Arlequinade

Arlequinade

Commedia dell'arte

Les Charlatans italiens de Karel Dujardin, dépeignant une représentation sur une scène de fortune en Campanie (Louvre, 1657)

La commedia dell’arte est un genre de théâtre populaire italien apparu avec les premières troupes de comédie avec masque, en 1528

Signifiant littéralement : « théâtre interprété par des gens de l’art » ; autrement dit : des comédiens professionnels, le terme est, de nos jours, utilisé dans de nombreuses langues, dont le français.

Sommaire

Histoire

La commedia dell’arte est née avec la première comédie en prose d’Angelo Beolco, dit le Ruzzante, où chaque personnage s’exprimait dans un dialecte différent[1],[2]. À partir de là, chaque localité voulut avoir son propre caractère. Les représentations eurent d’abord lieu sur des tréteaux. Le comique était principalement gestuel (pitreries). Dans la comédie improvisée, le discours est sans cesse renouvelé, les acteurs s’inspirant de la situation dramatique, des circonstances de temps et de lieu, faisaient de la pièce qu’ils représentaient une œuvre changeante, incessamment rajeunie. Quant aux types comiques, ce sont les mêmes que ceux de la comédie italienne : ses masques et ses bouffons s’y retrouvent. Il y a d’abord les quatre types principaux : Pantalon, le Docteur, le Capitan, et les zannis ou valets, avec leurs variétés de fourbes ou d’imbéciles, d’intrigants ou de poltrons; puis les amoureux, les Horace, les Isabelle; enfin les suivantes, comme Francisquine, ou Zerbinette.

Représentation

Les Charlatans (huile sur toile de Longhi, 1757, Ca' Rezzonico.

Chaque acteur adoptant et conservant un personnage en rapport avec ses aptitudes, s’incarnait dans son rôle et, pour enrichir son discours, se faisait un fonds de traits conformes à son caractère. « Les comédiens, dit Niccolò Barbieri, étudient beaucoup et se munissent la mémoire d’une grande provision de choses : sentences, concetti, déclarations d’amour, reproches, désespoirs et délires, afin de les avoir tout prêts à l’occasion, et leurs études sont en rapport avec les mœurs et les habitudes des personnages qu’ils représentent. » Ainsi, Andreini a fait imprimer les rodomontades qu’il débitait dans ses rôles de Capitan. Du reste, la parole va de pair avec l’action, et celle-ci se soutient par l’abondance des jeux de scène.

La plupart des acteurs étaient des gymnastes de premier ordre capables de donner un soufflet avec le pied, ou d’exécuter dans l’intérieur de la salle de spectacle des ascensions périlleuses. Beaucoup d’initiative leur était laissée et la verve de parole de l’acteur, ses lazzi, son talent mimique faisaient la plus grande partie du succès de la commedia dell’arte. Parfois les acteurs improvisateurs se servaient, comme d’un canevas, de telle pièce écrite. Ils le firent souvent pour l’Emilia de Luigi Groto, en brodant sur le plan du poète comique, un dialogue qui leur appartenait. D’autre part, telle commedia dell’arte, après être restée longtemps au répertoire en simple canevas, a été écrite soit par celui qui en avait disposé le scénario, soit par tout autre auteur dramatique.

Origines

Les Comédiens italiens (huile sur toile de Watteau, v. 1720.

On donne à la comédie all’improvisa une origine antérieure à celle de la comédie régulière, qui n’a commencé, en Italie, qu’au XVe siècle par des reppresentazioni. Au XVe siècle, elle devient un art savant et, dès ce moment, elle popularise, en les fortifiant, des types comiques à la diffusion desquels la Renaissance servira puissamment.

