Notion de liberté

Notion de liberté

Histoire de la notion de liberté

Cet article relatif à l'Histoire des idées concerne la notion de liberté.

Mourir pour la liberté : le tableau dénommé "l’Apothéose des Héros français morts pour la patrie pendant la guerre de la Liberté" d'Anne-Louis Girodet-Trioson (1802) est une allégorie pré-romantique représentant le barde Ossian qui accueille au paradis les généraux Desaix, Kléber, Marceau, Hoche et Championnet ; dotée de motifs dignes d'un mythographe, elle insère la légende napoléonienne dans l'historiographie nationale : les nouveaux symboles de la nation née de la Révolution y sont introduits, telle l'opposition du coq gaulois et de l'aigle germanique, ferment du revanchisme qui ravagera l'Europe occidentale à la fin du siècle. Le Premier Empire y est présenté, du fait de l'iconographie glorieuse conduite dans cette peinture, comme continuateur de l'Empire romain, ce qui fut du reste le trait caractéristique de chacun des Empires de l'Occident.

Sommaire

L'Antiquité

Aristote

La première analyse de ce que l'on peut appeler libre-arbitre (en tant que spontanéité rationnelle) se trouve chez Aristote dans l’Ethique à Nicomaque, livre III. Platon avait probablement déjà conçu, dans La République, une réflexion sur la liberté, mais cette liberté est plutôt d'ordre métaphysique. Ce point sera développé un peu plus loin.

La réflexion d'Aristote se comprend d'après sa recherche de l'essence de la vertu : la vertu a trait aux actes volontaires. Mais quelle est l'essence du volontaire ? Pour le comprendre, il recherche ce qu'est l'involontaire de manière empirique et d'après ce qu'en dit le droit. Or, il y a deux causes de l'involontaire :

  1. l'ignorance ;
  2. la contrainte.

1. Aristote distingue deux sortes d'actes commis par ignorance :

  • quand l'ignorance accompagne l'acte sans en être la cause ;
  • quand l'acte est commis par ignorance, qui est donc cause de l'acte.

Par exemple, si je suis ivre, je suis responsable de l'état irresponsable dans lequel je tombe. Pour les Grecs, l'ivresse double la peine. Mais si j'administre un poison en étant convaincu que c'est un remède, je pose un acte autre que celui qui est voulu ; je ne suis donc pas la cause de l'acte effectif. Je n'aurais pas agi ainsi si j'avais su ; et si j'avais su et que j'avais fait pareil, je serais responsable.

2. Chaque corps aspire à se reposer dans son lieu naturel : c'est une physique téléologique qui permet de comprendre ce qu'est la contrainte physique. Le feu monte pour retrouver le feu céleste. Il y a une spontanéité du mouvement naturel qui est un principe interne de mouvement.

Il résulte de cela qu'une pierre qui monte subit un mouvement « non naturel » : elle subit une contrainte extérieure à sa nature. De même, nous agissons de nous-mêmes (efficience causale interne) ou contraint (efficience causale externe).

On peut distinguer trois types d'actes :

  • Les actes spontanés : efficience du désir, par exemple je désire une pomme. C'est une cause interne dont je suis responsable.
  • Les actes contraints : origine extérieure, sans ma collaboration. Mon efficience causale est anéantie ou paralysée. Par exemple, un prisonnier poings et pieds liés.
  • Les actes mixtes : des actes contraints et spontanés. Je dois agir par mon pouvoir d'action, mais sous la menace d'un tiers. La responsabilité est atténuée mais non abolie.

Il est maintenant possible de préciser le concept de volontaire a contrario de ce qui a été dit : le volontaire est un acte spontané, accompli en connaissance de cause. Il y a la spontanéité du désir éclairé par l'intentionnalité de la raison :

  • agir par soi
  • agir en connaissance de cause

Comme on peut le constater, la réflexion d'Aristote porte sur les conditions de la responsabilité. Son idée de la liberté ressemble peu à l'idée moderne ; elle concerne surtout une âme qui est principe d'animation. À ce titre, puisqu'Aristote admet qu'un cheval puisse être vertueux, il peut sans doute également être dit libre (i.e. s'il avait la raison). Cela n'aurait rien d'incongru ; c'est seulement que notre conception de l'âme s'est trouvée mêlée à des idées théologiques : notre idée de liberté se développe sous l'influence chrétienne.

