sont un losange fin, un pentagramme et un « bateau », qui représente à peu près les 3/5 d'un pentagramme. Pour la construction directe du pavage apériodique il faut aussi distinguer trois sortes de pentagones. Une solution bien plus simple consiste à esquisser des pentagones sur les losanges fins et gros qu'on arrange en pavage de type 3.
On peut retrouver directement le pavage par triangles d'or dans le pavage pentagonal, sans utiliser les losanges. Si l'on assigne aux pointes des pentagones successivement les nombres 1, 3, 5, 2, 4, tous les points qui définissent le pavage P3 seront numérotés. Cela peut être fait d'une manière consistante et non équivoque en tournant à gauche ou à droite selon les cas. Choisissant les points qui portent un même numéro, on obtient un pavage de type « zéro ». Le sous-ensemble des points numérotés avec 3 et 4 donne une autre variante de pavage de Penrose, obtenue avec deux pièces connues comme « papillon » et « navette »[3].Recouvrement avec des décagones
La mathématicienne allemande Petra Gummelt a prouvé en 1996 qu'un pavage de Penrose pouvait être obtenu en recouvrant le plan uniquement avec des décagones, à condition toutefois que deux types discrets d'empiètement soient permis[4]. Le décagone proposé est décoré avec cinq cerf volants et l'empiètement permis ne change pas la configuration de ces parties coloriées.
Il est possible de décomposer le décagone en fléchettes et cerfs volants, réduisant le tableau obtenu en un pavage de Penrose. Le pavage avec des losanges peut être retrouvé directement en gravant un gros losange dans le décagone; les parties laissées en creux seront celles que remplissent les losanges fins. Cette nouvelle facon de procéder a eu un impact considérable sur les conceptions à propos de la formation des quasicristaux.
Occurrences
On peut rapporter les occurrences du pavage de Penrose à trois grandes catégories :
- Mathématiques : en fait c'est le seul contexte adéquat pour la considération des pavages de Penrose. Étant des objets non finis, la plupart des assertions à leur sujet n'ont de validité qu'avec preuves à l'appui. L'existence d'un ensemble de « tuiles » apériodique a été démontrée dans les années 1960 et les cas particuliers réduits à deux pièces ont l'avantage d'être parmi les plus simples possibles. Alain Connes a fait des pavages de Penrose un exemple privilégié pour sa géométrie non commutative.
À un niveau plus élémentaire, on a trouvé de multiples et très étroites relations entre le nombre d'or, les suites de Fibonacci et les pavages de Penrose. - Physique : l'intérêt des physiciens n'est venu qu'après 1984, quand furent découverts les premiers quasicristaux. Assez vite il a été établi que deux types présentent une quasi-symétrie d'ordre 5 : ceux à structure icosaédrique et ceux à structure simplement décagonale. Dans les deux cas il existe des plans où la disposition des atomes donne un pavage de Penrose. Dans leurs travaux les physiciens ont recours à une méthode générale qui permet d'obtenir des pavages non-périodiques à partir de simples grilles dans des dimensions supérieures à 3.
- Art : la valeur esthétique des pavages de Penrose est immédiatement perceptible. On peut supposer que c'est là le même mécanisme psychique qui a amené le développement des entrelacs et autres ornements semblables. Le rapprochement avec les décorations à symétrie centrale d'ordre 5 ou 10 a été fait dès le début de la vogue quasicristalline[5]. À la mosquée de Darb-i Imam à Isfahan on observe des motifs qui ont permis d'affirmer que les artisans de l'Islam médiéval disposaient de tous les éléments pour construire un pavage de Penrose[6]. On trouve des motifs faits avec des pentagones et des losanges parmi les esquisses d'Albert Dürer et qui peuvent être mis en connexion avec le travail de Johannes Kepler. Le fragment de pavage qui figure dans Harmonices Mundi peut être prolongé de façon apériodique, ce qui produit un type équivalent à celui de Penrose (P1)[7]. Roger Penrose a homologué sa découverte comme « un jeu de tuiles pour couvrir des surfaces », en précisant que « l'arrangement qu'elles forment est nécessairement non-périodique, ce qui lui donne un attrait visuel considérable »[8] et a veillé sur l'utilisation commerciale. Des artistes contemporains (Clark Richert, Jos Leys) se sont inspirés de sa trouvaille géniale.
Bibliographie
- Penrose R., Bull. Inst. Maths. Appl. 10 (1974) 266
- Harmonices Mundi, 1619, [1] Kepler J.,
- Lück R., Penrose Sublattices, J. of Non Crystaline Solids 117-8 (90)832-5
- P. Gummelt, Geometriae Dedicata 62, 1 (1996)
- E. Makovicky (1992), 800-year-old pentagonal tiling from Maragha, Iran, and the new varieties of aperiodic tiling it inspired. In: I. Hargittai, editor: Fivefold Symmetry, pp.67-86. World Scientific, Singapore-London
- Lu J., and Steinhardt p., Decagonal and Quasi-crystalline Tilings in Medieval Islamic Architecture. Science 315 (2007) 1106-1110.
- Luck R., Dürer-Kepler-Penrose the devlopment of pentagonal tilings, Mat. Sci. Eng. 294-6 (2000) 263-7
- Penrose R., U.S. Patent 4,133,152 Set of tiles for covering a surface, issued January 9, 1979 (expired)
Sources
- L'aventure des pavages de Penrose Revue tangente et la recherche (avril-mai 2000)
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