Mādhyamaka

Mādhyamaka

Madhyamaka

Le Madhyamaka (sanskrit ; chinois : Zhōng-guān 中觀, tibétain: dbu ma) ou Voie du milieu ou médiane, constitue l'une des deux principales écoles spécifiques du bouddhisme mahāyāna. Un mādhyamikā est un tenant de cette doctrine. Finalement mādhyamika est l'adjectif désignant la doctrine.[1]

Sommaire

Origine de la voie du milieu

Ce concept de voie médiane fut exposé dès le premier sermon du Bouddha, comme intermédiaire entre la complaisance sensuelle et la mortification. En tant que voie philosophique cependant, le madhyamaka veut surpasser ce qu'il appelle l' « éternalisme » d'une existence absolue, et le nihilisme de la non-existence. La plus ancienne source de cette option, mentionnée par Nāgārjuna même, est le soutra pali Kaccayanagotta sutta (SN XII.15) du Samyutta Nikāya exposant la vue correcte, où le Bouddha dit: « Pour qui voit l'origine du monde tel qu'il est avec un juste discernement, le terme "non-existence" ne survient pas à son égard. Pour qui voit la cessation du monde tel qu'il est avec un juste discernement, le terme "existence" ne survient pas à son égard. [2]». Bouddha récuse donc là un dilemme fondamental; les logiciens indiens l'exposeront puis le réfuteront sous la forme du tétralemme, forme que la logique occidentale aristotélicienne n'a pas retenue.

Fondation

L'école est fondée en Inde au IIe siècle ; son fondateur est Nāgārjuna, auteur des Stances du milieu, ouvrage qui s'attache à réfuter nombre d'opinions par l'emploi systématique de la logique du tétralemme, logique qui abandonne provisoirement le principe du tiers exclu :

  • Ni x
  • Ni non-x
  • Ni x et non-x
  • Ni x ni non-x

Cette logique s'applique finalement à l'Être. -Il n'y a:

  • Ni «Être»
  • Ni «Non-Être»
  • Ni «Être et Non-Être»
  • Ni «Ni Être ni Non-Être»

Cet abandon du tiers exclu n'est ici employé que pour discuter certaines vues présentes à l'époque en Inde selon lesquelles un phénomène pouvait être quelque chose et son contraire, comme être et non-être; ce que le Bouddhisme réfute. Le tiers exclu est ailleurs employé dans la logique madhyamika et les Traités de Nāgārjuna en témoignent comme par exemple dans le Chapitre X, § 11 du Madhyamakaśāstra (Stances du Milieu par excellence, traduction Guy Bugault)

Une chose qui est posée en relation de dépendance à une autre, comment peut-elle être mise en relation avant que son existence ait été établie ? Maintenant, est-elle au contraire mise en relation de dépendance après que son existence a été établie ? Toute relation de dépendance est alors absurde pour elle.

Nous voyons que dans ces multiples cas, soit une chose est ceci (ici, en relation dépendante) soit cette chose est cela (avec une existence établie), mais pas les deux à la fois. Et c'est justement un point clé de la logique madhyamika.

Cette logique de réfutation, qui permet de contredire toute attitude intellectuelle réifiant les phénomènes et les personnes, se comprend comme conséquence ultime et «implacable» de la vacuité. Il s'agit donc d'une ontologie radicalement négative, appelée aussi: négation non-implicative, d'une autre affirmation. C'est pourquoi la plupart des interprètes de Nāgārjuna considèrent que l'école du milieu ne défend aucune vue, aucune thèse, aucun système, ou qu'elle se contente d'utiliser cette dialectique négative pour réfuter vues et systèmes. Les citations qui vont dans ce sens ne manquent pas :

« Le Vainqueur a dit que la vacuité est l'évacuation complète de toutes les opinions. Quant à ceux qui croient en la vacuité, ceux-là, je les déclare incurables. » (Nāgārjuna)

Ou encore :

« Si j'avais une thèse, je serais en faute. Mais je n'ai aucune thèse. C'est pourquoi il n'est point de faute pour moi. » (Vigrahavyavartani,Pour écarter les vaines discussion, n°29).

Cependant, ainsi que le fait remarquer Georges Driessens dans son Introduction au Traité du Milieu : « on peut légitimement penser que l'affirmation de la production dépendante, la doctrine de la vacuité d'être en soi, la compatibilité des conventions, ou la fonctionnalité de la réalité relative, dans le vide de nature propre, la présentation des deux vérités - relative et ultime - constituent de véritables assertions et pas uniquement des réfutations. »

Et pour Georges Driessens le madhyamika se fonde sur la raison qui est le moyen le plus fiable d'accéder à la compréhension de la vacuité: Celle-ci n'étant pas un phénomène évident, directement perceptible par les êtres ordinaires, notre esprit ne peut l'appréhender au début qu'au travers d'une image mentale, ou une généralité de sens (skt. arthasamanya; tib. deuntchi). Il s'agit bien là d'un engagement intellectuel, et ceci explique que le Madhyamaka n'envisage aucune affirmation d'existence en-soi, et non pas que le Madhyamika n'a pas d'affirmations.