Les futurs contingents

(voir aussi l'article fatalisme qui expose quelques raisonnements)

Le problème des futurs contingents est un problème de logique qui se présente sous la forme d'une alternative. Aristote analyse la proposition suivante : il y aura une bataille demain ou il n'y aura pas de bataille demain. Comme l'un ou l'autre est nécessairement vrai, il semble nécessaire que l'un arrive et pas l'autre. En conséquence, cette nécessité logique se traduirait par une nécessité des événements eux-mêmes. En réalité, selon Aristote, la nécessité ne porte que sur le ou, ce qui fait que les parties de l'alternative ne sont pas nécessaires en elles-mêmes.

Platon

Platon raconte dans un mythe comment les âmes choisissent leur future incarnation. Cela peut être interprété comme une conception métaphysique de la liberté, conception qui ne semble pas très courante dans l'Antiquité (on trouve une allusion très courte chez Cicéron) :

« Et l'on peut dire que parmi les âmes ainsi surprises, celles qui venaient du ciel n'étaient pas les moins nombreuses, parce qu'elles n'avaient pas été éprouvées par les souffrances; au contraire, la plupart de celles qui arrivaient de la terre, ayant elles-mêmes souffert et vu souffrir les autres, ne faisaient point leur choix à la hâte. De là venait, ainsi que des hasards du tirage au sort, que la plupart des âmes échangeaient une bonne destinée pour une mauvaise ou inversement. Et aussi bien, si chaque fois qu'un homme naît à la vie terrestre il s'appliquait sainement à la philosophie, et que le sort ne l'appelât point à choisir parmi les derniers, il semble, d'après ce qu'on rapporte de l'au-delà, que non seulement il serait heureux ici-bas, mais que son voyage de ce monde en l'autre et son retour se feraient, non par l'âpre sentier souterrain, mais par la voie unie du ciel. 0+ (La République, livre X).

Période hellénistique

Épicure

Épicure a inventé la notion de clinamen pour éviter le déterminisme qui découle de sa physique. Voir à l'article Épicure, section Physique.

« Épicure a introduit cette explication parce qu’il a craint que, si l’atome se déplaçait toujours en vertu d’une pesanteur naturelle et nécessaire, il n’y ait en nous aucune liberté [nihil liberum nobis esset] puisque l’âme ne serait animée [animus moveretur] que par la contrainte du mouvement des atomes. Démocrite, l’inventeur des atomes, a préféré cette solution selon laquelle tout se produit par la nécessité, plutôt que de priver les corps indivisibles de leur mouvement naturel. » (Cicéron, Du destin, §23).

Stoïciens

Pour le fatum stoïcien, voir Fatalisme : J'appelle destin (fatum) ce que les Grecs appellent heimarménè, c'est-à-dire l'ordre et la série des causes, quand une cause liée à une autre produit d'elle-même un effet. (...) On comprend dès lors que le destin n'est pas ce qu'entend la superstition, mais ce que dit la science, à savoir la cause éternelle des choses, en vertu de laquelle les faits passés sont arrivés, les présents arrivent et les futurs doivent arriver (Cicéron, De la divination).

Aspect pratique de la liberté : il y a une dimension pratique de la liberté et une dimension qui concerne nos états psychologiques. Cette dimension concerne particulièrement les passions de l'âme et la morale. La conception stoïcienne de la liberté est de ce point de vue une conception morale typique.

« De toutes les choses du monde, les unes dépendent de nous, les autres n'en dépendent pas. Celles qui en dépendent sont nos opinions, nos mouvements, nos désirs, nos inclinations, nos aversions; en un mot, toutes nos actions. Celles qui ne dépendent point de nous sont le corps, les biens, la réputation, les dignités ; en un mot, toutes les choses qui ne sont pas du nombre de nos actions. Les choses qui dépendent de nous sont libres par leur nature, rien ne peut ni les arrêter, ni leur faire obstacle; celles qui n'en dépendent pas sont faibles, esclaves, dépendantes, sujettes à mille obstacles et à mille inconvénients, et entièrement étrangères. Souviens-toi donc que, si tu crois libres les choses qui de leur nature sont esclaves, et propres à toi celles qui dépendent d'autrui, tu rencontreras à chaque pas des obstacles, tu seras affligé, troublé, et tu te plaindras des dieux et des hommes. Au lieu que si tu crois tien ce qui t'appartient en propre, et étranger ce qui est à autrui, jamais personne ne te forcera à faire ce que tu ne veux point, ni ne t'empêchera de faire ce que tu veux; tu ne te plaindras de personne; tu n'accuseras personne; tu ne feras rien, pas même la plus petite chose, malgré toi; personne ne te fera aucun mal, et tu n'auras point d'ennemi, car il ne t'arrivera rien de nuisible. » (Manuel, 1).