Dans le discours pour la réception du Prix Nobel de littérature qu’il prononça à Stockholm en 1997, Dario Fo, rend hommage à un dramaturge vénitien du XVIe siècle, Angelo Beolco, dit Ruzzante, « un extraordinaire homme de théâtre de ma terre, peu connu ... même en Italie. Mais qui est sans aucun doute le plus grand auteur de théâtre que l’Europe ait connu pendant la Renaissance avant l’arrivée de Shakespeare[3]. » Il insiste sur la qualité du théâtre de Ruzzante, qu’il considère comme « le vrai père de la commedia dell’arte, qui inventa un langage original, un langage de et pour le théâtre, basé sur une variété de langues : les dialectes de la Vallée du Pô, des expressions en latin, en espagnol, même en allemand, le tout mélangé avec des onomatopées de sa propre invention[3]. »

Avec l’attrait du genre, la réputation de quelques troupes passa les monts. Henri III fit venir en France, en 1576, pour se rendre favorables les États de Blois, celle des Gelosi (jaloux de plaire) dirigée par Flaminio Scala dit Flavio, auteur de nombreux scénarios, troupe qui comptait dans ses sociétaires Francesco Andreini et sa femme, la célèbre Isabelle.

Représentation de commedia dell’arte, fin du XVIe siècle.

Aux Gelosi succédèrent, vers 1614, les Comici Fedeli, qui se rendirent à Paris sur l’invitation de Marie de Médicis. Ils y revinrent en 1621 et en 1624. Puis un des leurs, Nicolo Barbieri dit Beltrame, forma une nouvelle troupe qui séjourna à Paris, et dont Molière enfant suivit les représentations.

Les troupes

Les compagnies théâtrales, surtout celles qui jouaient en province, n’avaient pas de plateau fixe et voyageaient de pays en pays en transportant leurs tréteaux, elles devaient savoir attirer le public et le convaincre d’assister aux représentations. Les canevas, par conséquent, permettaient à une compagnie théâtrale experte de mettre en scène des situations de l’actualité locale en quelques heures.

Les quelques textes écrits étaient en vers et ne passèrent à la prose qu’avec Goldoni. Les comédies se basaient sur des personnages bien reconnaissables et des caractères stéréotypés, avec une gestuelle emphatique, dialogues improvisés, interludes musicaux et bouffonneries, pour satisfaire un vaste public de différentes conditions sociales et culturelles. Tous les acteurs, à l’exception du couple d’amoureux et des servantes, portaient le masque. Avec les mêmes masques très typés, chaque compagnie construisait des centaines de situations différentes.

Contrairement aux compagnies de théâtre classique, celles de commedia dell’arte employaient des actrices professionnelles au lieu de faire interpréter les rôles féminins par des hommes. Les troupes de commedia dell’arte étaient généralement composées de trois femmes et sept hommes, les plus riches avaient un poète maison.

Évolution

L’Amour au théâtre italien (huile sur toile de Watteau, v. 1721.

La popularité de la commedia dell’arte, en Italie comme à l’étranger, fut extraordinaire. Au XVIIe siècle où la commedia dell’arte était plus brillante que jamais en Italie, les gouvernements d’Espagne et de France cherchèrent à censurer et à réglementer cette forme théâtrale. En France le Recueil de Gherardi constitue le témoignage le plus intéressant sur ce que fut ce théâtre. Gherardi était l’Arlequin de la troupe autorisée et privilégiée par Louis XIV. Quelques grands acteurs, tels que Fiorelli dit Scaramouche et l’Arlequin Dominique, la soutenaient par leur talent. En Angleterre, l’influence de la commedia dell’arte forgea les caractères des marionnettes de Punch, mélange d’Arlequin autoritaire et de Polichinelle, et sa femme Judy.

La commedia dell’arte inspira les plus grands dramaturges français, que ce soit Molière, qui partagea une salle pendant un temps avec les « Comédiens Italiens du Roi » de la Comédie-Italienne parmi lesquels figurait le fameux Scaramouche (Tiberio Fiorelli), ou Marivaux. Marivaux écrivit pendant vingt ans pour les Italiens (de 1720 à 1740) et écrira pour eux les deux tiers de ses pièces. Il aura pour muse Silvia Baletti.

Plus tard, la comédie italienne reprit à la France, en le perfectionnant, ce que celle-ci lui avait emprunté, et les pièces de Molière passèrent pour la plupart, réduites à leur canevas, dans le répertoire mobile de la commedia dell’arte.

Au XVIIIe siècle, en Italie, Carlo Goldoni donne un nouveau souffle à la commedia dell’arte. Goldoni oblige ses acteurs à se référer au texte écrit, à renoncer aux pitreries faciles, éliminant peu à peu les masques, en conférant aux personnages une individualité toujours plus marquée. Il a transformé la commedia dell’arte en comédie de caractère, cependant que Carlo Gozzi reste dans la tradition ayant recours à des arguments aux accents pathétiques et satiriques, se référant à des personnalités et coutumes contemporaines.