Cf., sur ce point, Meditation on Emptiness de Jeffrey Hopkins.

Schismes

De ces deux attitudes possibles découlent les deux postérités distinctes de l'œuvre de Nāgārjuna, telles qu'elles ont été ultérieurement distinguées par les doxographes tibétains (ces subdivisions, en effet, ne sont pas posées aussi clairement en Inde) :

  • Le madhyamaka prāsangika ou "conséquentialiste", inspiré par les écrits de Buddhapālita ( Ve siècle ) et dont Chandrakirti VIe siècle fut rétrospectivement regardé comme le fondateur, fait un usage réfutatif systématique de la dialectique négative pour réduire à l'absurde les thèses des autres écoles bouddhistes ou non-bouddhistes.
  • le madhyamaka svātantrika ou "autonome", dont les prémisses ont été posées par Bhāvaviveka au VIe siècle fait un usage positif de la dialectique et utilise la logique à des fins démonstratives et constructives qui s'inspirent des méthodes des logiciens Dignāga et Dharmakīrti. Dans la doctrine de Bhāvaviveka et de plusieurs auteurs qui ont adopté une approche semblable à la sienne, non seulement la vacuité est (selon certains doxographes tibétains, notamment Tsongkhapa (Tsong-kha-pa) et sa postérité) établie au moyen de syllogismes ostensifs (à la différence de la réduction à l'absurde adoptée par les prāsangika), mais encore la réalité de surface, ou relative, est elle-même déterminée par le biais de "moyens de connaissance droits" (prāmana) et la représentation correcte de cette réalité est censée être conforme à la doctrine des sautrāntika. En somme: le monde extérieur existe au même titre que l'esprit; il est formé d'atomes matériels instantanés, "micro-flashes" d'existence produits en dépendance de concours de circonstance antérieurs.

Une autre tendance s'est développée à partir des mêmes prémisses logiques, mais aboutissant à des conclusion différentes: celle qu'ont enseignée au Tibet au VIIIe siècle par Shāntirakshita et son disciple Kamalashila (fin VIIIe). D'après la présentation donnée par Tsongkhapa et suivie par l'école Gelugpa (dGe-lugs-pa), ces auteurs ont en commun avec Bhāvaviveka d'établir la vacuité au moyen de syllogismes ostensifs (ce qui justifie leur classement dans la catégorie svātantrika). En revanche, ils s'en distinguent par le fait qu'en ce qui concerne la réalité superficielle, ils se règlent sur les conceptions de l'idéalisme bouddhique (dit Cittamāra, ou Yogacāra, ou plus proprement Vijñānavāda).

La doctrine connaîtra de nouvelles élaborations au Tibet, notamment une variante peut-être aberrante (au sens où elle s'éloigne de toute interprétation plausible des écrits de Nāgārjuna): ce que l'on appelle la doctrine du "vide d'altérité" (dbu ma gzhan stong), issue principalement de l'œuvre de Dolpopa Sherab Gyaltsen (Dol po pa Shes rab rgyal mtshan). En somme, ce nouveau système envisage la doctrine de la vacuité en quelque sorte comme une forme de théologie négative, ou purgative, par le truchement de laquelle on accéderait finalement à un Absolu positif, "nature de Bouddha" éternellement présente en chaque être sensible. Cette doctrine, qui a connu au Tibet toutes sortes de remaniements jusqu'au XIXe siècle, sort vraiment des cadres de référence du Madhyamaka; mais elle exprime une tendance profonde de la pensée et de la spiritualité tibétaine.

L'enseignement Madhyamaka

Base, voie et fruit

La réalité conventionnelle et la réalité ultime (vacuité) étaient toutes deux décrites à l'origine du bouddhisme. Si le madhyamika reprend à son compte cette distinction entre conventionnel et ultime, il la réenvisage totalement sous l'angle de l'illusion (voir plus bas). Le madhyamika considère que les deux réalités, conventionnelle et absolue :

  1. sont opposées : l'apparence n'est pas la réalité
  2. sont inséparables - les phénomènes sont bel et bien perçus et pourtant bel et bien vides d'existence
  3. sont de même essence : la nature ultime des phénomènes conventionnels est leur vacuité.

Le Madhyamaka rassemble donc ces deux réalités, c'est là la vue qu'il expose, sa base.