Augustin d'Hippone

La liberté est pour Augustin correspondance entre la volonté humaine et la volonté divine ; elle n'est donc pas un choix, mais une sorte de nécessité à se conformer à l'ordre divin. Il existe toutefois deux sortes de liberté : la liberté parfaite qui précède la chute (épisode du péché originel) où l'homme est libre entièrement, parce qu'il fait de lui-même le bien, qu'il est ce bien qu'il réalise ; une liberté imparfaite, après la chute, qui témoigne de la corruption de la nature humaine, autrement dit de la mauvaise utilisation de sa volonté. Quand l'homme est bon malgré tout, ce n'est pas de son fait, mais par la grâce de Dieu :

« Telle est notre liberté, lorsque nous nous soumettons à cette vérité; et c'est notre Dieu lui-même qui nous délivre de la mort, c'est-à-dire de l'état de péché. Car c'est la vérité elle-même, homme conversant avec les hommes, qui a dit à ceux qui croient en elle : “Si vous gardez ma parole, vous êtes vraiment mes disciples, et vous connaîtrez la vérité, et la vérité vous rendra libres”. » (Du libre-arbitre, livre 2, §13).

Moyen Âge

Thomas d'Aquin

Dans la scolastique, la liberté est une faculté de la raison et de la volonté, i.e. une faculté de faculté ! Malgré cette curiosité, ce qui est souligné, c'est la collaboration de la raison et de la volonté. Pour comprendre ce concept chez Thomas d'Aquin, il faut se représenter l'âme divisée en deux parties :

Les divisions de l'âme
Âme rationnelle Âme irrationnelle
Rationalité cognitive Rationalité appétitive Cognitive Appétitive
Intuitions des principes Idée ou définition Raisonnement Volonté Sensibilité Désir
Objet universel Objet : le bien en général, Dieu Objet particulier

L'âme rationnelle est portée à l'universel ; c'est ce point qui permet de fonder la liberté. En effet, si les animaux sont déterminés ad unum (d'une façon unique), les hommes en revanche peuvent l'être de multiples façons : il y a un choix dans les possibles. L'instinct est une réponse déterminée à un stimulus ; il y a pas de choix. L'intelligence ouvre des possibles pour une situation donnée : il y a pour l'homme une multitude de comportements possibles. Ces choix sont ce qui constitue la liberté de l'âme. L'expression de cette liberté est la délibération qui est l'œuvre de la raison, car elle présente à l'agent plusieurs représentations. Le choix est alors un acte de la volonté qui se détermine à tel ou tel possible.

  • Remarque :

Comme on le voit dans le tableau proposé, une philosophie de la liberté implique une distinction entre la volonté et le désir :

  • le désir est inconscient de ses raisons et irresponsable ; il est velléitaire et n'implique pas l'action ;
  • la volonté est consciente (il y a un pourquoi), elle est constante et ferme.

On constate dans l'ensemble que la volonté devient une puissance rationnelle. Elle n'est pas déterminée par des choses particulières qu'elle transcende. L'animal, en revanche, est collé au particulier.

En résumé, la notion de libre-arbitre, c'est :

  1. la collaboration de la raison et de la volonté ;
  2. l'ouverture des possibles et la délibération ;
  3. le choix, fruit de la volonté

L'horizon métaphysique de cette conception, c'est Dieu. La conception rationnelle de l'action donne pour le chrétien une dignité immanente à l'homme. En effet, la valorisation antique de la pensée ne permettait pas de valoriser le choix, car la pensée a une nécessité logique. La volonté, en revanche, permet le libre-arbitre humain.