Le XIXe siècle oublie, à l’exception de Maurice Sand, fils de George, quelque peu cet art ancestral. En France, cependant, la famille Deburau reprend les personnages de Pierrot et Colombine et les fait entrer par le mime dans le répertoire théâtral français.

Au XXe siècle, lorsque Dario Fo rencontra Franca Rame, fille d’une famille de comédiens itinérants qui possédaient encore les canevas ancestraux, il adapta au monde moderne ces témoignages d’une ancienne culture maintenant éteinte, notamment avec la pièce Mystère Bouffe (1969).

À Paris, Carlo Boso avec la compagnie « Mystère Bouffe », Luis Jaime-Cortez avec sa compagnie « Théâtre du Hibou », Attilio Maggiulli dans son théâtre « la Comédie italienne », évoluent dans la tradition de la commedia dell’arte.

Markus Kupferblum, un metteur en scène autrichien, introduit les règles de jeu et la hiérarchie des caractères de la commedia aux histoires contemporaines, soit au théâtre, soit à l’opéra.

Personnages

Certains personnages de la commedia dell’arte sont restés extrêmement célèbres et sont passés dans d’autres cultures théâtrales. Polichinelle est à l’origine du Punch anglais, le Capitan se retrouve dans le Tengu japonais, Pedrolino est le frère jumeau du Pierrot français, on trouve également Arlequin dans l'Île des esclaves de Marivaux

Bibliographie

  • Jean-Augustin-Julien Desboulmiers, Histoire du théâtre italien, 1769, 7 vol. in-12
  • Jean-François Cailhava de L'Estandoux, Traité de la comédie, Paris, 1786, réimp. Genève, Slatkine Reprints, 1970
  • Louis Moland, Molière et la comédie italienne, Paris, Paris, Didier, 1867
  • Gustave Attinger, L’Esprit de la commedia dell'arte dans le théâtre français, Paris, Librairie théâtrale, 1950
  • Claude Bourqui, Gabriel Conesa, La Commedia dell'arte : introduction au théâtre professionnel italien entre le XVIe et le XVIIIe siècle, Paris, SEDES, 1999 (ISBN 9782718192956)
  • Michèle Clavilier, Danielle Duchefdelaville, Commedia dell’arte : le jeu masqué, Grenoble, Presses universitaires de Grenoble, 1994 (ISBN 9782706105524)
  • Pierre-Louis Duchartre, La Comédie italienne ; l'improvisation, les canevas, vies, caractères, portraits, masques des illustres personnages de la commedia dell’arte Paris, Librairie de France, 1924
  • Bernard Jolibert, La Commedia dell’arte et son influence en France du XVIe au XVIIIe siècle, Paris, L’Harmattan, 1999 (ISBN 9782738487070)
  • Norbert Jonard, La Commedia dell’arte, Lyon, L’Hermès, 1982 (ISBN 9782859341015)
  • Charles Mazouer, Pierre-François Biancolelli, Le Théâtre d’Arlequin : comédies et comédiens italiens en France au XVIIe siècle, Paris : Presses de l’Université de Paris-Sorbonne, 2002 (ISBN 9782840502463)
  • Louis Riccoboni, Histoire de l’ancien théâtre italien, publiée par les frères Parfaict, 1753, réimp. New York, AMS Press, 1978
  • Maurice Sand, Masques et bouffons (comédie italienne), Paris, Michel Lévy frères, 1860, Texte en ligne
  • Donato Sartori, Martine Guglielmi, Bruno Lanata, L’Art du masque dans la commedia dell'arte, Malakoff, Solin, 1987 (ISBN 9782853760560)

Voir aussi

Notes et références

  1. Maurice Sand, Masques et bouffons (comédie italienne), Paris, Michel Lévy frères, 1860, p. 35-6.
  2. Pierre-Louis Duchartre, La Comédie italienne, Paris, Librarie de France, 1924, p. 3.
  3. a  et b Texte complet (en anglais) du discours de Dario Fo sur le site de la Fondation Nobel

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