Archéologie du bâti

Archéologie du bâti

L’archéologie du bâti est une discipline de l'archéologie qui étudie les élévations de toute construction bâtie, qu'elles soient religieuses (églises, abbayes), militaires (châteaux) ou laïques (maisons). D'où son autre appellation : archéologie des élévations. Celles-ci peuvent être en matériaux "durs" (pierres), ou, bien que ce soit plus rare, en matériaux périssables (bois, torchis).

Sommaire

Deux principes de base

On réduit souvent le travail de l'archéologue à une fouille du sous-sol. C'est oublier que la recherche archéologique porte depuis ses origines sur l'étude des parties aériennes. L'archéologie du bâti consiste à :

  • « lire les murs » (R. Krautheimer) afin de « retrouver les phases de construction, les traces de reprises et de transformation »[1]. L'archéologie du bâti considère qu'un bâtiment évolue et qu'il est modifié par les individus qui l'habitent. Elle a pour but de restituer l'histoire et la chronologie relative de celui-ci en étudiant les modifications apportées à sa structure (percements, bouchage d'ouvertures, rehaussement des sols…).
  • comprendre l'activité de bâtir. Comment s'organisait le chantier ? Comment travaillaient les bâtisseurs ? Quelles étaient leurs techniques ?

Techniques

De la même manière que pour l'archéologie traditionnelle, chaque modification, chaque élément (sol, enduit, papier peint, enduit, mur, porte) d'une construction est considéré comme une unité stratigraphique. Sauf que cette stratigraphie est verticale au lieu d'être horizontale.

L'archéologue du bâti procède - si les conditions de travail le permettent (surtout dans le cadre de l'archéologie préventive qui souvent ne laisse pas beaucoup de temps aux archéologues) - à un relevé « pierre à pierre » des façades. De plus en plus, il s'appuie aussi sur les sciences appliquées : datation au carbone 14, composition physico-chimique des matériaux…

Principaux éléments d'étude

  • Analyse des pierres, de leur type, de leur gabarit, de leur forme, de leur appareillage, de leur montage et de leur origine géographique. Repérage des marques lapidaires, des traces d'échafaudage, d'accrochage, d'outils.
  • Analyse des enduits et des mortiers, de leurs compositions physico-chimiques, de leurs couleurs. La superposition des couches d'enduit (stratigraphie verticale) permet de repérer les différents états de décor d'un édifice et de fournir des indications essentielles sur les différents remaniements du bâtiment (percement ou bouchage d'ouverture par exemple)
  • Analyse des charpentes, des techniques d'assemblages

Histoire

L'archéologie du bâti tire son origine de l'étude des monuments réalisée par les savants du XIXe siècle. Tout d'abord réalisées sur les monuments antiques (arènes, théâtres), ces études se portent principalement, à partir de la moitié du XIXe siècle, sous l'impulsion du romantisme (Victor Hugo et Notre-Dame de Paris, Viollet-le-Duc, Arcisse de Caumont), sur les monuments médiévaux (Carcassonne, Fontevraud). Cette discipline est théorisée et propagée à partir des années 1970 et 1980, sous l'impulsion de chercheurs comme Rollins Guild, Jean-François Reynaud, Daniel Prigent, Catherine Arlaud, Christian Sapin ou Joëlle Burnouf. Dans les années 1990, Nicolas Reveyron a fait profondément évoluer la théorie et la pratique, notamment dans le recours aux notions de linguistique et de sémiologie, dans la prise en compte du contexte construit (circulation des personnes, bâtiments contigus, contexte urbain...), des usages (liturgie et chantiers...) etc.

L'archéologie du bâti médiéval

L'archéologie du bâti est abondamment employée pour l'étude de la période médiévale, principalement car on dispose de vestiges en élévation en quantité bien supérieure aux époques précédentes. Les bâtiments civils ou religieux, plus ou moins bien conservés, peuvent livrer de très riches informations concernant la conception des édifices et les techniques de construction mises en œuvre. Il se peut également que l'on dispose - mais cela est variable selon les zones géographiques et les époques - d'une documentation textuelle très riche : actes notariés, comptabilité... autant de textes qui peuvent renseigner avec précision la construction ou l'entretien d'un bâtiment.

L'utilisation conjointe des sources écrites et archéologiques s'avère souvent un bon moyen de restituer d'une manière détaillée les édifices médiévaux. On peut, par exemple (les possibilités sont innombrables), à l'aide d'un compte de construction, compléter les parties inconnues d'un édifice (parties hautes incomplètes, pans entiers disparus) ou préciser certains détails (présence de vitres et volets aux fenêtres, enduits peints...). À l'inverse, l'étude des vestiges peut pallier les imprécisions des textes, identifier les outils et techniques employés ou encore montrer l'évolution dans le temps d'un édifice que les textes ne décrivent qu'une fois terminé.

Archéologie du bâti et restauration

Comme le souligne René Dinkel, auteur de "l'Encyclopédie du patrimoine", le Conservateur du patrimoine et les maîtres d’œuvre sont au premier abord déconcertés par la variété des techniques et l’hétérogénéité des murs. Si l’on ne se référait qu’aux critères décoratifs traditionnels, on ne manquerait pas de tomber dans la caricature suivante : les murs anciens seraient beaux, avec des pierres soigneusement équarries posées en lits bien ajustés, les murs plus récents seraient « disgracieux » avec des moellons simplement dégrossis, au tout-venant, posés en lits irréguliers entraînants des joints larges. Les recherches des historiens d’art et des archéologues permettent à l’heure actuelle d’aller au-delà de cette image d’Épinal. Nous pouvons établir une chronologie assez complète des formes. L’objectif est de mettre au point les conditions de restauration, en fonction des techniques de construction.