En 1588, le jésuite Luis Molina s'appuie sur la conception de Thomas d'Aquin pour oser affirmer la concordia : la complémentarité de la puissance de Dieu et de la liberté de l'homme, comme deux sortes de causes.

Philosophie moderne

Descartes

  • « Je ne puis pas me plaindre que Dieu ne m'a pas donné un libre arbitre, ou une volonté assez ample et parfaite, puisqu'en effet je l'expérimente si vague et si étendue, qu'elle n'est renfermée dans aucunes bornes. » (Méditations Métaphysiques, IV).
  • « La liberté de notre volonté se connaît sans preuves, par la seule expérience que nous en avons. » (Principes de la philosophie, I, 39)

La conception de la liberté de Descartes, qui s'oppose à l'augustinisme jusqu'à un certain point, nous fait parvenir ici au commencement de la conception moderne de l'individu. De ce point de vue, la liberté cartésienne a des conséquences morales et politiques considérables.

Voir aussi liberté d'indifférence

Spinoza

On oppose souvent indifféremment liberté et contrainte, et liberté et nécessité, comme si nécessité et contrainte étaient des concepts équivalents. C'est une erreur selon Spinoza : « Pour ma part, je dis que cette chose est libre qui existe et agit par la seule nécessité de sa nature, et contrainte cette chose qui est déterminée par une autre à exister et à agir selon une modalité précise et déterminée » (lettre à Schuller). Ainsi, « la permanence de la pierre dans son mouvement est une contrainte, non pas parce qu'elle est nécessaire, mais parce qu'elle doit être définie par l'impulsion des causes externes; et ce qui est vrai de la pierre, l'est aussi de tout objet singulier, quelle qu'en soit la complexité et quel que soit le nombre de ses possibilités : tout objet singulier, en effet, est nécessairement déterminé par quelque cause extérieure à exister et à agir selon une loi précise et déterminée » (Ibid.).

Il n'y a donc pas de liberté dans la nature. Toutefois, poursuit Spinoza, si elle pouvait penser, cette pierre se croirait « libre et ne persévérer dans son mouvement que par la seule raison qu'elle le désire ». Or « telle est cette liberté humaine que tous les hommes se vantent d'avoir et qui consiste en cela seul que les hommes sont conscients de leurs désirs et ignorants des causes qui les déterminent » (Ibid.). Le libre arbitre n'est donc qu'une illusion favorisée par notre ignorance de ce qui détermine nos actions : l'homme est une partie de la nature, et non pas « un empire dans un empire » (Ethique, Livre III, préface) et il n'agit donc pas plus librement que cette pierre s'imaginant douée du pouvoir de déterminer par elle-même son mouvement.

L'origine de cette illusion est à rechercher dans le clivage imaginé par l'homme entre l'âme et le corps : il s'imagine en effet que le corps soumis au mécanisme (cf. Descartes et sa théorie des animaux-machines) tandis que l'âme serait principe de liberté capable de déterminer par elle-même ses propres fins. Mais en réalité, l'âme est « l'idée du corps » ; le désir n'est que l'appétit accompagné de conscience, et donc « les décrets de l'esprit ne sont rien en dehors des appétits mêmes, et sont par conséquent variables selon l'état variable du corps » (Ethique, Livre III, scolie de la prop. 2).

La position de Descartes n'est donc pas, selon Spinoza, sensiblement éloignée du sens commun, car on ne peut que saluer sa tentative « d'expliquer les Affections humaines par leurs premières causes », mais en voulant montrer « en même temps par quelle voie l'Ame peut prendre sur les Affections un pouvoir absolu [...] à mon avis, il n'a rien montré que la pénétration de son grand esprit » (Ethique, Livre III, préface).

Voir sur ce point l'article Libre arbitre (l'illusion du libre arbitre selon Spinoza).

Contre cette fausse liberté, née de l'ignorance, Spinoza affirme que seule la connaissance vraie est libératrice : il faut donc, pour être libre, être conduit par la seule raison et ainsi n'avoir que des idées adéquates (Éthique IV, proposition 68).