La voie consiste

  • à la pratique méditative et au raisonnement afin de se résoudre à la sagesse,
  • ainsi qu'à l'obtention de mérites (culture des six pāramitās).

Le fruit recherché est donc l'obtention du parfait éveil d'un Bouddha.

Illusionisme

Contrairement aux écoles démontrant, sous une réalité conventionnelle, sous l'illusion d'un soi, une réalité ultime, l'enseignement Madhyamaka "refuse de dégager une strate réelle sous la strate fictive" (Stéphane Arguillère). La production des phénomènes n'est qu'une apparence, une Mâyâ ; plutôt que de cacher d'autres phénomènes cachés, ces illusions s'avèrent insaisissables.

Le Madhyamaka propose une analyse critique de la production des phénomènes qui amène à relire la coproduction conditionnée. Le point de départ en est la considération du tétralemme suivant, qui pose que tout phénomène produit l'est :

  1. Soit à partir de lui-même
  2. Soit à partir d'un ou plusieurs autres phénomènes
  3. à partir d'une combinaison de lui-même et d'autres phénomènes
  4. Spontanément, à partir de rien

Selon Chandrakirti (Introduction à la Voie Moyenne), (1) est le point de vue du Samkhya et du Vedanta (l'effet est préexistant dans sa cause), (2) celui du bouddhisme Vijnanavada, Sautrantika, et Sarvāstivādin, et de l'hindouisme Nyâya Vaisheshika, (3) celui du jaïnisme, (4) celui du matérialisme Chârvâka ou Lokayata (création ex nihilo).

Ces quatre possibilités posées, toutes les branches du bouddhisme en éliminent trois. L'auto-engendrement (1) est réfuté, car corollaire de l'éternalisme. Si le phénomène existe déjà, il n'y a pas production. Si le phénomène n'existe pas encore, il ne peut être sa propre cause. La possibilité (3) est donc aussi réfutée, du moins selon la logique de ces écoles.

La production à partir de rien (4) est réfutée puisque le monde n'est pas chaotique.

C'est donc en général la possibilité (2) qui est acceptée : tout phénomène est produit à partir d'un ou de plusieurs autres phénomènes. Mais ce n'est pas là l'enseignement des Madhyamikās.

Comme la quasi-totalité des branches du bouddhisme, celui-ci postule un temps "atomiste", c'est-à-dire un temps fait d'instants insécables. Selon le Madhyamaka, tout phénomène n'existe qu'un seul et unique instant. Mais la conséquence qui en est tirée est que la production est impossible : si la cause existe, alors la production sera contemporaine - or l'effet ne peut exister en même temps que la cause ; au contraire, si la cause n'existe plus, si la cause est passée, alors elle ne saurait valoir et produire des effets. La production est présentée comme impossible, et la coproduction conditionnée s'avère fictive.

Le concept de causalité ("quand ceci est, cela est"), appliqué aux phénomènes, n'est donc valable que de manière conventionnelle, et non de manière ultime. Même s'il y a des règles dans ses manifestations, Mâyâ reste illusion et ne renvoie pas à une réalité qui serait le "support" des phénomènes.

Nāgārjuna écrit dans le Madhyamakakārikā :

"Où que ce soit, quelles qu'elles soient, ni de soi ni d'autrui, ni de l'un ni de l'autre, ni indépendamment de l'un et de l'autre, les choses ne sont jamais produites" (traduction L. Biton)

La philosophie de Nagarjuna repose sur deux aspects. D'une part sur une exposition de son propre concept de réalité [pratityasamutpada et sunyata] selon lequel la réalité fondamentale n'a pas de noyau dur et ne base pas sur des éléments indépendants mais sur des systèmes comportant deux parties mutuelles et interdépendantes. Ce concept est opposé à une des expressions clef de la métaphysique traditionnelle existante en Inde: svabhava [être propre]. D'autre part elle comporte de nombreuses indications à des contradictions internes de 4 concepts extrêmes, qui ne sont pas présentés dans tous les détails mais seulement dans leurs principes. On peut cependant aisément reconnaître à quels modes de pensée ces principes font référence et c'est important, car il s'agit de nos modes de pensée qui ne nous permettent pas de connaître la réalité comme elle est. Ce thème n'est pas seulement une discussion sur la métaphysique traditionnelle en Inde

Notes

  1. Voir Madhyamaka et Madhyamika et Mādhyamikādans le dictionnnaire sanskrit de Gérard Huet
  2. Trad. fr. du contributeur , basée sur les versions anglaises de Dharmafield.org, Thanissaro Bikkhu, M. O'Connell Walshe, et D.J. Kalupahana

Références

voir aussi

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