L’analyse s’effectue par la lecture des changements d’appareil, des reprises ou coutures. La chronologie relative que l’on peut ainsi établir constitue le livre d’histoire architecturale du monument, même en l’absence d’histoire écrite. Il paraît donc de la première importance de ne pas falsifier les parements par l’introduction abusive de pierres neuves, par le nettoyage immodéré qui efface les traces des outils ou par le recouvrement intempestif par des crépis. Une analyse sanitaire et archéologique n’est pas seulement indispensable pour les murs, mais aussi pour l’assiette et pour les abords. D’une façon générale, mais plus particulièrement pour les sites semi-troglodytiques ou ceux qui remodèlent les sites d’implantation, l’étude minutieuse du socle se révèle indispensable tant du point de vue géologique qu’archéologique.

Des études historiques et archéologiques visant à établir un dossier documentaire exhaustif retraçant l’histoire et les évolutions d’un monument ou d’un site sont réalisées par des chercheurs indépendants, des centres d’études ou des sociétés (comme la Société française d’archéologie, le Centre d’étude des châteaux-forts) et des sociétés spécialisées (comme le Groupe de recherches art, histoire, architecture et littérature, GRAHAL). Une recherche systématique est conduite dans les dépôts d’archives. Aux sources ainsi dépouillées s’ajoute l’ensemble des représentations tirées des fonds iconographiques. Chaque dossier ainsi constitué comporte une chronologie détaillée, un bilan historique synthétique et un rapport analytique, les références complètes des sources et de la bibliographie ainsi qu’un volume iconographique. Ces dossiers servent de référence documentaire préalable à toute opération sur l’édifice ou le site.

La mémoire et le projet

Chaque site, chaque monument qui doit faire l’objet d’une restauration nécessite au préalable un relevé détaillé. C’est la raison pour laquelle il est essentiel que les archéologues (le responsable des fouilles et l’historien de l’architecture), ou parfois le restaurateur lui même s'il en a les compétences, interviennent très en amont pour comprendre et expliquer l’évolution de l’édifice. En illustration du type d’observations à recommander, nous citerons les études statistiques d’appareils réalisées à l’intérieur de l’abbaye de Fontevraud, à l’abbaye d’Otterberg en Palatinat et dans la région de Montpellier[2]

Une analyse sanitaire et archéologique n’est pas seulement indispensable pour les murs, mais aussi pour l’assiette et pour les abords. D’une façon générale, mais plus particulièrement pour les sites semi-troglodytiques ou ceux qui remodèlent les assiettes d’implantation, l’étude minutieuse du socle se révèle indispensable tant du point de vue géologique qu’archéologique[3].

Notre propos est d’insister sur la nécessaire fidélité des relevés. Il faut chercher à disposer le plus souvent possible d’une grande et conforme documentation de mémoire qui serve de support à une bonne archéologie des murs.

Bibliographie

  • C. Arlaud et J. Burnouf, l'archéologie du bâti médiéval urbain, Les Nouvelles de l'archéologie n°53-54, automne-hiver, 1993 
    pp.5-69
  • F. Journot, l'archéologie du bâti, la construction en pierre, Paris, édition Errance 
    pp.133-150
  • Au fil du chantier. Archéologie de la construction au Moyen Âge, Lyon, catalogue de l'exposition, CERIAH-Bibliothèque Municipale de Lyon, 1997 
  • Comment construisait-on au Moyen Âge ?, Les dossiers d'archéologie n°251, mars 2000 
  • René Dinkel, L'Encyclopédie du patrimoine (Monuments historiques, Patrimoine bâti et naturel - Protection, restauration, réglementation. Doctrines - Techniques - Pratiques), Paris, éditions Les Encyclopédies du patrimoine, septembre 1997, 1512 p. (ISBN 2-911200-00-4) 
    Chapitre II Lumières sur les pierres, pp 33-51, Notices Analyse archéologique des murs p. 385 et Archéologie pp. 392-393
  • N. Reveyron, Chantiers lyonnais du Moyen Age, Archéologie et histoire de l'art, Documents d'Archéologie en Rhône-Alpes-Auvergne, 2005 

Notes et références

  1. Nicolas Reveyron, « les nouvelles approches de l'architecture médiévale, Les dossiers d'archéologie. Comment construisait-on au Moyen Âge ?, n°251, mars 2000, p.4.
  2. Exemples d'études d’appareils :
    • Daniel Prigent, dans Revue Archéologique de l’Ouest, 6, 1989, p. 155-172.
    • Charles-Laurent Salch, Appareil alterné en Languedoc oriental (Châteaux-Forts d’Europe n°14), 2000.
    • Michael Michael Miwerling, Die Baugeschichte der ehemaligen Abtei Otterberg, Kaiserslautern, 1986
  3. On peut citer en exemple les études de Fleckenstein et de Petit-Koenigsbourg (Bas-Rhin) réalisées par le Centre d’Étude des Châteaux-Forts à la demande de la DRAC-Conservation régionale des monuments historiques d’Alsace

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