Leibniz

Leibniz nie à la fois la nécessité et l'absolue liberté telle qu'elle est conçue chez Descartes. Il cherche ainsi une réconciliation entre déterminisme et liberté. Sa critique repose sur quelques grands principes :

  • Le principe de l'identité des indiscernables. Selon ce principe, deux êtres indiscernables sont identiques ; deux êtres différents doivent différer, ne serait-ce que par de petites différences inaperçues. Leibniz distingue ici l'aperception et les perceptions :
    • l'aperception est la conscience claire et distincte d'un objet ;
    • les perceptions peuvent être inconscientes et influencer notre arbitre à notre insu.

Pour Leibniz, l'aperception est la synthèse des petites perceptions, insensibles chacune en elle-même. Ce qu'on pourrait appeler, en termes modernes, l'« inconscient » leibnizien, est donc fait de ces petites perceptions.

  • Le principe de raison suffisante : il y a toujours une raison qui explique pourquoi un phénomène est ou n'est pas, et pourquoi il est ainsi et pas autrement.

Par conséquent, il n'y a pas de liberté d'indifférence, car l'arbitre ne peut être dans un état d'équilibre entre deux objets puisqu'ils ne sont pas identiques. Il est impossible d'agir sans motif : notre comportement est donc nécessairement déterminé. Agir sans raison serait une imperfection, un acte aléatoire. Ainsi, être libre, c'est agir selon la plus parfaite des raisons que l'on puisse concevoir. La liberté est la plénitude d'une détermination rationnelle. Pourtant, cette surdétermination n'est-elle pas une aliénation ? La liberté étant en effet la plus parfaite raison, n'est-ce pas nier l'autodétermination du sujet ?

Il faut, selon Leibniz, distinguer le « certain » du « nécessaire » (§13 Discours de métaphysique) : il est certain que le sage agira pour le mieux, mais ce n'est pas nécessaire. La certitude n'implique pas la nécessité : l'obligation morale n'est pas nécessaire. Cette distinction entre certitude et nécessité est ce qui permet à Leibniz de faire place à la contingence, et donc à l'acte libre, tout en préservant le déterminisme.

Cette conception de la liberté s'oppose à la conception scolastique : la philosophie des facultés hypostasie les facultés, elle pose en substance ce qui est en acte ; en disant que la volonté choisit, on lui prête une faculté qui appartient à l'entendement. Il n'y a donc pas de distinction entre volonté et entendement [réf. nécessaire]. La définition scolastique se réfute elle-même, c'est un schéma absurde. Pour Leibniz en effet, la volonté n'est jamais que l'intelligence qui choisit : la liberté appartient à la raison, et c'est la faculté du meilleur choix possible. Autrement dit c'est une autodétermination optimale.

En résumé, on ne peut choisir entre liberté métaphysique et déterminisme, car la liberté suppose la détermination.

Emmanuel Kant

La philosophie kantienne de la liberté peut être résumée ainsi : la loi morale est la ratio cognoscendi (raison du connaître) de la liberté ; la liberté est la ratio essendi (raison d'être) de la loi morale.
La liberté est pensée par Kant comme l'autonomie d'un sujet rationnel ; son champ est uniquement pratique. En effet, la soumission à la loi morale, pour être morale, doit être le fait d'une volonté pure. Or, seule peut être dite pure et bonne une volonté débarrassée des influences de la sensibilité. En conséquence, l'accomplissement de la loi morale (impératif catégorique) est liberté : c'est la libre soumission de la volonté.

Henri Bergson

« (...) il faut chercher la liberté dans une certaine nuance ou qualité de l'action même, et non dans un rapport de cet acte avec ce qu'il n'est pas ou avec ce qu'il aurait pu être. »
« On appelle liberté le rapport du moi concret à l'acte qu'il accomplit. Ce rapport est indéfinissable, précisément parce que nous sommes libres. On analyse, en effet, une chose, mais non pas un progrès ; on décompose de l'étendue, mais non pas de la durée. Ou bien, si l'on s'obstine à analyser quand même, on transforme inconsciemment le progrès en chose, et la durée en étendue. Par cela seul qu'on prétend décomposer le temps concret, on en déroule les moments dans l'espace homogène ; à la place du fait s'accomplissant on met le fait accompli, et comme on a commencé par figer en quelque sorte l'activité du moi, on voit la spontanéité se résoudre en inertie et la liberté en nécessité. - C'est pourquoi toute définition de la liberté donnera raison au déterminisme. »

Phénoménologie de la liberté

À la fin du XIXe siècle, la psychologie se cherche un statut scientifique. Ce statut implique un déterminisme psychophysiologique. Contre ce courant, Edmund Husserl va tenter de marquer les limites du point de vue naturaliste : celui-ci, selon Husserl, ne suffit pas à épuiser la réalité de l'esprit. Seul le point de vue de l'esprit sur lui-même peut en dévoiler l'essence vrai. Il cherche alors à établir des rapports psychophysiques permettant à l'esprit d'agir sur le monde par son corps propre, en affirmant ainsi la transcendance de l'ego.

Deux aspects fondamentaux de la phénoménologie pour comprendre la liberté :

  • l'épokhè, ou réduction du monde ;
  • la constitution du monde.

Dans l'épokhè, il s'agit pour la conscience d'éliminer de son champ tout ce qui ne lui est pas immédiatement connu. On a là le cogito et la métaphysique de Descartes. Il s'agit de faire apparaître ce qui constitue en propre la conscience. Et ce qui résiste, c'est la conscience constitutive de tout sens, objet ou être.

En plaçant entre parenthèses le monde objectif, l'épokhè relativise radicalement la psychophysiologie, pour atteindre une subjectivité trancendantale. Ainsi, loin d'être déterminée par un objet, la conscience investit l'objet de sens. Dans la réduction, l'idée de nature objective peut donc être écartée, car elle n'appartient pas à la conscience. L'épokhè dévoile la conscience comme un absolu irréductible et le monde objectif comme un terme relatif.

Cette thèse permet à Edmund Husserl de rejeter l'idée d'une détermination des états de la conscience par les variations de l'organe central de la perception, le cerveau. Il admet pourtant que la conscience s'appuie sur un sousbassement sensible, et qu'elle peut même être conditionnée par certains processus physiques dans son activité perceptive. Mais il y a des limites à cette dépendance, car, comme l'épokhè l'a montré, on ne peut réduire la conscience : on ne peut faire l'économie de son point de vue sur elle-même dans lequel il n'entre aucun donné objectif.

Cette thèse peut être développée suivant deux aspects qui donne un statut transcendantal à la liberté :

1. Il y a d'abord les phénomènes de la rétention, de l'attention, comme la saisie d'un sens spirituel dans l'objet sensible : l'esprit n'est pas un appareil perceptif passif, mais a une spontanéité propre intentionnelle. Par exemple, une livre n'est pas qu'un ensemble de formes imprimées, car ces formes ont un sens pour la conscience. Il n'y a donc pas de détermination mécanique des formes objectives, mais une signification inspirée de ces formes. Ce ne sont pas les données sensibles qui importent, mais les symboles que la conscience y trouve : c'est une activité intentionnelle du sujet, une projection dans l'objet. Cette activité isole des éléments, et en néglige d'autres. Mon intention constitue l'objet comme objet spirituel.

2. Cette thèse implique ensuite une situation de la conscience dans le monde : pour la phénoménologie, la conscience est déterminée par le monde, mais c'est du monde environnant constitué par elle qu'il s'agit, et non du monde objectif. Ainsi rendra-t-on compte du l'action humaine par le monde subjectif : c'est moi qui détermine le monde. Le principe de la liberté humaine sera alors une loi intérieure à la conscience. Ce rapport de la conscience à son monde renverse la dépendance classique entre l'objet et le sujet, puisque l'esprit est conditionné en tant qu'il constitue le monde. Cette position permet néanmoins de naturaliser l'esprit, mais pas d'une manière unilatérale : il y a un rapport réciproque nature / conscience.

Dès lors, le lieu de réalisation de la liberté sera le corps propre, c'est-à-dire non pas le corps en tant qu'il est connu par la science, mais le corps organique éprouvé par la conscience. Ce corps est comme l'interface entre le monde de l'esprit et celui de la nature. Le corps propre c'est la causalité spirituelle, le lieu où l'esprit s'objective et se réalise dans le monde.

En conclusion, cet ensemble de réflexions sur la conscience et le corps propre fait que la liberté transcendantale est bien dans la lignée de la métaphysique classique, car elle oppose, comme il a été vu plus haut, la raison à la sensibilité. La liberté est en effet l'indépendance transcendantale de la conscience : elle s'établit sur les ruines du déterminisme, car la spontanéïté du sujet est irréductible.

Sartre

Pour Sartre, la liberté transcendantale de l'ego est rendue manifeste par l'imagination. En effet, « pour qu'une conscience puisse imaginer il faut qu'elle échappe au monde par sa nature même, il faut qu'elle puisse tirer d'elle-même une position de recul par rapport au monde. En un mot il faut qu'elle soit libre » (L'Imaginaire, conclusion). Plus précisément :

  • La néantisation du monde opérée par une telle conscience rend donc possible un écart par rapport au monde objectif ; sans cet écart, nous resterions englués dans « l'en-soi » et entièrement déterminés.
  • L'imaginaire permet de se donner à soi-même un objet : la conscience est donc totalement impliquée dans la « constitution du monde ».

La néantisation permet de conclure au primat de l'existence sur l'essence : la célèbre formule de Sartre selon laquelle « l'existence précède l'essence » signifie que l'individu n'est pas déterminé d'après un sens qui d'avance le définirait en le « chosifiant ». Car si l'homme appartient à l'en-soi et à ce titre est une chose, il est aussi et avant tout un « existant », un être qui opère continuellement des choix. La liberté est donc inhérente à l'existence humaine ; elle en est la condition. Être homme, c'est être « condamné à être libre », condamné à assumer son existence libre. Le « pour-soi » peut bien être facilement tenté par la mauvaise foi, forme exemplaire de l'inauthenticité niant toute responsabilité : je n'y suis pour rien, prétend-il alors ; c'est la faute des « autres », c'est à cause de telle ou telle passion qui s'est emparée de moi et à laquelle je n'ai pu résister, voire parce que Dieu ou « le destin » l'a voulu... Mais ces raisons viennent de nous, et c'est nous qui les faisons valoir comme des causes qui auraient tout pouvoir sur nous. En réalité, l'homme n'est pas libre d'échapper à la liberté. Refuser la liberté, c'est encore la refuser librement. Et s'abstenir de choisir, c'est encore faire un choix − le choix de s'abstenir. Ainsi, à travers le suivisme ou la lâcheté prétendons-nous nier notre propre liberté − comme par le fanatisme nous prétendons nier celle des autres. Mais la liberté nous colle pour ainsi dire à la peau :

« Nous dirons donc que, pour le coupe-papier, l'essence — c'est-à-dire l'ensemble des recettes et des qualités qui permettent de le produire et de le définir — précède l'existence ; et ainsi la présence, en face de moi, de tel coupe-papier ou de tel livre est déterminée. Nous avons donc là une vision technique du monde, dans laquelle on peut dire que la production précède l'existence. [...] Nous voulons dire que l'homme existe d'abord, c'est-à-dire que l'homme est d'abord ce qui se jette vers un avenir, et ce qui est conscient de se projeter dans l'avenir. L'homme est d'abord un projet qui se vit subjectivement, au lieu d'être une mousse, une pourriture ou un chou-fleur ; rien n'existe préalablement à ce projet ; rien n'est au ciel intelligible, et l'homme sera d'abord ce qu'il aura projeté d'être. »

L'existentialisme est un humanisme

Certes, un projet peut bien se réaliser, mais il n'est plus alors un projet ; il relève désormais de l'en-soi. C'est pourquoi « l'être du pour-soi est ce qu'il n'est pas et n'est pas ce qu'il est ». La réalité humaine implique donc toujours un écart au réel (à l'en-soi), et c'est précisément en quoi consiste la liberté. La raison peut bien prétendre le contraire et se présenter comme l'instrument de la délibération volontaire, seule manifestation de la liberté : en réalité, dit Sartre, « la délibération volontaire est toujours truquée » (L'Être et le Néant), car « quand je délibère, les jeux sont faits » : délibérer c'est en effet choisir de délibérer, avant même toute délibération. Par conséquent, la délibération, quand elle a lieu, arrive toujours en dernier : « il y a [...] un choix de la délibération comme procédé qui m'annoncera ce que je projette, et par suite ce que je suis ». La liberté est donc tout entière dans ce choix originel qui oriente tout choix, quelque forme qu'il prenne finalement. Et la vraie liberté, évitant les nombreux pièges de l'attitude inauthentique, suppose de reconnaître et d'assumer ce caractère originel de l'existence.

Voir aussi

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